La société BNP Paribas Personal Finance a accordé un prêt de 33 000 euros à Mme [P] et M. [P] en mai 2013, remboursable en 84 mensualités. En raison d’impayés, la société a prononcé la déchéance du terme et a mis en demeure les emprunteurs en décembre 2014. Le tribunal d’instance a rendu un jugement en juillet 2016, condamnant Mme [P] à rembourser la somme due, tout en déboutant les deux parties de plusieurs demandes, y compris celles relatives à la production d’enregistrements téléphoniques et à la déchéance des intérêts. Mme [P] a fait appel, mais la cour d’appel a confirmé le jugement en 2018.
Mme [P] et son curateur ont ensuite formé un pourvoi en cassation, qui a partiellement abouti en avril 2021, annulant l’arrêt sur la question des intérêts. Ils ont saisi la cour d’appel de Paris en 2023, demandant la déchéance des intérêts et la réduction de l’engagement de Mme [P], en raison de troubles mentaux liés à son traitement pour la maladie de Parkinson. La banque a contesté ces demandes, soutenant qu’elle avait respecté ses obligations et que les demandes de Mme [P] étaient irrecevables. Les parties ont présenté leurs arguments respectifs, notamment sur la preuve de la remise de documents précontractuels et sur le devoir de conseil de la banque. L’affaire a été clôturée en juin 2024, après plusieurs échanges de conclusions. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 9 – A
ARRÊT DU 19 SEPTEMBRE 2024
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/02888 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHDIC
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 juillet 2016 – Tribunal d’Instance de MANTES LA JOLIE – RG n° 11-15-000253
Arrêt du 12 juin 2018 de la Cour d’appel de VERSAILLES – RG n° 16/05901
Arrêt du 8 avril 2021 de la cour de Cassation – n° 301-F-P
DEMANDEURS À LA SAISINE
Madame [R] [Y] épouse [P]
née le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 6] (78)
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
assisté de Me Thibaut GRIBELIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J120
Monsieur [D] [P] en sa qualité de curateur de Madame [R] [P]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
assisté de Me Thibaut GRIBELIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J120
DÉFENDERESSE À LA SAISINE
La société BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE, société anonyme à conseil d’administration, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité
N° SIRET : 542 097 902 04319
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée et assistée de Me Sébastien MENDES GIL de la SELAS CLOIX & MENDES-GIL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0173
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 5 juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre
Mme Laurence ARBELLOT, Conseillère
Mme Sophie COULIBEUF, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Muriel DURAND, présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Muriel DURAND, Présidente et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Selon offre préalable acceptée le 15 mai 2013, la société BNP Paribas Personal Finance sous l’enseigne Cetelem a consenti un prêt dit de « regroupement de crédits » d’un montant de 33 000 euros, au taux annuel de 7,40 %, remboursable au moyen de 84 mensualités de 500,64 euros chacune, Mme [R] [Y] épouse [P] et M. [D] [P] figurant sur l’offre de crédit en qualité de co-emprunteurs.
Suite à des impayés, la société BNP Paribas Personal Finance a prononcé la déchéance du terme du prêt et mis en demeure M. et Mme [P] de s’acquitter des sommes restant dues par lettre recommandée réceptionnée le 27 décembre 2014.
Saisi par acte du 3 mai 2015 d’une demande en paiement du solde du prêt dirigée contre M. et Mme [P], le tribunal d’instance de Mantes-la-Jolie a, par jugement contradictoire du 22 juillet 2016, :
– débouté M. et Mme [P] de leur demande de production forcée d’enregistrements de conversations téléphoniques,
– débouté la société BNP Paribas Personal Finance de ses demandes à l’encontre de M. [P],
– débouté M. et Mme [P] de leurs demandes de déchéance du droit aux intérêts conventionnels,
– condamné Mme [P] à payer à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 35 376,68 euros avec intérêts à compter du 27 décembre 2014, date de réception de la mise en demeure, au taux conventionnel de 7,16 % sur la somme de 35 176,68 euros et au taux légal sur le surplus,
– débouté M. et Mme [P] de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts,
– débouté Mme [P] de sa demande de réduction de son engagement,
– débouté la société BNP Paribas Personal Finance de sa demande de capitalisation des intérêts,
– débouté la société BNP Paribas Personal Finance de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté M. et Mme [P] de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties du surplus de leurs prétentions,
– condamné Mme [P] aux dépens.
