Agent commercial : décision du 6 avril 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/02234

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Agent commercial : décision du 6 avril 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/02234
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6 avril 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
22/02234

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 06 AVRIL 2023

N° RG 22/02234 –

N° Portalis DBV3-V-B7G-VKDZ

AFFAIRE :

[L] [A]

C/

Société BARNES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Juin 2022 par le Conseil de discipline des avocats de RAMBOUILLET

N° Section : C

N° RG : F 21/00120

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Noémie LE BOUARD

Me Marion CORDIER

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, devant intialement être rendu le 30 mars 2023 et prorogé au 06 avril 2023, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :

Monsieur [L] [A]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentants : Me Noémie LE BOUARD de la SELARL LE BOUARD AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 113 et Me François ILLOUZ de la SELEURL ILLOUZ AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0038 substitué par Me Alexia LE TALLEC, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

Société BARNES

N° SIRET : 414 057 992

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Marion CORDIER de la SELARL SILLARD CORDIER & ASSOCIÉS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 189

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 03 février 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Domitille GOSSELIN,

La société Barnes, dont le siège social est situé [Adresse 2] à [Localité 7], dans le département des Hauts-de-Seine, est spécialisée dans l’immobilier résidentiel haut de gamme. Elle emploie plus de 10 salariés.

Dans le cadre de ses études, M. [L] [A], né le 24 avril 1992, a effectué un stage de six mois au sein de la société Barnes en qualité d’assistant négociateur immobilier, du 2 novembre 2016 au 10 mai 2017.

Il a poursuivi son activité sans formalisation d’un contrat de travail.

Est produit un contrat de négociateur agent commercial conclu entre la société Barnes et M. [A] à effet du 1er juin 2017, daté du 15 mai 2017, que M. [A] prétend antidaté car établi seulement le 8 février 2018.

Le 23 mai 2019, M. [A] a été placé en arrêt de travail.

Par courrier du 12 juin 2019, il a écrit à la société Barnes qu’il est victime de procédés de harcèlement moral de la part de son manager.

Par courrier du 28 juin 2019, la société Barnes lui a répondu qu’il exerce son activité dans le cadre d’un contrat d’agent commercial et non d’un contrat de travail et a réfuté tout fait de harcèlement moral.

Par requête reçue au greffe le 3 mai 2021, M. [A] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre des demandes suivantes :

– dire et juger M. [A] bien fondé en ses demandes,

– fixer la moyenne de salaire de M. [A] à la somme de : 11 485 euros,

– constater, dire et juger que M. [A] était lié à la société Barnes par un contrat de travail,

– constater, dire et juger que la rupture de la relation de travail est intervenue le 18 juin 2019 et doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– constater, dire et juger que M. [A] a été victime d’une situation de harcèlement moral,

En conséquence,

– condamner la société Barnes à verser à M. [A] les sommes de :

° indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 40 197,50 euros,

° indemnité pour procédure de licenciement irrégulière : 11 485 euros,

° indemnité de licenciement : 7 417,40 euros,

° indemnité compensatrice de préavis : 11 485 euros,

° congés payés y afférents : 1 148,50 euros,

° indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 68 910 euros,

° dommages et intérêts pour harcèlement moral : 34 455 euros,

° dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité : 34 455 euros,

° à titre de salaires pour l’année 2019 : 68 910 euros,

° congés payés y afférents : 6 891 euros,

° article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros,

– assortir les condamnations des intérêts aux taux légal et prononcer la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

– ordonner la remise des documents sociaux de rupture du contrat de travail conforme au jugement à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard et par document à compter de la notification du jugement à intervenir, le conseil se réservant le contentieux de la liquidation de l’astreinte,

– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir pour toutes les demandes n’en bénéficiant pas de droit au titre de l’article 515 du code de procédure civile.

Par ordonnance du premier président de la cour d’appel de Versailles en date du 15 mars 2021, l’affaire a été confiée au conseil de prud’hommes de Rambouillet.

In limine litis, la société Barnes a soulevé l’incompétence matérielle du conseil de prud’hommes.

