Agent commercial : décision du 4 mai 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00126

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Agent commercial : décision du 4 mai 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00126
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4 mai 2023
Cour d’appel d’Angers
RG n°
21/00126

COUR D’APPEL

d’ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00126 – N° Portalis DBVP-V-B7F-EYZ7.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGERS, décision attaquée en date du 20 Janvier 2021, enregistrée sous le n° 19/00266

ARRÊT DU 04 Mai 2023

APPELANT :

Monsieur [K] [O]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Laurent POIRIER de la SELARL PRAXIS – SOCIETE D’AVOCATS, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 3529

INTIMEE :

S.A.S. INTÉGRA LIFESCIENCES SERVICES Prise en la personne de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

ologique de la Porte des Alpes –

[Localité 3]

représentée par Me Anne sophie FINOCCHIARO de la SELAS FIDAL, avocat au barreau d’ANGERS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Février 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS chargée d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Mme Marie-Christine DELAUBIER

Conseiller : Madame Estelle GENET

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 04 Mai 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

Le groupe Integra LifeSciences auquel appartient la Sas Integra LifeSciences Services est un groupe américain spécialisé dans le développement et la commercialisation d’implants chirurgicaux et d’instruments médicaux. La société Integra LifeSciences Services a pour activité la vente, la distribution, le négoce et la représentation de matériel médical et chirurgical. Elle emploie plus de 500 personnes en Europe dont environ 400 en France et applique la convention collective de la fabrication et du commerce des produits à usage pharmaceutique, para-pharmaceutique et vétérinaire du 1er juin 1989.

M. [K] [O] a été embauché par la société Integra LifeSciences Services en qualité de responsable des ventes Belgique – Pays-Bas – France, cadre, niveau 7B, suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 21 mai 2015 à effet au 9 juin 2015. Sa rémunération était composée d’une partie fixe mensuelle de 5 833,33 euros brut ainsi que d’une part variable sur objectifs.

Par lettre du 7 mars 2019, la société Integra LifeSciences Services a convoqué M. [O] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 22 mars 2019, lui notifiant également une mise à pied à titre conservatoire à compter du 11 mars 2019.

M. [O] a été placé en arrêt de travail à compter du 8 mars 2019.

Par lettre du 27 mars 2019, la société Integra LifeSciences Services lui a notifié son licenciement pour insuffisance professionnelle caractérisée par des carences managériales se traduisant notamment par une incapacité à animer et mobiliser les équipes tant sur le plan des relations que sur celui de l’organisation, une incapacité à se remettre en cause, et le dénigrement volontaire et assumé de l’équipe marketing.

Par requête en date du 5 avril 2019, M. [O] a saisi le Conseil de prud’hommes d’Angers aux fins de se voir allouer un rappel de salaire au titre de sa rémunération variable, les congés payés afférents, un rappel d’indemnité de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages et intérêts pour préjudice distinct résultant d’une rupture brutale et vexatoire, et une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Integra LifeSciences Services s’est opposée à ces prétentions et a sollicité la condamnation de M. [O] à lui verser une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 20 janvier 2021 le Conseil de prud’hommes d’Angers a :

– condamné la société Integra LifeSciences Services à payer M. [K] [O] les sommes de :

* 13 500 euros à titre de rappel de rémunération variable ;

* 1 350 euros à titre de congés payés afférents ;

* 1 000 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral résultant d’une rupture brutale et vexatoire ;

– dit et jugé que le licenciement de M. [K] [O] repose bien sur une cause réelle et sérieuse ;

– débouté M. [K] [O] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamné la société Integra LifeSciences Services à payer à M. [K] [O] une indemnité de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit sur les rappels de salaire ;

– rejeté la demande d’exécution provisoire sur les créances non salariales ;

– fixé la moyenne des salaires à la somme de 5 833,33 euros ;

– dit que les intérêts seront calculés au taux légal sur les créances indemnitaires à compter de la date du jugement, et sur les créances salariales et conventionnelles à compter de la réception de la convocation devant le Conseil de prud’hommes ;

– condamné la société Integra LifeSciences Services aux entiers dépens.

M. [O] a interjeté appel de cette décision par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 18 février 2021, son appel étant limité aux chefs suivants par lesquels le conseil de prud’hommes d’Angers :

– a dit et jugé que le licenciement repose bien sur une cause réelle et sérieuse ;

– l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– l’a débouté de sa demande en paiement de la part variable de son salaire sur la partie quantitative ;

La Sas Integra Lifesciences Services a constitué avocat le 8 mars 2021.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 janvier 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du conseiller rapporteur du 7 février 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [O], dans ses dernières conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe le 26 octobre 2021 par voie électronique, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

A titre préliminaire :

– faire sommation à la société Integra LifeSciences Services de transmettre les pièces d’identité des signataires des courriels litigieux ainsi que des attestations conformes aux articles 200, 202 et 203 du code de procédure civile ;

En tout état de cause :

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

-condamné la société Integra LifeSciences Services à lui payer les sommes de :

– 13 500 euros au titre du rappel des rémunérations variables ;

– 1 350 euros au titre des congés payés afférents ;

– 1 000 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;

– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral résultant d’une rupture brutale et vexatoire ;

– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit que les intérêts seront calculés au taux légal sur les créances indemnitaires à compter de la date du jugement, et sur les créances salariales et conventionnelles à compter de la réception de la convocation devant le conseil de prud’hommes ;

– condamné la société Integra LifeSciences Services aux entiers dépens ;

– le réformer pour le surplus :

– constater que les objectifs fixés pour le paiement des primes sur objectifs étaient irréalisables ;

En conséquence :

– condamner la société Integra LifeSciences Services à lui payer les sommes suivantes :

– 23 217 euros au titre de sa rémunération variable ;

– 2 321,70 euros au titre des congés payés afférents ;

– juger le licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

– condamner la société Integra LifeSciences Services à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamner la société Integra LifeSciences Services à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Integra LifeSciences Services aux entiers dépens.