Pour rejeter la demande de production des enregistrements des appels passés, le premier juge a retenu que leur existence n’était pas certaine et qu’elle était contestée par l’établissement de crédit.
Il a ensuite considéré que les affirmations de Mme [P] selon lesquelles elle aurait signé l’offre de prêt à la place de son mari étaient corroborées par les spécimens de signature produits et qu’il était donc établi que celui-ci n’était pas signataire du contrat.
Pour rejeter la demande de déchéance du droit aux intérêts contractuels, il a relevé que sur la fiche explicative, Mme [P] avait signé une clause de reconnaissance de remise de la FIPEN, ce qui faisait présumer de sa remise et qu’il n’était versé aux débats aucun élément contraire, que le FICP avait été consulté avant le déblocage des fonds, que la preuve de la remise de la notice d’assurance résultait de la signature d’une clause de reconnaissance sans qu’aucun élément contraire ne soit produit, que le contrat respectait le corps 8 et que les conditions de lisibilité et de clarté ainsi que le devoir de conseil et d’explication avaient été respectés.
Il a calculé le montant des sommes dues et a réduit l’indemnité de résiliation à 200 euros en prenant en compte le préjudice subi par le prêteur.
Il a rejeté la demande de dommages et intérêts en considérant que Mme [P] ne démontrait pas l’existence d’une faute de la banque dans la formation du contrat ni dans le recouvrement du crédit et que la preuve du préjudice invoqué de ces chefs n’était pas davantage rapportée.
Sur la demande subsidiaire de réduction de l’engagement de Mme [P], il a considéré que rien ne permettait de penser que la banque était informée de la pathologie dont souffrait Mme [P] ni des conséquences sur ses facultés corporelles et intellectuelles et que les conditions d’application des dispositions de l’article 464 du code civil qui permettaient cette réduction n’étaient donc pas réunies.
Il a écarté la demande de capitalisation des intérêts comme contraire aux dispositions de l’article L. 311-25 du code de la consommation.
*
Par déclaration en date du 28 juillet 2016, Mme [P] assistée de son curateur, a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt contradictoire du 12 juin 2018, la cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement en toutes ses dispositions, condamné Mme [P] aux dépens de la procédure d’appel, avec distraction au profit de Me Nuzum conformément à l’article 699 du code de procédure civile et dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.
Pour confirmer le rejet de la demande de réduction des engagements de Mme [P], la cour a rappelé que la condition de notoriété ou de connaissance par le cocontractant de l’altération des facultés de l’autre partie était exigée, que Mme [P] n’avait été placée en curatelle renforcée que le 29 octobre 2014 et que rien dans le dossier ne permettait d’établir que le 15 mai 2013, date de signature du contrat, la banque connaissait l’altération des facultés personnelles de Mme [P]. Elle a ajouté que cette dernière ne pouvait sérieusement soutenir que les prétendus manquements de la banque lui avaient permis d’ignorer le trouble mental dont elle souffrait dès lors que la banque n’avait pas à interroger la future emprunteuse sur son état de santé.
Pour confirmer le rejet de la demande de déchéance du droit aux intérêts contractuels, la cour a considéré que la consultation du FICP après la date de signature mais avant la mise à disposition des fonds était faite avant la conclusion du contrat au sens de l’article L. 311-9 devenu L. 312-16 du code de la consommation. Elle a adopté les motifs du premier juge s’agissant de la preuve de la remise de la FIPEN, de la notice d’assurance, de la taille des caractères et du devoir de conseil et d’explications.
Pour confirmer le rejet de la demande de dommages et intérêts pour responsabilité contractuelle de la banque, elle a également adopté les motifs du premier juge.
Elle a en conséquence confirmé la condamnation.
*
M. et Mme [P] ont formé un pourvoi contre cet arrêt invoquant deux moyens. Ils ont en premier lieu fait grief à l’arrêt confirmatif d’avoir débouté Mme [P] de sa demande de réduction de ses engagements fondée sur les dispositions de l’article 464 du code civil alors que la preuve de l’existence des troubles mentaux à cette époque était rapportée répondant aux conditions de l’article 414-1 du code civil. Ils ont en second lieu fait grief à l’arrêt confirmatif d’avoir rejeté la demande de déchéance du droit aux intérêts contractuels en l’absence de preuve de la remise de la FIPEN et de la notice d’assurance dont la preuve incombait au prêteur, comme en présence d’un contrat ne respectant pas le corps 8.
