Action en contrefaçon de modèles : le risque de procédure abusive

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Action en contrefaçon de modèles : le risque de procédure abusive
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Toute action abusive sur le terrain de la contrefaçon de dessin et modèle (vouée à l’échec) est sanctionnable par une amende civile.

En la cause, les demandeurs ont été condamnés in solidum à payer au défendeur une amende civile de 2 000 euros mais aussi à l’indemniser du préjudice tenant à la perturbation inévitable de son activité, s’agissant d’une petite entreprise venant de lancer son produit confrontée à un procès visant à lui interdire complètement la poursuite de son activité (10 000 euros).

En application de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Le droit d’agir en justice dégénère en abus lorsqu’il est exercé en connaissance de l’absence totale de mérite de l’action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l’autre partie à se défendre contre une action ou un moyen que rien ne justifie sinon la volonté d’obtenir ce que l’on sait indu, une intention de nuire, ou l’indifférence aux conséquences de sa légèreté.

En l’espèce, les demandes fondées sur les marques et le modèle étaient manifestement dépourvues de sérieux, reposant seulement, en définitive, sur la critique de ressemblances génériques que le droit des marques et le droit des modèles visent précisément à laisser libres et ignorant les divergences pertinentes, ce que les demandeurs, assistés d’un professionnel du droit, ne pouvaient plus ignorer après la réponse apportée par la défenderesse.

Si l’animosité résultant des relations passées entre les personnes physiques concernées peut expliquer en partie la légèreté de la première mise en demeure, elle n’excuse en rien l’introduction de la procédure puis son maintien après avoir reçu des réponses argumentées en fait et en droit.

En maintenant pourtant leurs demandes en contrefaçon, M. [F] et la société Eeears développement ont imposé à la défenderesse de gérer pendant plus de deux ans le risque, que l’aléa judiciaire l’empêchait d’écarter, d’un arrêt complet de son activité, et ont imposé à l’autorité judiciaire de consacrer à cette affaire des ressources qui auraient dû pouvoir être allouées aux autres procès.

Le fait que, par ailleurs, les demandes en concurrence déloyales reposent simplement sur une erreur d’analyse mais pas sur une légèreté fautive ou une intention malveillante est indifférent dans la caractérisation de l’abus de procédure, dès lors que ces demandes n’étaient susceptibles de fonder qu’une réparation modique et une interdiction de certaines modalités de communication mais pas l’interdiction complète du produit de la défenderesse, laquelle ne reposait que sur l’allégation abusive du risque de confusion avec les marques et de contrefaçon du modèle.

Résumé de l’affaire : Les sociétés Eeears et Eeears développement, dirigées par M. [C] [F] [I], accusent la société 360 Design and product de contrefaçon de leurs marques de nettoyeurs d’oreille en silicone, notamment sous les marques « Eeears » et « Ears360 ». Elles allèguent que 360 Design utilise des signes similaires, contrefait leur marque tridimensionnelle et leur modèle communautaire, et adopte une communication commerciale déloyale. M. [F] détient plusieurs marques de l’Union européenne et un modèle enregistré, et après une mise en demeure infructueuse, il a assigné 360 Design en justice. Le juge a déclaré la société Eeears irrecevable dans ses demandes de contrefaçon et a rejeté ses demandes d’interdiction provisoire. Les sociétés Eeears réclament des dommages-intérêts et des mesures d’interdiction, tandis que 360 Design conteste les accusations et demande des dommages pour procédure abusive. Le tribunal a finalement rejeté les demandes des sociétés Eeears, condamnant celles-ci à verser des dommages-intérêts à 360 Design pour procédure abusive et à une amende civile.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
21/08936
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

N° RG 21/08936
N° Portalis 352J-W-B7F-CUXKV

N° MINUTE :

Assignation du :
28 Juin 2021

JUGEMENT
rendu le 13 Septembre 2024
DEMANDEURS

Monsieur [C] [F] [I]
[Adresse 1]
[Localité 5]

S.A.S.U. EEEARS DEVELOPPEMENT
[Adresse 1]
[Localité 5]

S.A.S. EEEARS
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentés par Maître Aurélie BUISSON, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0050

et par Maître Thomas LANGE de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de REIMS, avocat plaidant.

