Affaire au nom de la rose
Affaire au nom de la rose
Ce point juridique est utile ?

La société Constantin Film Produktion Gmbh qui avait été condamnée pour exploitation non autorisée du film «Il nome della rosa » a obtenu la réinscription de l’affaire au rôle en raison des difficultés établies d’exécuter la décision de condamnation.

Il résulte des décisions de la première présidence de la Cour de cassation qu’en cas d’impossibilité d’exécuter les causes d’un arrêt, une affaire radiée du rôle peut y être réinscrite dès lors que les trois conditions suivantes sont satisfaites :


1° Le demandeur est de bonne volonté ;

2° Il se trouve effectivement dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie de la décision

3° Il a exécuté tout ce qu’il lui était possible d’exécuter. Elle fait valoir qu’elle satisfait à ces trois condition.

Pour rappel, le roman d’Umberto Ecco « Le nom de la rose » est paru en 1980 aux éditions Gruppo Editoriale Fabbri-Bompiani, aux droits desquelles venait la société Giunti Editore ; par un contrat du 14 septembre 1982, l’éditeur a cédé à la société Soprofilms, aux droits de laquelle vient la société Constantin Film Produktion, les droits d’adaptation cinématographique du livre ; le film « Le nom de la rose » est sorti sur les écrans en 1985 ; l’existence d’un projet de nouvelle adaptation du livre a donné lieu à un contentieux portant sur les droits respectifs des parties, la société Constantin Film Produktion estimant notamment tenir du contrat du 14 septembre 1982, un droit de préemption sur un « remake ».

Par un jugement du 10 janvier 2019 assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Paris :


-s’est déclaré compétent pour connaître des demandes de la société Giunti Editore, à l’exception de celles fondées sur des faits de contrefaçon de droits d’auteur n’ayant pas été commis sur le ressort du territoire français ;


-a rejeté l’exception de litispendance ;


-a prononcé la résiliation du contrat de cession des droits d’adaptation cinématographique du livre “Il nome della rosa” du 14 septembre 1982, à effet du 27 mars 2018, en raison des graves manquements à ses obligations par la société Constantin Film Produktion ;


-a constaté l’anéantissement corrélatif du droit de préférence sur un remake du film prévu à l’article 3 dudit contrat ;

-a ordonné à la société Constantin Film Produktion de communiquer à la société Giunti Editore, sous astreinte de 500 euros par jour de retard courant à l’expiration d’un délai de 30 jours suivant la signification de la décision et pour une durée de six mois, tous les documents relatifs à l’exploitation du film :

– a condamné la société TF1 Droits Audiovisuels, Cristaldi Film Di Zeudi Araya E Massimo Cristaldi et Constantin Film Produktion à verser à la société Giunti Editore à titre provisionnel, la somme de 30 000 euros à valoir sur les recettes nettes d’exploitation du film ;


-a dit qu’en exploitant le film adapté du livre ” Le nom de la rose” après l’expiration des droits sur le livre et sans l’accord de leur titulaire, la société TF1 Droits Audiovisuels a commis des actes de contrefaçon de droits d’auteur ;


COUR DE CASSATION
Première présidence
__________
OReins


Pourvoi n° : B 21-15.656
Demandeur : la société Constantin Film Produktion Gmbh
Défendeur : la société Giunti Editore et autres
Requête n° : 583/23
Ordonnance n° : 91155 du 26 octobre 2023






ORDONNANCE
_______________




ENTRE :

la société Constantin Film Produktion Gmbh, ayant la SCP Piwnica et Molinié pour avocat à la Cour de cassation,

ET :

la société Giunti Editore, ayant Me Haas pour avocat à la Cour de cassation,
Jean Rovinski, conseiller délégué par le premier président de la Cour de cassation, assisté de Vénusia Ismail, greffier lors des débats du 5 octobre 2023, a rendu l’ordonnance suivante :

Vu l’ordonnance du 17 mars 2022 prononçant la radiation du pourvoi enregistré sous le numéro B 21-15.656 formé à l’encontre de l’arrêt rendu le 27 novembre 2020 par la cour d’appel de Paris ;

Vu la requête du 26 juin 2023 par laquelle la société Constantin Film Produktion Gmbh demande la réinscription de l’instance au rôle de la Cour et les observations développées au soutien de cette requête ;

Vu les observations en défense de Me Haas ;

Vu l’avis de Sophie Tuffreau, avocat général, recueilli lors des débats ;

