Dans le cadre du contrat de distribution agréée, la clôture d’un point de vente par le distributeur constitue bien la violation d’une obligation essentielle.
En l’espèce, le contrat de distributeur signé entre les parties a été conclu pour une durée déterminée, renouvelé tacitement pour une ou plusieurs périodes d’un an, et prenant fin au plus tard le 31 décembre 2021. Il est stipulé à l’article 22.2 que « Le Concessionnaire pourra résilier le présent Contrat par anticipation à tout moment avec effet immédiat, par l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, restée sans effet, dans l’éventualité où le Concédant n’exécuterait pas l’une quelconque de ses obligations essentielles aux termes du présent Contrat. Toutefois, en cas de manquement susceptible d’être réparé, le Concessionnaire n’exercera son droit de résiliation qu’à l’issue d’un délai de trente (30) jours à compter de la réception par le Concédant d’une mise en demeure par lettre recommandée avec demande d’avis de réception restée sans effet ». Les articles 22.1.1 à 22.1.22 établissent la liste des manquements à une obligation essentielle du Concédant. Par ailleurs, le contrat prévoit à son article 2.5 que « Le Concédant s’interdit, pendant toute la durée du présent Contrat, (i) de nommer un autre Membre du réseau de Distribution Honda dans le Territoire (…) et (ii) de vendre des Produits, Pièces de Rechange et Accessoires aux utilisateurs finaux à l’intérieur du Territoire (…) ». Bien que la violation de la clause d’exclusivité territoriale ne figure pas dans la liste précitée, il est admis qu’il s’agit d’un manquement à une obligation par nature essentielle du concédant dans les contrats de distributeur agréé, dont l’existence est déterminante de l’engagement réciproque du concessionnaire. Le distributeur avait cessé son activité de manière définitive, cette circonstance étant contractuellement définie comme un manquement à une obligation essentielle aux termes de l’article 22.2.8 du contrat ; dans ce contexte, certaines obligations mises à sa charge ne pouvaient plus être respectées parmi lesquelles la détention d’un stock permanent (art. 3.8), la remise d’un cautionnement bancaire (art. 3.20), et la fourniture d’un service supposant l’existence d’un atelier de réparation et d’entretien et l’emploi d’un nombre suffisant de mécaniciens (art. 9) ; Dans ces circonstances, les manquements commis par la société HONDA MOTOR consistant à ne pas exercer sa faculté de résiliation tout en contractant avec une société tierce en violation de la clause d’exclusivité territoriale ne présentent pas une gravité suffisante pour retenir que la résiliation s’est faite aux torts exclusifs de la société HONDA MOTOR. |
Résumé de l’affaire :
Constitution du contrat de distributionLe 2 janvier 2017, la SARL JUMP MOTOS et la société HONDA MOTOR EUROPE LTD ont signé un contrat de distributeur agréé pour la distribution de motocycles et scooters de marque HONDA, excluant les machines de cross. Ce contrat a été établi après un précédent contrat de distribution de machines de cross en 2004. Avenant et mises en demeureUn avenant au contrat a été signé le 20 novembre 2018, en réponse à un règlement européen sur la protection des données. Entre février et avril 2019, la société HONDA MOTOR a mis en demeure JUMP MOTOS de se conformer aux nouveaux standards de la marque. Cessation d’activité de JUMP MOTOSLe 8 juillet 2019, JUMP MOTOS a signé un compromis de vente de son fonds de commerce, mais la vente n’a pas été finalisée. La société a fermé son magasin et cessé son activité le 31 décembre 2019, licenciant tout son personnel pour des raisons économiques. Résiliation du contrat et demandes d’indemnisationLe 22 janvier 2020, JUMP MOTOS a demandé à HONDA MOTOR de régler des factures en attente et de lever une caution bancaire. Le 30 juillet 2020, JUMP MOTOS a résilié le contrat aux torts de HONDA MOTOR, réclamant une indemnisation de 188.451,91 euros. Procédure judiciaireLe 22 janvier 2021, JUMP MOTOS a saisi le tribunal de commerce de Paris, qui a déclaré l’affaire incompétente au profit du tribunal judiciaire. En mars 2023, JUMP MOTOS a demandé la constatation de la résiliation du contrat et des dommages-intérêts. Arguments de JUMP MOTOSJUMP MOTOS soutient que HONDA MOTOR a violé la clause d’exclusivité territoriale en signant un contrat avec un nouveau distributeur, BIKE PARC, et a agi de manière déloyale en ne l’informant pas de cette