DÉFENDERESSE

S.A.S.U. 360 DESIGN AND PRODUCT
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentée par Maître Loïc LEMERCIER de DENTONS EUROPE AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P372

Copies éxécutoires délivrées le :
– Maître BUISSON #K50
– Maître LEMERCIER #P372

Décision du 13 Septembre 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 21/08936 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUXKV

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Véra ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assistés de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l’audience du 08 Février 2024 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 24 Mai 2024 puis prorogé en dernier lieu au 13 Septembre 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à dipsosition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Les sociétés Eeears et Eeears développement (ensemble, les sociétés Eeears), dirigées par M. [C] [F] [I] (M. [F]), exposent commercialiser des nettoyeurs d’oreille en silicone sous 3 marques « Eeears », et tous trois reprochent à la société 360 Design and product (la société 360 Design) de commercialiser elle-même des nettoyeurs d’oreille en silicone, sous des signes verbal et figuratifs « Ears360 » qui seraient la contrefaçon des 2 marques verbale et figurative Eeears, et sous une forme qui serait d’une part la contrefaçon de la marque tridimensionnelle correspondant à la forme de leur produit, d’autre part la contrefaçon d’un modèle communautaire enregistré. Ils lui reprochent également d’utiliser le signe Ears360 en tant que dénomination, d’utiliser des couleurs proches des leurs et d’avoir copié leurs « assortiments » ainsi que leur communication commerciale, ce qu’ils qualifient de comportement déloyal et parasitaire.
Droits invoqués et procédure

M. [F] est titulaire des trois marques de l’Union européenne suivantes, enregistrées pour désigner divers produits en classes 3, 5 et 10, et notamment des cure-oreilles :
– la marque verbale Eeears, numéro 17 604 679, déposée le 15 décembre 2017 et enregistrée le 16 avril 2018 ;

– la marque figurative eeears, numéro 17 604 695, déposée le 15 décembre 2017 et enregistrée le 25 avril 2018, correspondant aux minuscules d’imprimerie eeears à ceci près que les trois e sont légèrement pivotés en sens anti-horaire et s’englobent partiellement les uns les autres, et que l’intérieur du a est plein avec un signe ‘+’ blanc en son centre :

– la marque tridimensionnelle eeears, numéro 17 604 687, déposée le 15 décembre 2017 et enregistrée le 11 mai 2018, sous une représentation visuelle « dynamique » et des représentations graphiques dont la plus claire est la suivante :

Enfin, il est titulaire d’un dessin ou modèle communautaire numéro 4549400-0001, déposé le 15 décembre 2017 (et enregistré le 19), dans le domaine des bâtonnets ouatés et des instruments médicaux pour nettoyer les oreilles, visuellement identique à la marque tridimensionnelle.
Après une mise en demeure infructueuse, M. [F] et les sociétés Eeears ont assigné la société 360 Design en contrefaçon de marques et dessin ou modèle le 28 juin 2021. Par ordonnance du 16 décembre 2022, le juge de la mise en état a déclaré la société Eeears irrecevable en ses demandes fondées sur la contrefaçon et a rejeté les demandes d’interdiction provisoire des actes litigieux formées par les demandeurs.
L’instruction a été close le 11 mai 2023.
Prétention des parties

M. [F] et les sociétés Eeears, dans leurs dernières conclusions (14 avril 2023), demandent la condamnation de la société 360 Design à payer, à M. [F] et la société Eeears développement, 75 000 euros chacun en réparation de la contrefaçon des marques et du modèle, aux deux sociétés Eeears, 50 000 euros chacune en réparation de la concurrence déloyale et parasitaire, des mesures d’interdiction, de destruction, de transfert à la société Eeears développement du nom de domaine , de suppression de contenu sur Internet, le tout sous astreintes, de publication, enfin la condamnation de la défenderesse à leur payer 7 500 euros à chacun (soit 22 500 euros au total), outre les dépens « en ce compris les honoraires » d’un constat d’huissier.
La société 360 Design, dans ses dernières conclusions (10 mai 2023), résiste aux demandes, y compris à l’exécution provisoire, et reconventionnellement demande la condamnation in solidum des trois demandeurs à lui payer 50 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et 40 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Moyens des parties

Sur la contrefaçon de marques, les demandeurs font valoir l’identité des produits en cause et la similitude des signes, soulignant que l’attention du public se focalise en général sur les éléments verbaux au sein d’une marque semi-figurative, qu’au-delà du suffixe 360 peu distinctif et du préfixe « ee », ils ont en commun l’élément central « ears », au pluriel, que ces signes se prononceront de manière identique, que le public sait que cela veut dire « oreilles », de sorte que les signes, similaires aux plans visuels et phonétiques, sont identiques au plan conceptuel. Ils font valoir en particulier que dans l’un des signes litigieux, le 0 de « ears360 » est stylisé en spirale, qui correspond à la forme de l’embout du nettoyeur d’oreille de la défenderesse, de la même manière que la marque figurative représente la forme de l’embout (une croix) dans le plein de la lettre a. Ils ajoutent que les signes sont, comme les marques, rédigés en lettres minuscules, qui confèrent au terme « ears » un caractère distinctif, que récemment la défenderesse a en outre adopté un nouveau signe « ears360 » calligraphié différemment qui se rapproche encore davantage de la marque figurative avec un e dont la barre horizontale est oblique qui est un des éléments caractéristiques de la marque.
S’agissant en particulier de la marque tridimensionnelle, ils estiment que la forme de l’embout de la défenderesse y est très similaire, avec le signe « ears360 » en relief, à l’horizontale, sur le côté du produit, comme dans la marque (qui montre le signe eeears sur le côté, en relief).
Sur la contrefaçon de modèle, ils exposent que le modèle en cause est de forme allongée et se décompose en deux parties, la première (« substantielle ») de forme tronconique dédiée à la préhension du produit, sur la face de laquelle se trouve le signe eeears, et la seconde, cruciforme, jointe au bout de la première afin d’affiner la zone de nettoyage ; que ce modèle se distingue ainsi des autres nettoyeurs d’oreille par une la forme du manche, la taille réduite, la présence latérale à l’horizontale du signe eeears. Ils estiment que les caractéristiques essentielles de ce modèle sont reproduites par les produits de la défenderesse, en ce que ceux-ci présentent également deux parties de tailles inégales, avec une zone de préhension de forme cylindrique allongée, une tige affinée, dans le prolongement du manche, qui s’introduit dans le canal auditif de l’utilisateur, le signe identifiant l’entreprise en relief sur le côté, de manière horizontale, cette présence latérale des signes étant arbitraire. Ils ajoutent que l’impression de similitude « est renforcée par le fait que le nombre ‘360’ provoque tout comme les ‘eee’ du signe ‘eeears’ une impression de prolongement ».
Sur la concurrence déloyale et parasitaire, les demandeurs reprochent à la défenderesse de les imiter par :- l’utilisation du nom Ears360, similaire à « Eeears » avec le mot anglais « ears » au début,
– la commercialisation de produits ayant les mêmes couleurs rose, bleu, blanc et vert, auxquelles un nom est donné (par exemple « blue ocean » pour Ears360, et « blue magic » pour Eeears) ;
– un assortiment de produits présentant ceux-ci à la fois séparément, par deux, par trois puis tous ensemble,
– l’utilisation sur les réseaux sociaux de visuels identiques ou similaires aux leurs et de messages mettant en avant la protection de l’environnement et la réduction des déchets, avec l’utilisation d’une maquette anatomique tridimensionnelle un an après l’usage d’une telle maquette sur le compte Eeears, alors que d’autres méthodes étaient envisageables, et ce de façon très similaire, avec une coupe transversale et une vue intérieure, un nettoyeur tenu par la main, en vue de face avec l’oreille à droite ;
– de même, une image en octobre 2019 montrant un exemplaire du produit placé sur un tas de contons-tiges accompagné de la phrase en Anglais « ears 360 The better way to clean your ears » alors qu’en juin 2018 la page Eeears avait déjà montré un exemplaire de son produit sur un tas de coton-tige avec un message en Anglais, « Reusable ear cleaner », ce qui ne peut pas être fortuit, au regard des points communs, à savoir les cotons-tiges blancs sur fond blanc (le fond comme les cotons-tiges pouvant être d’une autre couleur), le produit posé dessus, mise en scène nullement habituelle ni impérative dans le secteur, le choix d’un produit bleu clair alors que la défenderesse aurait pu choisir un autre produit de sa gamme et un message en Anglais, ce qui illustre, selon eux, une reprise systématique de leurs codes de communication et un comportement parasite reproduisant avec quelques adaptations la communication antérieure de son concurrent et s’économisant du temps, de l’énergie et des couts liés à la conception des supports de communication en entretenant l’ambigüité entre les produits ;
– l’utilisation d’une image représentant un paquet de cigarettes rempli de cotons-tiges assorti du message « plastique kills » alors qu’ils avaient eux-même publié une image de paquet de cigarette rempli de cotons-tiges antérieurement, avec une image d’hippocampe tenant un coton-tige ;
– la reprise par ailleurs de ladite image représentant un hippocampe tenant un coton-tige, qu’ils avaient également utilisée dans une autre publication ;
– la publication d’une image montrant des dessins de déchets plastiques avec un pourcentage, alors qu’ils avaient déjà publié un an plus tôt une image différente montrant les types de déchet plastique dans les océans avec des durées de vie ;
– une image, en avril 2020, représentant le produit au premier plan et la tour Eiffel, floue, en arrière plan, alors qu’ils avaient déjà publié, en février 2019, une vidéo montrant leur produit devant la cathédrale de [Localité 7], donc en reprenant la photographie du produit tenu entre les doigts, main en bas à droite, nets, sur un arrière-plan flou montrant un monument célèbre ;
– une image, en novembre 2020, montrant une tortue prise entre les mailles d’un filet de pêche accompagnée d’un message en faveur du « zéro déchet », alors qu’eux-mêmes avaient déjà pris cette initiative, en janvier 2019 ;
– l’affirmation sur Internet que Ears360 serait le « premier » nettoyeur d’oreille.

Ils ajoutent que M. [M], dirigeant de la société 360 Design, connaissaient M. [F], l’avait accompagné à des salons et avait même participé à hauteur de 2 000 euros au financement des produits Eeears sur la plate-forme de financement participatif Kickstarter.com puis qu’il a ensuite promu son propre produit Ears360 sur cette même plateforme en reprenant la même présentation (le produit sortant d’un sac gris sombre, le produit tenu dans la main, un message indiquant qu’il est lavable à l’eau et qu’il nettoie l’oreille à 360°) ; que M. [F] a présenté le produit Eeears au concours Lépine 2019 puis que M. [M] y a également participé pour son produit en 2021.
Ils estiment que cet ensemble d’éléments traduit un comportement parasitaire par l’adoption systématique d’une communication identique ou similaire dans le but d’entretenir la confusion entre les produits et entreprises concernées et permettant à la défenderesse de s’épargner tout effort dans la conception de sa communication, se plaçant dans leur sillage.
Ils allèguent en conséquence, pour la contrefaçon, un préjudice forfaitaire de 75 000 euros chacun pour M. [F] en tant que titulaire et pour la société Eeears développement en tant que licenciée. Pour la concurrence déloyale, ils estiment que la défenderesse, en s’abstenant « du moindre effort pour différencier ses produits et ses signes distinctifs » et en reproduisant « de façon quasi-servile » les codes de communication de la société Eeears (pour les faits antérieurs au 9 février 2021) et de la société Eeears développement (pour les faits postérieurs, celle-ci ayant repris l’activité à compter de cette date), leur a causé un détournement de clientèle, donc une baisse de chiffre d’affaires et une altération de leur stratégie commerciale correspondant à un préjudice de 50 000 euros pour chacune.
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En réponse, la société 360 Design soutient notamment que l’impression d’ensemble des signes litigieux et marques en cause est suffisamment distincte pour exclure tout risque de confusion, que le public compare les marques comme un tout sans les « décortiquer » artificiellement, que l’élément commun « ears » se trouve d’un côté en début, de l’autre en fin de signe, que l’usage d’un ‘e’ avec une barre oblique ne peut être isolé de l’ensemble du signe et est au demeurant fréquent ; que le produit est encore très différent de la marque tridimensionnelle avec des formes et des dimensions différentes, que le public des produits de la classe 5 est d’un niveau d’attention élevé.
Contre la contrefaçon du modèle, elle expose que, s’agissant de cure-oreilles, l’utilisateur averti en connait les caractéristiques (un manche et une tête insérée dans l’oreille) et sait que ces produits peuvent être dangereux s’ils sont mal utilisés ; que le degré de liberté du créateur est limité par l’obligation de pouvoir insérer le produit manuellement dans le conduit auditif pour nettoyer l’oreille en le tenant et le manipulant d’une main, de sorte que des différences même mineures suffisent à produire une impression globale différente ; qu’au cas présent le manche des produits en cause est radicalement différent, que chacun mentionne sa propre marque, ce qui renforce leur différence, outre que le fait que l’inscription soit en relief est courant pour les produits destinés à être rincés sous l’eau afin d’éviter son effacement ; que la tête du modèle est cruciforme et celle du produit litigieux est généralement cylindrique avec un filet hélicoïdal ; qu’elles sont donc radicalement différentes ; que si le modèle peut prendre la forme d’une spirale lors de son utilisation par la torsion de la partie cruciforme, cette caractéristique n’est pas visible par l’utilisateur (puisqu’elle existe seulement quand le produit est dans l’oreille) ; que le modèle et le produit litigieux sont de taille différente (3,7 cm contre 5 cm pour le manche, 1,5 cm contre 2 cm pour l’embout).
Contre la concurrence déloyale, la société 360 Design soutient que les éléments de communication litigieux sont extrêmement banals et sont couramment utilisés, qu’il s’agisse de l’usage de maquettes anatomiques pour aider à la bonne compréhension d’un produit qui doit être inséré dans le corps humain, de la représentation d’un produit devant un monument public, du fait de tenir le produit de la main qui a pour but de montrer sa taille, de la main droite en particulier (90% de la population étant droitière), du flou de l’arrière-plan qui provient du focus de l’appareil photo sur le produit à mettre en avant, du thème de l’écologie, la photographie de l’hippocampe étant d’ailleurs une célèbre image du photographe [W] [X] régulièrement reprise pour dénoncer la pollution humaine, du choix des couleurs, banales notamment pour des produits d’hygiène et notamment les cotons-tiges, du choix de vendre les produits à l’unité, par deux, trois ou quatre, de la levée de fonds sur Kickstarter et de la participation au concours Lépine.
Elle estime qu’il n’en résulte pas davantage de parasitisme, faisant valoir que le parasitisme implique la preuve d’une valeur économique individualisée et procurant un avantage concurrentiel, donc de la réalité, de la nature et du montant de l’effort intellectuel et financier consacré à sa création, ainsi que la preuve de la volonté de se placer dans le sillage d’autrui, alors que, estime-t-elle, les demanderesses n’allègue aucun grief spécifique sur le parasitisme hormis le fait qu’elle se serait épargné des efforts créatifs, mais sans le prouver.
Elle estime la procédure abusive, en ce que dès sa réponse à la mise en demeure des demandeurs en février 2021, son conseil en propriété industrielle leur a exposé l’absence de toute contrefaçon ou concurrence déloyale ; que cela a été confirmé dans le cadre de l’incident, le juge de la mise en état ayant rejeté les mesures d’interdiction provisoire au motif qu’aucun élément ne permettait alors de fonder une quelconque responsabilité et rappelant que le maintien d’une procédure en connaissance de son manque de fondement était un abus ; qu’ainsi la présente action ne s’explique que par la volonté de continuer à perturber déloyalement un concurrent. Elle affirme subir de ce fait un « préjudice considérable » car la procédure, depuis près de 2 ans, l’a contrainte à mettre un frein à son développement commercial en arrêtant sa communication alors qu’elle démarrait son activité et venait d’être primée au concours Lépine ; que le procès l’a empêchée de profiter de cette mise en lumière, de même qu’elle l’a, affirme-t-elle, empêchée de recruter, le budget correspondant ayant été alloué aux besoins de la procédure et de la refonte de son site internet, par précaution, au point que la mise en « stand by » de son activité a forcé son dirigeant, M. [M], à exercer une activité parallèle, et l’a empêchée de « prendre sa place » sur le marché du coton-tige réutilisable, qui était en plein essor, l’offre s’étant depuis nettement étoffée et la concurrence accentuée. Elle ajoute que la durée de la procédure ne lui est pas imputable.