La société Constantin Film Produktion Gmbh (la société Constantin) explique que par un arrêt du 27 novembre 2020, la cour d’appel de Paris l’a condamnée à :
– communiquer à la société Giunti Editore, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard, passé un délai de 30 jours à compter de la signification de l’arrêt pour une durée d’un an, un certain nombre de documents comptables relatifs à l’exploitation du film «Il nome della rosa » ;
– verser, solidairement avec les sociétés TF1 Droits Audiovisuels et Cristaldifilm, la somme provisionnelle de 30 000 euros à valoir sur les recettes nettes d’exploitation du film ; qu’elle a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt et que, par ordonnance du 17 mars 2022, le pourvoi de la société Constantin a été radié du rôle sur le fondement de l’article 1009-1 du code de procédure civile, aux motifs qu’elle n’avait versé aucun élément de nature à justifier que les documents dont la production a été ordonnée ont été détruits ni qu’elle n’était pas tenue de les conserver au-delà d’un délai de dix ans et en a déduit qu’elle ne démontrait pas l’impossibilité matérielle d’exécuter l’arrêt.

La société Constantin sollicite la réinscription de son pourvoi et fait valoir :
-que la réinscription au rôle d’un pourvoi n’est en principe autorisée que sur justification de l’exécution de la décision attaquée, mais qu’il en va différemment lorsque le demandeur au pourvoi est dans l’impossibilité d’exécuter la décision,
-que les limitations qui résultent des articles 1009-1 et s. du code de procédure civile ne devraient pas avoir pour effet de restreindre l’accès au recours en cassation d’une manière telle que le droit du justiciable s’en trouve atteint dans sa substance même,
-qu’en l’espèce, elle est dans l’impossibilité d’exécuter les causes de l’arrêt, de sorte que le maintien de la mesure de radiation constituerait une entrave disproportionnée à son droit d’accès au juge de cassation,
-qu’il résulte des décisions de la première présidence de la Cour de cassation qu’en cas d’impossibilité d’exécuter les causes d’un arrêt, une affaire radiée du rôle peut y être réinscrite dès lors que les trois conditions suivantes sont satisfaites :
1° Le demandeur est de bonne volonté ;
2° Il se trouve effectivement dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie de la décision
3° Il a exécuté tout ce qu’il lui était possible d’exécuter. Elle fait valoir qu’elle satisfait à ces trois conditions. S’agissant, en premier lieu, de sa bonne foi, elle explique que la bonne volonté du demandeur est prise en compte pour apprécier sa demande tendant à la réinscription de son pourvoi au rôle de la Cour ; que par une ordonnance en date du 9 mai 2001, le premier président de la Cour de cassation a ainsi rappelé que si, « aux termes de l’article 1009-3 du nouveau Code de procédure civile, la réinscription de l’affaire est autorisée sur justification de l’exécution de la décision attaquée », « une exécution partielle peut parfois suffire à permettre la réinscription de l’instance […] à la condition toutefois qu’elle révèle, eu égard à la situation des intéressés, leur volonté non équivoque de déférer à la décision des juges du fond » (C. cass. – Ord. premier président, 9 mai 2001, n° 99-11.326). Elle fait valoir que sa bonne volonté ne fait pas de doute, en ce qu’elle souhaite contester l’arrêt de la cour d’appel de Paris, mais a manifesté une volonté sans équivoque d’y déférer, en versant à la société Giunti Editore la somme totale de 60 000 euros dans les meilleurs délais. Elle ajoute que, dans la mesure où elle a fait preuve d’une grande diligence pour déférer aux condamnations financières, il ne fait aucun doute qu’elle aurait communiqué les documents qui lui ont été demandés si ceux-ci avaient été à sa disposition et que sa bonne foi se manifeste en outre à travers la démarche qu’elle a engagée pour tenter de retrouver les documents dont la production a été ordonnée par la cour d’appel, en faisant appel au cabinet PSP Peters Schönberger Gmbh (ci-après « le cabinet d’audit»), reconnu pour sa probité et son extrême rigueur, pour auditer ses comptes et son système de contrôle comptable interne dans l’indépendance la plus totale, afin d’établir « si […] les recettes d’exploitation et les coûts de production ainsi que les coûts préliminaires de distribution du film peuvent être justifiés sur la base des [documents de paiement] » (Rapport d’audit – 1.4. Documents de paiement – p. 4). Elle explique:
-que le cabinet d’audit rappelle, dès les premières lignes du rapport, la parfaite objectivité de sa démarche, et les obligations déontologiques auxquelles il est soumis:
1. Conditions générales du mandat d’audit
1.1. PSP Peters Schönberger GmbH
Nous sommes un cabinet d’audit et de conseil fiscal actif depuis 1979 et disposant d’un réseau international. Nous adhérons volontairement au Code de Déontologie des Professionnels Comptables élaboré par l’IESBA, ce qui signifie que nous sommes indépendants en tant qu’experts-comptables et tenus de rendre compte objectivement de nos constatations. Nous comptons parmi nos clients de nombreuses grandes et moyennes entreprises, dans les domaines des médias et du divertissement ainsi que dans d’autres secteurs. Depuis 2011, nous auditons également les comptes annuels de Constantin Film AG (« CAG ») et des sociétés de son groupe (collectivement « Constantin »), et entre autres aussi ceux de Constantin Film Produktion GmbH (« CFP ») et de Constantin Film Verleih Gmbh (« CFV »).
-qu’afin que la mission d’audit puisse se dérouler dans les meilleures conditions possibles, elle a donné des moyens illimités au cabinet et que ce dernier a pu accéder à l’ensemble des dossiers physiques et numériques et qu’ont été fouillés en profondeur tous ses entrepôts, son siège, chaque bureau, chaque carton, chaque dossier papier, chaque fichier numérique identifié comme « Le Nom de la rose»;
-que le rapport souligne :
3.1.2. Fouille des lieux de stockage. Nous avons effectué une inspection physique des entrepôts identifiés […] en collaboration avec les collaborateurs compétents de Constantin.[…]
3.2. Identification des dossiers et délimitation. Dans les entrepôts de [Adresse 2] et de [Localité 1], nous avons pu trouver un grand nombre de dossiers physiques, dont 161 au total se rapportaient au film « Le Nom de la rose » suivant les inscriptions sur ceux-ci. Une visite des bureaux de [Adresse 2] n’a pas permis de faire d’autres découvertes. Dans le cadre de l’inspection de l’entrepôt, nous avons en outre procédé à un contrôle aléatoire des dossiers de projet qui, selon les inscriptions, concernaient d’autres films que « Le Nom de la rose », afin de vérifier si les inscriptions correspondaient à leur contenu. Cela n’a donné lieu à aucune objection de sorte que nous nous basons pour la suite sur l’hypothèse que les inscriptions figurant sur les classeurs sont correctes. L’entrepôt contenait également des dossiers étiquetés comme étant des dossiers généraux qui ne pouvaient être affectés à aucun projet spécifique. Il s’agit par exemple de dossiers bancaires ou de dossiers de décompte des licences. Nous avons également recherché dans ces derniers des justificatifs et des documents concernant « Le Nom de la rose » ainsi que des documents de paiement.
3.3. Examen des dossiers. Nous avons effectué une recherche manuelle dans tous les dossiers identifiés
comme « Le Nom de la rose », ainsi que dans tous les classeurs généraux contenant des informations pertinentes pour notre étude. […] Extrait du rapport d’audit dressé par le cabinet PSP Peters Schönberger Gmbh le 23 mars 2023 (p. 10 et 11).
-que la mise en oeuvre de cette procédure de vérification, au demeurant coûteuse, est gage de sa bonne volonté, ce d’autant plus que les conclusions du cabinet d’audit corroborent l’impossibilité de produire les documents demandés, dont la société a fait
état à de multiples reprises dans ses écritures. S’agissant de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de communiquer les documents qui lui ont été demandés, la société Constantin rappelle que l’impossibilité à laquelle se heurte l’exécution d’une décision de justice peut être juridique ou matérielle (C.cass. – Ord. Première présidence, 23 mars 2023, n° 21-22.483); que par ailleurs, l’impossibilité d’exécuter peut concerner tout ou partie des obligations découlant de la décision des juges du fond (C. cass. – Ord. premier président, 23 avr. 2003, n° 00-10-385) et, qu’en l’espèce, si elle a été en mesure d’exécuter les condamnations financières prononcées à son encontre, elle se trouve dans l’impossibilité absolue de produire les documents qui lui ont été demandés, n’étant plus en possession de ceux-ci ; que le rapport d’audit expose, de façon détaillée, les raisons de cette impossibilité, et conclut de la façon suivante :
5. Résumé des résultats de l’enquête