Par arrêt du 8 avril 2021, la Cour de Cassation a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 12 juin 2018, mais seulement en ce qu’il avait rejeté la demande de déchéance du droit aux intérêts de la banque et condamné Mme [P] à payer la somme de 35 376,68 euros avec intérêts à compter du 27 décembre 2014 et a remis sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyés devant la cour d’appel de Paris. Elle a par ailleurs condamné la banque aux dépens et rejeté les demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La Cour de Cassation a en premier lieu considéré que le premier moyen n’était manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen pris en ses première et troisième branches relatives à la preuve de la remise de la FIPEN et de la notice d’assurance, elle a considéré qu’en retenant que la banque produisait une fiche explicative et une offre préalable de crédit, comportant chacune une mention pré-imprimée suivie de la signature de Mme [P] par laquelle elle reconnaissait avoir reçu la fiche précontractuelle d’information normalisée européenne et la notice d’assurance lesquelles laissaient présumer la remise de ces documents en l’absence de tout autre élément produit par M. et Mme [P] permettant de douter de leur remise ou de leur régularité, la cour avait inversé la charge de la preuve et violé le texte des articles L. 311-6 et L. 311-19 du code de la consommation, dans leur version applicable au contrat.
*
Par déclaration électronique du 1er février 2023, Mme [P] et son curateur ont saisi la cour d’appel de Paris.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 26 septembre 2023, ils de-mandent à la cour :
– de les recevoir en leurs écritures et les dire bien fondés,
– d’infirmer le jugement du tribunal d’instance de Mantes-la-Jolie du 22 juillet 2016 en ce qu’il déboute Mme [P] de sa demande de déchéance du droit aux intérêts conventionnels, la condamne à payer à société BNP Paribas Personal Finance la somme de 35 376,68 euros avec intérêts à compter du 27 décembre 2014, date de réception de la mise en demeure, au taux conventionnel de 7,16 % sur la somme de 35 176,68 euros et au taux légal sur le surplus, la déboute de sa demande en paiement de dommages et intérêts, de sa demande de réduction de son engagement, de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et la condamne aux dépens et statuant à nouveau :
– d’ordonner la déchéance des intérêts et l’imputation des sommes versées par Mme [P] sur le principal de la créance,
– de réduire les engagements de Mme [P] en totalité ou à défaut, partiellement,
– à titre subsidiaire, de fixer le principal de la créance de la société BNP Paribas Personal Finance à la somme de 30 894,30 euros, de condamner la société BNP Paribas Personal Finance à verser à Mme [P] une somme de 20 000 euros au titre du préjudice causé par la souscription du crédit et de 10 000 euros au titre de son préjudice moral et d’ordonner la compensation des sommes réciproquement dues par les parties,
– en tout état de cause, de débouter la société BNP Paribas Personal Finance de l’intégralité de ses demandes et de la condamner à verser à Mme [P] une somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Ils font valoir que Mme [P] a souffert de troubles mentaux causés par son traitement contre la maladie de Parkinson, qu’en avril 2013, au plus fort du traitement la société BNP Paribas Personal Finance a émis une offre de crédit de 19 000 euros puis un mois plus tard, en raison de difficultés de paiement, qu’elle a procédé à un regroupement de crédits et augmenté le prêt à 33 000 euros avec un taux de 7,16 % et qu’il a été reconnu après une vérification d’écritures que M. [P] n’était pas partie à ces contrats et que ce n’est que quelques mois plus tard que sa famille a découvert l’existence de ces crédits. Ils soulignent que Mme [P] a été placée sous curatelle renforcée le 29 octobre 2014.
Ils soutiennent que l’absence de preuve de remise de la FIPEN, laquelle incombe à la banque et ne peut résulter de la seule signature d’une clause de reconnaissance, doit entraîner la déchéance du droit aux intérêts contractuels en application des dispositions des articles L. 311-6 et L. 311-48 du code de la consommation dans leur version applicable au litige.
Ils ajoutent que ce défaut de preuve de la remise de la notice d’assurance obéit au même régime et doit entraîner la même sanction.
