La Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté a accordé un prêt personnel de regroupement de crédits de 32’800 euros à M. [N] [Z] et Mme [C] [R] le 17 mai 2017, remboursable en 72 mensualités à un taux d’intérêt de 6 %. Le 1er décembre 2021, la banque a notifié aux emprunteurs la déchéance du terme du contrat et a exigé le paiement de 18 012,34 euros. En avril 2022, la banque a assigné M. [Z] et Mme [R] en justice pour obtenir le paiement du solde. Le 26 septembre 2022, le tribunal a déclaré l’action de la banque irrecevable et a débouté sa demande de frais. La Caisse de crédit mutuel a interjeté appel de cette décision, demandant l’infirmation du jugement et la condamnation des emprunteurs au paiement de sommes dues, ainsi qu’aux dépens. M. [Z] n’a pas constitué avocat, tandis que Mme [R] a constitué avocat sans déposer de conclusions. La cour a ensuite demandé des observations à la banque concernant la déchéance du droit aux intérêts contractuels, mais celle-ci n’a pas répondu.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 8 SECTION 1
ARRÊT DU 26/09/2024
N° de MINUTE : 24/668
N° RG 22/05063 – N° Portalis DBVT-V-B7G-USDL
Jugement (N° 22-001051) rendu le 26 Septembre 2022 par le Tribunal Judiciaire de Lille
APPELANTE
Société Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 5] Liberté prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés
en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai avocat constitué assisté de Me Yves Sion, avocat au barreau de Lille, avocat plaidant
INTIMÉS
Monsieur [N], [Y], [L] [Z]
né le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 5]
[Adresse 8]
[Localité 5]
Défaillant, à qui la déclaration d’appel a été signifiée le 12 décembre 2022 par acte signfié à étude
Madame [C] [R]
née le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 9] – de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentée par Me Mathias Bauduin, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 22 mai 2024 tenue par Catherine Ménegaire magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Gaëlle Przedlacki
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Yves Benhamou, président de chambre
Samuel Vitse, président de chambre
Catherine Ménegaire
ARRÊT PAR DEFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024 après prorogation du délibéré du 05 septembre 2024 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Yves Benhamou, président et Ismérie Capiez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 7 mai 2024
Suivant offre préalable acceptée le 17 mai 2017, la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté a consenti à M. [N] [Z] et Mme [C] [R] un prêt personnel de regroupement de crédits d’un montant de 32’800 euros, remboursable en 72 mensualités, assortie des intérêts au taux de 6 %.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 1er décembre 2021, la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté a notifié à M. [Z] et Mme [R] la déchéance du terme du contrat de crédit et mis en demeure les emprunteurs de lui payer la somme de 18 012,34 euros.
Par actes d’huissier de justice des 1er et 5 avril 2022, la banque a fait assigner en justice M. [Z] et Mme [R] aux fins d’obtenir leur condamnation au paiement du solde du contrat de crédit.
Par jugement réputé contradictoire du 26 septembre 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lille a :
– déclaré irrecevable l’action en paiement de la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté à l’encontre de M. [Z] et Mme [R] au titre de regroupement de crédits souscrit le 17 mai 2017,
– débouté la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté aux dépens,
– dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire.
Par déclaration reçue par le greffe de la cour le 28 octobre 2022, signifiées à M. [Z] et Mme [R] par actes d’huissier de justice délivrés le 12 décembre 2022 par dépôt des actes à l’étude, la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté a relevé appel de l’ensemble des chefs de ce jugement, sauf en ses dispositions concernant l’exécution provisoire.
Aux termes de ses conclusions déposées au greffe de la cour le 12 janvier 2023, l’appelante demande à la cour, au visa des articles L.311-23 et L.311-24 du code de la consommation, L.312-38 et L.312-39 nouveaux du même code, et 1103 du code civil, de :
– infirmer le jugement du juge des contentieux la protection du tribunal judiciaire de Lille du 26 septembre 2022 en ce qu’il a :
– déclaré irrecevable l’action en paiement de la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté à l’encontre de M. [Z] et Mme [R] au titre de regroupement de crédits souscrit le 17 mai 2017,
– débouté la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté aux dépens,
statuant à nouveau,
vu les articles 125 du code de procédure civile, L.314-26 du code de la consommation et R.312- 35 du code de la consommation,
– accueillir la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté en ses demandes et la dire bien fondée,
en conséquence,
– condamner solidairement M. [Z] et Mme [R] à payer à la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté les sommes suivantes :
– 17’834,48 euros au titre du crédit personnel de regroupement de crédits n° 44973203, outre les intérêts au taux contractuel de 6 % courant sur la somme de 15’109,24 euros à compter du 1er mars 2022, date du dernier décompte actualisé de la créance et ce jusqu’à parfait paiement,
– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– les condamner solidairement aux entiers frais et dépens tant de première instance que d’appel par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
M. [Z] n’a pas constitué avocat, ni conclu. Mme [R] a constitué avocat mais n’a pas déposé de conclusions.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures de la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté pour l’exposé de ses moyens.