opportunité. Arguments de HONDA MOTORHONDA MOTOR conteste les accusations, affirmant que JUMP MOTOS avait cessé son activité et ne respectait plus ses obligations contractuelles. Elle souligne qu’elle n’était pas tenue d’assister JUMP MOTOS dans sa recherche de repreneur. Décision du tribunalLe tribunal a débouté JUMP MOTOS de sa demande de résiliation du contrat aux torts de HONDA MOTOR, constatant que JUMP MOTOS avait manqué à ses obligations. Il a prononcé la résiliation du contrat aux torts de JUMP MOTOS au 3 août 2020. Conséquences financièresJUMP MOTOS a été condamnée aux dépens de l’instance, et chaque partie a conservé la charge de ses frais irrépétibles. La décision est exécutoire de plein droit par provision. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
4ème chambre 1ère section
N° RG 22/04361
N° Portalis 352J-W-B7G-CWUUD
N° MINUTE :
Assignation du :
22 Janvier 2021
JUGEMENT
rendu le 22 Octobre 2024
DEMANDERESSE
S.A.R.L. JUMP MOTOS
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Jean-François FRAHIER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #D1326, et par Me Frédérique VANNIER, avocat au barreau de CHARTRES, avocat plaidant
DÉFENDERESSE
Société HONDA MOTOR EUROPE LTD société de droit étranger, dont le siège social est [Adresse 2] RG – registre n° 00857969, pris en sa succursale immatriculée au RCS de Meaux 509 243 564 :
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
représentée par Me Adeline MUSSAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2160
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Julie MASMONTEIL, Juge
Pierre CHAFFENET, Juge
assistés de Nadia SHAKI, Greffier,
Décision du 22 Octobre 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 22/04361 – N° Portalis 352J-W-B7G-CWUUD
DÉBATS
A l’audience du 03 Juillet 2024 tenue en audience publique devant Madame MASMONTEIL, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
En premier ressort
Le 2 janvier 2017, la SARL JUMP MOTOS et la société de droit étranger HONDA MOTOR EUROPE LTD (ci-après la société HONDA MOTOR) ont conclu un contrat de distributeur agréé, portant sur la distribution de tous motocycles et scooters (à l’exclusion des machines de cross), leurs pièces de rechange et accessoires de marque HONDA.
Ce contrat s’est inscrit dans la poursuite d’un contrat de distribution de machines de cross ainsi que d’un contrat de concession exclusive de vente, en 2004, pour machines de cross, et leurs pièces et accessoires de la marque HONDA sur le territoire de [Localité 4].
Un avenant au contrat de distribution agréé du 2 janvier 2017 a été signé le 20 novembre 2018, la société HONDA MOTOR ayant revu les termes de cette convention en raison de l’entrée en vigueur du règlement européen pour la protection des données personnelles.
Par courriers des 18 février, 22 mars et 25 avril 2019, la société HONDA MOTOR a mis en demeure la société JUMP MOTOS de mettre ses locaux en conformité avec les nouveaux standards de la marque HONDA.
Le 8 juillet 2019, la société JUMP MOTOS a signé un compromis de vente de son fonds de commerce avec M. [O], la cession étant soumise à la conclusion d’un nouveau contrat de distributeur agréé, auquel la société HONDA MOTOR a donné son accord de principe. Toutefois, la vente n’a finalement pas eu lieu.
La société JUMP MOTOS a fermé son magasin, a cessé totalement son activité le 31 décembre 2019 et a licencié l’ensemble de son personnel pour motif économique.
Le 22 janvier 2020, la société JUMP MOTOS a demandé à la société HONDA MOTOR de procéder au règlement des factures en attente et de lever la caution bancaire destinée à garantir l’exécution du contrat de distribution.
Le 5 juillet 2020, la société HONDA MOTOR a signé un contrat de distributeur agréé avec la société BIKE PARC dont le magasin se situe sur la commune de [Localité 3], dans le département de [Localité 4].
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 juillet 2020 reçue le 3 août 2020, la société JUMP MOTOS a résilié le contrat de distributeur agréé du 2 janvier 2017 aux torts exclusifs de la société HONDA MOTOR, reprochant à cette dernière la violation de la clause d’exclusivité territoriale et sollicitant une indemnisation à hauteur de 188.451,91 euros.
Par acte d’huissier du 22 janvier 2021, la société JUMP MOTOS a saisi le tribunal de commerce de Paris, lequel s’est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire de Paris par jugement du 27 octobre 2021.