En résumé, on peut affirmer que des données sont encore disponibles sur le film « Le Nom de la rose ». Il s’agit de documents tant physiques qu’électroniques. Les documents existants incluent notamment des contrats, des décomptes, des documents comptables (état des coûts, comptabilités de projets) ainsi que des documents de paiements. Conformément au mandat qui nous a été confié, nous avons examiné si les documents encore disponibles permettaient de prouver, sur la base de documents de paiement, les recettes générées par l’exploitation du film et les coûts de production engagés pour le film ainsi que les coûts préliminaires de distribution pour les années de sortie. Le résultat de nos recherches montre qu’il n’est pas possible de calculer et de prouver les coûts de production et de distribution pour les années de sortie du film en raison du caractère manifestement et largement incomplet des documents de paiement encore disponibles. Il n’est pas possible d’établir les recettes générées par la sortie du film par l’intermédiaire des lecteurs d’archivage et départementaux, ni via l’outil bancaire en ligne, faute de disposer des documents de paiement correspondants. Il n’est pas possible d’établir les recettes totales de l’exploitation pour la période antérieure à 2008, faute de documents de paiement. En outre, sur la base des conditions factuelles décrites au point 2, Constantin n’a pas et n’avait pas en 2018 l’obligation de conserver les documents de paiement en rapport avec les coûts de production et de distribution. Extrait du rapport d’audit dressé par le cabinet PSP Peters Schönberger Gmbh le 23 mars 2023 (p. 22).
La société Constantin souligne que certains documents dont la production a été demandée datent d’il y a plus de trente ans, soit d’une époque où les systèmes informatiques de contrôle interne n’étaient pas comparables à ceux d’aujourd’hui et aussi répandus et qu’elle ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir conservé des documents aussi anciens, puisque le droit allemand, qui a vocation à la régir, ne l’obligeait absolument pas à le faire. Elle cite à ce sujet le rapport d’audit :
2.3. Résultat intermédiaire
Comme résultat intermédiaire, on peut retenir que le délai légal de conservation le plus long dans le cas présent est de 10 (dix) ans selon le droit allemand. Il n’y a donc plus ou il n’y avait déjà plus en 2018 d’obligation de conservation légale pour les documents de paiement datant des années 1983-1987 pour les coûts de production ou les coûts de distribution du film. Une obligation de conservation résultant de l’obligation de règlement de CFP n’existe plus non plus en raison de la prescription, en se basant sur les
déclarations de notre cliente conformément au point 2.2. ci-dessus. Extrait du rapport d’audit dressé par le cabinet PSP Peters Schönberger Gmbh le 23 mars 2023 (p. 8).
La société Constantin rappelle qu’en cas d’impossibilité d’exécuter, la première présidence de la Cour de cassation exige du demandeur qu’il exécute ce qu’il peut exécuter et qu’une ordonnance a ainsi rappelé que « lorsque la situation du demandeur fait irrémédiablement obstacle à l’exécution intégrale de la condamnation, la réinscription peut être autorisée en cas d’exécution partielle significative effectuée dans l’extrême limite des facultés contributives du débiteur » (C. cass. – Ord. premier président, 23 avr. 2003, n° 00-10-385) ; que l’obligation à laquelle est tenue le débiteur s’apparente dans ce cas à une obligation de moyens et qu’il est attendu de lui qu’il mette tout en oeuvre pour exécuter les obligations qui lui incombent, mais pas qu’il y satisfasse dans leur intégralité, si cela s’avère effectivement impossible. Elle fait valoir qu’elle a versé la somme de 60 000 euros à la société Giunti Editore, que ce versement constitue sans aucun doute une « exécution partielle significative » et qu’elle a missionné un cabinet d’audit pour investiguer son système de contrôle comptable interne, à la recherche des documents demandés, en sorte qu’elle a déployé d’incontestables efforts pour tenter de retrouver les documents litigieux, et ne saurait se voir reprocher de ne pas être en mesure de les transmettre, puisque leur inexistence est établie. « La radiation du pourvoi ne peut être justifiée que dans la mesure où il est démontré que le demandeur au pourvoi est en mesure d’exécuter la décision et qu’il a la volonté de se soustraire à cette exécution » (C.cass.– Ord. premier président n°91480, 4 décembre 2014, n ° C 12-12.263). Faisant valoir que l’inexécution ne dépend pas de sa volonté mais procède d’une impossibilité matérielle, la société Constantin en conclut que le maintien de la mesure de radiation constitue une entrave disproportionnée à son droit de recours et apparaît contraire aux dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et à celles de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