M. [O] fait d’abord valoir que les objectifs fixés par la société Integra LifeSciences Services en support de sa rémunération variable étaient irréalisables et qu’il a attiré son attention sur ce point à maintes reprises. Il ajoute qu’ils étaient fixés avec retard, de surcroît en langue anglaise, précisant que ceux de 2019 ne lui ont jamais été communiqués. Il estime devoir recevoir la rémunération variable contractuelle dans sa totalité.

Il conteste ensuite les difficultés managériales et le dénigrement invoqués à l’appui de son licenciement, ajoutant que la société Integra LifeSciences Services s’est placée sur le terrain de l’insuffisance professionnelle alors qu’en tout état de cause, l’employeur formule à son encontre des reproches d’ordre disciplinaire.

Enfin, il entend voir écarter le barème de l’article L.1235-2 du code du travail au motif qu’il est dépourvu de caractère dissuasif et ne permet pas une réparation adéquate de son préjudice.

*

Par conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 28 juillet 2021, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, la Sas Intégra Lifesciences Services demande à la cour de :

– la déclarer recevable et bien fondée en ses écritures ;

Y faisant droit,

Sur la demande de rappel de rémunération variable :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il constaté que la demande de paiement de l’intégralité des primes trimestrielles quantitatives relatives aux années 2016, 2017, 2018 et 2019 au motif du prétendu caractère irréaliste des objectifs correspondants n’était pas fondée et, partant, devait être rejetée ;

– le réformer pour le surplus ;

– constater le caractère non tardif de la communication à M. [O] de ses objectifs pour les années 2017, 2018 et 2019 comme la régularisation opérée en fin d’année selon les performances trimestrielles réalisées ;

– constater que la prime quantitative du 2ème trimestre 2019 n’est pas due ;

– constater que la prime qualitative du 2ème semestre 2019 n’est pas due ;

En conséquence,

– juger qu’aucune somme n’est due à M. [O] à titre de rappel de salaire sur rémunération variable pour les années 2016, 2017, 2018 et 2019 ;

– débouter M. [O] de l’intégralité de ses demandes de rappels de rémunération variable ;

– ordonner à M. [O] de lui rembourser les sommes indûment perçues par ses soins en exécution du jugement entrepris, à savoir :

– 13 500 euros au titre de ses primes quantitatives du 1er trimestre des années 2017, 2018 et 2019 (9 000 euros), de sa prime quantitative du 2ème semestre 2019 (3 000 euros) et de sa prime qualitative du 1er semestre 2019 (1 500 euros) ;

– 1 350 euros au titre des congés payés y afférents ;

– 1 000 euros à titre de rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement correspondant ;

– 786,46 euros au titre des intérêts de retard correspondants ;

– représentant un montant total de 16 636,46 euros ;

Sur la légitimité du licenciement :

– A titre principal, confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a constaté que le licenciement de M. [O] était fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

– A titre subsidiaire, constater l’applicabilité du barème Macron et, en l’absence de démonstration d’un préjudice avéré justifiant un montant supérieur, fixer le montant des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 21 508 euros brut et ordonner, en cas de besoin, la compensation de cette somme avec les autres sommes qui auraient été indûment versées à M. [O] en exécution du jugement entrepris ;

Sur le caractère brutal et vexatoire de la procédure de licenciement :

– constater que M. [O] était placé en arrêt maladie avant l’entrée en vigueur de sa mise à pied à titre conservatoire, laquelle était justifiée, ne revêtait en soi aucun caractère brutal et vexatoire compte tenu des circonstances de l’espèce, ni n’a entraîné, de même que sa dispense ultérieure de préavis, aucune perte de rémunération ni préjudice moral établi par l’intéressé ;

– débouter M. [O] de sa demande de dommages intérêts pour rupture brutale et vexatoire de son contrat de travail ;

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. [O] la somme de 5 000 euros au titre de dommages intérêts pour rupture brutale et vexatoire de son contrat de travail ;

En tout état de cause :

– condamner M. [O] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La société Integra LifeSciences Services conteste d’abord le caractère irréalisable des objectifs de M. [O]. Elle ajoute qu’il est légitime, au vu de leur complexité, qu’ils soient communiqués à la fin du premier trimestre de l’année en cours, précisant qu’une régularisation est opérée en fin de quatrième trimestre. Elle fait observer qu’ils sont rédigés en anglais et en français. Elle considère dès lors avoir rempli M. [O] de ses droits au titre de sa rémunération variable, et ne pas lui devoir davantage dans la mesure où il n’a pas atteint ses objectifs.

Elle s’attache ensuite à démontrer que les difficultés managériales et le dénigrement de l’équipe marketing justifient le licenciement de l’intéressé.

MOTIVATION

Sur la sommation de communiquer

A titre liminaire, M. [O] demande à la cour de faire sommation à la société Integra LifeSciences Services de transmettre les pièces d’identité des signataires des courriels litigieux ainsi que des attestations conformes aux articles 200, 202 et 203 du code de procédure civile.