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 mars 2023, la société JUMP MOTOS demande au tribunal de :
« Vu les articles 1134, 1135 et 1147 du Code civil,
Constater la résiliation du contrat de distributeur agréé du 02/01/2017 liant la société HONDA MOTOR EUROPE et la société JUMP MOTOS aux torts exclusifs de la société HONDA MOTOR EUROPE au 03/08/2020.
Condamner la société HONDA MOTOR EUROPE à payer à la société JUMP MOTOS CHARTRES la somme de 201.473,47 € en réparation de son préjudice financier, avec intérêts au taux légal à compter du 03/08/2020.
Condamner la société HONDA MOTOR EUROPE à payer à la société JUMP MOTOS CHARTRES la somme de 40.000 € en réparation de son préjudice moral.
Débouter la société HONDA MOTOR EUROPE de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Condamner la société HONDA MOTOR EUROPE à verser à la société JUMP MOTOS CHARTRES la somme de 7.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Condamner la société HONDA MOTOR EUROPE aux entiers dépens ».
Aux visas des articles 1134 et 1135 anciens du code civil, la société JUMP MOTOS soutient qu’en procédant à la nomination d’un nouveau concessionnaire en Eure-et-Loir, la société HONDA MOTOR a violé la clause d’exclusivité prévue à l’article 2.5 du contrat de distributeur agréé du 2 janvier 2017. Elle précise que le « territoire » visé est le département d’Eure-et-Loir, lequel était déjà mentionné aux termes du contrat signé entre elles en 2004 ce qui ne fait l’objet d’aucune contestation de la part de la société HONDA MOTOR. Elle explique qu’à la date de conclusion du contrat avec la société BIKE PARC, le contrat qui l’unissait avec le concédant était toujours en cours, celui-ci n’ayant jamais usé de la faculté de rompre le contrat, et notamment de manière anticipée compte tenu de la cessation d’activité de la société JUMP MOTOS.
Bien qu’elle concède que la société HONDA MOTOR l’ait dans un premier temps accompagnée dans ses démarches pour la reprise de son fonds de commerce, la société JUMP MOTOS lui reproche de l’avoir, dans un second temps, « évincée » dans le choix d’un nouveau distributeur agréé. Elle déplore à cet égard ne pas avoir été mise en relation avec la société BIKE PARC. Elle lui fait par ailleurs grief d’avoir réduit l’encours de sa société depuis l’année 2017 à son strict minimum, entraînant de graves perturbations dans la gestion financière de la concession. Du tout, elle en déduit que la société HONDA MOTOR a adopté un comportement déloyal justifiant la résiliation du contrat à ses torts exclusifs.
La société JUMP MOTOS explique que les frais résultant de sa fermeture brutale n’auraient pas été aussi importants si la société HONDA MOTOR l’avait mise en contact avec la société BIKE PARC. Elle soutient que son préjudice financier comprend la perte de valeur de son fonds de commerce et le coût des licenciements économiques pour une somme totale de 201.473,47 euros, outre un préjudice moral à hauteur de 40.000 euros, et les intérêts au taux légal à compter du 3 août 2020.
Enfin, elle estime qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais qu’elle a avancés pour faire valoir ses droits, justifiant la condamnation de la société HONDA MOTOR à lui payer la somme de 7.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 mai 2023, la société HONDA MOTOR demande au tribunal de :
« Vu l’article 1227 du Code Civil,
* Dire et juger la Société JUMP MOTOS mal fondée en sa demande tendant au constat de la résolution du contrat de distributeur agréé signé entre les parties le 2 janvier 2017 aux torts exclusifs de la Société HONDA MOTOR EUROPE LTD à la date du 3 aout 2020,
* Prononcer la résolution du contrat de distributeur agréé signé entre les parties le 2 janvier 2017 aux torts exclusifs de la Société JUMP MOTOS à la date du 31 décembre 2019,
* En conséquence, débouter la Société JUMP MOTOS de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la Société HONDA MOTOR EUROPE LTD,
A titre subsidiaire
Vu l’article 1231-4 du Code Civil,
* Dire et juger que le préjudice invoqué par la Société JUMP MOTOS est sans lien immédiat et certain avec la prétendue violation de la clause d’exclusivité territoriale reprochée à tort à la Société HONDA MOTOR EUROPE LTD,
* En conséquence, débouter la Société JUMP MOTOS de ses demandes tendant à l’indemnisation de son prétendu préjudice,
A titre infiniment subsidiaire
* Dire et juger que les demandes de la Société JUMP MOTOS tendant à l’indemnisation de son prétendu préjudice ne sont aucunement justifiées,
* En conséquence, l’en débouter,
En tout état de cause
* Condamner la Société JUMP MOTOS à régler à la Société HONDA MOTOR EUROPE LTD une somme de 7.000 € au titre de l’article 700 du CPC,
* La condamner aux entiers dépens ».