La société Giunti Editore rétorque que le roman d'[D] [J] « Le nom de la rose » est paru en 1980 aux éditions Gruppo Editoriale Fabbri-Bompiani, aux droits desquelles venait la société Giunti Editore ; que par un contrat du 14 septembre 1982, l’éditeur a cédé à la société Soprofilms, aux droits de laquelle vient la société Constantin Film Produktion, les droits d’adaptation cinématographique du livre ; que le film « Le nom de la rose », réalisé par [V] [O], est sorti sur les écrans en 1985 ; que l’existence d’un projet de nouvelle adaptation du livre a donné lieu à un contentieux portant sur les droits respectifs des parties, la société Constantin Film Produktion estimant notamment tenir du contrat du 14 septembre 1982, un droit de préemption sur un « remake ». Elle rappelle que par un jugement du 10 janvier 2019 assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Paris :
-s’est déclaré compétent pour connaître des demandes de la société Giunti Editore, à l’exception de celles fondées sur des faits de contrefaçon de droits d’auteur n’ayant pas été commis sur le ressort du territoire français ;
-a rejeté l’exception de litispendance ;
-a prononcé la résiliation du contrat de cession des droits d’adaptation cinématographique du livre “Il nome della rosa” du 14 septembre 1982, à effet du 27 mars 2018, en raison des graves manquements à ses obligations par la société Constantin Film Produktion ;
-a constaté l’anéantissement corrélatif du droit de préférence sur un remake du film prévu à l’article 3 dudit contrat ;
-a ordonné à la société Constantin Film Produktion de communiquer à la société Giunti Editore, sous astreinte de 500 euros par jour de retard courant à l’expiration d’un délai de 30 jours suivant la signification de la présente décision et pour une durée de six mois, les éléments suivants :
•le coût du film conforme à la définition contractuelle visée à l’annexe II du contrat, certifié par un commissaire aux comptes ou un expert-comptable extérieur à la société Constantin Film Produktion ;
•les recettes nettes d’exploitation cinématographique en Allemagne ;
•les frais d’édition opposés par le distributeur du film en Allemagne ;
•les recettes nettes d’exploitation vidéographique en Allemagne (vidéocassettes, lasersdiscs, DVD, BLU-RAY, VOD et SVOD) ;
•les recettes nettes d’exploitation télévisuelle en Allemagne ;
•la reddition de comptes du mandataire international depuis la première année d’exploitation du film hors France, Italie, Allemagne et territoires affiliés :
-s’est réservé la liquidation de l’astreinte ;
-a condamné solidairement les sociétés TF1 Droits Audiovisuels, Cristaldi Film Di Zeudi Araya E Massimo Cristaldi et Constantin Film Produktion à verser à la société Giunti Editore à titre provisionnel, la somme de 30 000 euros à valoir sur les recettes nettes d’exploitation du film ;
-a dit qu’en exploitant le film adapté du livre ” Le nom de la rose” après l’expiration des droits sur le livre et sans l’accord de leur titulaire, la société TF1 Droits Audiovisuels a commis des actes de contrefaçon de droits d’auteur ;
-a condamné en conséquence la société TF1 Droits Audiovisuels à payer à la société Giunti Editore la somme forfaitaire de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
-a rejeté les demandes de publication du jugement à intervenir, celles tendant à interdire à la société Constantin Film Produktion de se prévaloir d’un droit de préférence et à lui imposer de se désister de la procédure initiée en Italie, ainsi que les demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive et de garantie de la société Constantin Film Produktion, présentées par les sociétés TF1 Droits Audiovisuels, Cristaldi Film Di Zeudi Araya E Massimo Cristaldi ;
-a condamné solidairement les sociétés TF1 Droits Audiovisuels, Cristaldi Film Di Zeudi Maya E Massimo Cristaldi et Constantin Film Produktion à verser à la société Giunti Editore la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens dont recouvrement conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
-a précisé que toutes les sommes mises solidairement à la charge des sociétés TF1 Droits Audiovisuels, Cristaldi Film Di Zeudi Araya E Massimo Cristaldi et Constantin Film Produktion seront réparties entre elles selon les modalités prévues par le contrat de coproduction, à savoir 50% à la charge de la société Constantin Film Produktion, 30 % à la charge de la société Cristaldi Film Di Zeudi Maya E Massimo Cristaldi et 20 % à la charge de la société TF1 Droits Audiovisuels. Elle précise que la société Constantin Film Produktion a interjeté appel et qu’elle a également saisi le Premier Président de la cour d’appel d’une demande de l’arrêt de l’exécution provisoire prononcée par le tribunal, requête qui a été rejetée au motif que la société Constantin Film Produktion ne rapportait pas la preuve d’une impossibilité matérielle de communiquer les documents, ni que l’exécution entraînerait des conséquences manifestement excessives.

