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16 mars 2023
Cour d’appel de Grenoble
RG n°
21/02004
C 2
N° RG 21/02004
N° Portalis DBVM-V-B7F-K3JN
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET
la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section B
ARRÊT DU JEUDI 16 MARS 2023
Appel d’une décision (N° RG 19/00311)
rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 01 avril 2021
suivant déclaration d’appel du 29 avril 2021
APPELANT :
Monsieur [S] [E]
né le 29 Décembre 1973 à Valence
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me Anaïs BIANCHI, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMEE :
Société SNCF VOYAGEURS venant aux droits de L’E.P.I.C. SNCF MOBILITES, représentée par son représentant légal demeurant en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Marie GIRARD-MADOUX de la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHAMBERY substitué par Me Gaëlle ACHAINTRE, avocat au barreau de CHAMBERY
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 25 janvier 2023,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère chargée du rapport et M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;
Puis l’affaire a été mise en délibéré au 16 mars 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L’arrêt a été rendu le 16 mars 2023.
EXPOSE DU LITIGE’:
Le 11 juin 2001 M. [S] [E] a été embauché par l’établissement public à caractère industriel ou commercial (EPIC) SNCF Mobilités, aux droits duquel est venue la société anonyme (SA) SNCF Voyageurs, dans le cadre d’un «’contrat d’embauche cadre permanent’» en qualité d’attaché opérateur affecté au service des trains de [Localité 5] comme agent commercial trains.
Ce contrat de travail à durée indéterminée est soumis aux règles fixées par le statut de la SNCF référentiel RH 00001.
Au dernier état de la relation contractuelle, M. [S] [E] exerçait les fonctions d’agent de service commercial des trains, qualification B, niveau 02, position 11, échelon 06 de la convention collective nationale de la branche ferroviaire avec une rémunération brute de base de 1’675,64 euros hors prime.
Du 6 janvier 2017 au 29 juin 2018, M. [S] [E] a bénéficié d’un congé individuel de formation en vue de préparer le Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du sport (BPJEPS).
Dans le cadre de cette formation M. [S] [E] envisageait d’effectuer un premier stage du 9 juillet au 3 août 2018 dans le cadre d’un contrat d’engagement éducatif, lequel devait être suivi d’un second stage en août 2018.
Par courrier en date du 19 juin 2018, M. [S] [E] a été convoqué à deux visites médicales’fixées le 2 juillet 2018 au centre d’aptitude à la sécurité et le 5 juillet 2018 avec le médecin du travail.
Le 28 juin 2018, M. [S] [E] a remis une demande de prolongation de congé de disponibilité pour une période de trois mois, du 29 juin au 1er octobre 2018, pour convenance personnelle avec le motif suivant’: «’finir mon stage de direction de centre de loisirs pour valider mon diplôme commencé lors de mon AGECIF’».
A l’issue de la visite médicale d’aptitude sécurité du 2 juillet 2018, le médecin a conclu à une inaptitude de M. [S] [E] aux fonctions de contrôleur jusqu’au 2 octobre 2018, le salarié ayant refusé de se soumettre à une prise de sang.
Lors de la visite médicale en date du 5 juillet 2018, M. [S] [E] a été déclaré apte à son travail.
Au cours d’un entretien du 6 juillet 2018, M. [W], directeur des ressources humaines a refusé la demande de congé de disponibilité de M. [S] [E].
M. [S] [E] a été absent de son poste de travail du 9 juillet au 9 août 2018.
Par courrier en date du 17 juillet 2018, l’EPIC SNF Mobilités a sollicité de M.'[S]'[E] des explications sur son absence. Le salarié a expliqué par note du’23’juillet 2018 que son absence était justifiée par le congé sans solde que l’entreprise s’était engagée à lui accorder.
Par courrier en date du 19 juillet 2018, M. [S] [E] a été convoqué par l’EPIC SNCF Mobilités à un entretien préalable à une éventuelle sanction fixé le 26 juillet 2018.
Par courrier en date du 31 juillet 2018, l’EPIC SNCF Mobilités a notifié à M.'[S]'[E] une mise à pied avec sursis pour avoir «’refusé de [se] soumettre aux examens demandés, ne permettant pas au médecin de se prononcer sur votre aptitude physique et induisant de fait une inaptitude jusqu’au 02/10/2018’».
M. [S] [E] a contesté cette sanction par courrier du 6 août 2018.
Par lettre de confirmation en date du 31 août 2018, M. [S] [E] s’est vu notifier la sanction de « mise à pied de 1 jour ouvré avec sursis ».
En date du 16 août 2018, M. [S] [E] a bénéficié d’une nouvelle visite médicale de reprise d’aptitude à la sécurité, au terme de laquelle le médecin l’a déclaré à nouveau inapte. M. [S] [E] a formé un recours contre cet avis par courrier en date du’28’septembre’2018 et a demandé le bénéfice d’une nouvelle visite médicale. Cette demande a été acceptée en date du 10 décembre 2018 par la Commission ferroviaire. M.'[S]'[E] ne s’y est pas rendu, la relation de travail ayant été rompue avant.
En parallèle, par courrier en date du 31 juillet 2018, M. [S] [E] a été convoqué par l’EPIC SNCF Mobilités à un entretien préalable en vue d’une éventuelle radiation des cadres fixé au 10 août 2018.
Par courrier en date du 5 septembre 2018, M. [S] [E] a été convoqué devant le Conseil de discipline pour une audience fixée le 25 septembre 2018.
Par courrier en date du 15 octobre 2018, il s’est vu notifier sa radiation des cadres pour avoir manqué de se présenter à son poste du 9 juillet au 9 août 2018.
Par courrier en date du 23 octobre 2018, M. [S] [E] a sollicité du directeur régional le réexamen de sa situation, ce qui n’aboutira pas à un abaissement de la sanction disciplinaire.
M. [S] [E] a ensuite porté sa demande auprès du Président Directeur Général de SNCF Mobilités, lequel a rejeté la demande d’abaissement de la sanction par courrier du 3 janvier 2019.
Le 30 octobre 2018, l’EPIC SNCF Mobilités a remis à M. [S] [E] ses documents de fin de contrat.
