Affichage publicitaire : 8 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00519

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Affichage publicitaire : 8 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/00519
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8 mars 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/00519

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 08 MARS 2023

N° RG 21/00519

N° Portalis DBV3-V-B7F-UKON

AFFAIRE :

[U] [P]

C/

Société CLEAR CHANNEL FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 décembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : AD

N° RG : F 19/00800

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Khalil MIHOUBI

Me Oriane DONTOT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [U] [P]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Khalil MIHOUBI, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D653

APPELANT

****************

Société CLEAR CHANNEL FRANCE

N° SIRET : 572 050 334

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Arnaud BLANC DE LA NAULTE de l’AARPI NMCG AARPI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0007 et Me Oriane DONTOT de l’AARPI JRF AVOCATS, Constitué , avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 5 janvier 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société Clear Channel est un leader mondial de l’affichage publicitaire. La société Clear Channel France, une de ses filiales, emploie plus de cinquante salariés, répartis en France au sein de plusieurs établissements. Elle applique la convention collective nationale des entreprises de la publicité et assimilées.

M. [P] a été engagé par la société Clear Channel France, en qualité d’afficheur mobilier urbain, dans le cadre de missions d’intérim puis par contrat de travail à durée déterminée à temps complet, à compter du 26 janvier 2017, en remplacement provisoire et partiel de M. [K] en arrêt de travail.

M. [P], dont le contrat a été conclu pour se terminer au plus tôt le 19 février 2017 ou jusqu’au surlendemain du retour de M. [K], terme automatique du contrat, était ainsi affecté à l’établissement d'[Localité 6], situé en région nantaise.

Le 4 juin 2018, la société Clear Channel France a informé le salarié de la perte du marché de mobilier urbain nantais et de son affectation sur un poste ‘pérenne’ d’afficheur/monteur, sans modification du lieu de travail, du statut, du salaire et des horaires du salarié.

Par nouvelle lettre du 7 juin 2018, l’employeur a ajouté que M. [K], le salarié titulaire remplacé par M. [P], a été affecté à une activité pérenne de d’afficheur/monteur au sein de l’établissement d'[Localité 6].

Le 11 juin 2018, le salarié a refusé la modification de son contrat de travail, étant disposé exceptionnellement à exercer lafonction de monteur et a indiqué que les délégués du personnel et M. [K] lui avaient confirmé que ce dernier n’occupait pas le poste de monteur.

Le salarié a été en arrêt de travail du15 juin au 28 juillet 2018.

Le 30 août 2018, le salarié a été victime d’un malaise sur son lieu de travail et la caisse primaire d’assurance maladie (la CPAM) a reconnu le 21 novembre 2018 le caractère professionnel de l’accident.

Par lettre du 24 septembre 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 8 octobre 2018.

Le 25 septembre 2018, M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt d’une action en résiliation judiciaire de son contrat de travail et de demandes en paiement de rappel de salaires jusqu’à la fin du contrat de travail à durée déterminée ainsi que de diverses sommes de nature indemnitaire.

Il a été licencié par lettre du 12 octobre 2018 pour faute grave dans les termes suivants:

« Nous faisons suite à l’entretien préalable qui s’est tenu le 9 octobre dernier, au cours duquel vous avez été reçu par [T] [I], Directeur Technique.

Vous étiez quant à vous accompagné par [M] [V].

Pour rappel cet entretien devait avoir lieu le 08 octobre, mais a finalement été repoussé à votre demande afin que Monsieur [V] puisse vous assister.

Nous souhaitions dans le cadre de cet entretien, revenir sur les manquements constatés vous concernant et plus particulièrement sur les faits suivants :

Vous avez été recruté par un contrat à durée déterminée depuis le 27janvier 2017 dans le cadre du remplacement d’un salarié absent, Monsieur [Z] [K].

A la suite de la fin de la dépose du Mobilier Urbain Nantais, il a été décidé d’affecter Monsieur [K], salarié titulaire que vous remplacez actuellement, à une activité pérenne au sein de la région Grand Ouest : Afficheur / Monteur.

Ainsi, conformément au motif de votre contrat à durée déterminée, nous vous avons confirmé par un premier courrier en date du 07 juin dernier, qu’à compter du 1 er juillet, vous seriez affecté, dans le cadre du remplacement de [Z] [K], à cette mission d’Afficheur / Monteur au sein de l’établissement d'[Localité 6].