Par un arrêt du 27 novembre 2020, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement, sauf en ses dispositions prononçant des condamnations à l’encontre des sociétés Cristaldi Film et TF1 Droits Audiovisuels. Ajoutant au jugement, la cour d’appel a assorti l’injonction prononcée en première instance d’une nouvelle astreinte de 1000 euros par jour de retard passé un délai de 30 jours à compter de la signification de son arrêt et pour une durée d’un an. Elle a par ailleurs condamné la société Constantin Film Produktion à payer à la société Giunti Editore une indemnité complémentaire de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu’aux dépens d’appel.

La société Giunti Editore fait valoir que si, par un acte du 26 avril 2021, la société Constantin Film Produktion s’est pourvue en cassation contre cet arrêt, elle n’en a pas exécuté les causes, en sorte que par une requête du 11 octobre 2021, la société Giunti Editore a demandé qu’il soit fait application de l’article 1009-1 du code de procédure civile et de voir prononcer la radiation du pourvoi ; qu’en réaction à cette requête, la société Constantin Film Produktion s’est résolue à s’acquitter de la somme de 60 000 euros, correspondant à la provision et aux frais de procédure qu’elle avait été condamnée à payer ; que s’agissant de l’injonction qui lui avait été faite de communiquer des documents, elle s’est prévalue d’une impossibilité matérielle, indépendante de sa volonté, en affirmant qu’ils n’étaient plus en sa possession, pour avoir été détruits ; que par une ordonnance du 17 mars 2022, le magistrat délégué auprès du Premier président de la Cour de cassation a prononcé la radiation du pourvoi, après avoir constaté qu’il « est constant que la société Constantin Film Produktion n’a pas déféré à l’injonction de communiquer divers documents » et « ne verse aucun élément de nature à justifier que les documents en cause ont été détruits ni qu’elle n’était pas tenue de les conserver au-delà d’un délai de dix ans dans une relation contractuelle prévue pour une durée de trente ans». La société Giunti Editore fait valoir qu’à ce jour, la société Constantin Film Produktion ne lui a pas communiqué le moindre document, mais qu’ellle a néanmoins, par une requête du 26 juin 2023, formé une demande aux fins de réinscription du pourvoi. La société Giunti Editore demande que cette requête soit rejetée. Elle explique :
-qu’en droit, selon l’article 1009-3, alinéa 1er, du code de procédure civile :
« Le premier président ou son délégué autorise, sauf s’il constate la péremption, la réinscription de l’affaire au rôle de la cour sur justification de l’exécution de la décision attaquée ».
-qu’il résulte de ces dispositions que lorsque le pourvoi a fait l’objet d’une décision de radiation, le demandeur ne peut en demander la réinscription que, si et seulement si, il peut justifier de l’exécution de l’arrêt attaqué et que cette exécution est totale.
-que dans de rares exceptions, il est admis que le pourvoi puisse être réinscrit alors que n’est constatée que l’exécution partielle des condamnations mises à la charge du demandeur, mais, d’une part, qu’il est exigé une exécution significative de la décision attaquée et, d’autre part, qu’il faut que le demandeur démontre qu’il ne peut aller au-delà au regard de ses facultés distributives.
-qu’il est exclu qu’une société in bonis puisse demander la réinscription du pourvoi au rôle alors qu’elle ne peut justifier d’une exécution totale de la décision attaquée et alors même que l’injonction qui lui est faite est une obligation de faire et non une obligation de payer.
-qu’en outre, le demandeur à la réinscription doit pouvoir se prévaloir de faits d’exécution nouveaux, intervenus depuis le prononcé de la radiation et qu’il ne peut demander la réinscription de son pourvoi lorsqu’il n’a procédé à aucun acte d’exécution depuis le prononcé de la radiation et, qu’à l’appui de sa demande en réinscription, il se fonde sur la même impossibilité d’exécuter que celle qui a déjà fait l’objet d’une appréciation lors de la demande en radiation et qui a été rejetée par le magistrat délégué auprès du Premier président.
-que si pour prononcer la radiation, ce dernier a estimé que cette impossibilité d’exécution ne caractérisait pas l’existence de conséquence manifestement excessives, il doit en aller de même au moment de l’examen de la requête en réinscription, lorsque son auteur ne peut se prévaloir d’aucun fait nouveau survenu depuis le prononcé de la radiation.La société Giunti Editore explique encore qu’en l’espèce :
