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Affaire Tintin : la commercialité n’exclut pas l’exception de parodie

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Affaire Tintin : la commercialité n’exclut pas l’exception de parodie

L’artiste Xavier Marabout, poursuivi pour contrefaçon par la société Moulinsart (Tintin) a obtenu gain de cause et s’est prévalu avec succès de l’exception de parodie, en dépit de la vente de ses œuvres inspirées du personnage de Tintin.    

Création artistique parodique

La société Moulinsart est titulaire exclusive dans le monde entier de l’ensemble des droits d’exploitation de l’œuvre d’Hergé et notamment des droits de reproduction, d’adaptation et de représentation de l’œuvre ‘Les Aventures de Tintin” à l’exclusion de l’édition des albums.

Xavier Marabout est artiste-peintre parodiste. Il a notamment réalisé une série de tableaux « DALIBERTY » mélangeant l’oeuvre de DALI et la statue de la Liberté, puis une série de « billets d’amour » (mélange de représentation de billets de banque et de références érotiques), ou encore des cartes postales mêlant des créations de maîtres et des illustrateurs de bandes dessinées ou des créations de photographes.

A partir de 2012, il s’est intéressé à l’oeuvre d’Hergé, au personnage de Tintin, à divers ouvrages s’interrogeant sur la vie amoureuse de ce personnage, ce qui l’a déterminé à mettre Tintin en scène dans des situations inspirées des toiles du peintre américain HOPPER. Ses travaux ont été rendus publics dès 2014 à travers diverses expositions, notamment une intitulée TINTINTAMARRE.

La société MOULINSART a découvert que l’artiste mettait en vente via son site Internet des peintures constituant selon elle des adaptations, sans autorisation, de différents éléments extraits de l’œuvre d’Hergé. Poursuivi pour contrefaçon, l’artiste a bénéficié de l’exception de parodie.

L’exception de parodie

Aux termes de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : 3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source : 4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre »

La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée, ce qui est manifestement le cas en l’espèce en ce que les personnages se rattachant aux albums d’Hergé et reproduits dans les travaux de l’artiste s’identifient sans peine.

L’oeuvre parodique doit se distinguer de l’oeuvre originale, ce qui est le cas en l’espèce puisque l’artiste a fait le choix d’un support (tableau acrylique) différent du support de la bande dessinée, d’une composition qui évoque également l’oeuvre de HOPPER assez différente de celle de l’auteur, les personnages de l’auteur pastiché se trouvent dans des situations qui leurs sont habituellement inconnues et où ils apparaissent visiblement déplacés, les créations de l’artiste comportent sa signature, de sorte que l’observateur même très moyennement attentif ne peut se méprendre lorsqu’il regarde un travail de l’artiste sur l’auteur de la peinture ou de la reproduction de cette peinture.

Le personnage de Tintin apparaît dans un ensemble sur lequel porte le premier regard et qui évoque l’oeuvre de HOPPER. Il existe ainsi une distanciation suffisante avec l’oeuvre protégée. En aucun cas l’oeuvre de l’auteur ne peut être considérée comme dominante et dans l’esprit du public il est clair qu’il s’agissait d’une composition de l’artiste.  

L’intention humoristique est elle-même exprimée par l’artiste mais surtout par les personnes ayant consulté son travail et dont les témoignages étaient versés en abondance.  

L’effet humoristique était aussi constitué par l’incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des oeuvres de HOPPER et de l’absence de présence féminine au côté de Tintin, à l’exception de personnages caricaturaux.

Concernant le but critique, la jurisprudence à ce titre a considéré par exemple que la volonté de relever l’absence de sexe et de violence dans l’univers des personnages des «Peanuts», traduisait un esprit critique, à la condition qu’il n’existe pas de volonté de nuire.

Or ce propos n’est pas vulgaire ou pornographique, il s’inscrit dans une tradition de la représentation de la « bimbo » figurant un corps féminin fantasmatique à la manière de la tendance de l’alter retrato où ce qui est donné à voir est une représentation falsifiée, virtuelle, le fake se servant d’éléments artificiels pour représenter la réalité et capter l’attention d’un interlocuteur réel.

