Les époux [T] ont contracté deux prêts auprès de la Société générale, le premier en mai 2005 pour 121 500 euros et le second en décembre 2012 pour 208 642 euros. Ils ont découvert en février 2018 des irrégularités dans le calcul des intérêts de ces prêts, notamment l’utilisation d’une année bancaire de 360 jours et l’absence de certains frais dans le TEG du premier prêt. Après avoir informé la banque de ces irrégularités, ils ont assigné la Société générale en justice pour obtenir la nullité des stipulations d’intérêts et la restitution des intérêts perçus. La banque a soulevé la prescription de l’action et a contesté les allégations des époux [T]. Le tribunal de grande instance de Laval a déclaré les demandes des époux irrecevables pour cause de prescription et les a condamnés à payer des frais à la Société générale. Les époux [T] ont fait appel de ce jugement, demandant l’infirmation de la décision et la déchéance des intérêts conventionnels. La Société générale a demandé la confirmation du jugement de première instance et a contesté les arguments des époux. L’instruction de l’affaire a été clôturée en mai 2024.
|
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
D’ANGERS
CHAMBRE A – COMMERCIALE
CC/ILAF
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 19/02196 – N° Portalis DBVP-V-B7D-ES3Y
jugement du 26 Août 2019
Tribunal de Grande Instance de LAVAL
n° d’inscription au RG de première instance 18/00336
ARRET DU 17 SEPTEMBRE 2024
APPELANTS :
Monsieur [J] [T]
né le [Date naissance 2] 1951 à [Localité 7] (53)
[Adresse 1]
[Localité 5]
Madame [B] [F] épouse [T]
née le [Date naissance 3] 1952 à [Localité 7] (53)
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentés par Me Corentin CRIQUET de la SCP ANDCO, avocat postulant au barreau d’ANGERS et par Me Océane AUFFRET de PEYRELONGUE, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX
INTIMEE :
SA SOCIETE GENERALE
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Anne-Marie MAYSONNAVE de la SCP MAYSONNAVE-BELLESSORT, avocat postulant au barreau de LAVAL – N° du dossier 184091 et par Me Etienne GASTEBLED, avocat plaidant au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue publiquement à l’audience du 04 Juin 2024 à 14’H’00, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme CORBEL, présidente de chambre qui a été préalablement entendue en son rapport et devant M.’CHAPPERT, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CORBEL, présidente de chambre
M. CHAPPERT, conseiller
Mme GANDAIS, conseillère
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 17 septembre 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Selon offre acceptée le 2 mai 2005, par M. [J] [T] et Mme'[B] [F] épouse [T] (les époux [T]), la société Société générale leur a consenti un prêt à l’habitat portant sur une somme de 121 500 euros moyennant un taux d’intérêt de 3,60% l’an, un taux effectif global (TEG) de 4,12% l’an, remboursable en 240 mensualités après une période de différé d’amortissement de 24 mois, destiné à acquérir, à titre d’investissement locatif, un appartement neuf.
Par la suite, le 11 décembre 2012, les époux [T] ont accepté de la Société générale une offre de prêt similaire, portant sur une somme de 208 642 euros, remboursable en deux phases, la première de 60 mois au taux fixe de 3,10% l’an, et la seconde sur une période de 120 mois moyennant un taux dit révisable correspondant à un taux de référence calculé sur la base de l’index de référence à la date du passage dans cette seconde phase, majoré de 2,18%, ce’au TEG de 3,84%. Selon avenant relatif à ce deuxième prêt, régularisé le 5 juin 2016, le nombre total des mensualités a été porté à 201 et le montant de l’échéance a été diminué à 1 274,95 euros. Cet avenant mentionne un TEG annuel de 3,69%.
Les époux [T] déclarent avoir découvert, le 13 février 2018, à la suite d’une ‘analyse financière et mathématique’ du même jour établie à leur demande, que les deux prêts étaient entachés d’irrégularités tenant au calcul des intérêts conventionnels sur la base d’une année bancaire de 360 jours et, concernant le prêt de 2005, tenant à l’absence de prise en compte dans le TEG de frais de garantie.