Par requête en date du 15 avril 2019, M. [S] [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble afin de contester la rupture de son contrat de travail et d’obtenir paiement de sommes salariales et indemnitaires au titre d’une rupture abusive.
La société SNCF Voyageurs s’est opposée aux prétentions adverses.
Par jugement en date du 1er avril 2021, le conseil de prud’hommes de Grenoble a’:
– dit que la sanction de mise à pied d’un jour ouvré avec sursis est abusive,
– condamné la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilité, à verser à M.'[S] [E] la somme de’:
– 1’500,00 € (mille cinq cents euros) à titre de dommages et intérêts pour sanction abusive,
– 1’000,00 € (mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Lesdites sommes avec intérêts de droit à la date du jugement,
– débouté M. [S] [E] de ses autres demandes,
– condamné la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités aux entiers dépens.
La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 2 avril 2021 pour M. [S] [E], sans date pour la société SNCF Voyageurs SA.
Par déclaration en date du 29 avril 2021, M. [S] [E] a interjeté appel à l’encontre dudit jugement.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 22 novembre 2022, M.'[S] [E] sollicite de la cour de’:
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– Dit que la sanction de mise à pied d’un jour ouvré avec sursis est abusive
– Condamné la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilité à verser à Monsieur [E] la somme de :
– 1 500 € à titre de dommages et intérêts pour sanction abusive,
– 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile. l’annulation de la mise à pied disciplinaire notifiée à M. [S] [E] le 31 juillet 2018
Lesdites sommes avec intérêts de droit à la date du jugement.
Réformer le jugement entrepris pour le surplus et statuant à nouveau,
– Débouter la SA SNCF Voyageurs de l’intégralité de ses demandes
– Juger que la radiation des cadres de M. [S] [E] est abusive et particulièrement disproportionnée,
En conséquence,
– Condamner la SA SNCF Voyageurs à payer à M. [S] [E] les sommes suivantes :
– 35 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour radiation abusive ;
– 3 387,28 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 338,73’€ bruts au titre des congés payés afférents ;
– 10 435,34 € nets à titre d’indemnité légale de licenciement.
– Juger que M. [S] [E] a subi un préjudice moral en raison de l’acharnement de la SA SNCF Voyageurs à son égard.
En conséquence,
– Condamner la SA SNCF Voyageurs à payer à M. [S] [E] la somme de 10 000 € nets au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.
– Condamner la SA SNCF Voyageurs à payer à M. [S] [E] la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 27 octobre 2021, la SA SNCF Voyageurs, venue aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités sollicite de la cour de’:
Vu le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Grenoble le 1er avril 2021,
Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Grenoble le 1er avril 2021 en ce qu’il a:
«’- Dit que la sanction de mise à pied d’un jour ouvré avec sursis est abusive,
– Condamné la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités à verser à M. [S] [E] la somme de :
– 1 500 € à titre de dommages et intérêts pour sanction abusive,
– 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Outre intérêts au taux légal à la date du jugement.
– Condamné la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités aux entiers dépens.»
Le confirmer pour le surplus,
En conséquence et statuant à nouveau,
– Débouter M. [S] [E] de l’ensemble de ses demandes,
– Condamner M. [S] [E] aux dépens.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article’455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 24 novembre 2022.
L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 25 janvier 2023, a été mise en délibérée au 16 mars 2023.
MOTIFS DE L’ARRÊT
Sur la contestation de la mise à pied disciplinaire’:
L’article L 1333-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.
L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.
Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
L’article L 1333-2 du même code précise que le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
L’article 12.1 du GRH00006 «’principes de comportement, prescriptions applicables au personnel des EPICs constituant le Groupe Public Ferroviaire’» énonce que’:
« 12.1 Obligation de répondre aux convocations d’ordre médical ou psychologique
Se présenter à un examen médical ou à un bilan d’évaluation psychologique en vue de vérifier l’aptitude médicale ou professionnelle constitue une obligation de service. ».
En l’espèce, par courrier en date du 31 juillet 2018, l’employeur a notifié à M. [E] une mise à pied disciplinaire avec sursis au motif qu’il a «’refusé de vous (se) soumettre aux examens qui vous (lui) ont été demandé, ne permettant pas au médecin de se prononcer sur votre (son) aptitude physique et induisant de fait une inaptitude jusqu’au 02/10/2018. Non-respect de l’article 12.1 du GRH00006’», le responsable des relations sociales Rhône Alpes ayant confirmé une sanction disciplinaire de mise à pied de 1 jour ouvré avec sursis ensuite d’une contestation du salarié par lettre du 31 août 2018.
Ladite sanction disciplinaire ne peut qu’être annulée en ce que’:
– le courrier de notification du 31 juillet 2018 ne comporte pas la durée de la mise à pied disciplinaire avec sursis, le fait que le statut ne prévoit s’agissant du sursis que la sanction de la mise à pied d’un jour ouvré et que le salarié n’ait pas fait valoir cet argument dans le cadre de sa contestation étant sans portée dès lors qu’une mise à pied disciplinaire avec sursis sans mention de durée est justement une sanction irrégulière puisque non prévue par le statut et qu’il appartient à l’employeur, dès la notification initiale de la sanction, d’informer précisément le salarié de la nature exacte et précise de la sanction prise, sauf à faire perdre à l’agent la possibilité de pouvoir exercer, dans le cadre de l’article 5 du statut, un appel ou un réexamen pleinement utile à l’encontre de la mesure décidée à son égard
– M. [E] s’est bien rendu à la visite médicale du 02 juillet 2018. S’il est acquis qu’il a refusé de se soumettre à une prise de sang, il justifie pour autant, au vu du certificat médical dressé le 21 septembre 2018 par le Dr [K] psychiatre, d’une phobie sévère du sang et des prises de sang. Si le salarié n’a fait état de cette pathologie psychique que par courrier du 28 septembre 2018 dans le cadre de son recours devant la commission ferroviaire d’aptitude ensuite d’une seconde convocation à un examen médical pour le 16 août 2018, il avait pour autant mis en avant, lors de la demande d’explications écrites du 06 juillet précédant la procédure disciplinaire initiée à son encontre le 19 juillet 2018 le secret médical, qui l’autorisait incontestablement à ne pas être tenu de porter à la connaissance de l’employeur la pathologie psychique dont il souffrait, étant observé que M. [E] met l’accent sur le fait que l’arrêté du 07 mai 2015 relatif aux tâches essentielles pour la sécurité ferroviaire autre que la conduite des trains prévoit expressément que l’examen pour la détection du diabète sucré et d’autres pathologies en fonction des indications de l’examen clinique s’effectue soit par analyse de sang soit par analyse d’urine, aucune pièce produite ne permettant de considérer que cette alternative ait été envisagée et que M. [E] s’y soit opposé.
Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la sanction de mise à pied disciplinaire est abusive et a condamné la société SNCF Voyageurs à payer à M. [E] la somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre, les premiers juges ayant fait une exacte appréciation du préjudice moral subi.
Sur la radiation des cadres’:
D’une première part, l’article 10 du chapitre 7 du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel, intitulé «’Délai-congé’», prévoyant qu’ «’en cas de faute grave (entraînant le congédiement par mesure disciplinaire, radiation des cadres ou révocation), la cessation de service intervient sans délai-congé’», il s’en déduit qu’en notifiant à l’agent sa radiation des cadres de la société, l’employeur lui a reproché une faute grave.
D’une seconde part, l’article L 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
La faute grave est définie comme celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.
La charge de la preuve de la faute grave incombe à l’employeur, qui doit prouver à la fois la faute et l’imputabilité au salarié concerné.
La procédure pour licenciement pour faute grave doit être engagée dans un délai restreint après la découverte des faits.
En vertu de l’article L. 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement fixe les termes du litige.
En l’espèce, par courrier en date du 15 octobre 2018, M. [E] s’est vu notifier par son employeur sa radiation des cadres au motif qu’il ne s’est pas présenté à son poste de travail du 09 juillet au 09 août 2018, en contrariété avec l’article 7 du GH006.
D’une première part, la cour ne peut qu’observer que la période visée par la lettre de licenciement est incluse dans la période qualifiée d”’inaptitude’ dans la demande d’explications du 06 juillet 2018 prononcée par le médecin jusqu’au 2 octobre 2018 aux termes de l’avis rendu le 02 juillet 2018 ensuite d’un examen médical pour lequel il n’a pas été retenu de comportement fautif de la part de M. [E] s’agissant du refus exprimé d’une prise de sang de sorte que pour ce seul motif son absence ne saurait être considérée comme injustifiée.
D’une seconde part, si la société SNCF Voyageurs établit qu’à l’issue de son congé individuel de formation s’étant déroulé du 06 janvier 2017 au 29 juin 2018, M. [E] a sollicité le 28 juin 2018 un congé de disponibilité à compter du 30 juin 2018 sans respecter le délai d’un mois énoncé à l’article 77 de la RH0143 relative aux congés du personnel du cadre permanent et qu’il s’était d’ores et déjà engagé par contrat d’engagement éducatif signé le 30 mai 2018 avec l’amicale du personnel du CHU de [Localité 5] pour la période du 09 juillet au 03 août 2018, soit postérieurement à la fin de son congé initial de formation, il y a lieu toutefois d’observer que l’employeur a manifestement fait preuve de déloyauté contractuelle en adoptant à plusieurs reprises une position qui permettait légitimement au salarié de considérer qu’il avait un accord de principe pour poursuivre sa formation en vue de préparer le brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport postérieurement au 29 juin 2018 en ce que’:
– M. [L], assistant technique RH Trains, par courriel du 19 juin 2018 avec M. [W], responsable des ressources humaines en copie, a expliqué à M. [E], que les convocations adressées pour les visites médicales des 2 et 5 juillet 2018 étaient liées au fait que sa visite périodique arrivait à échéance le 25 mars 2018 et que son aptitude à la sécurité était suspendue depuis le 16 décembre 2014, ajoutant que «’ces visites vous permettront d’être à jour au niveau médical et vous éviteront d’appréhender votre retour en septembre lors de votre reprise’»’;
– en réponse à une interrogation de M. [E] par courriel du 28 juin 2018, M. [W] étant encore en copie, faisant valoir son incompréhension sur le fait de le convoquer à des visites médicales alors qu’il doit enchaîner sur un congé sans solde jusqu’en octobre à la suite de son CIF pour finir sa formation dans l’optique d’un poste de direction au centre de loisirs du CHU de [Localité 5], M. [L] lui a répondu avec M. [W] en copie que «’afin de libérer le plus de temps possible pour votre stage, je vous informe qu’exceptionnellement, nous acceptons de vous placer en situation d’absence sans solde entre chaque date de visite et avant l’acceptation de votre congé de disponibilité. Votre présence dans l’entreprise se limiterait donc dans un premier temps aux 02 et 05 juillet.’»
– par courrier en date du 27 juin 2018, M. [W] a écrit au salarié pour lui rappeler l’obligation de se présenter aux visites médicales nonobstant son souhait de prendre un congé de disponibilité pour convenances personnelles du 29 juin au 1er octobre 2018, terminant pour autant ainsi la correspondance’: «’de plus, je vous précise que l’instruction d’une demande de congés de disponibilité nécessite un délai d’un mois. L’étude bienveillante de votre demande de congés de disponibilité devrait pouvoir recevoir une suite favorable à partir du 7 juillet pour vous permettre de vous présenter aux examens médicaux programmés.’»
– M. [E] souligne à juste titre qu’à l’issue de l’examen du 02 juillet 2018, lors duquel il a refusé une prise de sang, il a été déclaré inapte physique sécurité jusqu’au 02 octobre 2018, date qui correspond exactement à celle de la fin du congé de disponibilité sollicité
– aucune notification écrite de refus du congé de disponibilité n’a été notifiée au salarié, notamment à raison du non-respect du délai d’instruction d’un mois, alors même que le formulaire de demande comporte un encadré «’décision de l’autorité habilitée’», M. [E] se prévalant, dans un courrier du 06 juillet 2018 à M. [W] uniquement, d’un entretien informel du même jour aux termes duquel le congé litigieux lui a été refusé.