Par jugement contradictoire rendu le 23 juin 2022, la section commerce du conseil de prud’hommes de Rambouillet a :

– déclaré le conseil de prud’hommes matériellement incompétent au pro’t du tribunal de commerce de Nanterre pour connaître du litige qui lui est soumis et dit qu’à défaut de recours, le dossier sera transmis à cette juridiction,

– réservé les dépens.

M. [A] a interjeté appel de cette décision :

– par déclaration du 1er juillet 2022 qui a été enregistrée sous le numéro RG 22/02095. Elle a fait l’objet d’une ordonnance de radiation rendue le 12 octobre 2022 au motif qu’elle est affectée d’une erreur matérielle et que seule la déclaration du même jour enregistrée sous le numéro RG 22/02098 doit être retenue.

– par déclaration du 1er juillet 2022 qui a été enregistrée sous le numéro RG 22/02098. Le 16 septembre 2022, le greffe a adressé au conseil de l’appelant un avis préalable à la caducité et à l’irrecevabilité de cette déclaration d’appel.

– par déclaration du 13 juillet 2022 qui a été enregistrée sous le numéro RG 22/02234.

Le 14 septembre 2022, le greffe a adressé un avis préalable à la caducité de cette déclaration d’appel au motif que l’appelant n’apparaît pas avoir saisi dans le délai d’appel (article 84 du code de procédure civile) le premier président en vue d’être autorisé à assigner à jour fixe, la requête et les conclusions datant du 13 juillet 2022.

Le 28 septembre, M. [A] a indiqué que l’ensemble des documents nécessaires ont été communiqués le 13 juillet, soit dans le délai de 15 jours pour faire appel. Par courrier du même jour, le greffe a répondu que l’avis du 14 septembre 2022 a été envoyé par erreur.

Sur requête déposée au greffe le 13 juillet 2022 et par ordonnance rendue le 5 octobre 2022, M. [A] a été autorisé à assigner la société Barnes à jour fixe à l’audience du 3 février 2023.

L’assignation a été délivrée à la société Barnes par acte d’huissier en date du 25 octobre 2022 délivré à personne morale.

Par ordonnance en date du 25 janvier 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la jonction des procédures inscrites sous les numéros RG 22/2098 et 22/2234, l’affaire se poursuivant sous ce dernier numéro.

Par dernières conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 1er février 2023, M. [A] demande à la cour de :

A titre liminaire,

– déclarer la déclaration d’appel de M. [A] du 13 juillet 2022 enrôlée sous le numéro RG 22/02234 recevable,

En conséquence,

– débouter la société Barnes de sa demande de caducité et à tout le moins d’irrecevabilité de la déclaration d’appel de M. [A] du 13 juillet 2022 enrôlée sous le numéro RG 22/02234 et visée par l’assignation à jour fixe,

En tout état de cause,

‘ dire et juger que le litige est relatif à une demande de requalification d’un contrat d’agent commercial en contrat de travail,

‘ dire et juger que seule la juridiction prud’homale est compétente en la matière,

En conséquence,

‘ infirmer la décision du conseil de prud’hommes de Rambouillet statuant sur la compétence,

Statuant de nouveau,

‘ dire et juger que le conseil de prud’hommes de Rambouillet est compétent pour connaitre de la totalité des demandes formulées par M. [A],

En tout état de cause,

‘ condamner Barnes (sic) à payer à M. [A] la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 30 janvier 2023, la société Barnes demande à la cour de :

A titre liminaire :

Vu les articles 917 et suivants du code de procédure civile et en particulier les articles 919, 920 et 922 du code de procédure civile :

– prononcer la caducité et à tout le moins l’irrecevabilité de la déclaration d’appel de M. [A] du 13 juillet 2022 enrôlée sous le numéro RG 22/02234 et visée par l’assignation à jour fixe,

– prononcer la caducité et à tout le moins l’irrecevabilité de la déclaration d’appel de M. [A] du 1er juillet 2022 enrôlée sous le numéro RG 22/02098 et visée par l’ordonnance de radiation de la cour d’appel de Versailles du 12 octobre 2022,