Vous avez, au travers de plusieurs courriers en date des 11 et 25 juin derniers, et échanges auprès de vos managers, fait part de votre manque d’intérêt à l’égard de l’activité de montage au sein de l’établissement d'[Localité 6].

Ainsi, le 30 août dernier au cours d’un échange auprès de vos managers, vous avez maintenu votre position et avez définitivement refusé l’affectation qui vous a été confiée.

Au cours de l’entretien préalable, vous avez maintenu votre position, selon laquelle vous étiez en droit de ne pas accepter cette affectation.

Nous vous avons confirmé, qu’il ne s’agissait en aucun cas d’une modification de votre contrat de travail, mais simplement d’une affectation simple soumise au pouvoir de direction de l’employeur et qui ne requiert pas votre approbation.

En effet que ce soit en termes de classification de positionnement ou encore d’habilitations sécurité, cette affectation relève exclusivement du pouvoir d’organisation de l’employeur.

Vous n’avez toutefois rien voulu entendre et avez maintenu votre attitude d’opposition ferme,remettant clairement en cause notre pouvoir de direction.

Une telle attitude ne peut être acceptée.

Les explications fournies au cours de l’entretien préalable ne nous ont dès lors pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Par conséquent, au regard des motifs énoncés, la rupture de votre contrat de travail est inéluctable, et nous avons donc pris la décision de rompre votre contrat de travail à durée déterminée pour faute grave.

Votre contrat de travail sera rompu à la date d’envoi du présent courrier, sans indemnité de licenciement ni préavis.»

Une ordonnance de radiation a été prononcée le 11 juin 2019 pour défaut de diligences des parties et l’affaire a été réinscrite au rôle le 18 juin 2019.

Par jugement du 15 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (section activités diverses) a :

– fixé le salaire mensuel moyen brut de M. [P] à 2 006,24 euros,

– dit que le contrat de travail à durée déterminée de M. [P] a été rompu abusivement le 12 octobre 2018 par la société Clear Channel France,

– condamné la société Clear Channel France à payer à M. [P] les sommes suivantes :

. 15 467,46 euros à titre de rappel de salaire du 12 octobre 2018 au 3 juin 2019,

. 1 546,75 euros au titre des congés payés afférents au rappel de salaire,

. 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que ces condamnations sont assorties de l’exécution provisoire de droit avec intérêt au taux légal à compter de la date de saisine du conseil de prud’hommes,

– ordonné la remise de bulletins de salaire conformes au présent jugement pour la période d’octobre 2018 à juin 2019,

– débouté M. [P] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Clear Channel France de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– condamné la société Clear Channel France aux dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 19 février 2021, M. [P] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 3 janvier 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 9 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [P] demande à la cour de :

– d’infirmer le jugement querellé n°RG 19/0800 rendu le 15 décembre 2020 par la section activités diverses du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt et notifié le 22 janvier 2021 en ce qu’il l’a débouté de :

. constater qu’il a fait l’objet d’un harcèlement moral,

. condamner la société Clear Channel France à lui verser des dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral subi,

. condamner la société Clear Channel France à des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

statuant à nouveau,

– dire qu’il a fait l’objet de harcèlement moral,

– condamner la société Clear Channel France à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral subi,

– condamner la société Clear Channel France à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

– condamner la société Clear Channel France à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail,

– condamner la société Clear Channel France à lui verser la somme de 4 012,48 euros bruts à titre de rappels de salaires, outre la somme de 401,24 euros à titre de congés payés afférents pour la période de préavis du 3 juin 2018 au 3 août 2018 suivant la rupture du contrat de travail de Monsieur [K], salarié remplacé par Monsieur [P] dans le cadre du contrat à durée déterminée,

– débouter la société Clear Channel France de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– dire que les sommes de nature salariales porteront intérêts de droit et capitalisation à compter de la saisine du bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 25 septembre 2018,

– dire que les sommes de nature indemnitaire porteront intérêt de droit à compter de l’arrêt à intervenir,