Dès lors que la société SNCF Voyageurs a exécuté de manière déloyale le contrat de travail en prenant à plusieurs reprises des positions laissant penser à M. [E] que sa demande de disponibilité pour convenances personnelles allait faire l’objet d’une suite favorable, le refus de M. [E] de se soumettre à une prise de sang, le 05 juillet 2018, ayant manifestement conduit l’employeur à changer de position alors même qu’il est jugé que le salarié avait un motif légitime pour s’opposer à cet examen et n’a dès lors commis aucune faute, il ne saurait être retenu que l’absence de M. [E] à son poste de travail du 09 juillet au 09 août 2018 revêtait un caractère fautif.
Sans qu’il soit nécessaire d’analyser les moyens tirés de l’irrégularité de la procédure conventionnelle de licenciement suivie et de la volonté alléguée de l’employeur de réduire ses effectifs, infirmant le jugement entrepris, il convient de déclarer injustifiée la décision de radiation des cadres prise le 15 octobre 2018 à l’encontre de M. [E].
Sur le préjudice moral’:
En application de l’article L 1222-1 du code du travail, indépendamment du préjudice subi par M. [E] à raison de la rupture injustifiée de son contrat de travail, l’exécution fautive et déloyale du contrat de travail par son employeur, ayant consisté à ne pas lui fournir de réponse écrite à sa demande de mise en disponibilité pour convenances personnelles, à lui avoir donné des raisons objectives de considérer que celle-ci serait accordée pour finalement qu’il n’y soit pas fait droit, et à le convoquer de nouveau à un examen médical le 16 août 2018 lors duquel il n’a toujours pas été envisagé de lui proposer une alternative à la prise de sang alors que M. [E] justifie d’un motif médical légitime pour solliciter l’examen d’urine alternatif prévu réglementairement, la commission ferroviaire d’aptitude l’autorisant, en définitive, par une décision du 10 décembre 2018, à passer un nouvel examen qui n’a pu être mis en ‘uvre à raison de la rupture du contrat de travail, a incontestablement causé un préjudice moral au salarié, indépendamment des conséquences péjoratives sur sa santé qui se rattachent à l’éventuelle reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle relevant d’une procédure spécifique.
Il lui est alloué, par infirmation du jugement entrepris, la somme de 2500 euros nets à titre de dommages et intérêts de ce chef, le surplus de la demande étant rejeté.
Sur les prétentions afférentes à la rupture injustifiée du contrat de travail’:
Premièrement, dès lors que le licenciement de M. [E] est jugé injustifié, ce dernier est fondé à solliciter la somme de 3387,26 euros bruts à titre d’indemnité conventionnelle compensatrice de préavis, outre 338,73 euros bruts au titre des congés payés afférents, ainsi qu’une indemnité de licenciement à hauteur de 10435,34 euros nets.
Deuxièmement, l’article L 1235-3 du code du travail énonce que’:
Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau figurant à la suite de la cette disposition.
Par arrêt en date du 11 mai 2022, pourvoi n°21-14490, publié au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi jugé s’agissant de la conventionalité des barèmes au regard de l’article 10 de la convention n°158 ratifiée par la France dans le cadre de l’organisation internationale du travail (OIT)’:
«’en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte. Pour déterminer le montant de l’indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture, à l’exception de l’indemnité de licenciement mentionnée à l’article L. 1234-9. Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au même article.
Aux termes de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (l’OIT), si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.
Les stipulations de cet article 10 qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l’encontre d’autres particuliers et qui, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale de la convention, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire, sont d’effet direct en droit interne (voir également : Assemblée plénière, avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, n° 19-70.010 et n° 19-70.011). En effet, la Convention n° 158 de l’OIT précise dans son article 1er : « Pour autant que l’application de la présente convention n’est pas assurée par voie de conventions collectives, de sentences arbitrales ou de décisions judiciaires, ou de toute autre manière conforme à la pratique nationale, elle devra l’être par voie de législation nationale. ».
Selon la décision du Conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail, ayant adopté en 1997 le rapport du Comité désigné pour examiner une réclamation présentée en vertu de l’article 24 de la Constitution de l’OIT par plusieurs organisations syndicales alléguant l’inexécution par le Venezuela de la Convention n° 158, le terme « adéquat » visé à l’article 10 de la Convention signifie que l’indemnité pour licenciement injustifié doit, d’une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d’autre part raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.
A cet égard, il convient de relever qu’aux termes de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’article L. 1235-3 de ce code n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :
1° La violation d’une liberté fondamentale ;
2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;
3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;
4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;
5° Un licenciement d’un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l’exercice de son mandat ;
6° Un licenciement d’un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la qualification de liberté fondamentale est reconnue à la liberté syndicale, en vertu de l’alinéa 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (Soc., 2 juin 2010, pourvoi n° 08-43.277 ; Soc., 9 juillet 2014, pourvois n° 13-16.434, 13-16.805, Bull. 2014, V, n° 186), au droit de grève protégé par l’alinéa 7 du même Préambule (Soc., 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-20.527, Bull. 2015, V, n° 236), au droit à la protection de la santé visé par l’alinéa 11 du même Préambule (Soc., 11 juillet 2012, pourvoi n° 10-15.905, Bull. 2012, V, n° 218 ; Soc., 29 mai 2013, pourvoi n° 11-28.734, Bull. 2013, V, n° 136), au principe d’égalité des droits entre l’homme et la femme institué à l’alinéa 3 du même Préambule (Soc., 29 janvier 2020, pourvoi n° 18-21.862, publié), au droit à un recours juridictionnel en vertu de l’article 16 de la Déclaration de 1789 (Soc., 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-11.122, publié), à la liberté d’expression, protégée par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Soc., 30 juin 2016, pourvoi n° 15-10.557, Bull. 2016, V, n° 140 ; Soc., 19 janvier 2022, pourvoi n° 20-10.057, publié).
En application de l’article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut faire l’objet d’une discrimination en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d’un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.
Les protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13 du code du travail concernent la protection de la grossesse et de la maternité, la prise d’un congé d’adoption, d’un congé de paternité, d’un congé parental, d’un congé pour maladie d’un enfant et la protection des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles.