Ils indiquent que la créance de la société BNP Paribas Personal Finance doit donc être fixée à la somme de 30 894,30 euros en principal suite à cette déchéance du droit aux intérêts contractuels.
Ils se prévalent des dispositions de l’article 464 du code civil pour solliciter la réduction des engagements de Mme [P], faisant valoir que les troubles psychiques qu’elle subissait étaient liés à l’augmentation de ses dosages dès le mois de février 2013, qu’elle était sujette à des hallucinations, des troubles de l’humeur et de l’affection et à un besoin irrépressible d’acquérir toutes sortes d’objets inutiles et sans valeur, qu’elle a dispersés ensuite, que pendant cette période, son discours était incohérent et paranoïaque et que tout interlocuteur pouvait s’en rendre compte. Ils affirment que le seul fait de dépenser 19 000 euros en un mois signe le trouble mental.
Ils soutiennent que le prêteur, qui n’a pas ouvert un seul crédit mais deux, aurait dû s’en rendre compte et que la banque a commis des fautes qui ont participé à l’endettement irraisonné d’une personne sous l’empire d’un trouble mental. Ils considèrent que si la banque avait pris soin de discuter et de conseiller Mme [P], ceci aurait suffi pour éviter tout dommage mais qu’elle n’a jamais pris soin de prodiguer un début d’explication, ni de parler avec Mme [P], car si elle l’avait fait, aucun crédit n’aurait été accordé. Ils considèrent que la banque n’a pas respecté son devoir de conseil et qu’elle est à l’origine de son propre préjudice.
Ils rappellent que si la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce, elle s’étend également à l’ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire et affirment que la faute sanctionnée par la cassation doit conduire à l’indemnisation. Ils ajoutent que la banque a harcelé Mme [P] pour récupérer les sommes prêtées.
Ils évaluent le préjudice causé par ces fautes à 20 000 euros au titre du préjudice causé par le crédit souscrit et à 10 000 euros au titre du préjudice moral.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 mai 2024, la société BNP Paribas Personal Finance demande à la cour :
– statuant dans les limites de sa saisine telle que déterminée par l’arrêt de la Cour de Cassation du 8 avril 2021, de confirmer le jugement rendu par le tribunal d’instance de Mantes-la-Jolie le 22 juillet 2016 en ce qu’il a débouté M. et Mme [P] de leurs demandes de déchéance du droit aux intérêts conventionnels et en ce qu’il a condamné Mme [P] à lui payer la somme de 35 376,68 euros avec intérêts, à compter du 27 décembre 2014, au taux conventionnel de 7,16 % l’an sur la somme de 35 176,68 euros et au taux légal pour le surplus,
– de constater que la demande formée par Mme [P], assistée de son curateur, de réduction de son engagement et de condamnation de la banque au paiement d’une somme de 20 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice causé par la souscription du crédit et 10 000 euros au titre de son préjudice moral, n’entrent pas dans le champ de la saisine de la cour de renvoi, de déclarer ces demandes irrecevables et subsidiairement de les rejeter,
– de déclarer irrecevables les demandes formées par Mme [P] assistée de son curateur, de condamnation fondées sur l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens afférent aux procédures de première instance et d’appel et ne portant pas exclusivement sur la procédure de renvoi,
– en tout état de cause, de débouter Mme [P] assistée de son curateur de sa demande visant au prononcé de la déchéance du droit aux intérêts contractuels,
– de constater que la déchéance du terme a été prononcée au titre du crédit, subsidiairement, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de crédit au vu des manquements de l’emprunteur dans son obligation de rembourser des échéances du crédit et de fixer la date des effets de la résiliation au 23 décembre 2014,
– en tout état de cause, de condamner Mme [P] assistée de son curateur, à lui payer la somme de 35 376,68 euros avec intérêts, à compter du 27 décembre 2014, au taux conventionnel de 7,16 % l’an sur la somme de 35 176,68 euros et au taux légal pour le surplus,
– subsidiairement, en cas de déchéance du droit aux intérêts contractuels, de condamner Mme [P] assistée de son curateur à lui payer la somme de 30 894,30 euros avec inté-rêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 23 décembre 2014,
– de débouter Mme [P] assistée de son curateur de toutes autres demandes, fins et conclusions,
– en tout état de cause, de condamner Mme [P] assistée de son curateur à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure de renvoi en applica-tion de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure de renvoi avec distraction au profit de la Selas Cloix & Mendes Gil.