Dans le corps de ses écritures, il cite le courrier rédigé à l’attention de l’employeur le 7 décembre 2018 et les attestations versées aux débats par ce dernier, soulignant que sommation lui a déjà été faite, que la société Integra LifeSciences Services n’a pas souhaité y déférer et que par conséquent, ces documents doivent être écartés des débats.

Il sera préalablement rappelé qu’en matière prud’homale, la preuve est libre et qu’il appartient au juge d’apprécier la valeur probante des éléments qui lui sont fournis par les parties.

Les pièces communiquées par la société Integra LifeSciences Services ont été soumises au contradictoire. M. [O] a fait valoir ses observations à ce sujet.

Par conséquent, il n’y a lieu ni de les écarter des débats, ni de faire sommation à la société Integra LifeSciences Services de communiquer les pièces d’identité des signataires et des attestations conformes, la cour étant en mesure d’apprécier la valeur probante de ces éléments.

Sur le rappel de rémunération variable

Lorsque les objectifs sont fixés unilatéralement par l’employeur, le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération est effectué conformément à l’engagement unilatéral de l’employeur qui doit dès lors lui être communiqué. A défaut, l’absence de fixation d’objectifs ou le retard dans la fixation de ceux-ci constitue une faute contractuelle qui autorise le salarié à solliciter le paiement de la rémunération variable en totalité.

De même, il faut que les objectifs déterminés de manière unilatérale par l’employeur soient réalistes et correspondent à des normes sérieuses et raisonnables.

M. [O] fait valoir en premier lieu que les objectifs quantitatifs qui lui ont été impartis étaient irréalisables. Il a ainsi alerté par mail du 26 février 2016 sur le caractère déraisonnable des objectifs fixés pour l’année 2016. Le 20 février 2017, il s’étonnait auprès de ses collègues de la progression de 69 % exigée pour 2017, l’une d’elle lui répondant qu’elle était dans la même situation, que cet objectif était inatteignable et qu’elle pensait qu’il y avait une erreur. Le 11 mai 2018, il attirait l’attention de sa hiérarchie sur le caractère trop ambitieux des objectifs 2018. Il allègue ensuite que les objectifs lui ont été communiqués avec retard, soit à la fin du premier trimestre pour les années 2016, 2017 et 2018, et qu’ils ne lui ont pas été communiqués pour l’année 2019.

La société Integra LifeSciences Services affirme que les objectifs fixés à M. [O] étaient réalisables, précisant que ceux-ci tenaient compte des résultats de l’année précédente. Elle souligne que ceux de sa collègue allemande étaient deux fois plus élevés en 2018, et que ses collègues anglais en 2016, et italiens en 2018, ont atteint voire dépassé les leurs. Elle observe que le salarié s’est attribué un secteur sur lequel il ne faisait aucune prospection, et que les résultats des commerciaux de son équipe, lesquels ont majoritairement perçu leur bonus en 2016, 2017 et 2018 selon les objectifs qu’il leur avait lui-même fixés en fonction des siens, démontrent que ceux-ci étaient raisonnables. Enfin, elle relève que M. [O] a signé ses objectifs 2018 le 11 avril 2018, et les a donc acceptés.

S’agissant de l’année 2019, elle assure que les objectifs 2019 lui ont été notifiés le 20 mars 2019, et qu’en tout état de cause, il n’est éligible à aucun bonus pour cette année-là dans la mesure où il n’était pas présent physiquement.

L’article 5 du contrat de travail prévoit, s’agissant de la rémunération variable, que M. [O] est :

‘éligible à une rémunération variable annuelle sur objectifs de 15 000 euros brut selon le programme de bonus discrétionnaire de la société, à condition que la société ait atteint ses résultats et que (le salarié) ait atteint ses objectifs individuels de performance qualitatifs et quantitatifs.

Le montant de la prime brute payée pourra donc varier en fonction de la performance personnelle (du salarié) et celle de la société.

La prime quantitative sera versée chaque trimestre en cas d’atteinte des objectifs trimestriels et la prime qualitative sera versée annuellement en cas d’atteinte des objectifs qualitatifs.

Les objectifs seront fixés chaque année par la direction des ventes en fonction des objectifs définis par le groupe.’

Cette rémunération variable était répartie de la façon suivante :

– 3 000 euros sur la partie qualitative ;

– 12 000 euros sur la partie quantitative, soit 3 000 euros payable le dernier jour de chaque trimestre ;

En premier lieu, il convient de relever que les objectifs quantitatifs annuels sont fixés en langue anglaise et en langue française (pièces 22 et 23 salarié, et 12-1 employeur). De surcroît, M. [O] n’allègue pas ne pas les avoir compris.

Il apparaît en second lieu, que ceux-ci ont été communiqués à M. [O] respectivement le 14 mars 2016, le 4 avril 2017, le 27 mars 2018, et que le 20 mars 2019, il a accusé réception de ceux de 2019. Ces objectifs étaient toutefois évoqués par l’employeur en amont puisque le salarié s’en est étonné le 26 février 2016 s’agissant de ceux prévus pour 2016, et le 20 février 2017 s’agissant de ceux prévus pour 2017.

L’extrait K-bis de la société Integra LifeSciences Services montre que les comptes annuels sont arrêtés au 31 décembre de chaque année. Selon l’article 5 du contrat de travail précité, la rémunération variable de M. [O] est fixée en considération des résultats de l’entreprise. Enfin, le plan de rémunération sur objectifs mentionne chaque année, qu’il est conçu pour offrir une rémunération reflétant ‘la performance par rapport à des objectifs de croissance des ventes et de déploiement des stratégies commerciales’. Il s’en déduit que la transmission des objectifs dans le trimestre suivant la clôture des comptes d’une société de cette importance (présence à l’international, volume d’affaires, nombre de salariés) apparaît légitime afin de consolider les chiffres, d’arrêter le bilan, et de définir les orientations de l’année suivante.