Par ailleurs, selon l’article L. 1235-4 du code du travail, dans le cas prévu à l’article L. 1235-3 du même code, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Il en résulte, d’une part, que les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations ci-dessus énumérées, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.
Il en résulte, d’autre part, que le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions précitées de l’article L. 1235-4 du code du travail.
Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.
Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée.
Pour autant, lors de la 344ème session de son conseil d’administration, le conseil d’administration de l’OIT a adopté le rapport du comité d’experts chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par la France de la convention n°158 sur le licenciement de 1982, qui a abouti aux conclusions suivantes :
«’ le comité observe que la réparation intégrale peut être distinguée de la réparation adéquate ou appropriée et en tout cas s’imposer dans les cas mettant en cause un droit fondamental, et que le droit français s’inscrit dans ce cadre, l’article L. 1235-3-1 du code du travail écartant l’application du barème pour tous les cas de nullité du licenciement au rang desquels figure la violation d’une liberté fondamentale.
73. Cela étant, le comité estime que la question qui se pose est celle de savoir si le juge reste en mesure de prendre en compte la situation individuelle et personnelle du salarié, comme celle de l’entreprise, afin de garantir au travailleur licencié une réparation adéquate de son préjudice, au sens de l’article 10 de la convention. L’existence du barème empêche-t-elle le juge de prendre en compte d’autres éléments déterminant le préjudice subi par le salarié injustement licencié
74. À cet égard, le comité note que l’indemnité versée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse est, selon le dernier alinéa de l’article L. 1235-3, cumulable, le cas échéant, avec plusieurs autres catégories d’indemnités pouvant être accordées par le juge, à savoir :
‘ l’indemnité accordée au salarié compris dans un licenciement pour motif économique, en cas de non-respect par l’employeur des procédures de consultation des instances de représentation du personnel ou d’information de l’autorité administrative (article L. 1235-12);
‘ l’indemnité accordée au salarié en cas de non-respect par l’employeur de la priorité de réembauche (article L. 1235-13);
‘ l’indemnité accordée au salarié en cas de procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où le comité social et économique n’a pas été mis en place, alors que l’entreprise est assujettie à cette obligation, et qu’aucun procès-verbal de carence n’a été établi (article L. 1235-15).
75. Le comité note cependant que, selon les termes du dernier alinéa de l’article L. 1235-3, ce cumul ne peut intervenir que dans la limite des montants maximaux indiqués.
76. Le comité note également, d’après les informations fournies par le gouvernement et le rapport commun aux demandes d’avis de la Cour de cassation, que la chambre sociale de la Cour de cassation admet, dans certaines circonstances, que le salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse peut prétendre à des dommages-intérêts distincts de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en cas de comportement fautif de l’employeur dans les circonstances ou les conséquences de la rupture (par exemple licenciement prononcé par l’employeur dans des conditions vexatoires, atteinte à la dignité du salarié, préjudice moral), indépendamment de la justification du licenciement. Dans ce cas, les indemnités pour préjudice distinct n’ont pas à être prises en considération dans les limites maximales d’indemnisation de l’article L. 1235-3 du code du travail, à la différence des indemnités des articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15 du code du travail.
77. Le comité observe néanmoins que la prise en compte de tels éléments susceptibles de donner lieu à une réparation déplafonnée n’est guère pertinente dans le cadre de la question posée de la conformité du dispositif d’indemnisation à l’article 10 de la convention, puisqu’ils concernent non pas la réparation pour licenciement injustifié, mais celle d’un préjudice distinct résultant d’une faute de l’employeur distincte du caractère injustifié du licenciement.
78. Le comité note que, si la «barémisation» entraîne de fait une désindividualisation de la réparation du préjudice, le juge a toutefois la possibilité de déterminer le montant de l’indemnité en tenant compte d’autres critères que celui de l’ancienneté prévu par le barème. Ainsi, le Conseil constitutionnel français a relevé qu’il appartenait au juge de tenir compte de la situation personnelle du salarié: «il appartient au juge, dans les bornes de ce barème, de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu’il fixe l’indemnité due par l’employeur» (Cons. const., 21 mars 2018, n°2018-761 DC, cons. 89).
79. Cela étant, le comité note que, si la marge d’appréciation des juges du fond reste possible de façon à pouvoir tenir compte de situations individuelles et personnelles, le pouvoir d’appréciation du juge en la matière apparaît ipso facto contraint, puisqu’il s’exerce dans les limites de la fourchette du barème établie par la loi. Tout en notant que le gouvernement indique que les montants correspondent aux «moyennes constatées» des indemnités accordées par les juridictions avant la réforme, le comité considère qu’il n’est pas a priori exclu que, dans certains cas, le préjudice subi soit tel qu’il puisse ne pas être réparé à la hauteur de ce qu’il serait «juste» d’accorder, pour des motifs divers, comme par exemple l’ancienneté du salarié, la possibilité de retrouver un emploi, sa situation de famille, etc. Le caractère «ramassé» de la fourchette plafonnée à vingt mois limite aussi la possibilité pour le juge de tenir compte de ces situations individuelles et personnelles
80. Au vu de ce qui précède, le comité considère ‘ en dehors des cas de licenciement mettant en cause un droit fondamental pour lesquels le principe de la réparation intégrale est acquis et indépendamment de la réparation pour préjudice distinct ‘ que la conformité d’un barème, et donc d’un plafonnement, avec l’article 10 de la convention, dépend du fait que soit assurée une protection suffisante des personnes injustement licenciées et que soit versée, dans tous les cas, une indemnité adéquate.
81. Dans ces conditions, le comité invite le gouvernement à examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du dispositif d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3, de façon à assurer que les paramètres d’indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif.’».
Si cette décision du comité d’experts n’est certes pas une décision émanant d’une juridiction supranationale s’imposant au juge français, elle a toutefois une autorité significative et le juge français peut, voire, doit y recourir afin d’interpréter une convention ratifiée par la France dans le cadre de l’Organisation internationale du travail dont il a comme en l’espèce reconnu un effet direct dans un litige entre deux particuliers. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 novembre 2018, 17-18.259, Publié au bulletin).