Elle fait valoir que la Cour de Cassation s’est fondée sur l’arrêt Bakkaus rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne en date du 18 décembre 2014, considérant qu’il ressortait de l’arrêt que la clause de remise de la FIPEN ne constituait qu’un indice qui devait être corroboré par d’autres éléments de preuve, mais que cette interprétation était contestable, la CJUE reconnaissant au contraire expressément la validité d’une clause de reconnaissance de la remise mais considérant que cette clause était en tant que telle insuffisante ce dont il fallait en déduire qu’elle pouvait être corroborée par d’autres éléments. Elle soutient que ces autres éléments sont la production de la FIPEN elle-même et celle de la fiche explicative et que dès lors c’est à l’emprunteur qu’il appartient de démontrer que la FIPEN remise ne serait pas régulière ou conforme. Elle souligne que la Cour de Cassation a admis même après cet arrêt que la signature d’une clause de reconnaissance et la production du bordereau de rétractation ou la notice d’assurance suffisaient à prouver la remise desdits documents.
Elle soutient que l’arrêt de la cour d’appel de Versailles est définitif en ce qu’il a débouté M. et Mme [P] de leurs demandes de dommages et intérêts et de réduction de l’engagement et qu’ils ne sont pas recevables à remettre en cause ces points devant la cour d’appel de Paris. Elle conteste tout lien d’indivisibilité entre la demande reconventionnelle en dommages et intérêts, la demande de réduction de l’engagement et la demande visant au prononcé de la déchéance du droit aux intérêts contractuels.
A titre subsidiaire, elle considère ces demandes comme infondées, relevant que l’article 464 du code civil conditionne la réduction de l’engagement au caractère notoire ou connu par le co-contractant de l’altération des facultés mentales et conteste que Mme [P] ait rempli ces conditions. Elle souligne qu’elle travaillait dans un cabinet d’avocats lors de la souscription des crédits.
Elle rappelle que l’établissement de crédit n’a pas de devoir de conseil de l’emprunteur s’agissant de l’opportunité de conclure ou non un contrat de crédit, mais seulement un devoir de mise en garde en cas de risque d’endettement, qu’elle a fourni les explications ainsi qu’il résulte de la production de la fiche explicative et qu’elle a fait remplir une fiche de renseignements sur les revenus et charges laquelle ne faisait pas ressortir de risque d’endettement.
Elle conteste tout harcèlement et soutient que si les conversations sont susceptibles d’être enregistrées, elles ne le sont pas systématiquement.
Elle soutient qu’il n’existe donc ni faute, ni préjudice ni lien de causalité et que les demandes de dommages et intérêts ne peuvent prospérer.
Elle considère que la déchéance du terme a été valablement prononcée, que dans le cas contraire l’importance des manquements devraient conduire au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat avec effet au 23 décembre 2014, et qu’elle est fondée à obtenir les montants octroyés par le premier juge. Subsidiairement en cas de déchéance du droit aux intérêts, elle s’estime fondée à obtenir la somme de 30 894,30 euros, seule une somme de 2 105,70 euros ayant été payée par Mme [P].
S’agissant des dépens et des frais irrépétibles elle souligne que la demande ne peut porter que sur ceux afférents à la procédure de renvoi.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 juin 2024 et l’affaire a été appelée à l’audience le 5 juin 2024.
Sur la recevabilité des demandes de Mme [P] assistée de son curateur en réduction de son engagement et en paiement de dommages et intérêts
Mme [P] assistée de son curateur fait justement valoir que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce et s’étend également à l’ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
Toutefois, la cour n’a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Versailles qu’en ce qu’elle a rejeté la demande de déchéance du droit aux intérêts de la banque et condamné Mme [P] à payer la somme de 35 376,68 euros avec intérêts à compter du 27 décembre 2014, faute de preuve de la remise de la FIPEN et de la notice d’assurance. Elle n’a pas fait droit au moyen destiné à remettre en cause le débouté de la demande de réduction fondée sur les dispositions de l’article 464 du code civil étant observé que la cour d’appel de Versailles avait rejeté tout lien entre le non-respect des dispositions relatives aux obligations précontractuelles du prêteur et cette demande. Ce point est donc définitivement tranché et la demande visant à le remettre en cause est irrecevable.
