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Un éditeur de presse est en droit de reprendre des éléments évoqués par un communiqué de presse du Procureur de la République, faisant état de corruption par un fonctionnaire dans un marché public, sans être condamné pour atteinte à la présomption d’innocence.
La référence à des « manquements aux règles de la commande publique », « l’implication d’un agent public, en l’occurrence un directeur d’hôpital public », « corruption active d’agent public » et « recel de favoritisme », « favoritisme » résultent de la CJIP, du communiqué ou de l’ordonnance précités, de même que tous les détails financiers cités était issus du communiqué de presse du Procureur de la République. L’article en cause ne contient donc pas de conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité du directeur d’hôpital public. L’action pour atteinte à la présomption d’innocence fondée sur l’article 9-1 du Code civil étant une action exclusivement civile, les règles spécifiques de la responsabilité en cascade prévues par la loi du 29 juillet 1881 ne sont pas applicables, de sorte que la responsabilité personnelle du directeur de publication suppose qu’il soit établi qu’il est intervenu personnellement et activement dans la publication génératrice de l’atteinte. L’article 9-1 du code civil, sur lequel se fonde les demandes de M. [R], dispose, en son premier alinéa, que « chacun a droit au respect de la présomption d’innocence » et précise, à l’alinéa 2, que le juge peut prescrire toutes mesures aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence « lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire ». Ce texte n’interdit pas de rendre compte d’affaires judiciaires en cours et même d’accorder un crédit particulier à la thèse de l’accusation, mais seulement si, de l’ensemble des propos, ne se dégage pas une affirmation manifeste de culpabilité. Ainsi pour être constituée, l’atteinte à la présomption d’innocence suppose la réunion de trois éléments qui sont : – l’existence d’une procédure pénale en cours non encore terminée par une décision de condamnation définitive, – l’imputation publique, à une personne précise, d’être coupable des faits faisant l’objet de cette procédure, non par simple insinuation ou de façon dubitative, mais par une affirmation péremptoire ou des conclusions définitives manifestant, de la part de celui qui les exprime, un clair préjugé tenant pour acquise la culpabilité de la personne visée, – la connaissance, par celui qui reçoit cette affirmation, que le fait ainsi imputé est bien l’objet d’une procédure pénale en cours, une telle connaissance pouvant résulter soit d’éléments intrinsèques contenus dans le texte litigieux, soit d’éléments extrinsèques, tels qu’une procédure notoirement connue du public ou largement annoncée dans la presse. Par ailleurs, en application de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en son paragraphe premier, toute personne a droit à la liberté d’expression, le texte prévoyant, en son paragraphe 2, que l’exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, en particulier à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, parmi lesquels figure le droit à la présomption d’innocence et le droit au procès équitable. Le droit à la présomption d’innocence et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. Cette mise en balance doit être effectuée en considération, notamment, de la teneur de l’expression litigieuse, sa contribution à un débat d’intérêt général, l’influence qu’elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et la proportionnalité de la mesure demandée. |
→ Résumé de l’affaireL’affaire concerne un article publié sur le site internet “Décideurs Magazine” le 1er juin 2023, évoquant la signature d’une convention judiciaire d’intérêt public entre le Procureur de la République financier et les sociétés Bouygues bâtiment Sud-est et Linkcity Sud-Est. Suite à cet article, M. [C] [R] a assigné M. [E] [F], la société Leaders League et Mme [M] [Y] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, demandant le retrait de l’article, l’abstention de toute nouvelle publication portant atteinte à sa présomption d’innocence, la diffusion d’un communiqué rectificatif, ainsi que des dommages et intérêts. Le juge des référés a débouté M. [C] [R] de ses demandes et l’a condamné à verser des frais de procédure. M. [C] [R] a fait appel de cette décision, arguant d’une atteinte à sa présomption d’innocence. Les parties ont exposé leurs arguments devant la cour, avec M. [C] [R] demandant le retrait de l’article, des rectifications, et des dommages et intérêts, tandis que les intimés demandent la confirmation de la décision du juge des référés. La décision de la cour est en attente.