Surtout, lors de sa session, le Conseil d’administration de l’OIT n’a pas seulement adopté le rapport du Comité d’expert mais a également décidé :
«’b) de demander au gouvernement de tenir compte, dans le cadre de l’application de la convention n°158, des observations formulées aux paragraphes 54, 58, 80 et 81 des conclusions du comité;
c) d’inviter le gouvernement à fournir des informations à ce sujet, pour examen et suivi ultérieur, le cas échéant, par la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations;
d) de rendre public le rapport et déclarer close la procédure de réclamation.’».
Il est dès lors mis à la charge du Gouvernement français une obligation particulière dans le cadre de l’application de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT par le Conseil d’administration de l’OIT.
Par ailleurs, par arrêt en date du 11 mai 2022 (pourvoi n°21-15247), la Cour de cassation a décidé que’:
«’ 9. D’une part, aux termes de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable au litige, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.
10. Selon l’article L. 1235-3-1 du code du travail, dans sa version en vigueur du 24 septembre 2017 au 22 décembre 2017, l’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées à l’alinéa précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d’une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4, à un licenciement discriminatoire dans les conditions prévues aux articles L. 1134-4 et L. 1132-4 ou consécutif à une action en justice, en matière d’égalité professionnelle entre hommes et femmes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3 et en cas de dénonciation de crimes et délits, ou à l’exercice d’un mandat par un salarié protégé mentionné au chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie, ainsi qu’aux protections dont bénéficient certains salariés en application des articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
11. D’autre part, dans la partie I de la Charte sociale européenne, « les Parties reconnaissent comme objectif d’une politique qu’elles poursuivront par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l’exercice effectif des droits et principes » ensuite énumérés, parmi lesquels figure le droit des travailleurs à une protection en cas de licenciement.
12. Selon l’article 24 de cette même Charte, « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :
a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;
b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial. »
13. L’annexe de la Charte sociale européenne précise qu’il « est entendu que l’indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales. »
14. L’article 24 précité figure dans la partie II de la Charte sociale européenne qui indique que « les Parties s’engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes » qu’elle contient.
15. Dans la Partie III de la Charte, il est indiqué que « chacune des Parties s’engage :
a) à considérer la partie I de la présente Charte comme une déclaration déterminant les objectifs dont elle poursuivra par tous les moyens utiles la réalisation, conformément aux dispositions du paragraphe introductif de ladite partie ;
b) à se considérer comme liée par six au moins des neuf articles suivants de la partie II de la Charte : articles 1, 5, 6, 7, 12, 13, 16, 19 et 20 ;
c) à se considérer comme liée par un nombre supplémentaire d’articles ou de paragraphes numérotés de la partie II de la Charte, qu’elle choisira, pourvu que le nombre total des articles et des paragraphes numérotés qui la lient ne soit pas inférieur à seize articles ou à soixante-trois paragraphes numérotés. »
16. Il résulte de la loi n° 99-174 du 10 mars 1999, autorisant l’approbation de la Charte sociale européenne, et du décret n° 2000-110 du 4 février 2000 que la France a choisi d’être liée par l’ensemble des articles de la Charte sociale européenne.
17. L’article I de la partie V de la Charte sociale européenne, consacrée à la « Mise en oeuvre des engagements souscrits » prévoit que « les dispositions pertinentes des articles 1 à 31 de la partie II de la présente Charte sont mises en oeuvre par :
a) la législation ou la réglementation ;
b) des conventions conclues entre employeurs ou organisations d’employeurs et organisations de travailleurs ;
c) une combinaison de ces deux méthodes ;
d) d’autres moyens appropriés. »
18. Enfin, l’annexe de la Charte sociale européenne mentionne à la Partie III : « Il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l’application est soumise au seul contrôle visé par la partie IV » qui prévoit un système de rapports périodiques et de réclamations collectives.
19. Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, les stipulations d’un traité international, régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne conformément à l’article 55 de la Constitution, sont d’effet direct dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elles n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers.
20. Il résulte des dispositions précitées de la Charte sociale européenne que les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application selon les modalités rappelées aux paragraphes 13 et 17 du présent arrêt et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique rappelé au paragraphe 18 (Assemblée plénière, avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, n° 19-70.010 et n° 19-70.011 ; 1re Civ., 21 novembre 2019, pourvoi n° 19-15.890, publié).
21. C’est dès lors à bon droit que la cour d’appel a retenu que, les dispositions de la Charte sociale européenne n’étant pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l’invocation de son article 24 ne pouvait pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail et qu’il convenait d’allouer en conséquence à la salariée une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.
22. La Charte sociale européenne ayant été adoptée par les Etats membres du Conseil de l’Europe, la seconde branche du moyen, fondée sur des principes tirés du droit de l’Union européenne, est inopérante.
23. Le moyen n’est donc pas fondé.’».
Toutefois, dans une décision Syndicat CFDT de la métallurgie de la Meuse v. France, réclamation n°175/2019 cc-175-2019 du 05 juillet 2022 rendue publique 30 novembre 2022, le comité des droits sociaux a ainsi conclu’:
«’ Dans ses arguments, la CFDT de la métallurgie de la Meuse indique que les réformes introduites par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 à l’article L.1235-3 du code du travail, ainsi que sa mise en ‘uvre, violent l’article 24 de la Charte.
Le Comité rappelle qu’en vertu de l’article 24.b de la Charte, les États parties doivent reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
Un système d’indemnisation est jugé conforme à la Charte s’il prévoit :
l’indemnisation de la perte financière encourue entre la date du licenciement et celle de la décision de l’organe de recours ;
la possibilité de réintégration du salarié ; et/ou
une indemnité d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et réparer le préjudice subi par la victime (Finnish Society of Social Rights c. Finlande, réclamation no 106/2014, op.cit., par. 45 ; Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) c, Italie, réclamation no 158/2017, op.cit., par. 87). Les indemnités en cas de licenciement abusif doivent être à la fois proportionnelles au préjudice subi par la victime et suffisamment dissuasives pour l’employeur. (Conclusions 2016, Macédoine du Nord, article 24). Tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont pas suffisamment dissuasives est contraire à l’article 24 de la Charte (Finnish Society of Social Rights c. Finlande, réclamation no 106/2014, op.cit.). En cas de plafonnement des indemnités accordées en compensation du préjudice matériel, la victime doit pouvoir demander réparation pour le préjudice moral subi par d’autres voies juridiques, et les juridictions compétentes pour accorder une indemnisation pour le préjudice matériel et moral subi doivent se prononcer dans un délai raisonnable (Conclusions 2012, Slovénie; Conclusions 2012, Finlande).