Il sera en outre relevé que M. [O] n’a jamais contesté la tardiveté de la transmission de ses objectifs avant la présente procédure, que la société Integra LifeSciences Services effectuait une régularisation au 4ème trimestre de l’année, et que le salarié ne l’ignorait pas puisqu’il expliquait lui-même ce processus dans un mail adressé le 15 mai 2018 à l’une de collaboratrices en ces termes: ‘ Nous avons déjà eu cette discussion à plusieurs reprises. Les années précédentes, les objectifs ont également été communiqués vers la fin du premier trimestre, et le fonctionnement était le même, les primes ont été versées en 01 en fonction de l’atteinte des objectifs avec un rattrapage possible sur Q4 en fonction de l’atteinte globale de l’objectif sur l’année.’

Par conséquent, la tardiveté de la transmission des objectifs ne sera pas retenue.

En troisième lieu, il ressort des plans annuels de rémunération variable versés aux débats ainsi que des mails de M. [O] que les objectifs fixés par la société Integra LifeSciences Services ont progressé de 51% en 2016, de 73% en 2017 et de 45% en 2018. Le salarié a de fait alerté sur ces exigences qu’il considérait comme déraisonnables par mails du 26 février 2016, 6 novembre 2017 et 11 mai 2018. Puis par mail du 4 mars 2019, il a réclamé l’intégralité de ses primes variables en faisant valoir notamment que le marché n’était pas en croissance sur les trois années 2016, 2017 et 2018, qu’en 2017 une salariée de son équipe était partie sans être remplacée, et qu’il en était de même en 2018, ces derniers points n’étant pas contredits par l’employeur.

Il résulte en outre du procès-verbal de réunion du comité d’entreprise du 22 mars 2019, lequel interrogeait la direction sur le surdimensionnement des objectifs 2018 et sur la raison pour laquelle ceux-ci n’avaient pas été révisés, que la société Integra LifeSciences Services a ‘concédé qu’un écart entre les objectifs budgétaires et le chiffre d’affaires a été constaté.’ Ce document mentionne par ailleurs que le marché français était en recul par rapport au marché mondial en 2018, qu’une procédure de licenciement entraînant la suppression de 130 postes a été mise en place au sein du groupe, et qu’un plan de sauvegarde de l’emploi était en cours prévoyant la suppression de 12 postes au sein de la société, dont celui de responsable des ventes Instruments France. Enfin, si les résultats sont très inégaux selon les secteurs d’activité, la direction admet une baisse significative du chiffre d’affaires sur les trois premiers trimestres 2018 et explique la mise en place du PSE par l’absence de perspective de redressement au quatrième trimestre.

Dès lors, s’il est acquis que M. [O] n’a pas atteint les objectifs quantitatifs qui lui ont été fixés, l’employeur ne produit aucun élément de nature à établir que ceux-ci étaient réalisables, peu important que ses homologues étrangers intervenant dans un tissu économique différent ou les membres de son équipe aient atteint les leurs, étant précisé que c’est lui et non la direction qui fixait leurs objectifs aux salariés sous sa subordination.

Par conséquent, M. [O] doit percevoir la totalité de la rémunération variable à laquelle il peut prétendre.

Il a perçu l’intégralité de la prime qualitative pour les années 2016, 2017 et 2018.

S’agissant de la prime quantitative, il a perçu, 975 euros en 2016, 5 808 euros en 2017 et 0 euro en 2018. Il aurait dû percevoir la somme totale de 36 000 euros. Dès lors, la société Integra LifeSciences Services reste redevable à son égard de la somme de 29 217 euros à ce titre.

S’agissant de l’année 2019, si le plan de rémunération ne prévoit pas le sort de la rémunération variable dans l’hypothèse d’un licenciement, il prévoit cependant que pour être éligible aux primes, le salarié doit occuper son poste ‘au moment du versement’.

M. [O] a été licencié le 27 mars 2019 avec un préavis de trois mois. Le contrat de travail a pris fin le 27 juin 2019, soit avant la fin du second trimestre. Il n’a perçu aucune prime au titre de sa rémunération variable. Il est donc éligible à percevoir la somme de 3 000 euros au titre de la prime quantitative versée trimestriellement.

S’agissant de la prime qualitative, le contrat de travail prévoit qu’elle est versée une fois par an. S’il est acquis que M. [O] a perçu l’intégralité de ses primes qualitatives sur les années 2016, 2017 et 2018, aucun élément ne permet de dire à quelles dates sont intervenus ces versements, étant précisé que les parties n’en font pas davantage mention. Par conséquent, il n’y a pas lieu de faire droit au rappel de prime qualitative 2019, M. 4 [O], en sa qualité de demandeur, étant défaillant dans l’administration de la preuve.

C’est donc un total de 32 217 euros à titre de rémunération variable que la société Integra LifeSciences Services était tenue de verser au salarié.

Le Conseil de prud’hommes lui a alloué à la somme de 13 500 euros à ce titre et 1 350 euros à titre de congés payés afférents.