MOTIVATION

I . Demandes en contrefaçon de marques

Le droit conféré par les marques de l’Union européenne est prévu par le règlement 2017/1001, à son article 9, ce dernier étant ainsi rédigé :
« 1. L’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque :

a) ce signe est identique à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée ;

b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque ;

(…) »

Constitue un risque de confusion le risque que le public puisse croire que les produits ou les services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement. Il doit être apprécié globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents, qui sont interdépendants, dont le degré de similitude entre les produits ou services et les signes en cause, la connaissance de la marque sur le marché, mais aussi le degré de distinctivité de cette marque, le risque de confusion étant d’autant plus grand que celle-ci est plus distinctive, et inversement (voir par exemple CJUE 11 juin 2020, China construction bank, C-115/19 P, points 54 et 55, CJUE, 18 juin 2020, Primart, C-702/18 P, point 51 et jurisprudence citée, notamment CJCE, 29 septembre 1998, Lloyd Schuhfabrik, C-342-97, points 19 et 20, CJCE 11 novembre 1997, Sabel, C-251/95, point 22).
L’atteinte au droit conféré par la marque de l’Union européenne est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l’article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle.
Au cas présent, les demandeurs critiquent l’usage du signe verbal « ears360 » et des deux signes figuratifs suivants : et

La marque verbale « Eeears » et la marque figurative n’ont en commun avec ces signes que la présence d’un élément « ears » dont les demandeurs soulignent eux-mêmes que le public pertinent comprend qu’il veut dire oreilles. Les produits en cause étant des cure-oreilles, cet élément désigne la destination du produit et est donc dépourvu de tout caractère distinctif, de sorte qu’il ne peut pas entrainer de risque de confusion.

S’agissant de l’inclinaison du ‘e’ dans le nouveau signe ears360, le seul fait que les 3 ‘e’ de la marque soient également inclinés est très loin de suffire à caractériser un risque de confusion. De même, la similitude de procédé tenant à l’évocation de la forme de l’embout du produit dans le signe (un + dans la marque figurative eeears, un tourbillon à la place du 0 dans l’un des signes litigieux) est trop indirecte pour être perçue comme une ressemblance entre ce signe et la marque.

La marque tridimensionnelle en cause représente la forme du produit. Or, dans un tel cas, seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et est, de ce fait, susceptible de remplir sa fonction essentielle d’origine, n’est pas dépourvue de caractère distinctif (CJUE, 12 février 2004, Henkel, C-218/01, point 49 ; plus récemment, CJUE, 12 décembre 2019, Wajos, C-783/18, point 24).

Le produit dont la marque reproduit la forme est constitué d’un manche à peu près conique et d’un embout cruciforme destiné à entrer et tourner dans l’oreille. Ces éléments ne divergent pas de la norme pour un cure-oreille et ne sont donc pas distinctifs. Seule la reprise de la marque figurative Eeears sur le côté du manche est distinctive. Or cet élément n’apparait pas sur le produit litigieux. La forme de ce produit ne crée donc aucun risque de confusion avec cette marque.
Par conséquent, les demandes fondées sur la contrefaçon de marque, manifestement dépourvues de sérieux, sont rejetées.

II . Demandes en contrefaçon de modèle

La protection conférée par un dessin ou modèle communautaire est régie par l’article 10 du règlement 6/2002, selon lequel cette protection s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente, son étendue devant être appréciée en tenant compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.
Dans ce cadre, en vertu de l’article 19 du règlement, le dessin ou modèle enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser, ce qui inclut la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins.
Toutefois, en vertu de l’article 8, paragraphe 1, un dessin ou modèle ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique.
En vertu de l’article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle, l’atteinte à ce droit est une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.