Aux fins de l’appréciation de la présente réclamation, le Comité entend se concentrer sur la question de savoir si l’article L.1235-3 du code du travail respecte les conditions de réintégration et d’une indemnisation adéquate énoncées aux point (b) et (c) ci-dessus.
Réintégration
S’agissant de la question de la réintégration, le Comité constate qu’en droit français, la réintégration est facultative pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse. Selon l’article L.1235-3 du code du travail, si un salarié est licencié pour une cause non réelle et sérieuse, le tribunal peut proposer qu’il soit réintégré, avec maintien de tous ses avantages acquis, et si l’une des parties s’oppose à cette réintégration, le tribunal accorde à la place au salarié une indemnité. En ce qui concerne la réintégration dans les cas de licenciements abusifs les plus graves, qui sont nuls et non avenus, l’article L.1235-3-1 du code du travail prévoit que, dans ces cas, lorsque le salarié ne demande pas la réintégration ou que sa réintégration est impossible, le juge lui accorde une indemnité.
À cet égard, le Comité renvoie à sa décision relative à l’affaire Finnish Society of Social Rights c. Finlande, réclamation no 106/2014, op.cit., par. 55 : « ‘bien que l’article 24 de la Charte ne fasse pas expressément référence à la réintégration, il se réfère à une indemnisation ou à une autre réparation appropriée. Le Comité considère qu’une autre réparation appropriée doit inclure la réintégration comme l’un des modes de réparation dont les juridictions internes peuvent disposer (‘). Il appartient aux juridictions internes de décider si la réintégration est appropriée dans le cas d’espèce ».
Le Comité a également souligné « avoir considéré de manière constante que la réintégration doit être prévue comme mode de réparation en vertu de nombreuses autres dispositions de la Charte telle qu’interprétée par le Comité, par exemple en vertu des articles 8§2 et 27§3 » (Finnish Society of Social Rights c. Finlande, réclamation no 106/2014, op.cit., par. 55). En l’espèce, le Comité observe que la réintégration est l’un des recours possibles prévus par la loi française. Le Comité considère que tant qu’existe la possibilité pour les travailleurs licenciés sans cause réelle et sérieuse d’être réintégrés au même poste ou à un poste similaire, la situation est conforme à l’article 24.b de la Charte à cet égard.
Indemnisation adéquate
En ce qui concerne la question de l’indemnisation, le Comité renvoie à Confédération Générale du Travail Force Ouvrière (CGT-FO) c. France, réclamation n° 160/2018, et Confédération générale du travail (CGT ) c. France, réclamation n° 171/2018, décision sur le bien-fondé du 23 mars 2022, dans laquelle il a conclu à la violation de l’article 24.b de la Charte au motif que le droit à une indemnisation adéquate ou à toute autre réparation appropriée au sens de l’article 24.b de la Charte n’était pas garanti.
Le Comité a considéré que des plafonds d’indemnisation fixés par l’article L.1235-3 du code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur. En outre, le juge ne dispose que d’une marge de man’uvre étroite dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés. Pour cette raison, le préjudice réel subi par le travailleur en question, lié aux circonstances individuelles de l’affaire peuvent être prises en compte de manière inadéquate et, par conséquent, ne pas être corrigées.
A cet égard, le Comité a pris connaissance de la récente décision de la Cour de cassation (Chambre Sociale, arrêt du 11 mai 2022, pourvois n° 21-14.490 et 21-15.247) qui, en rejetant la demande du requérant relative aux plafonds fixés par le code du travail, a considéré que la Charte s’inscrit dans une « logique programmatique » et que son article 24 n’a pas d’effet direct en droit français. En outre, la Cour a estimé que les décisions du Comité ne sont pas de nature juridictionnelle et ne sont donc pas contraignantes pour les Etats parties. Tout cela a conduit la Cour de cassation à conclure que l’article 24 de la Charte ne peut pas être invoqué par les travailleurs ou les employeurs dans les litiges portés devant les tribunaux.
Le Comité prend note de l’approche adoptée par la Cour de cassation. Il rappelle que la Charte énonce des obligations de droit international qui sont juridiquement contraignantes pour les États parties et que le Comité, en tant qu’organe conventionnel, est investi de la responsabilité d’évaluer juridiquement si les dispositions de la Charte ont été appliquées de manière satisfaisante. Le Comité considère qu’il appartient aux juridictions nationales de statuer sur la question en cause (in casu, une indemnisation adéquate) à la lumière des principes qu’il a énoncés à cet égard ou, selon le cas, qu’il appartient au législateur français de donner aux juridictions nationales les moyens de tirer les conséquences appropriées quant à la conformité à la Charte des dispositions internes en cause (voir mutatis mutandis, Confédération des entreprises suédoises c. Suède, réclamation n° 12/2002, décision sur le bien-fondé du 22 mai 2003, par. 43).
Le Comité considère à la lumière de l’ensemble des éléments ci-dessus que, du fait que dans l’ordre juridique interne français, l’article 24 ne peut être directement appliqué par les juridictions nationales pour garantir une indemnisation adéquate aux travailleurs licenciés sans motif valable, le droit à une indemnité au sens de l’article 24.b de la Charte n’est pas garantie en raison des plafonds fixés par l’article L.1235-3 du code du travail.
Le Comité dit qu’il y a violation de l’article 24.b de la Charte à cet égard.’».
Il se déduit de cette décision du comité chargé par l’accord international de vérifier la bonne application par les Etats parties de la charte sociale européenne et notamment son article 24 que celle-ci énonce des obligations juridiquement contraignantes et non uniquement des principes et des objectifs.