Il convient donc de confirmer le jugement de ce chef, mais de l’infirmer en ce que le salarié a été débouté du surplus de la somme réclamée, et de condamner la société Integra LifeSciences Services a lui payer la somme de 18 717 euros brut à titre de complément de rémunération variable et celle de 1 871,70 euros brut à titre de congés payés afférents.

Sur l’indemnité de licenciement

La société Integra LifeSciences Services ne développe aucun moyen de ce chef dont elle demande l’infirmation, celle-ci ne pouvant que se déduire de sa demande de rejet du chef de la rémunération variable.

M. [O] n’évoque pas davantage ce chef dont il demande la confirmation.

Au vu de ce qui précède, il convient de confirmer le jugement sur ce point.

Sur le licenciement

Il résulte des dispositions des articles L.1232-1 et L.1235-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, et qu’en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables et la lettre de licenciement fixant les limites du litige.

En l’espèce, la lettre de licenciement du 27 mars 2019 est libellée ainsi :

‘(…) Or, nous avons été contraints de constater au cours des derniers mois plusieurs manquements significatifs à la bonne exécution de vos fonctions.

En fin d’année 2018, plusieurs membres de votre équipe se sont plaints auprès de notre responsable RH des difficultés auxquelles ils étaient confrontés en lien avec votre mode de management. Ces derniers ont déploré notamment les éléments suivants: aucune présence terrain avec certains membres de l’équipe (voire exceptionnelle pour d’autres) ; aucune approche clients sur le terrain ni même en congrès ; absence de réunions animées et construites ; pas de retour sur les chiffres ; manque de stratégie liée à la méconnaissance des produits et du marché ; faible investissement dans la compréhension des problématiques ; une communication peu claire, sans transparence voire discordante selon les collaborateurs.

Cette situation a conduit certains de vos collaborateurs à s’interroger ouvertement sur la pertinence de votre présence et de votre activité au sein de la société et à manifester très expressément, en raison des éléments visés ci-dessus, leur perte totale de confiance en vous et leur volonté de ne plus travailler avec vous.

Au même moment, votre responsable a été contraint de constater, dans le cadre de votre entretien d’évaluation annuelle au titre de l’année 2018, la non atteinte de vos objectifs, en particulier en termes de management d’équipe. Il a également été constaté à cette occasion une perte de crédibilité et une absence de leadership et en conséquence, votre incapacité à pouvoir mobiliser les équipes.

Dans ce contexte, votre responsable a décidé, en concertation avec nos responsables RH, de vous proposer un plan d’accompagnement d’une durée de trois mois en vue d’améliorer notamment votre leadership. Ce plan d’accompagnement vous a été proposé dès la mi-février 2019. Vous avez aussitôt refusé de bénéficier d’un tel accompagnement et fait preuve d’un déni total et d’une absence de remise en cause de votre mode de management, alors même que ce plan d’accompagnement aurait pu vous permettre de corriger la situation et de continuer à exercer vos fonctions conformément aux attentes du poste. Vous avez au contraire sollicité un départ négocié, demande à laquelle notre société n’a pas souhaité donner une suite favorable.

L’email de sept pages, dont le ton hautain et déplacé est contraire aux valeurs de notre entreprise, que vous avez adressé à la responsable RH le 25 février 2019 démontre à lui-seul le décalage entre le constat dressé, tant par les membres de votre équipe que par vos responsables et homologues, de vos carences managériales et votre propre perception. Au lieu de vous remettre un tant soit peu en cause, vous critiquez le fonctionnement de l’entreprise, le travail effectué par les autres équipes et sollicitez pour la première fois, le versement de primes prétendument dues pour les années 2016, 2017 et 2018.

Vous avez ensuite pris l’initiative d’adresser plusieurs emails à l’ensemble des équipes commerciale et marketing, en utilisant à nouveau une tonalité totalement déplacée et contraire à nos valeurs d’entreprise. Plusieurs collaborateurs destinataires de vos emails s’en sont d’ailleurs offusqués auprès de la direction. Vous ne pouviez pas sérieusement ignorer les troubles au bon fonctionnement de nos équipes et donc au bon fonctionnement de l’entreprise que vos emails allaient générer.

En prenant ouvertement et violemment à partie vos homologues du département marketing et en les accusant par exemple, dans votre email du 27 février 2019 ‘de ne rien faire depuis deux ans si ce n’est des voyages autour du monde dans des endroits ensoleillés’, vous avez non seulement apporté une preuve supplémentaire de vos carences managériales, mais vous avez également démontré votre volonté de désorganiser autant que possible notre entreprise à défaut de voir acceptée votre demande de départ négocié.

Ce comportement inacceptable nous a conduit à vous notifier le 7 mars 2019 une mise à pied à titre conservatoire dans l’attente de l’entretien préalable du 22 mars dernier, procédure de licenciement dont vous avez alors feint de ne pas comprendre le fondement.

Compte tenu de votre niveau de responsabilité en qualité de responsable des ventes Belgique – Pays-Bas – France, vos carences managériales se traduisant notamment par une incapacité à animer et mobiliser les équipes, une incapacité à vous remettre en cause afin d’accepter le plan d’accompagnement qui vous a été proposé, et le dénigrement volontaire et assumé de l’équipe marketing avec laquelle vous devez travailler en bonne intelligence, rendent impossible la poursuite de votre contrat de travail et nous contraignent à procéder à votre licenciement pour insuffisance professionnelle. (…).