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→ Les points essentielsOrdonnance de référé en cas d’urgenceIl est possible pour le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection d’ordonner en référé des mesures conservatoires ou de remise en état dans les cas d’urgence, même en présence d’une contestation sérieuse, pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite. Présomption d’innocence et liberté d’expressionL’article 9-1 du code civil protège le droit au respect de la présomption d’innocence, mais ne limite pas la liberté d’expression. Pour qu’une atteinte à la présomption d’innocence soit constituée, il faut réunir trois éléments : l’existence d’une procédure pénale en cours, l’imputation publique de culpabilité à une personne précise, et la connaissance de cette procédure par le public. Mise hors de cause du directeur de publicationLa responsabilité personnelle du directeur de publication pour atteinte à la présomption d’innocence nécessite une preuve de son intervention personnelle et active dans la publication incriminée. En l’absence de cette preuve, le directeur de publication ne peut être tenu responsable. Atteinte à la présomption d’innocenceDans le cas d’une publication mettant en cause la présomption d’innocence d’une personne, il est essentiel de vérifier si les éléments diffusés sont des conclusions définitives ou des affirmations péremptoires de culpabilité. La mise en balance entre le droit à la présomption d’innocence et le droit à la liberté d’expression doit être effectuée en considération des intérêts en jeu. Décision confirmée en appelLa décision du premier juge de mettre hors de cause le directeur de publication est confirmée en appel. L’article incriminé ne contient pas d’atteinte à la présomption d’innocence, et aucune mesure n’est nécessaire pour faire cesser cette atteinte. Condamnation aux dépensEn appel, la partie appelante est condamnée aux dépens et doit verser une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile aux parties intimées. La décision du premier juge concernant les dépens et les frais irrépétibles est confirmée. Les montants alloués dans cette affaire: – M. [F] : mis hors de cause
– Mme [Y] et la société Leaders League : contestation de l’existence d’une procédure pénale en cours – M. [R] : demande de publication d’un communiqué et interdiction de republication maintenues – M. [R] : condamné aux dépens à hauteur de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, à chacun des intimés |
→ Réglementation applicable– Article 6§2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme
– Article 9-1 du Code civil – Article 835 du code de procédure civile – Article préliminaire du code de procédure pénale en son paragraphe III, premier alinéa – Article 700 du code de procédure civile – Article 699 du code de procédure civile – Article 455 du code de procédure civile Texte de l’article 6§2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme: Texte de l’article 9-1 du Code civil: Texte de l’article 835 du code de procédure civile: Texte de l’article préliminaire du code de procédure pénale en son paragraphe III, premier alinéa: Texte de l’article 700 du code de procédure civile: Texte de l’article 699 du code de procédure civile: Texte de l’article 455 du code de procédure civile: |
→ Mots clefs associés & définitions– Article
– Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) – Procureur de la République financier – Tribunal judiciaire de Paris – Juge des référés – Présomption d’innocence – Liberté de la défense – Responsabilité – Atteinte à la présomption d’innocence – Liberté fondamentale – Rédacteur en chef – Article litigieux – Diffusion d’informations – Liberté d’expression – Appel – Convention judiciaire d’intérêt public – Communiqué de presse – Préjudice – Processus judiciaire – Parquet financier – Conclusion – Ordonnance de clôture – Article: texte écrit dans un journal, un magazine ou un site web pour informer ou commenter un sujet spécifique
– Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP): accord entre une entreprise et le parquet pour régler une affaire de corruption sans procès – Procureur de la République financier: magistrat chargé des affaires financières et économiques – Tribunal judiciaire de Paris: juridiction compétente pour les affaires civiles et pénales à Paris – Juge des référés: magistrat compétent pour rendre des décisions provisoires en cas d’urgence – Présomption d’innocence: principe selon lequel toute personne est considérée comme innocente jusqu’à preuve du contraire – Liberté de la défense: droit pour toute personne accusée de se défendre et d’être assistée par un avocat – Responsabilité: obligation de répondre de ses actes et de leurs conséquences – Atteinte à la présomption d’innocence: action qui porte préjudice à la présomption d’innocence d’une personne – Liberté fondamentale: droit essentiel et protégé par la loi – Rédacteur en chef: responsable de la rédaction d’un média – Article litigieux: texte controversé pouvant donner lieu à un litige – Diffusion d’informations: transmission d’informations à un public plus large – Liberté d’expression: droit de s’exprimer librement sans censure – Appel: recours juridique permettant de contester une décision de justice – Communiqué de presse: texte officiel diffusé aux médias pour informer le public – Préjudice: dommage subi par une personne suite à une action illégale ou injuste – Processus judiciaire: ensemble des étapes d’une procédure judiciaire – Parquet financier: service du parquet chargé des affaires financières – Conclusion: fin d’un argument ou d’une démonstration – Ordonnance de clôture: décision du juge mettant fin à une procédure judiciaire |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRÊT DU 16 MAI 2024
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/17151 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIM6R
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Octobre 2023 -Président du TJ de PARIS – RG n° 23/55150
APPELANT
M. [C] [R]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Marie-catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010 et ayant pour avocat plaidant Me Philippe EXPERT, avocat au barreau de NÎMES
INTIMES
M. [E] [F]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Mme [M] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 4]
S.A.S LEADERS LEAGUE, RCS de Paris sous le n°422 584 532, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Thibault LACHACINSKI de la SCP nfalaw, avocat au barreau de PARIS, toque : P305
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 28 Mars 2024, en audience publique, Laurent NAJEM, Conseiller, ayant été entendu en son rapport dans les conditions prévues par l’article 804, 805 et 905 du code de procédure civile, devant la cour composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSE DU LITIGE
Le 1er juin 2023, un article intitulé “Deux filiales du groupes Bouygues signent une CJIP à 7,9 millions d’euros”, rédigé par Mme [M] [Y], a été mis en ligne sur le site internet “Décideurs Magazine”.