En tout état de cause :

– constater que Barnes (sic) et M. [A] étaient liés par une relation exclusivement commerciale dans le cadre d’un contrat d’agent commercial indépendant,

– dire et juger que seul le tribunal de commerce est compétent en la matière et non les juridictions prud’homales,

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Rambouillet en date du 23 juin 2022 en toutes ses dispositions, celui-ci s’étant déclaré matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce de Nanterre,

– débouter M. [A] de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens,

– condamner M. [A] à verser à Barnes (sic) la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [A] aux entiers dépens de l’instance.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur la caducité et l’irrecevabilité des appels :

La société Barnes fait valoir que l’assignation à jour fixe qui lui a été délivrée ne comporte pas en annexe la copie de la déclaration d’appel du 13 juillet 2022, la copie de la requête présentée par le requérant et l’ordonnance rendue le 5 octobre 2022, seules les pièces listées dans le bordereau à l’appui de l’assignation ayant été jointes ; que M. [A] n’a pas donné suite à la sommation de communiquer ces pièces, de sorte qu’elle ne peut pas vérifier que les dispositions de l’article 919 du code de procédure civile ont été respectées, notamment le délai de 8 jours maximum entre la requête de l’appelant auprès du premier président et sa déclaration d’appel, alors que plusieurs mois se sont écoulés entre les deux, ce qui lui cause grief. Elle demande en conséquence de prononcer la caducité et à tout le moins l’irrecevabilité de la déclaration d’appel du 13 juillet 2022 enrôlée sous le numéro RG 22/02234 et de la déclaration d’appel du 1er juillet 2022 enrôlée sous le numéro RG 22/02098 visée dans l’ordonnance de radiation de l’appel enregistré sous le numéro RG 22/02095.

M. [A] réplique que cette demande est tardive, qu’il a communiqué l’intégralité de ses pièces dès le 25 octobre 2022 et que la société Barnes s’est constituée sur une déclaration d’appel du 1er juillet 2022. Il relate le déroulement de la procédure et souligne qu’il a déposé sa requête aux fins d’être autorisé à assigner à jour fixe le 13 juillet 2022.

1 – sur l’appel interjeté le 1er juillet 2022

L’appel interjeté le 1er juillet 2022 enregistré sous le numéro RG 22/02098 a fait l’objet d’un avis préalable à la caducité par la cour au visa de l’article 84 du code de procédure civile, lequel prévoit que pour l’appel d’un jugement statuant exclusivement sur la compétence, l’appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d’appel, saisir dans le délai d’appel, le premier président en vue, selon le cas, d’être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d’une fixation prioritaire de l’affaire.

Le jugement querellé statue exclusivement sur la compétence et à la suite de l’appel interjeté le 1er juillet 2022, l’appelant n’a pas saisi dans le délai d’appel le premier président aux fins d’être autorisé à assigner l’intimée à jour fixe. La caducité de la déclaration d’appel doit en conséquence être prononcée.

2 – sur l’appel interjeté le 13 juillet 2022

L’article 919 du code de procédure civile dispose, s’agissant de la procédure à jour fixe, que :

‘La déclaration d’appel vise l’ordonnance du premier président.

Les exemplaires destinés aux intimés sont restitués à l’appelant.

La requête peut aussi être présentée au premier président au plus tard dans les huit jours de la déclaration d’appel.’

En l’espèce, M. [A] a interjeté appel le 13 juillet 2022 de la décision rendue le 23 juin 2022 statuant exclusivement sur la compétence. L’appel a été enregistré sous le numéro RG 22/02234.

M. [A] a déposé le 13 juillet 2022 une requête aux fins d’être autorisé à assigner la société Barnes à jour fixe sur laquelle le délégué du premier président a statué le 5 octobre 2022 (pièces 36 bis et 38 de l’appelant).

La déclaration d’appel n’est donc pas caduque.

L’article 920 du code de procédure civile dispose que :

‘L’appelant assigne la partie adverse pour le jour fixé.