Au cas présent, le produit litigieux (reproduit ci-dessus) n’a pas la même forme de manche ni la même forme d’embout que le modèle, pas plus que la même inscription sur le côté du manche. Les seuls éléments communs ne sont en définitive que le principe d’un embout entrant dans l’oreille, le principe d’un manche pouvant être tenu par les doigts, celui de l’apposition de la marque sur le côté du manche et la taille relativement réduite de ce manche. Ces seules similitudes, dont la généralité confine au concept et dont les deux premières sont au demeurant exclusivement imposées par la fonction technique (nettoyer l’oreille, être tenu par la main), ne peuvent déterminer un caractère individuel et donc une impression visuelle. Le produit litigieux, qui diffère très nettement du modèle dans la déclinaison concrète de ces principes généraux (l’embout est un cône fileté ou, autrement formulé, une mèche spiralée, tandis que le manche est convexe et non conique) ne produit manifestement pas la même impression visuelle que le modèle.
Par conséquent, les demandes en contrefaçon de modèle, là encore dépourvues de sérieux, sont rejetées.

III . Demandes en concurrence déloyale et parasitaire

La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité civile édicté par l’article 1240 du code civil, consiste en des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre. L’appréciation de la faute doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits.
Constitue également une concurrence déloyale et est ainsi fautif au sens de l’article 1240 du code civil le fait, pour un agent économique, de se placer dans le sillage d’une entreprise en profitant indument des investissements consentis ou de sa notoriété, ou encore de ses efforts et de son savoir-faire ; qualifié de parasitisme, il résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité (Cass. Com., 4 février 2014, n°13-11.044 ; Cass. Com., 26 janvier 1999, n° 96-22.457), et qu’il faut interpréter au regard du principe de liberté du commerce et de l’industrie.
Le nom commercial ou la dénomination sociale reprenant, dans une partie de l’ensemble qui le constitue, le terme anglais « ears », dont il a été vu qu’il ne peut pas susciter de risque de confusion dans une activité concernant les cure-oreilles, ne saurait être fautif. Il ne s’agit que l’usage par plusieurs acteurs du même élément dépourvu de tout pouvoir distinctif et si cette pluralité d’acteurs utilisant le même élément peut légitimement sembler gênante au premier qui a fait ce choix, la cause de cette gêne ne réside pas dans une faute du ou des concurrents ayant fait le même choix mais bien dans le choix initial de fonder sa communication sur un élément non distinctif.
L’usage, pour des produits, des couleurs blanc, vert, rose, bleu, ne saurait être interdit, pas plus que la présentation, banale, des produits à l’unité, par deux, par trois et par quatre. Au demeurant, ici, si les gammes de couleurs se ressemblent en partie, les couleurs précises des produits en cause sont distinctes, de même que leur dénomination, chaque partie ayant attribué à ses coloris des désignations fantaisistes différentes.
Le fait de participer au concours Lépine ou de lever des fonds sur la plateforme de financement participatif Kisckstarter ne peut pas être réservé à la première entreprise qui en a l’idée.
Pour le reste, il est constant que la société 360 Design a repris, dans sa communication sur les réseaux sociaux (Facebook et Instagram) plusieurs idées que la société Eeears développement avait déjà mises en oeuvres : le recours à une maquette anatomique montrant en coupe l’intérieur de l’oreille pour illustrer le fonctionnement du produit, à une image du produit, bleu dans les deux cas, sur des cotons-tiges blancs avec un message en Anglais, une image de paquet de cigarette rempli de cotons-tiges pour critiquer les méfaits de ceux-ci, une photographie prise par un tiers montrant un hippocampe tenant un coton-tige rose, une infographie sur les déchets plastiques, une photographie du produit en premier plan devant un monument en arrière-plan, des images similaires pour la campagne Kickstarter avec une trousse de toilette de couleur gris sombre, une vue du produit tenu à la main sous un filet d’eau avec un message indiquant qu’il est lavable à l’eau, une vue du produit dans l’oreille avec un message indiquant qu’il nettoie à 360°.
Ces éléments traduisent certes une imitation d’un certain nombre d’idées et de concepts précédemment mis en oeuvre par la demanderesse. Il ne s’agit toutefois que d’idées et de concepts et non d’une valeur économique individualisée résultant d’un investissement.
En effet, chaque image litigieuse résulte d’une création de la part de la défenderesse et non de la reprise telle quelle d’une image précédente de la demanderesse : – la maquette anatomique est différente et si, comme le souligne la demanderesse, d’autres types de représentations sont possibles, aucun n’est plus appropriable qu’un autre ;