Cet article évoquait la signature d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), conclue le 15 mai 2023 entre le Procureur de la République financier, d’une part, et les sociétés Bouygues bâtiment Sud-est et Linkcity Sud-Est, d’autre part, et homologuée par le président du tribunal judiciaire de Paris par ordonnance du 17 mai 2023.
Par actes du 21 juin 2023, 23 juin 2023 et 28 juin 2023, M. [C] [R] a fait assigner M. [E] [F], la société Leaders League et Mme [M] [Y] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de :
ordonner le retrait du site internet dans un délai de 24 heures à compter de la décision intervenir de l’article publié
enjoindre les défendeurs de s’abstenir de toute nouvelle publication ou diffusion susceptible de porter atteinte à la présomption d’innocence du requérant,
ordonner la diffusion, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard d’un communiqué mentionnant la décision à intervenir et condamnant les requis pour atteinte à la présomption d’innocence, leur enjoignant de rappeler qu’aucune poursuite n’a été à ce jour diligentée à l’encontre du requérant et encore moins rendue une décision de justice portant condamnation,
condamner les requis à payer au requérant la somme de 4.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Par ordonnance contradictoire du 4 octobre 2023, le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris, a :
mis hors de cause M. [E] [F] ;
débouté M. [C] [R] de l’ensemble de ses demandes ;
condamné M. [C] [R] à verser M. [E] [F], à la société Leaders League et Mme [M] [Y], chacun, la somme de 800 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 20 octobre 2023, M. [C] [R] a relevé appel de l’ensemble des chefs du dispositif de cette décision.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 16 janvier 2024, il demande à la cour, au visa des articles 6§2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, 9-1 du Code civil, 835 du code de procédure civile et de l’article préliminaire du code de procédure pénale en son paragraphe III, premier alinéa, de :
dire bien fondé en son appel M. [C] [R] et en toutes ses demandes, fins et conclusions ;
infirmer l’ordonnance de référé rendue le 4 octobre 2023 en ce qu’elle dispose :
– Mettons hors de cause M. [E] [F] ;
– Déboutons M. [C] [R] à verser à M. [E] [F], à la SAS Leaders League et à Mme [M] [Y], chacun, la somme de 800 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamnons M. [C] [R] aux dépens ;
Statuant de nouveau,
constater l’atteinte à la présomption d’innocence de l’appelant ;
rejeter la demande de mise hors de cause de M. [E] [F], comme de toutes ses demandes ;
débouter la société Leaders League et Mme [M] [Y] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
ordonner le retrait de l’article litigieux du site internet dans un délai de 24 heures compter de la décision à intervenir ;
enjoindre aux intimés de s’abstenir de toute nouvelle publication ou diffusion susceptible de porter atteinte à la présomption d’innocence du concluant ;
ordonner la diffusion sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard d’un communiqué mentionnant la décision à intervenir et condamnant la société Leaders League pour atteinte à la présomption d’innocence, lui enjoignant de rappeler qu’aucune décision de justice portant condamnation n’a à ce jour, été rendue ;
condamner la société Leaders League et Mme [M] [Y] à porter et à payer M. [C] [R] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [C] [R] fait valoir que son action devant le juge des référés est fondée sur la diffusion rapide et de la publicité s’y attachant d’informations portant atteinte à la présomption d’innocence ; qu’il ne saurait lui faire grief de n’avoir pas opté pour un droit de réponse, pareille initiative lui ayant parue insuffisante.