Copies de la requête, de l’ordonnance du premier président et un exemplaire de la déclaration d’appel visé par le greffier ou une copie de la déclaration d’appel dans le cas mentionné au troisième alinéa de l’article 919, sont joints à l’assignation.

L’assignation informe l’intimé que, faute de constituer avocat avant la date de l’audience, il sera réputé s’en tenir à ses moyens de première instance.

L’assignation indique à l’intimé qu’il peut prendre connaissance au greffe de la copie des pièces visées dans la requête et lui fait sommation de communiquer avant la date de l’audience les nouvelles pièces dont il entend faire état.’

L’appel est irrecevable dès lors que la copie de la requête n’est pas jointe à l’assignation.

L’assignation à jour fixe délivrée par acte d’huissier le 25 octobre 2022 énonce sur sa première page, par une mention qui fait foi jusqu’à inscription de faux, que sont signifiées la copie de la déclaration d’appel faite le 13 juillet 2022, la copie de la requête présentée par le requérant et la copie de l’ordonnance rendue le 5 octobre 2022. Elle vise en outre les pièces communiquées par l’appelant et mentionne que la copie signifiée comporte 156 feuillets (pièce 31 de l’appelant).

Le conseil de la société Barnes s’est néanmoins constitué le 3 novembre 2022 dans l’affaire objet de l’appel interjeté le 1er juillet 2022 enregistrée sous le numéro RG 22/2098 (pièce 33 de l’appelant).

Le 23 janvier 2023, le conseil de la société Barnes a fait sommation de communiquer ‘la déclaration d’appel du 1er juillet 2022, la requête à jour fixe et l’ordonnance du premier président du 5 octobre 2012″. Le conseil de M. [A] s’est aussitôt étonné de la demande qui ne concernait pas l’affaire RG 22/02234 et a souligné que les pièces sollicitées ont été communiquées par l’assignation à jour fixe (pièce 32 bis de l’appelant).

Ont été communiquées dans le cadre de l’instance, la déclaration d’appel du 13 juillet 2022, la requête à jour fixe déposée le 13 juillet 2022 et l’ordonnance rendue par le délégué du premier président de la cour d’appel de Versailles le 5 octobre 2022.

La procédure étant régulière, la demande tendant à voir déclarer irrégulière la déclaration d’appel du 13 juillet 2022 enregistrée sous le numéro RG 22/02234 doit être rejetée.

Sur la compétence du conseil de prud’hommes :

M. [A] expose que le litige portant sur une demande de requalification d’un contrat d’agent commercial en contrat de travail, le conseil de prud’hommes devait statuer sur le fond avant de se déclarer incompétent, ce qu’il n’a pas fait.

Il indique que la société Barnes a déjà été condamnée à plusieurs reprises par différentes cours d’appel pour requalification d’une collaboration en contrat de travail.

Le concernant, il soutient qu’un faisceau d’indices permet de démontrer l’existence d’un contrat de travail avec la société Barnes, dès lors qu’après son stage il a continué à travailler pour la société alors qu’il ne pouvait exercer ses fonctions sans statut salarié, sous la subordination directe de M. [N] et sans le moindre cadre contractuel, que le contrat d’agent commercial qui a été signé a été antidaté, qu’il travaillait de manière exclusive pour la société Barnes et en dépendait économiquement, qu’il était pleinement intégré au sein d’un service organisé et qu’il était soumis à un pouvoir de direction manifeste qu’il devait respecter sous peine de sanctions.

La société Barnes réplique que les litiges opposant un agent commercial à son mandant relèvent de la compétence du tribunal de commerce et non du conseil de prud’hommes ; qu’en l’espèce le seul contrat conclu entre elle-même et M. [A] est un contrat d’agent commercial indépendant, que M. [A] n’a jamais été salarié et qu’il ne démontre pas que les conditions permettant de caractériser l’existence d’un quelconque contrat de travail étaient réunies.

Par application des dispositions de l’article L.1411-1 du code du travail, la juridiction prud’homale est compétente pour statuer sur tout litige ayant pour objet un différend relatif à l’existence d’un contrat de travail opposant le salarié et l’employeur prétendus.

Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d’en rapporter la preuve, par tous moyens.

L’existence des relations de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.

En l’espèce, aucun contrat de travail écrit n’ayant été signé entre la société Barnes et M. [A], il appartient à ce dernier de rapporter la preuve, par tous moyens, de l’existence dans les faits d’un contrat de travail. Il y a lieu d’examiner les conditions dans lesquelles se sont déroulées les relations de travail entre les parties.

– sur les relations contractuelles et la rémunération

La société Barnes expose qu’elle exerce ses activités en s’appuyant sur un réseau de consultants indépendants, qui sont soit des prestataires indépendants en négociation immobilière qui disposent de leur propre carte professionnelle, soit des agents commerciaux indépendants qui ne disposent pas de carte professionnelle propre et qui exercent des prestations de négociation en immobilier pour son compte, sous sa carte professionnelle.

Dans le cadre de ses études de Master 2 International business à la Paris school of business, M. [A] a effectué un stage de six mois, du 2 novembre 2016 au 10 mai 2017, en qualité d’assistant négociateur immobilier au sein de la société Barnes située à [Localité 7], son tuteur de stage étant M. [K] [N] (pièce 10 de l’appelant). Une gratification de 554,40 euros par mois lui était versée pour 35 heures de travail hebdomadaire.

Le 23 janvier 2017, M. [A] a été immatriculé au registre du commerce et des sociétés de Versailles sous le numéro Siret 824 764 484 en qualité d’entrepreneur individuel, spécialisé dans le secteur d’activité des agences immobilières (pièce 2 de l’intimée).

A l’issue de son stage, M. [A], qui n’a été diplômé que le 17 décembre 2018 et qui ne disposait pas d’une carte professionnelle propre lui permettant d’exercer des activités de négociation immobilière, a continué à travailler pour la société Barnes.

Est versé au débat un contrat de négociateur agent commercial par lequel la société Barnes a donné à M. [A] un mandat d’agent commercial pour prospecter au nom et pour le compte de la société, rechercher des affaires à vendre ou à louer, obtenir un mandat écrit de les vendre ou les louer et rechercher des acquéreurs ou des preneurs, au sein de la business unit Hauts de Seine ouest, laquelle pouvait être amenée à changer.

M. [A] devait être rémunéré par un pourcentage sur le montant de l’honoraire encaissé par le mandant. Le contrat mentionnait que le mandataire jouissait de la plus grande indépendance dans l’organisation de son activité et que n’étant pas salarié, il ne pouvait se prévaloir des dispositions du droit du travail. Il était en outre prévu que le mandataire devait s’inscrire au registre spécial des agents commerciaux et justifier de cette immatriculation au plus tard dans le mois de la signature du contrat. Il exerçait sous la carte professionnelle de la société.

Le contrat, à durée indéterminée, est daté du 15 mai 2017 à effet du 1er juin 2017 (pièce 20 de l’appelant).

M. [A] soutient que ce contrat a été antidaté et qu’il n’a été signé que le 8 février 2018, ce que conteste la société Barnes.

Il ressort de l’échange de courriels que produit l’appelant en pièce 1, que la société Barnes ne commente pas, que M. [A] a contacté le 31 janvier 2018 Mme [H], secrétaire générale de la société Barnes, aux fins de signer un contrat avec la société en indiquant “cela fait plus d’un an maintenant que je travaille pour la société et il est vraiment temps que je régularise ma situation”. Mme [H] lui a répondu le 2 février 2018 qu’il y avait en effet urgence et lui a demandé de lui apporter la copie de sa carte d’identité, de sa carte vitale, de son immatriculation au Registre spécial des agents commerciaux (RSAC) et lui a demandé s’il avait souscrit une assurance.

Mme [Y] [B], consultante auprès de la société Barnes, atteste que M. [A] a travaillé sans contrat après la fin de son stage et qu’il est venu lui demander conseil à ce sujet à plusieurs reprises ; que le contrat de négociateur n’a été signé qu’en 2018 alors même que M. [A] n’était pas immatriculé au RSAC (pièce 12 de l’appelant).