-il est constant que depuis l’ordonnance de radiation du 17 mars 2022, prononcée au motif que la société Constantin Film Produktion n’avait pas déférée à l’injonction qui lui avait été faite de lui communiquer divers documents, sans qu’elle puisse se prévaloir d’une impossibilité d’exécution, la société Constantin Film Produktion n’a toujours pas déférée, ne serait-ce qu’en partie, à cette injonction.
-qu’elle ne peut justifier ni d’une exécution totale de l’arrêt, ni même d’une exécution partielle.
-qu’elle ne peut fonder sa demande de réinscription sur aucun fait nouveau depuis le prononcé de l’ordonnance de radiation.
-que les conditions d’une réinscription ne sont manifestement pas réunies et la requête doit être rejetée. Elle ajoute que si la société Constantin Film Produktion produit un rapport du cabinet PSP Peters Schönberger Gmbh, cabinet d’audit et de conseil fiscal qui suffirait, selon elle, à démontrer que l’absence de communication de tous documents ne serait pas due à sa mauvaise volonté, mais à une impossibilité juridique et matérielle de retrouver les documents en cause, en premier lieu, ce rapport établi unilatéralement à l’initiative de la société Constantin Film Produktion, sans que la société Giunti Editore ait été invitée à participer contradictoirement à l’audit, en sorte qu’il est inapte à apporter la preuve que la société Constantin Film Produktion ne disposerait plus d’aucun document ; que le magistrat délégué auprès du Premier président méconnaîtrait le principe du contradictoire s’il estimait que ce rapport suffit à lui-seul à faire la preuve des affirmations de la société Constantin Film Produktion (v. à ce égard : Ch. Mixte, 29 septembre 2012, n° 11-18.710, au Bulletin ; 2ème Civ., 14 décembre 2017, n° 16-24.305 ; 2ème Civ., 13 septembre 2018, n° 17-20.099, au Bulletin) ; qu’il est indiqué dans ce rapport que lors des fouilles réalisées par le cabinet d’audit 161 dossiers se rapportant au film « Le nom de la rose » ont pu être retrouvés et que « des données sont encore disponibles sur le fim « le nom de la rose ; qu’il s’agit de documents tant physiques qu’électroniques; que les documents existants incluent notamment des contrats, des décomptes, des documents comptables (état des coûts, comptabilités de projets) ainsi que des documents de paiement ».
-que si le cabinet d’audit conclut que ces documents ne peuvent servir de fondement pour calculer les recettes totales générées par le film ou les coûts de production, force est de constater qu’aucun de ces documents résiduels n’a été communiqué à la société Giunti Editore, alors que cette communication aurait permis de vérifier la bonne foi de la société Constantin Film Produktion, la crédibilité des quelques redditions de comptes reçus et d’éclaircir la cohérence du coût de production du film qui était au coeur du litige.
-que le rapport affirme que la société Constantin Film Produktion n’était pas tenue de conserver les documents en cause pendant plus de dix ans, de sorte que dès l’année 2018, il n’existait plus aucune obligation légale de les conserver ; que le cabinet PSP Peters Schönberger Gmbh qui se présente comme un cabinet d’expertise comptable n’a aucune compétence juridique pour procéder à une telle affirmation et qu’il s’est fondé sur les seules allégations de la société Constantin Film Produktion, lesquelles étaient mensongères, comme fondées sur une prescription qui a été pourtant rejetée par les juges du fond et sur une durée de conservation des documents qui a, elle aussi été rejetée par le magistrat délégué auprès du Premier président ; qu’en effet, l’argumentation en défense de la société Constantin Film Produktion tirée, d’une part, de la prescription de la demande de communication et, d’autre part, de la durée de conservation des documents a été tranchée par les juges :
Ainsi, s’agissant de la prescription, la cour d’appel a rappelé que :
« (…) Le contrat du 14 septembre 1982 stipulait un droit à rémunération pour la société Giunti Editore, en tous les cas, et indépendamment de l’amortissement du coût du fim et c’est à tort que la société Constantin faisait valoir, en 2003, pour justifier de l’absence de versement d’une quelconque rémunération, que le seuil de rentabilité n’est pas atteint. Notamment il ressort du rapport que la société Constantin aurait indiqué au cabinet d’audit qu’elle aurait régulièrement rendu les comptes entre 1987 et 2003, alors qu’elle admettait au contraire dans ses écritures de première instance ne pas avoir rendu les comptes : « Giunti Editore expose qu’elle n’aurait pas reçu de redditions de comptes sur la période 2004-2016 ; soit après presque vingt ans d’exploitation. Sur cette période, rien n’a été envoyé car le seuil de rentabilité