Il considère que l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale est caractérisée en l’espèce.
Il soutient que la présentation de sa culpabilité, sans usage du conditionnel, alors qu’il n’a pas encore été amené à s’expliquer devant aucun juge n’est pas acceptable ; qu’il est présenté comme un délinquant.
Il souligne que le respect de la présomption d’innocence doit être d’autant plus protégé qu’il concourt à la liberté de la défense, laquelle constitue une liberté fondamentale.
Il fait valoir que l’action ne procède certes pas de la mise en oeuvre de la loi de 1881 prévoyant une responsabilité ” en cascade ” mais qu’il est fondé à s’interroger sur le rôle du rédacteur en chef, M. [F] ; que la ligne éditoriale notamment relève de sa fonction ; que l’article par ses sous-titres racoleurs et évocateurs de comportements dévoyés et malhonnêtes s’éloigne de toute objectivité et de tout respect de la présomption d’innocence.
La société Leaders League, M. [E] [F] et Mme [M] [Y] demandent à la cour, par leurs dernières conclusions remises et notifiées le 19 février 2024, et au visa de l’article 835 du code de procédure civile et des articles 9-1, 679 et 700 du Code Civil, de :
confirmer l’ordonnance du 4 octobre 2023 en toutes ses dispositions ;
en conséquence,
recevoir la société Leaders League, M. [E] [F] et Mme [M] [Y] en leurs demandes, fins et prétentions et les dire recevables et bien fondées ;
débouter M. [C] [R] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions et les dire tant irrecevables que mal fondées ;
mettre hors de cause M. [E] [F] ;
dire et juger qu’aucune atteinte à la présomption d’innocence n’a été commise dans l’article d’actualité juridique ” Deux filiales du groupe Bouygues signent une CJIP à 7,9 millions d’euros ” ;
condamner M. [C] [R] à leur payer, chacun, la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile correspondant aux frais de référé ;
condamner M. [C] [R] aux entiers dépens du référé ;
y ajoutant,
condamner M. [C] [R] payer aux trois intimés, chacun, la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile correspondant aux frais d’appel ;
condamner M. [C] [R] aux entiers dépens d’appel dont distraction au profit de la SCP Nfalaw, conformément aux articles 699 du code de procédure civile.
Ils font valoir que M. [F] n’est pas l’auteur de l’article litigieux et n’exploite pas personnellement le site internet de sorte que sa mise hors de cause s’impose.
Ils allèguent que M. [R] n’avait pas encore été cité à comparaître lorsque l’article a été rédigé et mis en ligne ; qu’il ne faisait alors l’objet d’aucune procédure pénale ; que dès lors l’article ne saurait avoir porté atteinte à la présomption d’innocence ; que la sécurité juridique commande qu’un article juridique, rédigé et publié à une certaine date ne puisse être analysé dans un second temps à la lumière des faits et évènements survenus ultérieurement de manière à leur faire produire rétroactivement des effets juridiques.
Ils contestent le fait qu’il ait été porté atteinte à la présomption d’innocence de M. [R] en ce que l’intégralité des faits relatée est issue d’une convention judiciaire d’intérêt public homologuée par le président du tribunal judiciaire de Paris. Ils considèrent que de nombreuses précautions oratoires ont bien été prises.
Ils allèguent que M. [R] n’a subi aucun préjudice ; que la publicité de l’amende d’intérêt public et de la convention fait donc partie intégrante du processus judiciaire ; que le Parquet financier a d’ailleurs émis un communiqué de presse à cette occasion.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 5 mars 2024.
Il résulte des dispositions des articles 834 et 835 du code de procédure civile que, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ; que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Si l’existence d’une contestation sérieuse ne s’oppose pas, en tant que telle, à la mise en oeuvre de ce texte, il appartient au juge des référés, juge de l’évidence, d’apprécier le caractère imminent du péril, qui doit être suffisamment caractérisé et manifeste s’agissant in fine de prendre des mesures de nature à empêcher sa réalisation, susceptibles en l’espèce d’avoir une incidence sur la liberté de la presse.