La clôture de l’affaire a été rendue le 7 mai 2024 et l’affaire plaidée à l’audience de la cour du 22 mai 2024.
Par avis en date du 4 juillet 2024, au visa des articles L. 341-2, L. 312-16 du code de la consommation dans leur version issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et L.313-3 du code monétaire et financier, la cour a invité la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté à faire part de ses observations sur la déchéance du droit aux intérêts contractuels encourue du fait de la non-justification de la consultation du fichier national des incident de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) avant la conclusion du contrat de crédit litigieux, relevé d’office par la cour, et sur l’application de la majoration de l’intérêt au taux légal prévue par les dispositions de l’article L.313-3 du code monétaire et financier.
La Caisse de Crédit mutuel n’a formulé aucune observation.
Les textes du code de la consommation mentionnés dans l’arrêt sont ceux issus de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 en vigueur à la date de souscription du contrat de crédit.
Sur la forclusion
L’appelante fait grief au premier juge d’avoir déclaré son action en paiement forclose au motif erroné que le premier incident de paiement non régularisé se situe au mois de décembre 2019 alors selon la banque qu’il se situe au 5 décembre 2020, soit moins de deux ans avant l’exploit introductif d’instance du 1er avril et 5 avril 2022.
L’article R.312-35 du code de la consommation dans sa rédaction applicable au litige dispose que les actions en paiement engagées à l’occasion de la défaillance de l’emprunteur doivent être formées dans les deux ans de l’événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion. Cet événement est caractérisé, notamment, par le premier incident de paiement non régularisé, soit en cas de régularisation et compte tenu de la règle d’imputation énoncée par l’article 1342-10 du code civil dans sa version issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et applicable à la date du prêt, à compter de la plus ancienne mensualité demeurant impayée.
En l’espèce, il résulte de l’historique du compte produit aux débats qu’à compter du 5 décembre 2019, les emprunteurs ne se sont plus régulièrement acquittés des échéances échues. Pour autant, postérieurement à cette date, ils ont réalisé divers règlements, non pris en compte par le premier juge. Après imputation desdits règlements conformément à l’article 1342-10 du code civil, il s’observe que le premier incident de paiement non régularisé se situe au 5 décembre 2020, ce qui est encore confirmé par la lettre de mise en demeure en date du 10 août 2021, les échéances impayées à cette date s’élevant à la somme de 5 090,64 euros, soit 8,9 échéances.
L’assignation en paiement ayant été délivrée les 1er et 5 avril 2002, dans le délai de deux ans suivant le premier incident de paiement non régularisé, l’action de la banque n’est pas forclose.
Dès lors, réformant le jugement entrepris, la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté sera déclarée recevable en son action à l’encontre de M. [Z] et Mme [R].
Sur la déchéance du droit aux intérêts contractuels
Aux termes de l’article L. 341-2 du code de la consommation, lorsque le prêteur n’a pas respecté les obligations fixées à l’article L. 312-16, il est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.
Aux termes de l’article L. 312-16 du code de la consommation, avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur vérifie la solvabilité de l’emprunteur à partir d’un nombre suffisant d’informations, y compris des informations fournies par ce dernier à la demande du prêteur, le prêteur consultant le fichier prévu à l’article L.751-1, dans les conditions prévues par l’arrêté mentionné à l’article L. 751-6 du même code.
L’article 13 de l’arrêté du 26 octobre 2010 relatif au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) dans sa version applicable au litige dispose que :
« Modalités de justification des consultations et conservation des données.
I. – En application de l’article L. 751-6 du code de la consommation, afin de pouvoir justifier qu’ils ont consulté le fichier, les établissements et organismes mentionnés à l’article 1er doivent, dans les cas de consultations aux fins mentionnées au I de l’article 2, conserver des preuves de la consultation du fichier, de son motif et de son résultat, sur un support durable. Ils doivent être en mesure de démontrer que les modalités de consultation du fichier et de conservation du résultat des consultations garantissent l’intégrité des informations ainsi collectées. Constitue un support durable tout instrument permettant aux établissements et organismes mentionnés à l’article 1er de stocker les informations constitutives de ces preuves, d’une manière telle que ces informations puissent être consultées ultérieurement pendant une période adaptée à leur finalité et reproduites à l’identique.