Par lettre du 20 février 2018, les époux [T] ont fait part à la Société générale de ces irrégularités affectant le prêt souscrit en 2005. Par lettre du 13 mars 2018, la Société générale a répondu que le prêt avait été remboursé et a écarté toute anomalie.
Par acte d’huissier du 26 juillet 2018, les époux [T] ont fait assigner la Société générale devant le tribunal de grande instance de Laval en nullité de la stipulation relative aux intérêts conventionnels des deux prêts, en conséquence, en substitution du taux légal de l’année des deux prêts, année par année, au taux d’intérêt conventionnel ab initio jusqu’à la fin des prêts, en restitution des intérêts trop perçus, communication d’un nouveau tableau d’amortissement avec application du taux d’intérêt légal, année après année depuis la mise à disposition des fonds ; subsidiairement, en déchéance totale des intérêts conventionnels. Ils ont soutenu que le délai de prescription ne pouvait commencer à courir qu’au 13 février 2018, date de l’analyse mathématique qu’ils ont fait établir et qui révélerait, selon eux, les anomalies dénoncées.
En défense, la Société générale a soulevé la prescription de l’action’; à titre subsidiaire, elle a conclu au rejet des demandes en l’absence de preuve du caractère erroné du TEG et en prétendant que les intérêts du prêt ont été calculés sur la base d’une année civile de 365 jours ; à titre très subsidiaire, rappelant que la sanction d’un TEG erroné mentionné dans une offre portant sur un prêt soumis aux articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation ne saurait consister en la nullité de la clause d’intérêts contractuelle mais uniquement en la sanction spécifique de la déchéance prévue par l’article L. 312-33 dudit code, et partant de ce que les époux [T] ne démontraient pas avoir subi un quelconque préjudice et qu’en toute hypothèse, l’erreur alléguée serait minime, elle a conclu au rejet de l’ensemble de leurs demandes.
Par jugement du 26 août 2019, le tribunal de grande instance de Laval a :
– déclaré irrecevables pour être prescrites les demandes formées par M. et Mme [T] au titre du prêt souscrit les 2 et 4 mai 2005 auprès de la Société générale et fondées sur l’absence d’usage pour le calcul des intérêts de l’année civile,
– déclaré irrecevables pour être prescrites les demandes formées par M. et Mme [T] au titre du prêt souscrit les 2 et 4 mai 2005 auprès de la Société générale et fondées sur le caractère erroné du TEG mentionné au contrat de prêt,
– déclaré irrecevables pour être prescrites les demandes formées par M. et Mme [T] au titre du prêt souscrit le 11 décembre 2012 auprès de la Société générale et fondées sur l’absence d’usage pour le calcul des intérêts de l’année civile,
– condamné M. et Mme [T] au paiement à la Société générale de la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. et Mme [T] aux dépens,
– ordonné la distraction des dépens pour ceux dont il a été fait l’avance sans constitution préalable de provision, au profit de Maître Marie Maysonnave, avocat.
Par déclaration du 7 novembre 2019, M. et Mme [T] ont formé appel de ce jugement en attaquant expressément chacune de ses dispositions’; intimant la SA Société générale.
Les époux [T] et la Société générale ont conclu.
Une ordonnance du 21 mai 2024 a clôturé l’instruction de l’affaire.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. et Mme [T] prient la cour de:
vu les articles L. 313-1, L. 312-8, L. 312-32-1, L. 312-33, R. 313-1 II du code de la consommation,
vu les articles 1907, 1134 et 2232 du code civil,
vu la jurisprudence notamment de la première chambre civile de la Cour de cassation des 17 juin 2015 et 14 décembre 2016 et 22 mai 2019,
vu l’avis de l’avocat général du 22 janvier 2019,
– les juger recevables et bien fondés en leur appel,
– infirmer le jugement de première instance et statuant à nouveau en faits et en droit,
s’agissant du prêt d’un montant de 208 642 euros,
– prononcer la déchéance totale des intérêts conventionnels du prêt litigieux,
s’agissant du prêt de 121 500 euros,
– prononcer la déchéance totale des intérêts conventionnels du prêt litigieux,
en tout état de cause,
– débouter la Société générale de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions en ce compris sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la Société générale à payer à chacun d’eux la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la même aux entiers dépens.