– condamner la société Clear Channel France à lui verser la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Clear Channel France aux entiers dépens d’appel.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 13 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Clear Channel France demande à la cour de :

in limine litis,

– déclarer irrecevables tous les éléments communiqués par M. [P] après le 23 octobre 2021,

en conséquence,

– déclarer irrecevables :

. les pièces n°23 à 28 déposées par M. [P] [P] le 14 octobre 2022,

. les conclusions récapitulatives régularisées par M. [P] le 9 novembre 2022,

. la pièce n°29 déposée par M. [P] le 14 novembre 2022,

à titre principal,

– déclarer l’appel de M. [P] recevable mais mal fondé,

y faisant droit,

– la déclarer en revanche recevable et bien fondée en son appel incident,

y faisant droit,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

. débouté Monsieur [U] [P] du surplus de ses demandes,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

. dit que le contrat de travail à durée déterminée de M. [P] a été rompu abusivement le 12 octobre 2018 par la société,

. condamné la société à payer à M. [P] les sommes suivantes :

* 15 467,46 euros à titre de rappel de salaire du 12 octobre 2018 au 3 juin 2019,

* 1 546,75 euros au titre des congés payés afférents au rappel de salaire,

* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

. dit que ces condamnations sont assorties de l’exécution provisoire de droit avec intérêt au taux légal à compter de la date de saisine du conseil de Prud’hommes,

. ordonné la remise de bulletins de salaire conformes au présent jugement pour la période d’octobre 2018 à juin 2019,

. débouté la société de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

. condamné la société aux dépens,

statuant à nouveau,

– dire et juger justifiée la rupture anticipée du contrat à durée déterminée pour faute grave,

– constater l’absence de tout manquement imputable à la Société Clear Channel France,

– constater l’absence de tout acte de harcèlement moral à l’encontre de M. [P],

en tout état de cause,

– débouter M. [P] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

– condamner M. [P] à lui verser à la société Clear Channel France la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [P] aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur l’irrecevabilité des nouvelles pièces et conclusions communiquées par l’appelant

L’employeur expose que le salarié a d’abord versé six pièces complémentaires de 71 pages la veille de la clôture alors que le dossier était en état depuis plus d’une année, puis a sollicité un report de la clôture pour ‘faire croire à un semblant de respect du principe du contradictoire’, et a finalement déposé le 9 novembre 2022, à deux jours ouvrables de la nouvelle clôture de nouvelles conclusions, comportant sept pages de plus.

Selon l’article 914 du code de procédure civile, lorsqu’il est désigné et jusqu’à la clôture de l’instruction, le conseiller de la mise en état est seul compétent pour déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910 du même code. (Cf. 2e Civ., 23 juin 2016, pourvoi n° 15-13.483, Bull. 2016, II, n° 171)

La cour d’appel peut soulever d’office cette irrecevabilité et, ce faisant, elle se borne à vérifier les conditions de recevabilité de cette demande, de sorte qu’elle n’est pas tenue de solliciter les observations des parties sur ce point (Com., 28 juin 2017, pourvoi n°14-14.228, publié, après avis de la 2e Civ.).

L’employeur sollicite de voir déclarées irrecevables :

– les pièces n°23 à 28 du salarié communiquées le 14 octobre 2022,

– les conclusions transmises par voie électronique le 9 novembre 2022 comprenant sept nouvelles pages,

– la pièce n° 29 déposée le 14 novembre 2022 : cette pièce n’est pas visée au bordereau de l’appelant et non produite aux débats.

L’appelant puis l’intimée ont successivement demandé le report de la clôture de sorte qu’elle a été définitivement prononcée le 3 janvier 2023 et que l’employeur a conclu le 13 décembre 2022, avant la fin de la mise en état du dossier et le dessaisissement du conseiller de la mise en état.

L’intimée n’ayant pas saisi le conseiller de la mise en état, seul compétent pour statuer jusqu’à son dessaisissement pour déclarer irrecevable des conclusions et pièces déposées avant la clôture des débats, n’est plus recevable en application de l’article 914 du code de procédure civile à le faire devant la cour.

La demande d’irrecevabilité des nouvelles pièces et conclusions déposées par l’appelant avant l’ordonnance de clôture, formulée par l’employeur dans des conclusions soumises à la cour d’appel le 13 décembre 2022, avant le dessaisissement du conseiller de la mise en état par l’ordonnance de clôture intervenue le 3 janvier 2023, est en conséquence irrecevable.