Le cas échéant, le résultat des consultations effectuées aux fins mentionnées au II de l’article 2 est conservé dans les conditions décrites ci-dessus.
II. – Les établissements et organismes mentionnés à l’article 1er mettent en place des procédures internes leur permettant de justifier que les consultations du fichier ne sont effectuées qu’aux fins mentionnées à l’article 2 et à elles seules. (…) »
En l’espèce, force est de constater que la banque ne produit aucun justificatif de la consultation du FICP conformément aux dispositions précitées, et ne rapporte donc pas la preuve qui lui incombe qu’elle a rempli son obligation.
Il y a donc lieu de la déchoir de son droit aux intérêts contractuels depuis la conclusion du contrat de crédit.
Selon l’article L.341-8 du code de la consommation, lorsque le prêteur est déchu du droit aux intérêts dans les conditions prévues aux articles L. 341-1 à L. 341-7, l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu, ainsi que, le cas échéant, au paiement des intérêts dont le prêteur n’a pas été déchu.
En conséquence, M. [Z] et Mme [R] seront solidairement condamnés à payer à la Caisse de Crédit mutuel de [Localité 5] Liberté la somme de 9 548,49 euros (soit 32 800 euros – 23 251,51 euros), augmentée des intérêts légaux à compter de l’assignation.
Par ailleurs, l’article L.313-3 du code monétaire et financier prévoit la majoration de 5 points du taux légal à l’expiration d’un délai de 2 mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire.
Les dispositions des articles L.311-1 et suivants du code de la consommation, dans leur rédaction issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, sont une transposition des dispositions de la directive n° 2008/48/CE du Parlement européen du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CE, et le juge national est tenu d’appliquer les dispositions issues de l’Union Européenne telles qu’elle sont en outre interprétées par la Cour de Justice de l’Union européenne et d’assurer leur effectivité.
L’article 23 de la directive n° 2008/48/CE du Parlement européen du 23 avril 2008 dispose que les États membres définissent le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive, et prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu’elles soient appliquées. Les sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.
L’application du droit national doit être écarté si les sommes susceptibles d’être perçues par le prêteur à la suite de la déchéance du droit aux intérêts ne sont pas significativement inférieures à celles dont il pourrait bénéficier s’ils avait respecté ses obligations, ce qui revient à anéantir l’effectivité de la sanction de la déchéance du droit aux intérêts et son effet dissuasif. (Arrêt CJUE du 27 mars 2014 Affaire C-565/12 – Crédit Lyonnais SA/ Fesih Kalhan)
Au regard du taux d’intérêt contractuel de 6 %, et du taux d’intérêt légal majoré (au 2ème semestre 2024 : 4,92 % + 5 points), il y a lieu d’écarter l’application de l’article L.313-3 du code monétaire et financier relatif à la majoration de 5 points du taux d’intérêt légal afin de garantir l’effectivité de la sanction de la déchéance du droit aux intérêts contractuels.
Sur les demandes accessoires
Le jugement entrepris sera réformé en ses dispositions relatives aux dépens, mais confirmé en celles relatives à l’article 700 du code de procédure civile.
M. [Z] et Mme [R], qui succombent, sont condamnés in solidum aux dépens depremière instance et d’appel conformément aux dispositions du code de l’article 696 du code de procédure civile.
En équité, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté est déboutée de sa demande à ce titre.
La cour statuant par arrêt réputé contradictoire et dans les limites de
l’appel ;
Réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf celle relative à l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau ;
Déclare recevable l’action en paiement formée par la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté à l’encontre de M. [N] [Z] et Mme [C] [R] ;
Condamne solidairement M. [N] [Z] et Mme [C] [R] à payer à la Caisse de Crédit mutuel de [Localité 5] Liberté la somme de 9 548,49 euros, augmentée des intérêts légaux à compter de l’assignation au titre du solde du contrat de crédit souscrit le 17 mai 2017 ;
Ecarte l’application de l’article L.313-3 du code monétaire et financier et dit en conséquence que la majoration de l’intérêts légal ne sera pas applicable ;
Déboute la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] liberté de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
Condamne in solidum M. [N] [Z] et Mme [C] [R] aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier
Ismérie CAPIEZ
Le président
Yves BENHAMOU