Il est donc reproché à M. [O] des carences managériales envers son équipe se traduisant par la non-atteinte de ses objectifs en particulier en termes de management d’équipe, une perte de crédibilité, une absence de leadership et une incapacité à pouvoir la mobiliser. Il lui est en outre reproché d’avoir refusé le plan d’accompagnement qui lui a été proposé, d’avoir critiqué le fonctionnement de l’entreprise et le travail effectué par les autres équipes, ainsi que d’avoir adressé plusieurs mails à l’ensemble des équipes commerciales et marketing dont le ton et les propos avaient pour finalité de désorganiser l’entreprise.

M. [O] conteste l’ensemble de ces griefs dont il prétend d’abord qu’il est de nature disciplinaire. Il fait valoir ensuite que la plainte des membres de son équipe, laquelle n’était constituée que depuis juillet 2018, n’est signée que par deux salariés dont l’un a démissionné peu après son départ et l’autre était affecté sur le produit ‘Surgimend’ qui était en rupture de stock, et que les attestations adverses sont de complaisance outre qu’elles sont non conformes aux dispositions du code de procédure civile. Il fait observer qu’il a toujours perçu sa prime qualitative excepté en 2019 et que son équipe a toujours été performante. Il ajoute qu’il s’est vu allouer de nouvelles responsabilités par un élargissement de son équipe en avril 2018, et a été félicité par l’octroi d’actions gratuites pour un montant de 5 000 euros le 13 mars 2018. Il affirme enfin que le mail du 25 février 2019 avait pour objet de signaler les difficultés auxquelles il était confronté, qu’il n’était adressé qu’à la responsable RH, et avait pour objet de solliciter un rendez-vous. Quant au mail du 27 février 2019, il n’a été adressé qu’à ses homologues et au président, et ne contient, selon lui, aucun terme injurieux, diffamatoire ou excessif.

La société Integra LifeSciences Services fait valoir que la dimension managériale exigée du salarié était une exigence primordiale ainsi que le prévoit sa fiche de poste. Elle affirme avoir été destinataire le 7 décembre 2018 d’une plainte co-signée par les membres de son équipe, demandant un remaniement managérial et ne souhaitant plus travailler sous sa direction. Elle a ainsi entendu les salariés entre le 8 au 11 janvier 2019. Elle ajoute que l’entretien annuel d’évaluation 2018 de M. [O] pointe ses difficultés de management, et fait état de sa perte de crédibilité et d’une absence de leadership. A titre d’exemple, elle observe que celui-ci ne connaît pas le secteur de ses commerciaux. C’est ainsi qu’elle lui a proposé un plan de formation que le salarié a refusé. Elle estime que M. [O] a utilisé un ton déplacé dans le mail de réponse adressé à la responsable RH le 25 février 2019, et que cet envoi démontre son déni de la situation et son absence de remise en cause. Enfin, elle considère que dans son mail du 27 février 2019 largement diffusé, M. [O] a dénigré ses collègues du service marketing afin de leur faire porter la responsabilité de ses propres carences. Elle ajoute qu’une de ses collègues s’en est offusquée.

L’insuffisance professionnelle qui traduit l’incapacité objective et durable du salarié à exercer de façon satisfaisante, conformément aux prévisions contractuelles, les fonctions qui lui ont été confiées, constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement lorsqu’elle repose sur des éléments concrets et objectifs imputables au salarié. Elle se manifeste dans les répercussions pour l’entreprise en tant qu’elle perturbe sa bonne marche ou le fonctionnement du service mais il n’est pas nécessaire qu’elle ait entraîné pour l’employeur un préjudice chiffrable.

Elle peut être constitutive d’une faute disciplinaire uniquement lorsqu’elle procède d’une abstention volontaire ou d’une mauvaise volonté délibérée.

La lecture de la lettre de licenciement révèle que la société Integra LifeSciences Services a entendu expressément fonder le licenciement sur des motifs relevant de l’insuffisance professionnelle et non de la faute disciplinaire.

A titre liminaire, il sera évoqué la fiche de poste de M. [O] (pièce 1 employeur), laquelle prévoit qu’il supervisera une équipe de cinq personnes. Au titre du management d’équipe, ses missions sont notamment les suivantes:

– vérifier la réalisation des objectifs commerciaux mensuels, trimestriels, annuels de chiffre d’affaires ;

– fixer et vérifier la réalisation des objectifs ;

– organiser et animer les réunions commerciales mensuelles et trimestrielles ;

– procéder à des accompagnements terrain réguliers ;

– évaluer les performances commerciales et techniques des membres de l’équipe ;

– renforcer les compétences des membres de l’équipe: identifier les besoins et coordonner les formations commerciales (techniques de vente) et techniques (produits et outils de travail) nécessaires ;

– recruter et mettre en place une organisation des ventes utilisant les moyens nécessaires adaptés ;

– s’assurer que les règles de fonctionnement sont mises en oeuvre et respectées.

Au titre du management commercial, la même fiche de poste prévoit notamment qu’il devra :

– définir et mettre en oeuvre les stratégies et plan d’actions nécessaires à l’atteinte des objectifs commerciaux fixés par la direction (ventes directes et indirectes) ;

– mettre en place une stratégie ‘grands comptes’: centrales d’achats, groupements d’hôpitaux et de cliniques ;

– proposer une politique de prix ;

– analyser et rapporter les problèmes relatifs aux produits et à la qualité de service qu’Integra propose à ses clients.

Enfin, s’agissant des relations publiques, cette fiche de poste prévoit qu’il aura la ‘responsabilité de la relation client en participant notamment aux visites clients, congrès, cours chirurgicaux, démonstrations auprès des chirurgiens, leaders d’opinion, centrales d’achats, groupements d’hôpitaux et cliniques, équipes médicales, administratives, biomédicales, etc’ et devra ‘veiller à optimiser le niveau de satisfaction des clients.’