– les images en cause montrant le cure-oreille posé sur un amas de cotons-tiges sont très différentes l’une de l’autre, celle de la demanderesse montrant le produit sur un ensemble de cotons-tiges en désordre, sur une très faible épaisseur, sur une surface plane, et occupant les deux tiers hauts de l’image, le produit au centre et la marque puis le message en anglais juste en-dessous, tandis que dans l’image litigieuse les cotons-tiges forment un amas s’élevant très haut, le sol n’est pas visible, le produit, certes au centre, est ainsi comme porté par les cotons-tiges, et la marque avec le message en anglais est tout en haut de l’image, le message en anglais étant, enfin, très différent (« nettoyeur d’oreille réutilisable » dans un cas, « la meilleure façon de nettoyer vos oreilles » dans l’autre) ; quant au fait d’utiliser la langue anglaise, particulièrement banal, il n’est pas sérieux d’en faire un élément litigieux ;

– le paquet de cigarette, dans les deux cas, est également très différent : dans l’image de la demanderesse, les cotons-tiges sont bien rangés, deux têtes seulement dépassant des autres, le paquet est marron avec, sur sa moitié supérieure, une partie de la photographie de l’hippocampe, et sur sa moitié inférieure, en petits caractères, « cotton buds » (cotons-tiges), tandis que le paquet de cigarette dans la communication litigieuse montre les cotons-tiges désordonnés, beaucoup à moitié sortis de la boite, dont la face avant est occupée, dans sa moitié supérieure, par une photographie d’un sol sombre ressemblant à du sable sur lequel est écrit en capitales « help » (à l’aide) et, dans sa moitié inférieure, en noir sur blanc encadré de noir, « plastic kills » (le plastique tue) ;

– la photographie de l’hippocampe est utilisée en entier, seule, par la défenderesse, avec pour commentaire, en Anglais, « Nous devons nous occuper de notre planète et de nos océans ! Utilisez des produits réutilisables ! » tandis que la demanderesse avait utilisé cette image, dont il est constant qu’elle émane d’un tiers, à deux reprises, la première, recadrée, intégrée au paquet de cigarettes, la seconde dans une publication en combinaison avec une image de son produit et une image parodique commentée (un « mème ») montrant un homme assis entre deux statues, leur parlant, avec comme légende, en Anglais, « il ne me croit pas… Mais je lui ai dit, l’idée vient de l’hippocampe » ; il s’agit donc seulement de la reprise de la même photographie célèbre et sur laquelle aucune des partie de détient d’exclusivité, dans un cadre et d’une façon différents ;

– l’infographie sur les déchets plastiques est, elle aussi, très différente et est issue de créations indépendantes (l’une montre une photographie de bouteille en train de se décomposer dans l’eau et des images de déchets plastiques, dont aucun coton-tige au demeurant, avec leur durée de vie, l’autre montre, dessinés, des déchets plastiques en indiquant leur importance relative dans les cours d’eau européens ; au demeurant, chacune de ces deux images porte le logo d’organismes tiers qui, à l’évidence, en sont les créateurs respectifs ;

– l’image du produit devant un monument est, pour chaque partie, très différente, montrant un monument différent, sous un éclairage différent et des messages différents (la tour Eiffel sous un ciel bleu et la promotion d’une campagne de financement participatif sur Kisskissbankbank pour la défenderesse, une église londonienne sous un ciel gris pour promouvoir le produit au Royaume-Uni dans le cas de la demanderesse), outre que le fait de tenir le produit en bas à droite n’a rien de remarquable ;

– si les deux parties ont, à un moment ou à un autre, publié une photographie de tortue, il s’agit pour la défenderesse d’une tortue prise dans un filet avec pour commentaire, en anglais, « Désormais, qui prend #soin de ses #oreilles peut prendre soin des #océans », tandis que la demanderesse avait seulement partagé une publication d’un tiers montrant une autre photo de tortue en mauvais état (le cou apparemment serré dans une maille de filet mais sans que cela soit clair), intitulée en Anglais « la réalité de nos océans », et à laquelle la demanderesse a seulement ajouté « so sad » (tellement triste) ;

– la présentation du produit, en vue d’un financement participatif, sous l’eau d’un robinet pour en illustrer le nettoyage et dans l’oreille en expliquant qu’il tourne sur lui-même à 360°, sont des éléments attendus, et les images utilisées de chaque côté sont différentes et issues de créations indépendantes ; l’usage d’une trousse de toilette gris foncé est, indéniablement, un détail particulier que la défenderesse a volontairement copié dans sa présentation ; pour autant, la trousse est différente et l’ensemble de cette présentation n’est pas la copie servile de la première.