La société HONDA MOTOR souligne qu’au moment où elle a signé un contrat de distributeur agréé avec la société BIKE PARC, elle n’était plus représentée sur le territoire litigieux depuis 7 mois, la société JUMP MOTOS ayant fermé son magasin, licencié son personnel et cessé totalement son activité. Elle fait valoir que la société JUMP MOTOS ne satisfaisait plus à ses obligations contractuelles tenant à la tenue de locaux, de personnel, de stock, de caution, d’achat ou de service, et qu’en tout état de cause, l’article 22 du contrat prévoit expressément que la cessation de l’exploitation ou de l’activité du concessionnaire constitue un manquement à une obligation essentielle justifiant la résiliation anticipée du contrat. Elle explique avoir fait le choix de ne pas résilier le contrat pour préserver les pourparlers en cours avec M. [O], potentiel repreneur de l’activité de la société JUMP MOTOS.
Elle conteste tout comportement déloyal dans le choix du nouveau distributeur agréé, soulignant avoir accompagné la demanderesse pendant trois ans dans ses recherches de repreneur, alors même qu’elle n’était pas tenue de le faire.
Elle relève que ce n’est que par des affirmations purement spéculatives que la société JUMP MOTOS soutient que les relations avec la société BIKE PARC auraient débuté avant la cessation de son activité, précisant que cette société était déjà distributeur agréé d’HONDA sur le territoire de la Sarthe. Elle mentionne qu’à supposer même que ce soit le cas, il n’est pas certain qu’elle aurait accepté de reprendre le fonds de commerce de la demanderesse qui était déjà vidé de toute substance.
Elle observe que la réduction alléguée des encours n’est nullement démontrée, le seul élément produit à cet égard étant un courrier du gérant de la société JUMP MOTOS, lequel est dénué de tout caractère probant. A l’inverse, elle indique que les résultats de la demanderesse étaient déficitaires ce qui explique son affaiblissement financier.
Outre le rejet des prétentions de la partie demanderesse, elle demande au tribunal de prononcer la résolution judiciaire du contrat de distributeur agréé du 2 janvier 2017 aux torts exclusifs de la société JUMP MOTOS à compter du 31 décembre 2019.
A titre subsidiaire, elle fait valoir que les préjudices allégués n’ont aucun lien de causalité immédiat et certain avec les manquements dont il lui est fait grief, et estime, au visa de l’article 1231-4 du code civil, que les demandes indemnitaires ne sont pas justifiées.
Enfin, elle sollicite la condamnation de la société JUMP MOTOS à lui payer la somme de 7.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, estimant qu’il serait inéquitable qu’elle en conserve la charge.
La clôture a été prononcée le 31 octobre 2023.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
A titre liminaire, il convient de préciser que les demandes tendant à voir « dire et juger » ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes. Il ne sera donc pas statué sur ces « demandes », si elles ne constituent pas une prétention, et elles ne donneront pas lieu à mention au dispositif.
Sur la demande de résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société HONDA MOTOR
Conformément à l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Aux termes de l’article 1224 du code civil, « La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice ».
En application de l’article 1226 du code civil, « Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.
La mise en demeure mentionne expressément qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.
Lorsque l’inexécution persiste, le créancier notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent.
Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l’inexécution ».
En l’espèce, le contrat de distributeur signé entre les parties le 2 janvier 2017 a été conclu pour une durée déterminée, renouvelé tacitement pour une ou plusieurs périodes d’un an, et prenant fin au plus tard le 31 décembre 2021.
Il est stipulé à l’article 22.2 que « Le Concessionnaire pourra résilier le présent Contrat par anticipation à tout moment avec effet immédiat, par l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, restée sans effet, dans l’éventualité où le Concédant n’exécuterait pas l’une quelconque de ses obligations essentielles aux termes du présent Contrat. Toutefois, en cas de manquement susceptible d’être réparé, le Concessionnaire n’exercera son droit de résiliation qu’à l’issue d’un délai de trente (30) jours à compter de la réception par le Concédant d’une mise en demeure par lettre recommandée avec demande d’avis de réception restée sans effet ».