En retenant que M. [A] n’a été engagé en qualité de négociateur immobilier par la société Barnes uniquement à compter du mois de février 2018, il appartient à M. [A] de rapporter la preuve que dans les faits, la relation de travail était assimilable à un salariat, de mai 2017 à février 2018 d’une part et au-delà du mois de février 2018 d’autre part.

Il prétend qu’il a continué à collaborer avec la société “dans les mêmes conditions” après son stage. Cependant, sa rémunération devait nécessairement être supérieure à la gratification allouée pendant le stage et il ne justifie pas des revenus qu’il a perçus entre le mois de mai 2017 et le mois d’avril 2018, alors que dans un courrier du 12 juin 2019 il évoque un travail fructueux avec M. [N] jusqu’au départ de ce dernier (en juillet 2018) : “j’avais réalisé un chiffre d’affaires de 432 000 euros, ce qui me permettait de dégager un revenu mensuel de l’ordre de 6 500 euros” (pièce 6 de l’appelant).

Il ressort des pièces 2 de l’appelant que M. [A] a émis des factures à l’attention de la société Barnes en sa qualité d’entrepreneur individuel à compter du mois d’avril 2018 et jusqu’au mois de décembre 2018, calculant les sommes dues en pourcentage des honoraires perçus pour la vente de biens immobiliers, avec des rémunérations hors taxe variables : 1 800 euros en avril 2018, 2 625 euros en mai 2018, 14 250 euros en octobre 2018, 11 875 euros en novembre 2018, 37 040,09 euros en décembre 2018 (5 ventes).

Le 13 juin 2018, M. [A] a immatriculé au RCS de Versailles sous le numéro 840 331 748 la société par actions simplifiée TVB Immobilier, spécialisée dans le secteur d’activité des agences immobilières, dont il était le président (pièce 3 de l’intimée) et l’a immatriculée au RSAC le 11 février 2020 (pièce 29 de l’appelant).

Il a également facturé des commissions sur ventes TTC à la société Barnes au nom de cette société : 25 650 euros le 26 juin 2018, 58 634 euros en décembre 2018 (2 ventes).

Par ailleurs, la société Barnes a relancé M. [A] en février 2019 sur l’avancement de ses démarches pour obtenir la carte professionnelle pour sa société, ses factures étant en attente. M. [A] a répondu qu’il attendait la délivrance de son diplôme officiel pour envoyer son dossier (pièce 6 de l’intimée).

– sur l’exclusivité du travail au profit de la société Barnes

M. [A] fait valoir qu’il a travaillé exclusivement pour la société Barnes, que ses revenus dépendaient de cette société et que les retards de paiement le mettaient dans une situation financière précaire.

Or, ainsi que le fait valoir la société Barnes, le contrat prévoit que le négociateur est indépendant dans l’organisation de son activité et ne comporte aucune clause d’exclusivité.

Par ailleurs, le courriel produit en pièce 2-1 par l’appelant concerne le retard de paiement de la paye d’avril 2017, alors que M. [A] était encore en stage.

– sur l’intégration au sein d’un service organisé

Il y a intégration à un service organisé lorsque l’activité s’exerce au sein d’une structure organisée mettant à la disposition de l’intéressé une structure matérielle (locaux, secrétariat, fournitures) qui implique pour lui de se soumettre à un minimum de contraintes (notamment horaires). Elle peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.

M. [A] soutient qu’il était pleinement intégré au sein d’un service organisé tandis que la société Barnes fait valoir que M. [A] a rejoint, après son stage, son réseau de consultants indépendants en qualité d’agent commercial.

M. [A] a travaillé sous la supervision de M. [K] [N], qui était son tuteur, durant son stage qui s’est achevé le 10 mai 2017.

M. [N], qui a été remplacé par M. [E] [R] à compter de juillet 2018, était en charge des relations avec les consultants pour le secteur des Hauts de Seine Ouest.

