Ce point juridique est utile ?
En matière de production cinématographique, la priorité n’est pas de donner au film toutes les chances d’être produit mais bien de respecter les conditions de réalisation négociées avec le producteur.
Primauté des droits du réalisateur
Dans l’affaire Terry Gillian, la Cour de cassation a rappelé que constitue une faute le refus d’un cocontractant (producteur) d’exécuter le contrat aux conditions prévues (avec le réalisateur.
Modification complète du projet initialement prévu
En retenant, pour écarter toute faute du producteur résultant de sa décision mise à exécution de mettre fin à la production du film, que celui-ci avait ensuite formulé plusieurs propositions à Terry Gillian pour reprendre leur collaboration, sans rechercher si ces propositions n’impliquaient pas une modification complète du projet initialement prévu, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l’article 1184 du code civil dans sa version antérieure à l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016.
Contexte de l’affaire Terry Gillian
Le réalisateur Terry Gillian a conclu avec une société de production un contrat en vue de la réalisation et de la production du film « The man who killed Don Quixote ». Le contrat stipulait les principales dispositions suivantes :
- « Le réalisateur et le producteur approuveront conjointement les principaux aspects créatifs du film, y compris le scénario final, la distribution, les sites et les programmes de production et de post-production, les décisions du réalisateur prévalant faute d’accord et sous réserve que toutes les décisions du réalisateur soient prises en conformité avec le budget final approuvé
- Le réalisateur sera en droit de désigner tous les responsables créatifs, dont le directeur de la photographie, le monteur, le chef costumier, le directeur artistique/chef décorateur, le compositeur, le chef coiffeur, le chef maquilleur, sous réserve que les personnes désignées par le réalisateur acceptent de rendre des services en contrepartie d’une rémunération compatible avec le budget final. »
- Un budget de 16 millions d’euros, un tournage qui devait commencer en septembre 2016, la volonté de tenter de conserver les 2 acteurs principaux qui avaient déjà été choisis par le réalisateur
- L’engagement du réalisateur à fournir « des services de réalisation » relativement au film à partir de la pré-production du film (débutant 8 semaines avant la date de début des principales prises de vues) jusqu’à la livraison de la copie zéro,
- Le versement au réalisateur d’une « commission de réalisation » constitutive, d’une part, d’une avance sur les quotes-parts des recettes d’exploitation du film à revenir au réalisateur au titre de la cession de ses droits d’auteur réalisateur et, d’autre part, d’une rémunération de ses services de réalisateur fixée à la somme de 750 000 euros et payable de la manière suivante : 20 % à la première des dates entre la clôture du financement du film et huit semaines avant le début des principales prises de vue, 60 % en versements hebdomadaires égaux pendant la période prévue pour les principales prises de vue, 10 % à la livraison du premier montage du réalisateur, 10 % à la livraison de la copie zéro ou de son équivalent numérique, – les éléments de calcul de la rémunération proportionnelle et conditionnelle du réalisateur, la réserve des droits sur le montage final du film au réalisateur, l’approbation conjointe des principaux aspects créatifs du film, y compris du scénario final, de la distribution, des sites et des programmes de post-production étant précisé que « les décisions du Réalisateur prévalant faute d’accord et sous réserve que toutes les décisions du
- Un budget final du film « approuvé conjointement par le réalisateur et le producteur, sous réserve que, au cas où le budget serait de 16 000 000 euros au moins, le producteur ait un droit prépondérant débutant 8 semaines avant le début des principales prises de vue.
- Le Réalisateur sera consulté intégralement et de manière significative sur toutes les décisions financières majeures relatives au Film, avant que le Producteur ne conclue tout contrat important relatif au financement (y compris les contrats de ventes de droits, d’agence commerciale, de distribution, d’investissement, de prêts, etc.).
- Le Producteur fournira régulièrement au Réalisateur et/ou aux représentants du Réalisateur (au choix du Réalisateur) des copies de tous les documents et/ou dossiers financiers relatifs aux dépenses, tels que le plan final de financement, les budgets, les rapports de coûts, les rapports de ventes, les contrats de distribution et de licence, les accords d’aide financière (subventions, remises fiscales, fonds de coproduction et autres avantages consentis ou favorisés par le gouvernement) et les arrangements similaires. »,
- Cession de droits : « Le réalisateur transmet, confère et cède irrévocablement au producteur, ses ayants-droit, concessionnaires de licences et cessionnaires, à titre exclusif et dans le monde entier, pour la durée indiquée ci-dessus, tous les droits connus à ce jour et/ou existant par la suite, dans toutes les langues, concernant le Film… La cession est effectuée sur la base de l’exclusivité pour la durée légale de la protection des droits d’auteur actuellement accordée en France en vertu de l’article L. 123-1 du code de la propriété intellectuelle français… » .
Le début du tournage ayant été programmé, une phase de pré-production devait se dérouler au Portugal. Reprochant à la société de production d’avoir manqué à ses obligations en décidant unilatéralement de suspendre la production du film et en exigeant, pour la reprendre, une modification des conditions initialement prévues, Terry Gillian a assigné la société en résolution du contrat.
Pour écarter tout manquement de la société à ses obligations contractuelles et rejeter la demande en résolution formée, les juges du fond ont considéré que, si les termes de la convention conclue réservaient au réalisateur la faculté d’imposer ses choix artistiques et techniques, il était également stipulé que ces décisions devaient rester compatibles avec le budget final du film, ce qui justifiait que, pour éviter de compromettre définitivement les chances de réaliser le projet, la société ait tenté d’obtenir de Terry Gillian qu’il ajuste ses exigences. Cette interprétation a été censurée par la Cour de cassation qui a fait primer les conditions contractuelles négociées entre les Parties. Télécharger la décision