Les griefs tels qu’énoncés dans la lettre de licenciement, sont de deux ordres. S’il est avéré que le refus du plan d’accompagnement, le dénigrement de l’équipe marketing, et le ton déplacé et les propos contraires aux valeurs de l’entreprise tenus par le salarié, à les supposer établis, relèvent pour le premier d’une mauvaise volonté délibérée et pour les suivants d’une faute disciplinaire, il apparaît qu’à la lecture de la fiche de poste précitée décrivant les fonctions confiées au salarié, les carences managériales reprochées à M. [O] ne manifestent pas une mauvaise volonté délibérée de nature à caractériser une faute disciplinaire, l’employeur insistant davantage sur son mode de management envers son équipe, sa perte de crédibilité et ses mauvais résultats, que sur une volonté assurée et assumée de ‘mal agir’ dans l’exercice de ses missions.

Il convient donc d’examiner ce grief et d’analyser s’il caractérise l’insuffisance professionnelle, laquelle, pour justifier le licenciement, doit être fondée sur des éléments suffisamment pertinents, matériellement vérifiables, de nature à perturber la bonne marche de l’entreprise ou à être préjudiciables aux intérêts de celle-ci.

La société Integra LifeSciences Services verse aux débats :

– un courrier du 7 décembre 2018 à l’en-tête de l’équipe TT BENEFRA adressé au service RH, signé par M. [I] et M. [T], se plaignant de ce que M. [O]

ne répond pas à leurs attentes managériales. Ils déplorent son absence sur le terrain avec certains membres de l’équipe (voire exceptionnelle pour d’autres), aucune approche client sur le terrain et en congrés, une absence de réunions animées et construites de sa part, pas de retour sur les chiffres de leur business, un manque de stratégie liée à sa méconnaissance des produits du marché, un faible investissement dans la compréhension des problématiques, et une communication peu claire, sans transparence voire discordante selon les collaborateurs. Ils regrettent son absence ‘terrain’ et son investissement limité, et font valoir qu’ils n’ont plus aucune confiance en lui ;

– trois mails de M. [T] des 18 et 19 décembre 2018, et 15 janvier 2019, et un planning de réunion, faisant état de ce qu’il a été entendu ainsi que les membres de l’équipe quant aux plaintes formulées à l’encontre de M. [O], et demandant une réponse ‘pour corriger au mieux la situation actuelle’ ;

– l’entretien annuel d’évaluation 2017 de M. [O] mentionnant les observations de son manager en ces termes : ‘bonne application de nos valeurs au quotidien’ et ‘répond aux attentes’;

– l’entretien annuel d’évaluation 2018 de M. [O], dont les commentaires du salarié et de son manager sont intégralement en anglais non traduit, à l’exception de la mention ‘ne répond pas aux attentes’ ;

– un mail de M. [O] du 28 novembre 2018 demandant à M. [I] quel est son secteur actuel ;

Pour sa part, M. [O] communique :

– un mail du 19 avril 2018 du vice-président du groupe Integra en anglais non traduit réintitulant son poste en ‘sales wound reconstruction Belgium – Netherlands – France’ ;

– un courrier du 13 mars 2018 signé par le ‘president and chief executive officer’ lui attribuant des actions gratuites de la société, ‘en raison de son rôle dans le succès de la société’ et le remerciant ‘de faire un travail exceptionnel pour notre société, nos clients et nos actionnaires’ ;

– un mail du 20 mars 2018 du vice-président de la division Europe rédigé ainsi :’merci pour ces 3 années de belle croissance avec une équipe difficile que tu as su animer’ ;

– une attestation de M. [U], salarié de la société du 1er janvier 2011 au 31 janvier 2019 et formateur du programme de formation continue ‘management development program’, témoignant de ce que M. [O] ‘avait de vraies capacités à comprendre et à mettre en oeuvre au quotidien les différentes méthodes’. Il poursuit en ces termes : ‘j’ai pu en être témoin et les retours que j’en avais par ses collaborateurs directs avec qui j’avais des échanges réguliers m'(ont) confirmé cela à de nombreuses reprises jusqu’à mon départ en 2019″ ;

– un échange de mails de novembre 2018 et janvier 2019 démontrant que M. [O] a insisté pour défendre le bonus de M. [I] et a obtenu que celui-ci lui soit versé dans son intégralité ;

– une attestation de M. [H], agent commercial de la société de janvier 2018 à mars 2019, témoignant de ce que M. [O] était son correspondant direct, que ce dernier l’a régulièrement accompagné sur le terrain, qu’ils ont effectué ensemble des visites commerciales chez différents clients du secteur, que M. [O] avait une

approche tout à fait conforme de ce qu’on peut attendre d’un responsable des ventes ainsi qu’une bonne connaissance des clients, des produits de la société et de la concurrence.

Il ressort de ces éléments que si deux membres de son équipe se sont plaints du management de M. [O], la société Integra LifeSciences Services ne démontre pas que les trois autres partageaient leur opinion dans la mesure où ils n’ont pas signé le courrier du 7 décembre 2018, et où rien n’est rapporté de leur audition postérieure à ce courrier.