Sur le harcèlement moral

Le salarié fait valoir qu’il a subi de lourdes pressions depuis le mois de juin 2018 pour le contraindre à accepter une modification de son contrat de travail et qu’il a été victime de l’acharnement de sa hiérarchie.

L’employeur conteste tout harcèlement moral subi par le salarié en indiquant que toute situation de souffrance au travail ne peut pas être qualifiée de harcèlement moral, que les faits de harcèlement moral ne peuvent pas être confondus avec l’exercice, même autoritaire, du pouvoir général d’organisation du chef d’enteprise et que le médecin traitant ne peut que diagnostiquer une pathologie mais pas son origine.

***

L’article L. 1152-1 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L. 1154-1, lorsque survient un litige relatif à l’application de l’article L. 1152-1 le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il revient donc au salarié d’établir la matérialité des faits, à charge pour le juge d’apprécier si ces faits, pris en leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral. Dans la négative, le harcèlement moral ne peut être reconnu. Dans l’affirmative, il revient à l’employeur de prouver que ces faits sont justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au cas présent, le salarié invoque des pressions exercées par l’employeur depuis le mois de juin 2018 pour qu’il accepte de changer de poste de travail, ce dont il lui a fait part, par lettre du 11 juin 2018, en lui demandant d’être maintenu à son emploi d’afficheur et non de monteur.

Alors que, dès le 11 juin 2018, le salarié a fait connaître son refus à l’employeur d’occuper le poste de monteur, ce dernier n’en a pas tiré immédiatement les conséquences et a maintenu sa position, réitérant auprès du salarié à plusieurs reprises sa demande de changement de poste.

Lors d’un entretien avec l’employeur à ce sujet, le salarié a eu un malaise sur le lieu de travail le 30 août 2018, qui a ensuite donné lieu à une déclaration d’accident du travail reconnue comme une maladie professionnelle par la CPAM.

Le compte rendu de réunion du 21 septembre 2018 fait mention que les délégués du personnel de [Localité 5] ont demandé à l’employeur, à propos de la situation de M. [P], que ‘ ces pressions indues cessent immédiatement, que la santé de ce salarié soit préservée et que son contrat de travail soit respecté conformément aux obligations de l’employeur’ et l’employeur a répondu ‘ le dernier avis de la médecine du travail indique son aptitude professionnelle sans réserves. Son affectation relève du pouvoir d’organisation de l’employeur dans le cadre de son contrat à durée déterminée.’.

L’état de santé du salarié s’est sérieusement dégradé puisque le médecin lui a prescrit le 24 septembre 2018 un traitement médicamenteux après avoir constaté qu’il souffrait d’un ‘syndrome anxiodépressif’, le salarié ayant été également en arrêt de travaildès le 15 juin jusqu’au 31 juillet 2018.

Les pressions réitérées de l’employeur pour que le salarié accepte un changement de poste sont établis, victime d’un malaise sur le lieu de travail le 30 août 2018, sans qu’il soit nécessaire d’évoquer le climat général de tension invoqué par le salarié dans l’établissement d'[Localité 6].

Ces faits, pris dans leur ensemble, et compte tenu des éléments médicaux précités, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral susceptible d’avoir eu pour effet une dégradation de l’état de santé du salarié.

Il revient dès lors à la société de prouver que ses décisions sont étrangères à tout harcèlement moral.

L’employeur, qui se borne à démontrer que le climat ‘ étouffant’ et ‘ délètère’ dans l’établissement d'[Localité 6] ne concernait que les relations entre les institutions du personnel et la direction, n’apporte aucun élément sur les circonstances de la demande du changement de poste du salarié et de son malaise, survenu le 30 août 2018.

Le fait que l’employeur estimait agir dans le cadre de son pouvoir de direction n’est pas une réponse suffisante alors que le salarié, dès le 11 juin 2018, lui faisait part de la pression ressentie et de ses difficultés de santé en résultant, le salarié étant en arrêt de travail du 15 juin au 28 juillet 2018 et contestant l’obligation de changer de poste qui lui était imposée et qu’il présentait comme une modification du contrat de travail.