La SA Société générale demande à la cour de :
vu l’article 1304 du code civil,
vu l’article 122 du code de procédure civile,
vu l’article L. 110-4 du code de commerce,
vu les articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation,
à titre principal,
– dire et juger que l’action de M. et Mme [T] est manifestement prescrite en ce qu’elle tend à obtenir la nullité de la stipulation d’intérêts contractuels à titre principal, et la déchéance de son droit aux intérêts conventionnels à titre subsidiaire,
– dire et juger que la demande de nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels est irrecevable dès lors que le TEG contesté est mentionné dans une offre relevant des dispositions de l’article L. 312-33 du code de la consommation qui prévoit la sanction de la déchéance,
en conséquence,
– confirmer le jugement rendu le 26 août 2019 par le tribunal de grande instance de Laval en ce qu’il a déclaré prescrite l’action initiée par M. et Mme [T],
– déclarer irrecevable l’action de M. et Mme [T],
à titre subsidiaire,
– dire et juger que M. et Mme [T] n’apportent nullement la preuve du caractère erroné du TEG et de la base de calcul des intérêts,
– dire et juger que le TEG mentionné dans l’offre de prêt est conforme aux exigences prévues par le code de la consommation,
– dire et juger que, si la cour devait retenir que les intérêts de la période intercalaire étaient calculés sur la base de l’année bancaire, seule la stipulation relative aux intérêts applicables à cette période serait susceptible de faire l’objet d’une annulation, à l’exclusion de celle relative à la période courant de la première échéance à la dernière échéance du prêt,
– dire et juger qu’en tout état de cause, si la cour devait retenir que les intérêts de la période intercalaire étaient calculés sur la base de l’année bancaire, M. et Mme [T] n’apportent nullement la preuve que ces intérêts auraient généré à leur détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale,
– dire et juger qu’elle a manifestement établi le taux d’intérêt conventionnel applicable au prêt sur une base exacte et non en fonction de l’année bancaire de 360 jours,
en conséquence,
– débouter M. et Mme [T] de l’ensemble de leurs demandes, moyens, fins et conclusions,
à titre très subsidiaire,
– dire et juger que le nouvel article L. 341-1 du code de la consommation prévoyant la sanction unique de déchéance du droit aux intérêts en cas de défaut de mention ou d’erreur de TEG est applicable immédiatement,
– dire et juger que la sanction d’un TEG erroné mentionné dans une offre portant sur un prêt soumis aux articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation ne saurait consister en la nullité de la clause d’intérêts contractuelle, mais uniquement en la sanction spécifique de la déchéance prévue par l’article L. 312-33 dudit code,
– dire et juger que M. et Mme [T] ne démontrent nullement avoir subi un quelconque préjudice et qu’en toute hypothèse l’erreur alléguée serait minime,
en conséquence,
– débouter M. et Mme [T] de l’ensemble de leurs demandes, moyens, fins et conclusions,
en tout état de cause,
– débouter M. et Mme [T] de l’ensemble de leurs demandes, moyens, fins et conclusions,
et ajoutant au jugement entrepris,
– condamner M. et Mme [T] au paiement, au profit de la Société générale, d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’au paiement de l’ensemble des dépens dont distraction au profit de Maître Marie Maysonnave.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :
– le 23 décembre 2022 pour les époux [T],
– le 15 mai 2024 pour la SA Société générale.
Il est précisé que tous les articles du code de la consommation sont cités dans leur numérotation antérieure à la recodification intervenue par l’ordonnance du 14 mars 2016, et par le décret du 13 mai 2016.
Sur la prescription de l’action
L’action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts fondée sur l’article L 312-33 du code de la consommation, pour un motif tiré de l’irrégularité de la clause d’intérêt ou du taux effectif global figurant dans l’acte de prêt, est soumise à la prescription quinquennale prévue par l’article L 110-4 du code de commerce applicable notamment aux obligations contractées entre une banque, prêteur professionnel, et le souscripteur d’un crédit immobilier.