S’agissant de la demande de dommages et intérêts, elle a également été rejetée expressément par la cour d’appel de Versailles par des dispositions non contestées devant la Cour de Cassation. En outre, Mme [P] assistée de son curateur qui prétend qu’il s’agit d’une demande indivisible et dépendante des dispositions cassées, ne fonde pas sa demande de dommages et intérêts sur le préjudice qu’elle aurait directement subi du fait de l’absence de remise de ces documents mais sur le fait que la banque aurait dû découvrir l’état de santé de Mme [P] et l’aurait manifestement découvert si elle lui avait remis ces documents ce qui a expressément été rejeté par la cour d’appel de Versailles et ne présente pas non plus de lien d’indivisibilité ou de dépendance avec les dispositions cassées. Elle se fonde également sur le devoir de conseil et d’explication mais là encore ces points n’ont pas été remis en cause par la cassation.
Ces demandes doivent donc être déclarées irrecevables comme se heurtant à la force de la chose jugée.
Sur la demande de déchéance du droit aux intérêts
Il résulte de l’article L. 311-6 du code de la consommation applicable au cas d’espèce (devenu L. 312-12) que préalablement à la conclusion du contrat de crédit, le prêteur ou l’intermédiaire de crédit donne à l’emprunteur, par écrit ou sur un autre support durable, les informations nécessaires à la comparaison de différentes offres et permettant à l’emprunteur, compte tenu de ses préférences, d’appréhender clairement l’étendue de son engagement.
Cette fiche d’informations précontractuelles -FIPEN- est exigée à peine de déchéance totale du droit aux intérêts (article L. 311-48 devenu L. 341-1), étant précisé qu’il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à son obligation d’information et de remise de cette FIPEN.
A cet égard, la clause type, figurant au contrat de prêt ou dans la fiche explicative, selon laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu la fiche d’informations précontractuelles normalisées européennes, n’est qu’un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.
La fiche explicative signée n’est pas la FIPEN et celle-ci n’est même pas produite aux débats, étant au surplus observé qu’il a été jugé que la seule production d’une FIPEN non signée n’aurait pas davantage suffi à corroborer utilement cette mention et à apporter la preuve de l’effectivité de la remise. (Cass. civ. 1, 7 juin 2023, n° 22-15.552).
La déchéance du droit aux intérêts contractuels est donc encourue de ce chef.
L’article L. 311-19 devenu L. 312-29 du code de la consommation impose au prêteur, lorsque l’offre de contrat de crédit est assortie d’une proposition d’assurance, de remettre à l’emprunteur une notice qui comporte les extraits des conditions générales de l’assurance le concernant, notamment les nom et adresse de l’assureur, la durée, les risques couverts et ceux qui sont exclus et ce à peine de déchéance du droit aux intérêts contractuels prévue par l’article L. 311-48 a 1 devenu L. 341-4 du code de la consommation
Contrairement à ce que soutient la banque, la preuve de la remise de la notice et de sa conformité ne saurait résulter d’une simple clause pré-imprimée selon laquelle l’emprunteur reconnaît la remise, une telle clause ne constituant qu’un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents et notamment la production de la notice, laquelle n’est pas non plus produite aux débats.
Il y a donc lieu pour ces deux motifs de prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts contractuels. Le jugement doit donc être infirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.
Sur les sommes dues
La régularité de la déchéance du terme du contrat et l’exigibilité des sommes dues n’ont pas été remises en cause par la Cour de Cassation.
Aux termes de l’article L. 311-48 devenu L. 341-8 du code de la consommation, lorsque le prêteur est déchu du droit aux intérêts, l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu, ainsi que, le cas échéant, au paiement des intérêts dont le prêteur n’a pas été déchu. Les sommes déjà perçues par le prêteur au titre des intérêts, qui sont productives d’intérêts au taux de l’intérêt légal à compter du jour de leur versement, sont restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû.
Il y a donc lieu de déduire de la totalité des sommes empruntées soit 33 000 euros la totalité des sommes payées soit 2 105,70 euros et de condamner Mme [P] assistée de son curateur à payer la somme de 30 894,30 euros.