En conséquence, la dégradation de l’état de santé étant précédemment établie, l’employeur ne justifiant pas que ses décisions sont étrangères à tout harcèlement moral, par voie d’infirmation du jugement, il conviendra de dire que le harcèlement moral est établi et l’employeur sera condamné à verser au salarié la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Sur l’obligation de sécurité

Le salarié affirme que l’employeur n’a pris aucune mesure pour protéger sa santé psychique et a mis en oeuvre des procédés altérant son état de santé en le contraignant d’accepter une modification du contrat de sorte qu’il a été victime d’un malaise sur le lieu de travail après une ‘ énième convocation’ de sa hiérarchie pour le forcer à accepter le poste de monteur.

L’employeur affirme avoir pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité qui n’est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyen renforcée, l’employeur pouvant s’exonérer de sa responsabilité s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Quand bien même l’employeur justifie l’établissement d’un règlement intérieur rappelant les dispositions du contrat de travail relatives à l’interdiction des faits de harcèlement moral et la tenue régulière du document unique d’évaluation des risques, il a été précédemment retenu que le salarié a subi des pressions, qu’il a dénoncées à l’employeur, lequel n’établit pas avoir mis en oeuvre la moindre action pour prévenir l’accident du travail survenu le 30 août 2018.

Toutefois, le salarié qui se prévaut de l’absence de respect de l’obligation de sécurité de l’employeur, ne caractérise pas un préjudice qui n’aurait pas déjà été réparé par les dommages-intérêts précédemment alloués au titre du harcèlement moral.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de ce chef.

Sur l’exécution ‘ de mauvaise foi’ du contrat de travail

Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Toutefois l’article 566 prévoit que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Dans le cadre de ses conclusions d’appelant communiquées le 9 novembre 2022, le salarié forme une nouvelle demande visant à indemniser une exécution ‘ de mauvaise foi’ du contrat de travail par la société.

L’employeur objecte qu’il s’agit d’une demande nouvelle.

Force est de constater que cette demande qui n’avait pas été formulée en première instance ne tend pas aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges, à savoir imputer à l’employeur la rupture du contrat de travail, obtenir l’indemnisation de la rupture abusive, reconnaître le harcèlement moral subi et le défaut de respect par l’employeur de l’obligation de sécurité.

En effet, le salarié n’établit pas que cette nouvelle demande est l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de ces prétentions initiales.

Cette demande sera donc déclarée irrecevable en cause d’appel.

Sur la rupture

Le salarié soutient que l’employeur a modifié son contrat de travail en lui demandant d’occuper le poste de monteur à la place de celui d’afficheur, s’agissant de deux métiers à part entière, ce que conteste l’employeur qui considère que la proposition consistait uniquement en un changement des conditions de travail et permettait au salarié de conserver un emploi en qualité d’afficheur/ monteur après la perte du marché de gestion du mobilier urbain de [Localité 5].

Aux termes de l’article L.1243-1 du contrat de travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail.

Par ailleurs, un employeur peut imposer une tâche différente ou un changement de poste dès lors que ces modifications sont sans incidence sur les fonctions, la qualification ou la rémunération du salarié. S’agissant d’une simple mesure d’organisation interne prise dans le cadre du pouvoir de direction de l’employeur, un changement d’affectation s’analysera comme une simple modification des conditions de travail (Soc., 25 mars 2009, pourvoi n° 07-45.266. ‘ Ass. plén., 6 janv. 2012, pourvoi n° 10-14.688).

Au cas présent, le salarié a effectué des missions d’intérim pour la société Clear Channel France en qualité d’afficheur et a été ensuite recruté en contrat à durée déterminée en remplacement de M. [K].

Le contrat de travail de M. [P] indique qu’il remplace M. [K] ‘afficheur mobilier urbain’ alors que le contrat de travail de M. [K] précise qu’il est ‘ afficheur/ monteur’.

Cependant le salarié, selon son contrat de travail, a occupé un emploi d’afficheur, également mentionné sur tous ses bulletins de paye.

De plus, le salarié justifie par plusieurs attestations, conformes aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, que durant toute la relation contractuelle, il a effectué uniquement des tâches d’afficheur et n’a jamais été affecté à l’équipe des monteurs.

Il ressort également de ces témoignages, dont la valeur probante ne saurait être niée au seul prétexte que les témoins ont été absents de la société pour raisons de santé et qu’un contentieux les oppose à l’employeur, que les monteurs sont en charge du montage et du démontage des panneaux et que l’afficheur pose et dépose des affiches publiciaires, les organigrammes de différents sites régionaux de la société Clear Channel France distinguant bien les afficheurs et les monteurs.

L’employeur soutient qu’il a uniquement proposé une modification des tâches du salarié, le montage étant une des missions de l’afficheur.

Les premiers juges ont recherché si les deux emplois étaient distincts dans la convention collective, l’employeur leur reprochant une recherche spontanée et abstraite.

L’employeur relève lui-même que l’afficheur de mobilier urbain n’effectue pas le montage et le démontage des panneaux publicitaires, ce qui caractérise le poste de monteur, que le salarié refuse expréssement d’effectuer pour des raisons de pénibilité, sauf de manière ponctuelle.

Peu important ensuite que les tâches annexes à ces des deux fonctions sont identiques, le litige porte sur la réalisation du montage et démontage des panneaux publicitaires.

Dès lors, les deux emplois étant distincts dans la classification des emplois de l’annexe D de la convention collective applicable, le salarié soutient à juste titre qu’il n’avait pas la qualification de monteur, l’employeur n’ayant pas proposé une modification d’une tâche de son emploi mais la modification de l’emploi lui-même, la tâche consistant à monter des panneaux publicitaires n’étant pas annexe ou accessoire à l’emploi d’afficheur.

Le refus par le salarié de ce changement de fonctions qui s’analyse en une modification unilatérale de son contrat de travail sans son accord, n’est pas constitutif de la faute grave invoquée par l’employeur pour lui notifier la rupture du contrat de travail le 12 octobre 2018.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a dit abusif le licenciement du salarié.

Sur les conséquences du licenciement abusif

Aux termes de l’article L. 1243-4 du code du travail, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L.1243-8.

Les parties s’entendent désormais sur le salaire de référence, fixé par les premiers juges à la somme de 2 006,24 euros.

Les premiers juges ont alloué au salarié un rappel de salaire du 12 octobre 2018 au 3 juin 2019, date d’envoi de la lettre de licenciement du salarié remplacé, M. [K], et ce conformément aux dispositions de l’article L. 1243-4 du code du travail.

Cette somme contestée en son principe, n’est pas utilement remise en cause par l’employeur dans son calcul jusqu’au 3 juin 2019.

Le salarié réclame en outre le bénéfice des salaires qu’il aurait perçus jusqu’à la fin théorique de son contrat à durée déterminée, soit la fin du contrat de M. [K], le salarié remplacé, lequel a bénéficié d’une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis en application de l’article L. 1226-14 du code du travail, à la suite de son licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle et en qualité de travailleur handicapé.

Toutefois, cette indemnité n’est pas prévue par les dispositions applicables en cas de rupture abusive du contrat à durée déterminée et elle s’applique au cas spécifique de M. [K], dont l’état de santé ne lui a pas permis d’effectuer le préavis.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à verser au salarié les seules sommes de 15 467,46 euros à titre de rappel de salaire du 12 octobre 2018 au 3 juin 2019 outre 1 546,75 euros au titre des congés payés afférents.

Sur les autres demandes

La créance indemnitaire portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a ordonné la remise au salarié des bulletins de paye conformes à la décision des premiers juges.

Il y a également lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné l’employeur aux dépens de première instance et au paiement de la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles.

L’employeur sera également condamné aux dépens d’appel ainsi qu’au paiement d’une somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu’il déboute M. [P] de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DÉCLARE irrecevable la demande de la société Clear Channel d’irrecevabilité des pièces n°23 à 28 déposées par M. [P] le 14 octobre 2022, des conclusions récapitulatives régularisées par M. [P] le 9 novembre 2022 et de la pièce n°29 déposée par M. [P] le 14 novembre 2022,

DÉCLARE irrecevable comme nouvelle en cause d’appel, la demande de dommages-intérêts pour exécution ‘ de mauvaise foi’ du contrat de travail,

CONDAMNE la société Clear Channel à verser à M. [P] la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Clear Channel aux dépens et à verser à M. [P] une indemnité de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président

 


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