L’article 9-1 du code civil, sur lequel se fonde les demandes de M. [R], dispose, en son premier alinéa, que « chacun a droit au respect de la présomption d’innocence » et précise, à l’alinéa 2, que le juge peut prescrire toutes mesures aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence « lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire ».
Ce texte n’interdit pas de rendre compte d’affaires judiciaires en cours et même d’accorder un crédit particulier à la thèse de l’accusation, mais seulement si, de l’ensemble des propos, ne se dégage pas une affirmation manifeste de culpabilité.
Ainsi pour être constituée, l’atteinte à la présomption d’innocence suppose la réunion de trois éléments qui sont :
– l’existence d’une procédure pénale en cours non encore terminée par une décision de condamnation définitive,
– l’imputation publique, à une personne précise, d’être coupable des faits faisant l’objet de cette procédure, non par simple insinuation ou de façon dubitative, mais par une affirmation péremptoire ou des conclusions définitives manifestant, de la part de celui qui les exprime, un clair préjugé tenant pour acquise la culpabilité de la personne visée,
– la connaissance, par celui qui reçoit cette affirmation, que le fait ainsi imputé est bien l’objet d’une procédure pénale en cours, une telle connaissance pouvant résulter soit d’éléments intrinsèques contenus dans le texte litigieux, soit d’éléments extrinsèques, tels qu’une procédure notoirement connue du public ou largement annoncée dans la presse.
Par ailleurs, en application de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en son paragraphe premier, toute personne a droit à la liberté d’expression, le texte prévoyant, en son paragraphe 2, que l’exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, en particulier à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, parmi lesquels figure le droit à la présomption d’innocence et le droit au procès équitable.
Le droit à la présomption d’innocence et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. Cette mise en balance doit être effectuée en considération, notamment, de la teneur de l’expression litigieuse, sa contribution à un débat d’intérêt général, l’influence qu’elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et la proportionnalité de la mesure demandée.
Sur la mise hors de cause de M. [F]
Comme l’a rappelé à bon droit le premier juge, l’action pour atteinte à la présomption d’innocence fondée sur l’article 9-1 du Code civil étant une action exclusivement civile, les règles spécifiques de la responsabilité en cascade prévues par la loi du 29 juillet 1881 ne sont pas applicables, de sorte que la responsabilité personnelle du directeur de publication suppose qu’il soit établi qu’il est intervenu personnellement et activement dans la publication génératrice de l’atteinte.
Cette preuve n’est pas rapportée en l’espèce, il n’est en effet nullement démontré que M. [F] soit intervenu dans la rédaction des sous-titres dénoncés ou de la mise en forme de l’article en cause.
La décision sera confirmée en ce qu’elle a mis hors de cause M. [F].
Sur l’atteinte à la présomption d’innocence
Les intimés font valoir que l’article litigieux n’est plus en ligne, sans être utilement démenti par M. [R]. La demande au titre de la publication d’un communiqué et celle relative à l’interdiction de republication sont maintenues.
Mme [Y] et la société Leaders League contestent en premier lieu l’existence d’une procédure pénale en cours au moment de la publication de l’article litigieux.
M. [R] verse un mandement de citation à prévenu qui lui a été signifié le 29 juin 2023, soit après la publication de l’article litigieux qui est intervenue le 1er juin 2023.
Cependant, la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) conclue entre le procureur de la République financier et les sociétés Bouygues Bâtiment Sud Est et Linkcity qui est l’objet de l’article a été homologuée par le président du tribunal judiciaire de Paris le 17 mai 2023.
Il était fait état dans le communiqué de presse du procureur de la République du même jour de ce que la convention faisait suite à une enquête préliminaire initiée par le parquet le 17 décembre 2021 et que la situation des tiers, notamment des personnes physiques, n’y était pas traitée.
Le mandement de citation au titre de la prévention vise la qualité de dépositaire de l’autorité publique ou chargé d’une mission de service public de M. [R], en l’espèce sa qualité de directeur général du centre hospitalier [5] (« [5] ») et il lui est reproché d’avoir procuré un avantage injustifié aux sociétés Bouygues Bâtiment Sud Est et Linkcity Sud Est.
La CJIP vise des faits de corruption active d’agent public et il est précisé que la part afflictive de l’amende tient compte de « l’implication d’un agent public, en l’occurrence un directeur général d’hôpital public ».
Il résulte suffisamment de l’ensemble de ces éléments qu’une enquête préliminaire était en cours au moment de la parution de l’article le 1er juin 2023 et qu’elle a conduit, quelques jours plus tard, au mandement de citation du 13 juin 2023 délivré à l’appelant.