Le jugement déféré doit donc être infirmé en ce qu’il a condamné Mme [P] assistée de son curateur au paiement de la somme de 35 376,68 euros avec intérêts à compter du 27 décembre 2014, date de réception de la mise en demeure, au taux conventionnel de 7,16 % sur la somme de 35 176,68 euros et au taux légal sur le surplus.
La limitation légale de la créance du préteur exclut qu’il puisse prétendre au paiement de toute autre somme et notamment de la clause pénale prévue par l’article L. 311-24 devenu L. 312-39 du code de la consommation. La société BNP Paribas Personal Finance doit donc être déboutée sur ce point.
Sur les intérêts au taux légal, la majoration des intérêts au taux légal
Ces points présentent un lien d’indivisibilité ou de dépendance avec la déchéance du droit aux intérêts.
Le prêteur, bien que déchu de son droit aux intérêts, demeure fondé à solliciter le paiement des intérêts au taux légal, en vertu de l’article 1153 devenu 1231-6 du code civil, sur le capital restant dû, majoré de plein droit deux mois après le caractère exécutoire de la décision de justice en application de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier.
Ces dispositions légales doivent cependant être écartées s’il en résulte pour le prêteur la perception de montants équivalents ou proches de ceux qu’il aurait perçus si la déchéance du droit aux intérêts n’avait pas été prononcée, sauf à faire perdre à cette sanction ses caractères de dissuasion et d’efficacité (CJUE 27 mars 2014, affaire C-565/12, Le Crédit Lyonnais SA / Fesih Kalhan).
En l’espèce, le crédit personnel a été accordé à un taux d’intérêt annuel fixe de 7,40 %.
Dès lors, les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur au titre des intérêts au taux légal significativement inférieur à ce taux conventionnel ne le seraient plus si ce taux devait être majoré de cinq points. Il convient en conséquence de ne pas faire application de l’article 1231-6 du code civil dans son intégralité et de dire qu’il ne sera pas fait application de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier. La somme restant due en capital au titre de ce crédit soit 30 894,30 euros portera intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure de payer effectuée simultanément au prononcé de la déchéance du terme soit le 27 décembre 2014 sans majoration de retard.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Mme [P] assistée de son curateur entend remettre en cause le premier jugement en ce qui concerne sa condamnation aux dépens et le rejet de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Ces demandes ne sont pas recevables, l’arrêt de la cour d’appel de Versailles qui a confirmé ces décisions n’ayant pas été remis en cause sur ces points lesquels ne présentent au cas d’espèce pas de lien d’indivisibilité ni de dépendance avec les dispositions cassées étant observé que seule la déchéance du droit aux intérêts et ses conséquences en termes de condamnation sont atteints par la cassation et que l’emprunteuse restait débitrice de sommes envers la banque et était déboutée d’une grande partie de ses prétentions.
Il convient de condamner la banque qui succombe aux dépens de la présente instance sur renvoi et au paiement à ce titre à Mme [P] assistée de son curateur d’une somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LA COUR,
Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Vu l’arrêt de la Cour de Cassation du 8 avril 2021,
Déclare Mme [R] [Y] épouse [P] assistée de son cureur irrecevable en ses demandes en réduction de son engagement et en paiement de dommages et intérêts comme en ses demandes tendant à remettre en cause les dispositions du jugement relatives aux dépens et au rejet de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant dans les limites de la cassation,
Infirme le jugement du tribunal d’instance de Mantes la Jolie du 22 juillet 2016 en ce qu’il a rejeté la demande de déchéance du droit aux intérêts contractuels et condamné Mme [R] [Y] épouse [P] assistée de son curateur à payer à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 35 376,68 euros avec intérêts à compter du 27 décembre 2014, date de réception de la mise en demeure, au taux conventionnel de 7,16 % sur la somme de 35 176,68 euros et au taux légal sur le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Prononce la déchéance du droit aux intérêts contractuels concernant le crédit de 33 000 euros consenti à Mme [R] [Y] épouse [P] ;
Condamne Mme [R] [Y] épouse [P] à payer à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 30 894,30 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2014 ;
Déboute la société BNP Paribas Personal Finance de sa demande au titre de l’indemnité de résiliation ;
Ecarte la majoration de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier ;
Condamne la société BNP Paribas Personal Finance aux dépens de la procédure sur renvoi et au paiement à Mme [R] [Y] épouse [P] de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente