Your cart is currently empty!
1 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n°
21-82.113
N° N 21-82.113 F-D
N° 00668
ECF
1ER JUIN 2022
CASSATION
M. DE LAROSIÈRE DE CHAMPFEU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER JUIN 2022
M. [W] [V] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Douai, 6e chambre, en date du 15 février 2021, qui, pour dégradations légères, l’a condamné à 400 euros d’amende.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de M. [W] [V], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l’audience publique du 21 avril 2022 où étaient présents M. de Larosière de Champfeu, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, Mme Slove, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 13 novembre 2019, le tribunal correctionnel a déclaré M. [W] [V] coupable d’avoir tracé des inscriptions, signes ou dessins n’ayant entraîné qu’un dommage léger au préjudice des sociétés [2] et [1], lesdites dégradations ayant été commises sur un mobilier urbain, en l’espèce des panneaux publicitaires, et l’a condamné à 900 euros d’amende.
3. M. [V] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. [V] coupable de dégradation ou détérioration légère d’un bien par inscription, signe ou dessin et l’a condamné à une peine d’amende de 400 euros, alors « que toute personne a droit à la liberté d’expression, que si l’exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, c’est à la condition qu’elles constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale ; que l’incrimination d’un comportement constitutif d’une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, notamment lorsque ce comportement s’inscrit dans une démarche de protestation politique ; qu’au cas d’espèce, en considérant que par principe, l’exercice de la liberté d’expression ne pouvait justifier la commission d’une infraction, quand il lui appartenait de rechercher concrètement si la condamnation du prévenu, qui soutenait s’être inscrit dans une démarche de protestation politique contre l’invasion de la publicité dans l’espace public, ne constituait pas une ingérence disproportionnée dans l’exercice de sa liberté d’expression, la cour d’appel a violé les articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 322-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 593 du code de procédure pénale :
5. Il résulte du premier de ces textes que toute personne a droit à la liberté d’expression, et que l’exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale.
6. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
7. Pour déclarer le prévenu coupable de dégradations légères sur des panneaux publicitaires, l’arrêt attaqué retient que celui-ci invoque une désobéissance civile pour justifier son action, sa liberté d’expression et son militantisme anti-publicité pour une cause supérieure.
8. Les juges énoncent que, néanmoins, l’exercice d’une liberté ne peut justifier la commission d’infractions, qu’elle doit s’exercer dans le cadre du respect de la loi et des autres droits des tiers comme le droit de propriété, et que la liberté d’expression, dans une société démocratique, peut s’exercer par de nombreux moyens légaux.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu’il lui était demandé, si l’incrimination pénale du comportement poursuivi ne constituait pas, en l’espèce, une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression du prévenu, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.
10. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Douai, en date du 15 février 2021, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier juin deux mille vingt-deux.