Les seules pièces produites par M. [A] concernant son travail durant la période mai 2017- février 2018 sont :

– un échange de courriels concernant un rendez-vous avec des clients le 7 novembre 2017, en lien avec Mme [V] [O], international property consultant (pièce 14),

– des avis de réunions en janvier 2018 (pièce 26),

– l’attestation de Mme [B] qui indique qu’à l’issue de son stage, M. [A] est resté sous l’autorité de M. [N], qu’il participait à toutes les réunions d’équipe qui se déroulaient une fois par semaine, qu’il était intégré à l’équipe, qu’un périmètre lui était attribué et qu’il rendait des comptes de manière quotidienne à M. [N] ; que dans les faits, il était clairement salarié de la société (pièce 12).

Ces pièces et les seules affirmations de Mme [B], laquelle a quitté la société Barnes pour travailler dans la société Sotheby’s comme M. [A], qui ne sont corroborées par aucun document, sont insuffisantes à démontrer l’existence d’une relation salariée sur la période considérée, pour laquelle aucun justificatif de revenu n’est produit.

M. [A] affirme qu’il disposait d’un bureau attitré dans les locaux de la société, d’un ordinateur personnel sur place avec des outils informatiques fournis par la société Barnes et des logiciels d’entreprise, ce que conteste la société. Aucune pièce produite ne justifie de l’existence d’un bureau et d’un ordinateur personnels à M. [A] au sein des locaux de la société Barnes à [Localité 7] puis à [Localité 6].

En outre, conformément au paragraphe 4 du contrat de négociateur et ainsi qu’il ressort des factures qu’il établissait, tant en qualité d’entrepreneur individuel qu’au nom de sa société, M. [A] disposait d’une adresse professionnelle, [Adresse 1], différente de celle de la société Barnes.

S’agissant des logiciels internes à la société, M. [A] produit des offres de formations dont il n’a pas été destinataire, datant de mai 2018 et juin 2019, cette dernière s’adressant aux nouveaux arrivants, ce qui n’était pas son cas à l’époque (pièces 24 et 25).

M. [A] affirme qu’une mini “bible Barnes” lui a été remise comportant une partie consacrée aux “process commerciaux” Barnes France et une charte de bonne conduite comprenant de nombreuses consignes très strictes notamment quant aux tâches à effectuer par semaine.

La société Barnes conteste l’existence et la remise d’un tel document.

S’il ressort des arrêts d’appel qu’il a produits concernant d’autres affaires qu’une “bible Barnes – règles et procédures” a existé au sein de la société Barnes, décrivant précisément les procédés commerciaux et règles à suivre par les négociateurs immobiliers, M. [A] ne produit pas la “mini bible” qu’il se serait vu remettre lui donnant des consignes précises pour l’exercice de ses fonctions.

M. [A] fait valoir qu’il participait à des réunions de service le mardi qui étaient impératives et qu’il avait interdiction de programmer des rendez-vous sur ce créneau.

La société Barnes réplique qu’il s’agissait de réunions d’information facultatives proposées aux consultants indépendants, qui étaient libres d’y participer ou non.

Il ressort du courriel produit en pièce 26 par l’appelant qu’une réunion de l’équipe commerciale Hauts de Seine ouest, à laquelle M. [A] était convié, avait lieu tous les mardis matin. Il résulte d’un échange de SMS du mois de novembre 2018 que lorsque M. [A] a prévenu qu’il ne pourrait pas être présent à la réunion un mardi matin car il avait un rendez-vous chez un client, M. [R] lui a répondu “c’est noté. A l’avenir pas de RV le mardi matin. Merci.”, ce qui tend à démontrer que la présence de M. [A] était requise à cette réunion hebdomadaire.

M. [A] étant mandaté par la société Barnes et travaillant sous la carte professionnelle de cette dernière, le fait qu’il figure dans la liste des consultants de la société, qu’il possède une adresse mail professionnelle au nom de la société et des cartes de visites mentionnant sa qualité de “consultant” ne démontre pas qu’il était un salarié.

M. [A] indique enfin qu’il gérait les dossiers répartis directement sur les territoires de chacun des collaborateurs par son supérieur hiérarchique, qui recevait les demandes de visites et les répartissait ensuite entre les collaborateurs, et qu’il rendait des comptes.