Le point de départ du délai de prescription de l’action en déchéance des intérêts conventionnels se situe au jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître l’erreur affectant le contrat de prêt. Dans le cas d’un prêt non professionnel, cette date correspond à celle de la conclusion du contrat lorsque l’examen de son contenu permet à l’emprunteur de constater l’erreur. Si tel n’est pas le cas, la prescription ne court qu’à compter de la date de la révélation de l’erreur à l’emprunteur. Il revient donc au juge de déterminer si l’emprunteur était en mesure de déceler, par lui-même et à la simple lecture de l’acte, l’erreur affectant le taux. Dans l’hypothèse où l’erreur ne ressort pas de la simple lecture du contrat, il lui appartient de rechercher à quelle date l’erreur alléguée a été révélée à l’emprunteur.
Les parties s’accordent sur cette règle mais divergent sur le point de savoir si les irrégularités dénoncées étaient décelables à la lecture des offres de prêts.
Les époux [T], qui rappellent qu’ils ont la qualité de consommateurs et font valoir que de ce fait, tant l’application des règles que l’interprétation des stipulations contractuelles doivent être faites en leur faveur, soutiennent que pour que la prescription puisse commencer à courir au jour de la convention, l’irrégularité doit être décelable à la simple lecture de l’acte sans avoir à procéder à des calculs mathématiques, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisqu’il fallait procéder à un calcul pour déterminer la base utilisée par la banque pour le calcul des intérêts conventionnels et que le TEG est le résultat d’opérations mathématiques et financières complexes, tenant à ce que le taux de période est calculé actuariellement, qu’en leur qualité de profane en la matière ils ne pouvaient vérifier.
Au contraire, approuvant les premiers juges, la Société Générale prétend que les offres de prêt comportaient toutes les informations nécessaires pour leur permettre de s’assurer que les intérêts avaient été calculés conformément aux règles, de même que le TEG pour le prêt de 2005.
Il convient d’examiner les deux types d’irrégularités invoquées.
* S’agissant du nombre de jours de l’année sur lequel ont été calculés les intérêts contractuels des prêts :
Aucune des clauses des offres de prêts acceptées les 2 mai 2005 et 11 novembre 2012 ne mentionne le mode de calcul des intérêts conventionnels. La lecture du tableau d’amortissement ne contient pas davantage de précision à cet égard.
Néanmoins pour le prêt de 2012, les premiers juges, après avoir relevé que les emprunteurs fondaient leur démonstration sur le montant des intérêts payés pour la première échéance, qui était une échéance brisée du fait que le déblocage des fonds a été effectué le 12 décembre 2012 et qu’il restait 26 jours avant le 7 du mois suivant, jour de l’échéance, ont retenu que les emprunteurs pouvaient aisément le vérifier dès lors que les modalités de calcul de l’échéance brisée figuraient dans les conditions générales qui prévoient ‘que le montant des mensualités d’intérêts est calculé en fonction d’une date de départ fixée au 7 ou au quantième choisi du mois suivant la première mise à disposition des fonds et au 7 ou au quantième choisi du mois en cours pour les mises à disposition suivantes si celles-ci interviennent avant le 7 ou avant le quantième choisi du mois, sinon le 7 ou le quantième choisi du mois suivant. En conséquence, un complément d’échéance est dû pour la période allant de la date de chacune des mises à disposition des fonds au 6 ou à la veille du quantième choisi du mois suivant ou au 6 ou à la veille du quantième choisi du mois en cours selon le cas (il peut être incorporé aux échéances ultérieures ou faire l’objet d’un décompte séparé) ; ce complément d’échéance est calculé dans les conditions indiquées à l’article 9-B-1 (…) ; aux termes de cet article 9 B.1, ‘Le complément d’échéance d’intérêts, faisant suite à la première mise à disposition des fonds ou à chacune des mises à disposition, est calculé en fonction du nombre exact de jours compris entre la date de mise à disposition des fonds et le 6 ou le quantième choisi du mois en cours ou suivant (selon le cas cf art.6). Le calcul est effectué sur la base d’un taux journalier calculé en fonction du nombre de jours réels du mois civil’ et qu’il suffisait donc de calculer les intérêts dus sur la base d’une année de 365 jours en faisant l’opération suivante : 3,1 % (taux annuel)/365 X 208 642 € (capital mis à disposition) = 17,72 euros par jour, soit 460,72 euros pour 26 jours, et de comparer ce résultat au montant des intérêts payés (figurant sur le tableau d’amortissement définitif qui était de 467,13 euros), de sorte qu’avec les seuls éléments présentés au contrat, sans avoir besoin de compétences mathématiques particulières, il était possible de déterminer que l’année civile n’avait pas été prise en compte.
Pour le prêt de 2005 dont les emprunteurs prétendaient que le recours au mois normalisé pouvait être établi pour toutes les échéances d’une année bissextile, les premiers juges ont tenu le même raisonnement en retenant qu’il suffisait de calculer les intérêts à partir du capital mis à disposition et du taux d’intérêt.
Mais, d’abord, le calcul des intérêts intercalaires pour le prêt de 2005 (dont le montant n’a été connu qu’après le déblocage des fonds, lorsque le tableau définitif à été remis aux emprunteurs) ne pouvait établir à lui seul que les autres mensualités du prêt auraient été affectées de la même irrégularité, ce qui ne peut être déterminé par extrapolation comme cela va être vu plus loin, mais demandait d’autres vérifications, et surtout, la connaissance du mode de calcul des intérêts contractuels exigeait des emprunteurs qu’ils fassent des calculs qui, s’ils n’étaient pas complexes, n’en étaient pas moins nécessaires dès lors qu’aucun élément apparent ne permettait de savoir comment avaient été calculés pour chacune des mensualités les intérêts dont le montant apparaissait dans le tableau d’amortissement.
Les emprunteurs n’ont donc pu se convaincre, au moment de l’acceptation des offres, de l’irrégularité qu’ils invoquent dans le calcul des intérêts conventionnels des deux prêts. Ils l’ont découverte, au plus tard, en prenant connaissance du rapport établi à leur demande, le 13 février 2018, soit peu de temps avant l’introduction de l’action, le 26 juillet 2008. A défaut d’élément permettant de démontrer qu’ils en auraient eu connaissance avant, cette date doit être retenue comme point de départ du délai quinquennal de prescription.
En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a déclaré prescrite l’action en déchéance des intérêts des deux prêts pour irrégularité tenant au calcul des intérêts sur une année de 360 jours.
* S’agissant de la prise en compte du montant de la participation des emprunteurs à la garantie consentie par le Crédit logement pour le prêt souscrit en 2005 :
Dans les conditions particulières du prêt souscrit en 2005, au paragraphe ‘Engagements de l’emprunteur’qui figure en page 7, il est fait mention de la ‘caution de Crédit logement’ en indiquant que le montant de ‘la participation au fonds de garantie’ s’élève à 1 697 euros et au même niveau, dans le tableau relatif aux frais, il est mentionné la commission de caution d’un montant de 500 euros, avant de préciser, plus bas dans le paragraphe ‘taux effectif global’, que le TEG ‘comprend les intérêts et les frais liés à l’octroi du prêt (cotisation d’assurance calculée sur 100% du montant du prêt + surprime technique éventuelle, frais de dossier et frais annexes notamment les frais de constitution de garanties et promesse de garanties’.
C’est à tort que les premiers juges ont retenu que la lecture de l’offre que les emprunteurs ont acceptée fait clairement apparaître que seuls les frais de constitution de garantie indiqués comme étant, pour la caution de Crédit logement, constitués d’une commission de 500 euros étaient intégrés dans le calcul du TEG et non la somme de 1 697 euros correspondant à celle versée par les emprunteurs entre les mains de cet organisme de caution, qui figurait en dehors du tableau des frais.
Au contraire, la formule employée pour définir la composition du TEG est peu claire puisque la liste n’apparaît pas limitative avec le terme ‘notamment’ et qu’il y a une ambiguïté sur ce recouvre la notion de frais de constitution de garantie sur le point de savoir s’il ne s’agit que de la commission ou bien si cela inclut la participation des emprunteurs au fonds de garantie, étant précisé que, comme cela va être vu plus loin, et contrairement à ce que soutient la Société générale, cette participation au fonds de garantie est assimilée à des frais au sens de L 313-1 du code de la consommation.