du film n’a pas été atteint, ce sur quoi Constantin Film avait alerté Giunti Editore dès 2003 : « comme précédemment indiqué il est plus que probable que le seuil de rentabilité ne sera pas atteint, comme vous pourrez le constater au regard de la faiblesse des recettes pendant la dernière période prise en compte. En outre, faute pour la société Constantin d’avoir rendu depuis 2003, le moindre compte, la société Giunti Editore n’a pu connaître l’exacte mesure de sa créance et sa demande de communication des comptes a précisément pour finalité de lui permettre de déterminer le montant de la rémunération qui lui est due et d’en réclamer le paiement » (cf. arrêt attaqué, p. 14, §§ 1er et 2).
Avant d’ajouter :
« (…) la société Constantin qui depuis 2003 n’a pas rendu les comptes conditionnant le paiement de ses droits de redevance à la société Giunti Editore, n’est pas fondée à opposer la prescription quinquennale qui ne court par lorsque la créance, même périodique dépend d’éléments qui ne sont pas connus du créancier et doivent résulter de déclarations que le débiteur est tenu de faire » (cf. arrêt attaqué, p. 14, § 3).
-que concernant la durée de conservation des documents, alors même qu’elle avait soutenu, en défense à la requête en radiation que le droit allemand ne lui faisait obligation de conserver les documents relatifs aux comptes d’exploitation du film pendant une durée limitée de dix ans, le magistrat délégué auprès du premier président, avait rejeté cette argumentation, en se fondant sur la durée du contrat qui était de trente ans et qui impliquait que durant toute cette durée, la société Constantin Film Produktion soit en mesure de mettre à disposition de la société Giunti Editore l’ensemble des documents lui permettant de calculer la redevance qui lui était due.
La société Giunti Editore en conclut que, pas plus qu’elle ne le faisait lors de l’examen de la demande de radiation, la société Constantin ne démontre ni une impossibilité juridique, ni même une impossibilité matérielle qui ne lui serait pas imputable de déférer à l’injonction de communication qui lui a été faite par l’arrêt attaqué ; qu’elle ne peut sérieusement se retrancher derrière l’impossibilité devant laquelle elle se trouve aujourd’hui de réunir les documents en cause, alors que, de par le contrat, la bonne tenue de ces documents, qui seule permettait le calcul des redevances dues en contrepartie de l’exploitation de l’oeuvre était l’une de ses principales obligations et que c’est par son seul fait qu’elle prétend être dans l’impossibilité de le faire aujourd’hui ; qu’outre que les conditions d’une réinscription ne sont nullement réunies, la société Constantin Fim Produktion échoue à démontrer sa bonne volonté d’exécuter l’arrêt attaqué, étant d’ailleurs précisé que contrairement à ce qu’elle prétend elle n’a jamais fait preuve de la moindre diligence spontanée pour exécuter la décision puisque ce n’est qu’en réaction au dépôt de la requête en radiation qu’elle s’est résolue à s’acquitter des condamnations pécuniaires qui avaient été mises à sa charge.
§
La société Constantin Film Produktion a démontré sa bonne volonté à exécuter les causes de la décision en payant intégralement les sommes mises à sa charge et en justifiant avoir procédé à des recherches propres à lui permettre de retrouver les documents dont la production lui était demandée. A ce titre, elle justifie avoir fait appel à un organisme d’audit, lequel a établi un rapport circonstancié établissant l’impossibilité pour elle de retrouver les éléments afférents au litige. Ce document, bien qu’il n’ait pas été établi de manière contradictoire, n’est pas dépourvu de force probante, propre à établir l’impossibilité matérielle dans laquelle la société Constantin Film Produktion se trouve de produire les documents qui lui sont réclamés. L’offre de la société Constantin Film Produktion de communiquer à la société Giunti Editore les documents parcellaires qu’elle a pu retrouver dans le cadre de l’audit, afférents au litige, comme le recours même à l’audit sur ses deniers personnels, démontre qu’elle n’entend pas se soustraire à l’exécution de la décision.

Ainsi, il est suffisamment avéré l’impossibilité matérielle d’exécution invoquée par la société Constantin Film Produktion. Il y a lieu en conséquence de faire droit à la demande de réinscription au rôle de l’affaire.

Dispositif

EN CONSÉQUENCE :

La réinscription au rôle de la Cour du pourvoi numéro B 21-15.656 est autorisée.



Fait à Paris, le 26 octobre 2023


Le greffier,
Le conseiller délégué,







Vénusia Ismail
Jean Rovinski


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