Quant au fait que, en lançant une recherche Google « EARS 360 FIRST », le 2e résultat soit la page Instagram de la société 360 Design avec comme intitulé « 1st Reusable ear cleaner (@ears360) » (soit « 1er nettoyeur d’oreille réutilisable »), il n’en résulte qu’un résultat ambigu dans une recherche orientée, outre que la demanderesse n’expose pas en quoi qualifier son produit de « premier » serait fautif ni quelle conséquence elle aurait personnellement subie de ce fait.
Ainsi, l’ensemble de ces éléments traduit certes une imitation fréquente de thèmes ou d’idée de communication mais, d’une part, il s’agit d’idées convenues dont la reprise est en principe libre, d’autre part leur reprise a toujours eu lieu longtemps après la première publication par la demanderesse (jamais moins d’un an), de sorte que cette imitation générale n’a pas interféré avec sa communication et ne constitue pas la reprise indue d’un investissement, ni n’a pu créer de risque de confusion.
Le fait que le dirigeant de la société 360 Design soit un ancien ami ou collaborateur de M. [F] permet certes de comprendre l’origine de l’animosité de celui-ci mais n’est pas une circonstance susceptible de rendre plus critiquable le comportement, licite, de celui-là et de sa société.
La demande en concurrence déloyale et parasitaire est, par conséquent, rejetée.

IV . Demande reconventionnelle pour procédure abusive

En application de l’article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Le droit d’agir en justice dégénère en abus lorsqu’il est exercé en connaissance de l’absence totale de mérite de l’action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l’autre partie à se défendre contre une action ou un moyen que rien ne justifie sinon la volonté d’obtenir ce que l’on sait indu, une intention de nuire, ou l’indifférence aux conséquences de sa légèreté.
Les demandes fondées sur les marques et le modèle sont manifestement dépourvues de sérieux, reposant seulement, en définitive, sur la critique de ressemblances génériques que le droit des marques et le droit des modèles visent précisément à laisser libres et ignorant les divergences pertinentes, ce que les demandeurs, assistés d’un professionnel du droit, ne pouvaient plus ignorer après la réponse apportée par la défenderesse. Si l’animosité résultant des relations passées entre les personnes physiques concernées peut expliquer en partie la légèreté de la première mise en demeure, elle n’excuse en rien l’introduction de la procédure puis son maintien après avoir reçu des réponses argumentées en fait et en droit.
En maintenant pourtant leurs demandes en contrefaçon, M. [F] et la société Eeears développement ont imposé à la défenderesse de gérer pendant plus de deux ans le risque, que l’aléa judiciaire l’empêchait d’écarter, d’un arrêt complet de son activité, et ont imposé à l’autorité judiciaire de consacrer à cette affaire des ressources qui auraient dû pouvoir être allouées aux autres procès.
Le fait que, par ailleurs, les demandes en concurrence déloyales reposent simplement sur une erreur d’analyse mais pas sur une légèreté fautive ou une intention malveillante est indifférent dans la caractérisation de l’abus de procédure, dès lors que ces demandes n’étaient susceptibles de fonder qu’une réparation modique et une interdiction de certaines modalités de communication mais pas l’interdiction complète du produit de la défenderesse, laquelle ne reposait que sur l’allégation abusive du risque de confusion avec les marques et de contrefaçon du modèle.
M. [F] et la société Eeears développement doivent par conséquent être condamnés in solidum à payer une amende civile de 2 000 euros.
Il en résulte par ailleurs pour la défenderesse un préjudice tenant à la perturbation inévitable de son activité, s’agissant d’une petite entreprise venant de lancer son produit confrontée à un procès visant à lui interdire complètement la poursuite de son activité. La défenderesse se contente toutefois d’allégations qu’elle n’étaye par aucune pièce, de sorte que l’étendue de ce préjudice ne peut être appréciée qu’a minima, soit à hauteur de 10 000 euros.

V . Dispositions finales

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu’il détermine, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de cette partie.
Les demandeurs perdent le procès et sont donc tenus in solidum aux dépens. Ils doivent également indemniser la défenderesse de ses frais de procédure. Celle-ci produit pour en justifier une attestation du chef comptable du cabinet de son avocat, selon laquelle ce cabinet lui a facturé plus de 56 000 euros depuis janvier 2022 dans le cadre de la présente procédure. Cette somme est en grande partie justifiée au regard de la longueur de la procédure et du nombre de moyens soulevés par les demandeurs ; elle n’est certes pas entièrement compréhensible au regard du niveau de l’affaire, mais la société 360 Design a elle-même limité sa demande à 40 000 euros, somme à laquelle l’équité permet de fixer l’indemnité mise à la charge des parties perdantes.
L’exécution provisoire est de droit et rien ne justifie de l’écarter au cas présent.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal :

Rejette les demandes de M. [F] [I] et de la société Eeears développement (dommages et intérêts, interdictions, destruction, transfert de nom de domaine, suppression de contenu, publication, indemnité de procédure) ;

Condamne in solidum M. [F] [I] et la société Eeears développement à une amende civile de 2 000 euros ;

Condamne in solidum M. [F] [I] et la société Eeears développement à payer 10 000 euros de dommages et intérêts à la société 360 Design and product pour procédure abusive ;

Condamne in solidum M. [F] [I] et les sociétés Eeears et Eeears développement aux dépens ainsi qu’à payer 40 000 euros à la société 360 Design and product au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 13 Septembre 2024

Le Greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC


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