Les emprunteurs ne pouvaient donc se rendre compte à la simple lecture de l’acte de l’irrégularité qui fonde leur action.
En conséquence, l’action est recevable dès lors que, comme pour les deux autres irrégularités en cause, la date à laquelle l’irrégularité en cause a été révélée aux emprunteurs ne peut être fixée à une date antérieure au 13 février 2018.
Sur l’irrégularité tenant au calcul des intérêts contractuels
En application combinée des articles 1907, alinéa 2, du code civil et L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation, le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, être calculé sur la base de l’année civile.
L’article L. 312-8 du code de la consommation prévoit que l’offre de prêt immobilier précise la nature, l’objet et les modalités du prêt, ce qui comprend le taux conventionnel. L’article L. 312-33 du code de la consommation sanctionne la méconnaissance par le prêteur des obligations découlant notamment de l’article L. 312-8 par la déchéance du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.
En application des articles L. 313-1 et R. 313-1 du code de la consommation et de l’annexe à ce dernier texte, les intérêts conventionnels des crédits immobiliers consentis à des consommateurs ou non professionnels doivent être calculés en appliquant le taux conventionnel sur la période considérée rapportée au nombre de jours d’une année civile et non à 360 jours.
Il appartient aux emprunteurs qui invoquent l’irrégularité du calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours et non de 365 jours, de le démontrer.
Les époux [T] entendent démontrer à travers le rapport d’analyse mathématique dont ils se sont prévalus en première instance et deux nouveaux rapports établis par la société Lauranaël qu’ils produisent en cause d’appel, à partir du calcul des échéances dites brisées, correspondant à une période inférieure à un mois, (prélevées quelques jours après la mise à disposition des fonds pour le prêt de 2012 ou prélevées après remboursement anticipé du prêt pour celui de 2005) que la banque a appliqué un dénominateur de 360 jours (12X 30) au lieu du dénominateur de 365 jours correspondant à l’année civile, et ce également pour les autres mensualités, y compris au cours des années bissextiles.
En réalité, ils démontrent seulement, ce que ne conteste pas la Société générale, que les intérêts des échéances brisées pour les deux prêts (devant être calculés sur le nombre réel de jours écoulés entre le déblocage des fonds et la première échéance ou entre le remboursement anticipé du capital et la dernière mensualité, soit entre le 7 et le 24 juin 2016 au vu du tableau d’amortissement définitif) ont été calculés sur la base d’un mois de 30 jours, ce qui est contraire aux dispositions précitées.
Mais il en va différemment pour les intérêts des autres mensualités, entières, des deux prêts que la Société générale confirme avoir calculés en utilisant le rapport 30/360 appliqué au taux conventionnel multiplié par le capital restant dû, en expliquant que cette méthode revient à un résultat équivalent à celle du mois normalisé de 30,41666 jours, en conformité avec l’article R. 313-1 du code de la consommation et son annexe, que l’année soit bissextile ou pas.
En effet, l’annexe à l’article R. 313-1précise que, s’agissant du taux effectif global, « l’écart entre les dates utilisées pour le calcul est exprimé en années ou en fractions d’années. Une année compte 365 jours, ou, pour les années bissextiles, 366 jours, 52 semaines ou 12 mois normalisés. Un mois normalisé compte 30,416 66 jours (c’est-à-dire 365/12), que l’année soit bissextile ou non. »
Le calcul des intérêts des mensualités entières sur la base d’un mois normalisé (correspondant au rapport 365/12) revient au même résultat que celui qui consiste à calculer les intérêts en appliquant le rapport 30 jours par mois /360 jours par an, puisque cela revient à appliquer un rapport, dans les deux cas, d’un douzième sur les intérêts annuels, les deux équations suivantes étant équivalentes : [(montant restant dû x taux) /360] x 30 = [(montant restant dû x taux) /365) ] x 30,41666 puisque 30,41666 = 365/12.
Ce n’est donc pas parce que le calcul des intérêts dus pour une échéance brisée (correspondant à une période inférieure à un mois) met en évidence que le diviseur utilisé est 30 qu’il faut en déduire que tous les intérêts ont été calculés sur la base d’une année de 360 jours en ne comptant que 30 jours par mois quel que soit le mois. La démonstration qui repose sur ce postulat ne peut donc pas emporter la conviction.
En revanche, pour une mensualité brisée, dès lors qu’il ne s’agit plus d’un rapport d’un douzième, le calcul des intérêts doit se faire en fonction du nombre exact de jours de la période brisée rapportée à une année civile et non rapportée à une année de 360 jours.
Les emprunteurs ne démontrent donc pour chacun des prêts qu’une erreur affectant une échéance brisée pour chacun des prêts, de 6,4 euros pour le premier prêt et de 81,75 euros au lieu de 80,64 euros, soit une différence de 1,11 euros pour le second. Cette erreur, infime, n’entraîne pas un écart supérieur à une décimale du taux effectif global stipulé par rapport au taux effectif global réel.
Or, il résulte des articles L. 312-8 et L. 312-33 du code de la consommation et R. 313-1 du même code que la mention, dans l’offre de prêt immobilier, d’un taux conventionnel calculé sur la base d’une année autre que l’année civile, est sanctionnée par la déchéance du droit aux intérêts lorsque l’inexactitude du taux entraîne, au regard du taux stipulé, un écart supérieur à une décimale.
Tel n’étant pas le cas, la demande ne peut qu’être rejetée.
Sur l’erreur affectant le TEG du prêt de 2005
En application de l’article L. 313-4 du code monétaire et financier, les règles relatives au TEG des crédits sont fixées par les articles L 313-1 et L 313-2 du code de la consommation.
L’article L. 313-1 du code de la consommation dispose que:
‘Pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels.
Les charges liées aux garanties dont les crédits sont éventuellement assortis ainsi que les honoraires d’officiers ministériels ne sont pas compris dans le taux effectif global ci-dessus, lorsque leur montant ne peut être indiqué avec précision antérieurement à la conclusion définitive du contrat’
Il en découle que l’ensemble des frais qui ont un lien direct avec le prêt souscrit, lorsqu’ils sont imposés comme condition d’octroi de celui-ci, doivent être pris en compte pour la détermination du taux effectif global, sauf lorsque le montant de ces frais à la charge de l’emprunteur n’est pas déterminable à la date de la conclusion définitive du contrat.
La Société générale soutient que le montant de la participation au fonds de garantie du Crédit logement ne doit pas être compris dans le calcul du TEG en voulant opérer une distinction entre, d’une part, cette participation qu’elle assimile à un gage espèce restituable à la fin du prêt et qui serait l’objet de la garantie et, d’autre part, les frais de commission qui sont dus au titre de la constitution de garantie et qui seuls, devraient être considérés comme des frais.
Mais en application des dispositions qui précèdent, la somme payée par l’emprunteur au titre de la constitution d’un fonds de garantie créé par une société de caution mutuelle pour garantir la bonne exécution d’un prêt immobilier, dont le montant est déterminé lors de la conclusion du prêt et qui est imposée par l’établissement prêteur comme une condition d’octroi de celui-ci, constitue une charge qui doit être prise en compte pour la détermination du taux effectif global.
La preuve de ce que les frais ne peuvent être connus antérieurement à la conclusion définitive du contrat incombe au prêteur.
Sur ce point, la Société générale fait valoir que le montant de partie non restituable de l’abondement du fonds de garantie mutuelle, qui est déterminé par l’organisme de caution mutuel en fonction de la sinistralité constatée postérieurement à l’octroi du prêt, n’est pas connu à ce moment ni même déterminable. Néanmoins un montant précis de la participation aux fonds de garantie est indiqué dans les conditions particulières comme cela a été dit plus haut et, en outre, le fait que des modifications ultérieures puissent intervenir, à la fin du contrat, notamment si la part affectée à l’abondement du fonds mutuel de garantie venait à être restituée dans l’hypothèse où il n’y aurait pas de défaut de remboursement du prêt, ne saurait suffire pour considérer que les frais de garantie n’étaient pas déterminables à la date de la conclusion définitive du contrat de prêt et n’avaient donc pas à être intégrés dans le calcul du TEG alors que ces sommes ont dû être versées par les emprunteurs et ont été mobilisées pour obtenir le prêt, étant rappelé que l’indication du TEG a pour objectif essentiel d’informer l’emprunteur sur les caractéristiques du prêt à la date de sa conclusion et de lui permettre de comparer aisément à cette date, les conditions du prêt qu’il s’apprête à signer avec des offres concurrentes.