Sur le volet de l’absence de risque de confusion, la parodie exige une distanciation comique, un travestissement et ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux oeuvres de l’auteur. En l’espèce, l’oeuvre de Tintin est connue dans son ensemble par un public familiarisé depuis des décennies par la lecture de ses albums qui ont connu une diffusion mondiale considérable (230 millions d’exemplaires), de sorte que cette oeuvre est parfaitement identifiée.

Le tribunal n’a pas discerné d’atteinte disproportionnée à l’image de Tintin du fait que ce dernier est présenté torse-nu sur un lit dans une chambre d’hôtel même si cette situation est différente de celles où il est habituellement représenté. Il

Commercialisation d’une œuvre parodique  

Restait toutefois à analyser si l’œuvre de l’artiste ne s’était pas inscrite dans une démarche purement commerciale et mercantile, s’appropriant ainsi la valeur économique de l’œuvre d’Hergé.  

La juridiction a effectué un calcul très sommaire et approximatif des enjeux économiques :  les tableaux en cause ont été réalisés entre 2012 et 2017soit sur une période de six années pour un chiffre d’affaires théorique de l’ordre de 115.000 € par an, et un bénéfice qui ne devrait pas excéder le tiers de cette somme soit moins de 40.000 € par an, en prenant pour hypothèse que tous les exemplaires ont été vendus.  Cette somme apparaît extrêmement modeste au regard des revenus que génèrent pour la société MOULINSART les produits « dérivés » de l’oeuvre d’Hergé qu’elle exploite.

Or l’exception de parodie est destinée à garantir la liberté d’expression des artistes, ce principe a donc valeur constitutionnelle et impose au juge de vérifier qu’il existe un juste équilibre entre cette liberté et les droits de l’auteur source de l’inspiration du parodiste.

Se trouvait donc en balance, une oeuvre largement divulguée et entrée dans une postérité majeure qui est celle d’Hergé (230 millions d’albums vendus) et quelques 23 tableaux, reproduits à 20 exemplaires pour lesquels, un public même très moyennement attentif ne saurait se méprendre sur le fait qu’il ne s’agit pas d’oeuvres originales d’Hergé.

En outre, il est certain que les acquéreurs de tableaux ou de reproductions de qualité de ces toiles qui fréquentent les galeries d’art, ne constituent pas le même public que celui des amateurs de bandes dessinées et de produits dérivés de bandes dessinées qui retrouvent ces produits dans les librairies ou magasins dédiés au tourisme et articles de souvenirs.

Enfin,  la clientèle de l’artiste qui connaît l’oeuvre de HOPPER, perçoit beaucoup plus la citation de celle-ci que celle faite de l’oeuvre d’Hergé.

En conséquence, la violation alléguée des droits de l’auteur était de faible ampleur et n’entraînait qu’une perte financière minime voire totalement hypothétique pour les ayants droit, lesquels ne pouvaient s’opposer à la liberté de création, l’intérêt de l’artiste à la libre utilisation de l’œuvre dans le cadre d’une confrontation sur le terrain artistique devant prévaloir sur les simples intérêts financiers des titulaires de droit.

Dénigrement retenu

L’artiste a également obtenu la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour dénigrement de société MOULINSART. Cette dernière avait adressé un mail à la galerie ARTSPER invoquant son droit exclusif d’exploitation de l’oeuvre d’Hergé pour lui indiquer que l’artiste n’avait pas l’autorisation pour exploiter ladite oeuvre et qu’elle se trouvait ainsi dans l’obligation de rejeter ces oeuvres sous peine de poursuites judiciaires.

Il est habituellement considéré que même, en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure.

La communication de la société MOULINSART ne s’est entourée d’aucune précaution, présentant comme acquise l’existence d’une contrefaçon alors même que l’artiste avait, dès la première sommation invoqué l’exception de parodie, ce faisant elle a directement provoqué le retrait des oeuvres et nécessairement occasionné un préjudice à l’artiste.

Le dénigrement fautif était ainsi caractérisé, la contrefaçon n’étant pas établie.


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