Par ailleurs, il y a lieu de relever que dans un arrêt en date du 10 février 2014, le Conseil d’Etat (recours n° 358992) a jugé que’:
«’4. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des stipulations de l’article 2 de la convention internationale du travail n° 158 de l’Organisation internationale du travail que les Etats signataires disposent de la faculté d’exclure du champ d’application de la convention certaines catégories de travailleurs soumis à un régime spécial ; qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment des documents produits par le ministère des affaires étrangères, que la France a fait usage de cette faculté, à l’occasion de la remise de son premier rapport d’application de la convention en octobre 1991, en excluant du champ d’application de la convention les salariés du secteur public relevant ” d’un statut spécifique d’origine réglementaire ou législative ” ; que, dès lors, les agents des chambres de métiers étant soumis à un tel statut spécifique arrêté par les textes d’application de la loi du 10 décembre 1952, M. B… ne peut utilement contester la légalité des dispositions des articles 7 et 15 de la décision attaquée en ce qu’elles autorisent le licenciement d’un secrétaire général pour perte de confiance, en invoquant la méconnaissance des stipulations de cette convention ;
5. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 24 de la charte sociale européenne : ” En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître : / a. le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ; / b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. / A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial ” ; que ces stipulations, dont l’objet n’est pas de régir exclusivement les relations entre les Etats et qui ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers, peuvent être invoquées utilement par M. B…pour contester la légalité des articles 7 et 15 de la décision contestée en ce qu’ils permettent le licenciement d’un secrétaire général d’une chambre de métiers pour ” perte de confiance mettant en cause le bon fonctionnement de l’établissement ” ; qu’eu égard aux responsabilités exercées par le secrétaire général d’une chambre de métiers, aux relations de confiance qu’il doit nécessairement entretenir avec les élus de la chambre et leur président, afin que le bon fonctionnement de l’établissement public puisse être assuré, le motif de licenciement pour perte de confiance prévu par les dispositions contestées constitue, sous le contrôle du juge, un ” motif valable ” au sens des stipulations précitées de l’article 24 de la charte sociale européenne ;’».
Il se déduit de cette décision d’une première part que sont exclus du champ d’application de la convention n°158 de l’OIT les salariés du secteur public relevant «’d’un statut spécifique d’origine réglementaire ou législative’» et d’autre part, que les dispositions de l’article 24 de la charte sociale européenne n’ont pas pour objet de régir exclusivement les relations entre les Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers, la juridiction administrative suprême ayant sur ce point une appréciation divergente de celle de la Cour de cassation.
Or, en l’espèce, pour solliciter une indemnité de 35000 euros nets correspondant à plus de 20 mois de salaire alors qu’au regard de son ancienneté de plus de 17 ans, il ne peut obtenir au maximum d’après le plafond énoncé à l’article L 1235-3 du code du travail que l’équivalent en dommages et intérêts bruts de 14 mois de salaires, M. [E] se prévaut de l’inconventionnalité de cette disposition législative au regard de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT et de l’article 24 de la charte sociale européenne.
Eu égard au fait que l’employeur de M. [E] au moment du licenciement était l’établissement public à caractère industriel et commercial EPIC Mobilités aux droits duquel est venue la société SNCF Voyageurs et que le salarié exerçait notamment des missions de contrôleur, la réouverture des débats s’impose afin que les parties fournissent à la cour les explications utiles sur le fait de savoir si l’ancien employeur de M. [E] assurait la gestion d’un service public et/ou mettait en ‘uvre des prérogatives de puissance publique et selon la réponse apportée, si M. [E] peut ou non invoquer l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT qui exclut de son champ d’application certains salariés du secteur public ainsi que l’article 24 de la charte sociale européenne, jugée d’application directe dans un litige entre une entité juridique exerçant un service public et/ou titulaire de prérogatives de puissance publique, en l’occurrence une chambre des métiers et l’un de ses agents par la juridiction administrative.
Le surplus des prétentions des parties au principal et accessoire est réservé.
PAR CES MOTIFS’;
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi’;
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a’:
– dit que la sanction de mise à pied d’un jour ouvré avec sursis est abusive,
– condamné la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilité, à verser à M.'[S] [E] la somme de’:
– 1’500 € (mille cinq cents euros) à titre de dommages et intérêts pour sanction abusive,
Ladite somme avec intérêts de droit à la date du jugement,
L’INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DÉCLARE injustifiée la radiation des cadres notifiée par l’EPIC SNCF Mobilités aux droits duquel vient la société SNCF Voyageurs à M. [E] le 15 octobre 2018, la rupture s’analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse
CONDAMNE la société SNCF Voyageurs, venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités à payer à M. [E] les sommes suivantes’:
– trois mille trois cent quatre-vingt-sept euros et vingt-six centimes (3387,26 euros) bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– trois cent trente-huit euros et soixante-treize centimes (338,73 euros) bruts à titre de congés payés afférents
– dix mille quatre cent trente-cinq euros et trente-quatre centimes (10435,34 euros) à titre d’indemnité de licenciement
RAPPELLE que les intérêts légaux sur ces sommes courent à compter du 16 avril 2019
– deux mille cinq cents euros (2500 euros) nets à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral
Rappelle que les intérêts au taux légal sur cette somme court à compter du prononcé de l’arrêt
DÉBOUTE M. [E] du surplus de sa demande au titre du préjudice moral
ORDONNE le rabat de l’ordonnance de clôture et la réouverture des débats
RENVOIE l’examen de l’affaire à l’audience de mise en état du 15 juin 2023
INVITE les parties à fournir à la cour des explications utiles sur le fait de savoir si l’ancien employeur de M. [E], l’EPIC SNCF Mobilités assurait ou non la gestion d’un service public et/ou mettait ou non en ‘uvre des prérogatives de puissance publique et selon la réponse apportée, si M. [E] peut ou non invoquer l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT qui exclut de son champ d’application certains salariés du secteur public ainsi que l’article 24 de la charte sociale européenne, jugée d’application directe dans un litige entre une entité juridique exerçant un service public et/ou titulaire de prérogatives de puissance publique et l’un de ses agents par la juridiction administrative
RÉSERVE l’ensemble du surplus des prétentions des parties au principal et accessoires.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président