Ce faisant, la Société générale admet que le montant de la participation au fonds de garantie, de 1 697 euros, n’a pas été intégré dans le calcul du TEG.
Il est donc déterminant de connaître quel était le véritable TEG une fois cette participation intégrée pour savoir si l’écart entre le taux exact et celui indiqué sur l’offre de prêt est supérieur à la décimale puisque la règle rappelée ci-dessus s’applique également.
Pour le démontrer les emprunteurs produisent deux rapports d’analyse qui aboutissent à un écart de 0,2 % tenant à la prise en compte de la somme de 1 697 euros, après avoir expliqué le mode de calcul suivi.
Si la Société générale conteste la qualité des rapports produits par les emprunteurs, force est de constater qu’elle s’abstient d’apporter des critiques précises sur le calcul effectué par les auteurs desdits rapports et surtout, s’abstient de proposer de faire le calcul du TEG en réintégrant le montant de la participation au fonds de garantie.
Dans ces conditions, rien ne permet d’écarter les résultats obtenus dans les deux rapports produits par les emprunteurs. Il est donc retenu que la preuve est rapportée d’un écart supérieur à la décimale prévue à l’article R.’313-1 du code de la consommation, pour le seul prêt de 2005.
En cas d’erreur affectant la mention du TEG dans l’écrit constatant le contrat de prêt, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge. Pour apprécier l’étendue de la déchéance du droit aux intérêts, le juge peut prendre en considération la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l’emprunteur.
En l’espèce, les emprunteurs n’invoquent pour justifier leur demande de déchéance totale des intérêts du prêt que le caractère dissuasif d’une telle sanction pour le prêteur. Or, l’erreur qui fait varier le TEG de 0,2 point ne porte que sur la participation au fonds de garantie dont le principe de l’intégration dans le TEG n’a été énoncé pour la première fois par la Première chambre civile de la Cour de cassation que le 9 décembre 2010, soit postérieurement à l’octroi du prêt litigieux. Si les emprunteurs ont été privés d’une information complète sur ce point, ils ne démontrent ni même prétendent qu’ils auraient été empêchés de comparer l’offre avec des offres concurrentes et qu’ils n’auraient donc pas été mis en mesure de choisir de façon totalement éclairée l’offre la plus avantageuse pour eux. Ils ne justifient encore moins avoir subi un préjudice qui serait égal au montant des intérêts conventionnels dus à la banque ou même à la différence entre le montant des intérêts conventionnels et le montant des intérêts qui seraient calculés au taux légal. Dès lors, il n’y a pas à déchoir totalement la banque de son droit aux intérêts conventionnels mais seulement de prononcer la sanction de la déchéance partielle du droit aux intérêts à hauteur de 500 euros. De ce fait, la Société générale sera condamnée à restituer aux emprunteurs la somme de 500 euros puisque le prêt a été intégralement remboursé.
Sur les frais et dépens
Les époux [T], qui sont parties perdantes dans une très large mesure, seront condamnés aux dépens de première instance, les dépens d’appel étant mis à la charge de la Société générale.
L’équité commande de rejeter les demandes faites au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
la cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il condamne les époux [T] aux dépens.
Statuant à nouveau sur les autres dispositions et y ajoutant,
Déclare les actions en déchéance des intérêts recevables.
Rejette la demande de déchéance des intérêts pour irrégularité tenant au calcul des intérêts conventionnels du prêt de 2005.
Rejette la demande de déchéance des intérêts pour irrégularité tenant au calcul des intérêts conventionnels du prêt de 2012.
Prononce la sanction de la déchéance partielle du droit aux intérêts à hauteur de 500 euros pour inexactitude du TEG indiqué sur l’offre acceptée le 2 mai 2005.
En conséquence, condamne à ce titre la Société générale à restituer aux époux [T] la somme de 500 euros.
Rejette les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne les époux [T] aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,
S. TAILLEBOIS C. CORBEL