Les articles 22.1.1 à 22.1.22 établissent la liste des manquements à une obligation essentielle du Concédant.
Par ailleurs, le contrat prévoit à son article 2.5 que « Le Concédant s’interdit, pendant toute la durée du présent Contrat, (i) de nommer un autre Membre du réseau de Distribution Honda dans le Territoire (…) et (ii) de vendre des Produits, Pièces de Rechange et Accessoires aux utilisateurs finaux à l’intérieur du Territoire (…) ».
Bien que la violation de la clause d’exclusivité territoriale ne figure pas dans la liste précitée, il est admis qu’il s’agit d’un manquement à une obligation par nature essentielle du concédant dans les contrats de distributeur agréé, dont l’existence est déterminante de l’engagement réciproque du concessionnaire.
En l’espèce, les parties s’accordent à dire que le territoire concédé est le département de [Localité 4].
Aux termes de son courrier du 30 juillet 2020, réceptionné le 3 août 2020, la société JUMP MOTOS a résilié le contrat de distributeur agréé motif pris de la violation, par la société HONDA MOTOR, de ses obligations contractuelles.
De ce fait, la société JUMP MOTOS a entendu se prévaloir, non de l’application de la clause résolutoire prévue à l’article 22.2 du contrat, mais d’une résolution unilatérale par voie de notification. Il lui appartient alors de démontrer qu’il existait une inexécution grave justifiant la résolution opérée.
La société JUMP MOTOS fait grief à la société HONDA MOTOR d’avoir :
– réduit son encours au strict minimum, entraînant de graves perturbations dans la gestion financière de la concession,
– adopté un comportement déloyal à son égard dans le choix d’un nouveau distributeur agréé, et précisément, de ne pas l’avoir mise en contact avec la société BIKE PARC,
– et surtout, violé la clause d’exclusivité territoriale prévue au contrat.
Le tribunal observe en premier lieu que le courrier du 12 mai 2019 émanant du gérant de la société JUMP MOTOS est, à lui seul, insuffisant pour rapporter la preuve d’une réduction de l’encours reprochée à la défenderesse, ni même du lien causal allégué entre cette diminution et les difficultés financières auxquelles la société demanderesse prétend avoir dû faire face.
En deuxième lieu, la société HONDA MOTOR relève à juste titre qu’elle n’était pas tenue contractuellement d’apporter son aide à la société JUMP MOTOS dans le cadre de ses recherches de repreneurs. Il ne peut donc pas lui être reproché de ne pas avoir présenté la société BIKE PARC à la société JUMP MOTOS. Si les contrats doivent être exécutés de bonne foi, sa carence éventuelle dans l’assistance attendue par la demanderesse ne peut pas être qualifiée de déloyale, à défaut de toute circonstance manifestant une intention de nuire de la part de la société HONDA MOTOR ou d’actes positifs de la part de cette dernière tendant à faire échec aux perspectives de reprise de la société JUMP MOTOS. Au cas présent, aucun élément ne vient confirmer les affirmations de la demanderesse qui prétend sans le démontrer avoir été « évincée » par la société HONDA MOTOR.
En revanche, la société HONDA MOTOR ne conteste pas avoir signé un contrat de distributeur agréé sur le territoire de [Localité 4] le 5 juillet 2020 avec la société BIKE PARC. Si elle excipe de la possibilité lui étant ouverte par l’article 22 du contrat de résilier le contrat au motif de la cession de l’exploitation et de l’activité du cessionnaire (art.22.1.14), elle admet dans le même temps ne jamais avoir usé de cette faculté. Le tribunal en déduit qu’à la date précitée, le contrat qui la liait à la société JUMP MOTOS était toujours en vigueur et ce, malgré la cessation d’activité de cette dernière.
Dans ces conditions, la société JUMP MOTOS doit être suivie lorsqu’elle affirme que la clause d’exclusivité territoriale n’a pas été respectée.