La condition tenant à l’existence d’une procédure pénale, non retenue par le premier juge, est donc remplie.
S’agissant de la condition tenant à l’imputation publique, à une personne précise, d’être coupable des faits faisant l’objet de ladite procédure, M. [R] soutient qu’il est présenté dans l’article comme étant coupable et délinquant, que la journaliste présente les éventuelles charges comme étant des certitudes et ne fait pas usage du conditionnel. Il ajoute que l’article contient exclusivement des affirmations péjoratives, définitives, tenant pour acquise la culpabilité du haut fonctionnaire nommément désigné.
Il vise les éléments suivants dans l’article en cause :
– la référence à « des marchés juteux »
– le sous-titre « Marché truqué »
– « L’enquête révèle qu’il n’y a pas eu égalité de traitement entre les candidats dans la commande publique. [C] [R], du haut de son siège de Président du jury chargé d’attribuer les marchés en question, et qui a bénéficié entre 2015 et 2018 de divers avantages de la part des filiales Lyonnaises de Bouygues, a favorisé Bouygues Bâtiment Sud Est, notamment pour la construction en conception-réalisation du bâtiment SSR et USLD à Annecy. L’enquête montre que le jury n’a pas tenu compte de l’ensemble des critères de sélection prédéfinis, notamment le prix et le délai qui devait constituer 40% de l’appréciation finale des candidatures (‘) »
« Les combines ne s’arrêtent pas là. Le [5] [centre hospitalier [5]] et la société Bouygues bâtiment Sud Est ont contourné les règles de publicité et de mise en concurrence des marchés publics pour la construction d’un bassin de rétention sur un terrain appartenant au [5] ».
« Corruption oblige, ces opérations n’ont pas été favorisées pour les beaux yeux du groupe Bouygues. Les enquêteurs ont pu établir que [C] [R] était invité régulièrement au restaurant par les sociétés Bouygues Bâtiment Sud Est et Linkcity Sud Est à l’époque des appels d’offres biaisés. Le directeur général de l’hôpital a réussi par ailleurs à leur soutirer douze places de concert au Festival piano à Lyon ».
Il a été relevé que l’article litigieux se fonde sur la CJIP qui a fait l’objet d’un communiqué de presse du Procureur de la République financier, ce qui lui confère une particulière publicité.
Il résulte par ailleurs d’une copie écran du site internet du tribunal judiciaire de Paris que la convention a été mise en ligne. Le site de l’Agence française anticorruption a également mis en ligne outre la convention, l’ordonnance de validation. La dénomination même de convention judiciaire d’intérêt public témoigne de ce que son contenu procède d’un débat d’intérêt général.
Aux termes de l’ordonnance de validation de la CJIP, le président du tribunal judiciaire de Paris a relevé que :
« Les investigations réalisées par le parquet national financier permettaient d’établir que ces trois opérations présentaient des irrégularités compromettant l’égalité des candidats dans la commande publique.
Le marché public portant sur la conception du bâtiment était attribué par le jury présidé par le directeur de l’hôpital sans tenir compte des critères de sélection prédéfinis et alors que le groupement formé par BOUYGUES BATIMENT SUD-EST était classé en dernière position sur les critères du prix et des délais de réalisation.
La construction du bassin de rétention était attribuée à la société BOUYGUES BATIMENT SUD-EST sans publicité ni mise en concurrence.
L’offre de LINKCITY SUD-EST, moins disante, était acceptée s’agissant de la cession de l’ancien site hospitalier et ce, après qu’une rencontre ait été organisée entre l’assistant maitre d’ouvrage, le directeur commercial de BOUYGUES BATIMENT SUD-EST et le directeur de l’hôpital. Les critères d’analyse communiqués aux candidats s’avéraient ne pas avoir été respectés.
Il apparaissait que le directeur de l’hôpital avait bénéficié de plusieurs invitations par des personnels des sociétés BOUYGUES BATIMENT SUD-EST et LINKCITY SUD-EST dans des restaurants gastronomiques. Ces repas étaient parfois organisés durant les appels d’offre évoqués ci-dessus. Le directeur commercial de BOUYGUES BATIMENT SUD-EST était par ailleurs sollicité avec succès en juin 2016 par le directeur de l’hôpital, afin de lui offrir douze places de concert pour la saison 2016-2017 du festival ” piano à Lyon ».