Il ressort du courriel de compte-rendu de la réunion du 4 septembre 2018 (pièce 13 de l’appelant) que les consultants étaient répartis selon des secteurs, ce qui apparaît cohérent avec le fait que la société Barnes mandatait différents consultants qui exerçaient avec sa carte professionnelle sur le même secteur géographique, la business unit Hauts-de-Seine ouest en ce qui concerne M. [A].

Le contrat prévoyant que le négociateur doit rendre compte au mandant de l’accomplissement de son mandat, il était également normal que M. [A] adresse des rapports de commercialisation à l’interlocuteur des consultants (pièce 19 de l’appelant).

Enfin, M. [A] ne justifie pas qu’il était soumis à des horaires de travail.

En conséquence, la preuve n’est pas suffisamment rapportée que M. [A] était intégré au sein d’un service organisé.

– sur le pouvoir de direction de la société

M. [A] expose que dès son arrivée, M. [R] imposait à ses collaborateurs de lui adresser un point précis des mandats, qu’il opérait une nouvelle répartition des territoires entre les collaborateurs lors de la réunion hebdomadaire d’équipe, qu’il lui a retiré son secteur de prospection historique pour lui en assigner un autre où il devait repartir de zéro, qu’il devait travailler en binôme avec un autre membre de l’équipe et partager ses commissions avec lui, ainsi qu’avec M. [R] qui abusait de son lien hiérarchique sur lui pour le priver d’une partie de sa rémunération.

La société Barnes conteste l’exercice de tout pouvoir de direction, faisant valoir que M. [R] a souhaité faire un état des lieux du réseau à son arrivée et répartir les secteurs des consultants en concertation avec ces derniers.

Il ressort des courriels produits par M. [A] qu’au moment de sa prise de poste, M. [R] a demandé à tous les consultants de faire un point sur les mandats actifs de leurs territoires respectifs actuels (courriel du 3 juillet 2018 – pièce 21). Lors d’une réunion du 4 septembre 2018, la répartition des consultants par secteur a été arrêtée (pièce 13 de l’appelant).

Aucune pièce ne permet d’une part de dire que cette répartition a été faite de manière autoritaire par M. [R] et d’autre part qu’elle a été faite en la défaveur de M. [A], faute de document justifiant de son secteur antérieur. Dans son courrier du 28 juin 2019, la société Barnes a indiqué que le secteur de M. [A] a été remanié pour pouvoir élargir le secteur initial de chacun des consultants (pièce 8 de l’appelant).

M. [A] ne produit aucun courriel témoignant de consignes ou objectifs lui ayant été fixés par la société Barnes et d’un contrôle de la part de cette dernière à cet égard. Il ne justifie pas qu’il devait demander l’autorisation de prendre ses congés à la société Barnes ou que cette dernière avait un pouvoir de sanction à son encontre.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, M. [A] échoue à démontrer qu’il travaillait dans un lien de subordination avec la société Barnes et qu’il était lié à cette société par un contrat de travail.

Les parties étant liées par un contrat de nature commerciale, la décision de première instance sera confirmée en ce qu’elle a déclaré le conseil de prud’hommes matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce de Nanterre pour connaître du litige qui lui est soumis.

Sur les demandes accessoires

La décision de première instance sera infirmée en ce qu’elle a réservé les dépens et les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de M. [A].

La demande formée par M. [A] au titre de l’article 700 du code de procédure civile sera rejetée, ainsi que celle formée par la société Barnes, en équité, compte tenu des faits de l’espèce.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Déclare caduque la déclaration d’appel du 1er juillet 2022 enregistrée sous le numéro RG 22/02098,

Rejette la demande tendant à voir déclarer caduque et irrégulière la déclaration d’appel du 13 juillet 2022 enregistrée sous le numéro RG 22/02234,

Confirme le jugement rendu le 23 juin 2022 par le conseil de prud’hommes de Rambouillet sauf en ce qu’il a réservé les dépens,

Condamne M. [L] [A] aux dépens de première instance et d’appel,

Déboute M. [L] [A] et la société Barnes de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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