Toutefois, la société JUMP MOTOS ne peut pas valablement contester que dès le 31 décembre 2019, elle se trouvait elle-même en violation de ses obligations contractuelles dès lors :
– qu’elle avait cessé son activité de manière définitive, cette circonstance étant contractuellement définie comme un manquement à une obligation essentielle aux termes de l’article 22.2.8 du contrat ; que dans ce contexte, certaines obligations mises à sa charge ne pouvaient plus être respectées parmi lesquelles la détention d’un stock permanent (art. 3.8), la remise d’un cautionnement bancaire (art. 3.20), et la fourniture d’un service supposant l’existence d’un atelier de réparation et d’entretien et l’emploi d’un nombre suffisant de mécaniciens (art. 9) ;
– et qu’elle n’avait pas procédé à la mise en conformité avec les standards de la marque malgré les termes de l’article 3.8 du contrat et les trois mises en demeure en ce sens émanant de la société HONDA MOTOR en date des 18 février, 22 mars et 25 avril 2019.
Dans ces circonstances, les manquements commis par la société HONDA MOTOR consistant à ne pas exercer sa faculté de résiliation tout en contractant avec une société tierce en violation de la clause d’exclusivité territoriale ne présentent pas une gravité suffisante pour retenir que la résiliation s’est faite aux torts exclusifs de la société HONDA MOTOR.
Au surplus, le tribunal observe que la demanderesse, qui n’allègue d’aucune urgence, n’a pas préalablement mis en demeure la société HONDA MOTOR de satisfaire à ses obligations en rompant les liens contractuels établis le 5 juillet 2020 avec la société BIKE PARC.
En conséquence, la société JUMP MOTOS sera déboutée de sa demande tendant à voir constater la résiliation du contrat de distributeur agréé du 2 janvier 2017 aux torts exclusifs de la société HONDA MOTOR au 3 août 2020. Par suite, elle sera déboutée de toutes ses demandes indemnitaires.
Sur la demande de résolution judiciaire de la société HONDA MOTOR
En vertu de l’article 1227 du code civil, la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice.
Le juge peut alors, en application de l’article 1228, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l’exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur ou allouer seulement des dommages et intérêts.
Si la société HONDA MOTOR sollicite, au regard des manquements caractérisés de la société JUMP MOTOS, la résiliation du contrat à la date du 31 décembre 2019, elle expose elle-même qu’à cette date, son intention était d’accompagner la demanderesse dans ses recherches de repreneur et qu’elle avait ainsi choisi de maintenir ses relations contractuelles avec la société JUMP MOTOS pour préserver des pourparlers avec un potentiel repreneur.
Dans ce contexte particulier, la société HONDA MOTOR, sauf à se contredire dans ses propres écritures, est nécessairement mal fondée à se prévaloir du comportement de son contractant à la date du 31 décembre 2019 pour solliciter la résiliation du contrat à cette même date.
En revanche et pour les motifs ci-avant adoptés, l’intention des parties de rompre toutes relations ayant été manifeste à la suite du courrier de la société JUMP MOTOS du 3 août 2020 et compte tenu des manquements caractérisés de cette dernière, la résiliation du contrat à ses torts exclusifs sera prononcée à cette date.
Sur les demandes accessoires
Sur les dépens
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie. En l’espèce, la société JUMP MOTOS, partie perdante, sera condamnée aux dépens.
Sur les frais irrépétibles
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation. En l’espèce, il n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles qu’elle a engagés.
Sur l’exécution provisoire
Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, issu du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, applicable aux instances engagées à compter du 1er janvier 2020, « les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement ». En l’espèce, rien ne justifie de l’écarter.
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition au greffe :
DEBOUTE la SARL JUMP MOTOS de sa demande tendant à voir constater la résiliation du contrat de distributeur agréé du 2 janvier 2017 aux torts exclusifs de la société de droit étranger HONDA MOTOR EUROPE LTD ;
DEBOUTE la SARL JUMP MOTOS de sa demande tendant à voir condamner la société de droit étranger HONDA MOTOR EUROPE LTD à lui payer la somme de 201.473,47 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2020 ;
DEBOUTE la SARL JUMP MOTOS de sa demande tendant à voir condamner la société de droit étranger HONDA MOTOR EUROPE LTD à lui payer la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de distributeur agréé signé le 2 janvier 2017 entre la SARL JUMP MOTOS et la société de droit étranger HONDA MOTOR EUROPE LTD aux torts de la SARL JUMP MOTOS au 3 août 2020 ;
LAISSE à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles ;
CONDAMNE la SARL JUMP MOTOS aux dépens de l’instance ;
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires qui ont été reprises dans l’exposé du litige.
Fait et jugé à Paris le 22 Octobre 2024.
Le Greffier La Présidente
Nadia SHAKI Géraldine DETIENNE