En outre, il apparaît que si M. [O] n’a pas atteint les objectifs quantitatifs qui lui ont été fixés en 2016, 2017 et 2018, il a été vu précédemment qu’il n’était pas justifié qu’ils étaient raisonnables, étant précisé qu’en 2016 et 2017, la société ne lui en a pas tenu rigueur. En revanche, il n’est pas démontré qu’il n’aurait pas atteint ses objectifs en termes de ‘management d’équipe’. Au contraire, les parties s’accordent à dire qu’il a perçu la totalité de sa prime qualitative pour les années 2016, 2017 et 2018. On observe ensuite que son entretien annuel d’évaluation 2017 mentionne qu’il ‘répond aux attentes’ et qu’il a été félicité par la direction du groupe par l’octroi d’actions gratuites en mars 2018.

En dernier lieu, on relève que tant le vice-président de la division Europe, que le formateur en management témoignent des qualités professionnelles de M. [O], le premier soulignant qu’il a su animer pendant trois ans une équipe difficile, et le second précisant avoir eu des retours positifs de ses collaborateurs jusqu’au 31 janvier 2019, date de son départ.

Du tout, il résulte qu’il n’est pas établi de griefs suffisamment pertinents, matériellement vérifiables et de nature à perturber la bonne marche de l’entreprise, caractérisant l’insuffisance professionnelle de M. [O].

Par conséquent, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et le jugement doit être infirmé de ce chef.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Les dispositions de la Charte sociale européenne n’ont pas d’effet direct entre particuliers de sorte que leur invocation devant le juge, dans le cadre de la contestation d’un licenciement, ne peut pas conduire à écarter l’application du barème prévu par les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, étant par ailleurs acquis que ces dernières sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.

Il appartient seulement au juge d’apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l’article L.1235-3 du code du travail, lesquels sont compris, au vu de son ancienneté, entre 3 mois et 5 mois de salaire.

M. [O] avait 4 ans d’ancienneté et il était âgé de 47 ans au moment du licenciement. Il percevait un salaire moyen de 6 801,22 euros brut. Il ne donne aucun élément quant à son préjudice, et fonde sa demande exclusivement sur le résultat de la société et le fait que celle-ci est cotée en bourse.

Par conséquent, le préjudice subi par M. [O] du fait de son licenciement sera réparé par l’allocation d’une somme que la cour est en mesure de fixer à 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au paiement de laquelle la société Integra LifeSciences Services sera condamnée.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les circonstances brutales et vexatoires du licenciement

Indépendamment de la cause réelle et sérieuse du licenciement, les circonstances dans lesquelles la mesure a été prononcée peuvent parfois être brutales ou vexatoires. Dans ce cas, si le comportement fautif de l’employeur crée un préjudice distinct au salarié, il peut en demander réparation.

La société Integra LifeSciences Services fait valoir que l’employeur est libre de notifier une mise à pied conservatoire s’il estime que cette mesure préserve les intérêts de l’entreprise, et qu’en l’espèce, celle-ci était légitime au vu des propos déplacés tenus par l’intéressé.

Dans ses conclusions, M. [O] ne développe pas ce moyen et se contente de demander la confirmation de ce chef.

La notification d’une mise à pied conservatoire n’implique pas nécessairement que le licenciement qui s’en suit présente un caractère disciplinaire, de sorte que le seul prononcé d’une mise à pied ne présente pas en soi un caractère vexatoire, d’autant qu’en l’espèce étaient visés des manquements du salarié, notamment quant au ton déplacé et aux propos contraires aux valeurs du groupe contenus dans ses écrits. De surcroît, M. [O] ne caractérise pas le préjudice qu’il invoque.

Il doit donc être débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire et le jugement infirmé de ce chef.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Selon l’article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles qu’il énonce, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés, de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Les conditions d’application de cet article étant réunies, il y a lieu d’ordonner le remboursement par la société Integra LifeSciences Services à Pôle emploi des indemnités de chômage effectivement versées à M. [O] par suite de son licenciement et ce dans la limite de trois mois d’indemnités.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L’équité commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [O] en appel et de condamner la société Integra LifeSciences Services à lui verser la somme de 1 500 euros à ce titre.

La société Integra LifeSciences Services qui succombe à l’instance doit être condamnée aux dépens d’appel et déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile présentée en appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant contradictoirement, publiquement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes d’Angers le 20 janvier 2021 sauf en ce qu’il a condamné la Sas Integra LifeSciences Services à payer à M. [K] [O] les sommes de 13 500 euros à titre de rappel de rémunération variable et de 1 350 euros à titre de congés payés afférents, et sauf en ses dispositions relatives à l’indemnité de licenciement, aux intérêts, aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT n’y avoir lieu de faire sommation à la Sas Integra LifeSciences Services de transmettre les pièces d’identité des signataires des courriers litigieux ainsi que des attestations conformes aux articles 200,202 et 203 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la Sas Integra LifeSciences Services à payer à M. [K] [O] la somme de 18 717 euros brut à titre de rappel de rémunération variable et celle de 1 871,70 euros brut à titre de congés payés afférents ;

DIT que le licenciement de M. [K] [O] est sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la Sas Integra LifeSciences Services à payer à M. [K] [O] la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

DEBOUTE M. [K] [O] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;

ORDONNE à la Sas Integra LifeSciences Services de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage effectivement versées à M. [K] [O] par suite de son licenciement et ce dans la limite de trois mois d’indemnités ;

CONDAMNE la Sas Integra LifeSciences Services à payer à M. [K] [O] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d’appel ;

DEBOUTE la Sas Integra LifeSciences Services de sa demande présentée en appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la Sas Integra LifeSciences Services aux dépens d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Viviane BODIN Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

 


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