La CJIP, présentant le contexte de l’affaire, précise qu’« entre 2016 et 2018, deux marchés publics d’un montant de 32 millions € HT, et de 3,3 millions € HT étaient conclus par le [5] avec la société Bouygues Bâtiment Sud Est ». Une « cession d’une parcelle de terrain est intervenue au cours de la même période pour 5.5 € d’euros au profit de la société Linkcity Sud-Est. »
La CJIP relève en outre :
« Par ailleurs, l’enquête permettait d’établir que le directeur de l’hôpital (A) avait bénéficié entre 2015 et 2018 d’invitations de la part du personnel des sociétés attributaires des marchés.
(‘) Le marché devait être attribué sur la base de cinq critères conformément à l’article 6.1 du règlement de la consultation, pondérés au sein de la note finale. Toutefois, le jury, dont la présidence était assurée par A, ne tenait pas compte de l’ensemble des critères de sélection prédéfinis, notamment le prix et le délai qui devaient constituer 40% de l’appréciation finale. Le groupement mené par BOUYGUES BATIMENT SUD-EST était classé en première position sur des considérations uniquement architecturales qui devaient représenter une pondération de 15% alors que dans les documents d’analyse préparatoire formalisés par les services du centre hospitalier, il était classé en cinquième et dernière position sur les seuls critères du prix et des délais de réalisation.
21. Il était établi par ailleurs que l’architecte du groupement d’entreprise mené par BOUYGUES BATIMENT SUD-EST avait reçu une information privilégiée de A au cours de la procédure.
22. L’attribution du marché au groupement BOUYGUES BATIMENT SUD-EST était finalement prononcée par A, sur la base du seul critère de la qualité architecturale théoriquement pondéré à 15%. (‘)
Le marché était passé sans aucune publicité ni mise en concurrence sur le fondement de l’article 30 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics. Or ni l’urgence, ni le critère technique nécessitant impérativement la réalisation des travaux par un opérateur unique ne trouvaient application. »
Si le directeur de l’Hôpital n’est pas nommément désigné dans la CJIP, sa qualité de directeur du centre hospitalier en cause permet de l’identifier aisément et sans aucun doute possible.
Il apparaît ainsi que l’article litigieux n’est constitué que de la reprise des éléments évoqués par le CJIP et le communiqué de presse du Procureur de la République.
La référence à des « manquements aux règles de la commande publique », « l’implication d’un agent public, en l’occurrence un directeur d’hôpital public », « corruption active d’agent public » et « recel de favoritisme », « favoritisme » résultent de la CJIP, du communiqué ou de l’ordonnance précités, de même que tous les détails financiers cités.
A plusieurs reprises, l’article contient des précautions oratoires (« l’enquête révèle », « l’enquête montre » ou « selon le parquet national financier »), et il est précisé que les deux sociétés en cause visées par la convention ne sont ni coupables ni condamnées pénalement dans le propos introductif de l’article, ces deux sociétés étant l’objet principal de l’article.
Les sous-titres ne peuvent s’analyser isolément de l’article et l’expression de « marché truqué » n’est pas directement associée à M. [R].
La phrase « les combines ne s’arrêtent pas là », relevée par l’appelant, est insérée entre une citation du parquet national faisant référence à la société Bouygues Bâtiment Sud-Est et l’évocation d’un contournement des règles de publicité et de mise en concurrence des marchés publics par cette dernière et le [5] et non M. [R] directement.
Par conséquent, il y a lieu de retenir que l’article ne contient pas de conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité de M. [R] et dès lors, en l’absence d’atteinte au respect de la présomption d’innocence, il n’y a pas lieu de prescrire des mesures aux fins de la faire cesser ou d’ordonner la publication d’un communiqué.
La décision entreprise sera confirmée, les motifs du présent arrêt se substituant à ceux du premier juge.
Le premier juge a fait une exacte appréciation du sort des dépens et des frais irrépétibles.
A hauteur d’appel, M. [R] sera condamné aux dépens, avec distraction au profit de l’avocat de la partie adverse, ainsi qu’à payer la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, à chacun des intimés.
Confirme la décision entreprise ;
Y ajoutant,
Condamne M. [R] à payer à M. [F], à la société Leaders League et à Mme [Y], chacun, la somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [R] aux dépens d’appel, avec distraction au profit de la partie adverse dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Rejette le surplus des demandes.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE