Accord de confidentialité : 5 décembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/11002

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Accord de confidentialité : 5 décembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/11002
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 – CHAMBRE 16

ARRET DU 05 DECEMBRE 2023

(n° 85 /2023 , 18 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/11002 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CF6NZ

Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale intitulée « final award » datée du 28 janvier 2022 et rendue à Paris sous l’égide de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale sous la référence n° ICC 24692/AYZ

DEMANDEURS AU RECOURS :

Société RAIYA GROUP

société de droit irakien,

ayant son siège social : [Adresse 5] (IRAK),

prise en la personne de ses représentants légaux,

Monsieur [G] [J] [L] [R]

né le 21 Septembre 1983 à [Localité 6] (IRAK)

Dmeurant : [Adresse 9] (IRAK)

Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocats plaidants : Me Jacques PELLERIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018 et Me Georges AFFAKI, du cabinet AFFAKI, avocat au barreau de PARIS

DEFENDERESSE AU RECOURS :

Société CREST FOODS INTERNATIONAL LTD

société de droit des îles Vierges britanniques incorporée sous le n° 1510116

ayant son siège social : [Adresse 2] TEXAS [Adresse 2] (ETATS-UNIS)

prise en la personne de son représentant légal,

Ayant pour avocat postulant : Me Emmanuel JARRY de la SELARL RAVET & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209

Ayant pour avocat plaidant : Me Jalal EL AHDAB de l’AARPI BIRD & BIRD, avocat au barreau de PARIS, toque : R 255

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 10 Octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Daniel BARLOW dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie d’un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à Paris, le 28 janvier 2022, sous l’égide de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce international, dans un litige opposant la société de droit irakien Raiya Group, partie principale, et M. [G] [J] [L] [R], M. [B] [F] et M. [T] [Z] [M], parties intervenantes, à la société de droit des Iles Vierges Britanniques Crest Foods International Ltd (ci-après : « Crest Foods »).

2. Le différend trouve son origine dans l’exécution d’un accord de développement régional (ci-après « l’Accord ») conclu entre Crest Foods et Raiya Group, le 19 juin 2014, pour l’ouverture de cafés exploitant les marques Neslté et Toll House en Irak.

3. L’Accord a été signé par M. [L] pour le compte de la société Raiya Group.

4. Son article 1.4 stipule qu’il est passé conformément à un « contrat-cadre de référence produit » conclu entre la société Crest Foods et la société Nestlé Middle East FZE (ci-après « Nestlé ») en vertu duquel Nestlé accorde à Crest Foods le droit exclusif de faire figurer les marques « Nestlé » et « Toll House » de manière visible sur les devantures des cafés exploités en Irak.

5. En exécution de l’Accord, Raiya Group et Crest Foods ont conclu six contrats de franchise entre le 17 novembre 2014 et le 7 mars 2017 prévoyant l’ouverture de cafés en échange d’une redevance initiale de franchise et d’une redevance annuelle minimale.

6. Invoquant divers conflits et problèmes, Raiya Group a engagé une procédure d’arbitrage sur le fondement de l’article 11.8 de l’Accord et de l’article 18.9 des contrats de franchise.

7. Au cours de la procédure arbitrale, un incident a opposé les parties sur la recevabilité de certaines pièces produites par Raiya Group, issues d’une autre procédure arbitrale opposant les sociétés Nestlé et Crest Foods.

8. Cet incident a fait l’objet de trois ordonnance de procédure, n° 2, 6 et 7, respectivement rendues les 15 octobre 2020, 2 février 2021 et 16 mars 2021.

9. Par sentence du 28 janvier 2022, le tribunal arbitral a statué en ces termes :

« En référence à ce qui précède, le Tribunal arbitral, dans la présente Sentence définitive, et après avoir examiné le dossier d’arbitrage et tous les arguments soulevés par les Parties, décide par la présente et :

1) Déclare le Requérant en violation de ses obligations contractuelles en vertu des Contrats, à savoir :

a. L’Accord de développement régional signé par et entre le Requérant et le Défendeur le 19 juin 2014 ; et

b. Le « deuxième avenant à l’Accord de développement régional » signé par et entre le Requérant et le Défendeur le 1er décembre 2016 ; et

c. Les Contrats de franchise signés entre le Requérant et le Défendeur :

i. Le Contrat de franchise du 17 novembre 2014 relatif au [Adresse 11] ainsi que son avenant du 1er janvier 2016 relatif au site situé [Adresse 1], et son deuxième avenant du 2 janvier 2019 relatif au site de [Adresse 10] ;

ii. Le Contrat de franchise du 11 février 2015relatif au site d'[Adresse 4] ainsi que son avenant daté du 1er septembre 2016 relatif à l’Université de Technologie ;

iii. Le Contrat de franchise daté du 1er décembre 2016 relatif au site de [Adresse 7] ;

iv. Le Contrat de franchise daté du 9 février 2016 relatif au site du [8], [Adresse 3] ;

v. Le Contrat de franchise daté du 28 mars 2016 relatif au site de l’Université de [Localité 6] ; et

vi. Le Contrat de franchise daté du 7 mars 2017 relatif à l’Université Cihan.

2) Déclare le Défendeur en conformité avec ses obligations contractuelles en vertu des Contrats susmentionnés ;

3) Rejette les allégations du Requérant sur l’erreur, l’impossibilité et les obligations onéreuses ;

4) Rejette les allégations du Requérant sur la mauvaise foi et les fausses déclarations du Défendeur ;

5) Déclare la résiliation de l’ADR et des Contrats de franchise à compter de la date de la lettre de résiliation adressée par le Défendeur au Requérant, soit le 27 août 2019 ;

6) Déclare les Parties intervenantes responsables solidairement et conjointement avec le Requérant envers le Défendeur avant le 1er mars 2016 ;

7) Déclare la Partie intervenante 2 solidairement responsable avec le Requérant envers le Défendeur à partir du 1er mars 2016 et ;

8) Déclare la partie intervenante 1 et la partie intervenante 3 libérées de toute responsabilité encourue en vertu de la présente Sentence définitive pour les faits survenus après le 1er mars 2016 ;

9) Condamne le Requérant à payer, conjointement et solidairement avec la Partie intervenante 2, le montant total indiqué dans la facture émise par le Défendeur le 6 août 2019, et étant égal à 2 098 268,68 USD (deux millions quatre-vingt-dix-huit mille deux cent soixante-huit dollars américains et soixante-huit centimes) ;

10) Rejette toutes les demandes d’indemnisation et autres dommages des Parties ;

11) Déclare le Requérant en violation de ses obligations post-résiliation en vertu de l’ADR et des Contrats de franchise, et ordonne au Requérant, conjointement et solidairement avec la Partie intervenante 2, de se conformer à ces obligations, notamment en restituant les manuels d’opération au Défendeur et en se conformant aux clauses de non-concurrence post-résiliation ;

12) Décide que les frais de retard ne s’appliquent pas aux montants dus au Défendeur ;

13) Condamne le Requérant à payer au Défendeur, conjointement et solidairement avec la Partie intervenante 2, un intérêt annuel à hauteur de 7 % (sept pour cent) sur le montant total dû de la facture émise le 6 août 2019 s’élevant à 369 960,90 USD (trois cent soixante-neuf mille et neuf cent soixante dollars américains et quatre-vingt-dix centimes) à compter de la date à laquelle le Requérant a déposé pour la première fois la demande d’arbitrage le 2 juillet 2019 et jusqu’à la date d’émission de la Sentence définitive. Ces intérêts sont considérés comme faisant partie intégrante du montant principal dû conjointement et solidairement par le Requérant et la Partie intervenante 2 au Défendeur, et s’appliquent chaque année suivante et jusqu’au paiement intégral ; et

14) Condamne le Requérant, conjointement et solidairement avec la Partie intervenante 2, à payer au Défendeur 182 780 USD (cent quatre-vingt-deux mille sept cent quatre-vingts dollars américains) afin de couvrir 100 % (cent pour cent) des frais d’arbitrage fixés par la Cour à 365 560 USD (trois cent soixante-cinq mille et cinq cent soixante dollars américains), qui comprennent les frais administratifs de la CCI, les honoraires et les frais du Tribunal arbitral ;

15) Condamne le Requérant, conjointement et solidairement avec la Partie intervenante 2, à payer au Défendeur 75 % (soixante-quinze pour cent) des frais de justice et des honoraires d’experts du Défendeur, s’élevant à 368 437,50 USD (trois cent soixante-huit mille quatre cent trente-sept dollars américains et cinquante centimes) ;

16) Déclare que le Requérant et les Parties intervenantes supporteront leurs propres frais de justice ; et

17) Condamne le Requérant, conjointement et solidairement avec la Partie intervenante 2, à payer des intérêts annuels à hauteur de 7 % (sept pour cent) sur les montants accordés aux points (14) et (15) ci-dessus à compter de la date de la présente Sentence définitive et jusqu’au paiement final de ceux-ci. Les intérêts sont considérés comme faisant partie intégrante du montant principal dû conjointement et solidairement par le Requérant et la Partie intervenante 2 au Défendeur et sont calculés pour chaque année suivante et jusqu’au paiement intégral.

18) Toutes les autres demandes et réclamations des Parties sont rejetées ».

10. La société Raiya Group et M. [L] ont formé un recours en annulation contre cette sentence devant la cour de céans le 3 juin 2022.

11. Les parties ont adhéré au protocole de procédure de la chambre commerciale internationale.

12. La clôture a été prononcée le 10 octobre 2023, les conseils des parties ayant été entendus en leurs plaidoiries le jour-même.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

13. Dans leurs dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 29 septembre 2023, la société Raiya Group et M. [L] demandent à la cour, au visa des articles 1464, 1509, 1510 et 1520 du code de procédure civile de bien vouloir :

– Annuler la sentence arbitrale intitulée « final award » datée du 28 janvier 2022 et rendue à Paris sous l’égide de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (n° ICC 24692/AYZ), par le tribunal arbitral composé du Dr. Mahmoud Hussein Ali Ahmad, Président, et des Dr. Buraq Swaady Alhamdy, et Talal H. Jaber, co-arbitres ;

– Condamner la société Crest à verser à la société Raiya et à Monsieur [G] [J] [L] [R] la somme de 120 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés pour les besoins de leur défense ;

– Condamner la société Crest aux entiers dépens.

14. Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 26 septembre 2023, la société Crest Foods demande à la cour, au visa des articles 1464, 1509, 1510, 1520 et 1527 du code de procédure civile de bien vouloir :

– Rejeter le recours en annulation ;

– Rejeter l’intégralité des demandes des Demandeurs ;

– Conférer l’exequatur à la sentence du 28 janvier 2022 ;

– Condamner les Demandeurs à verser 100.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

À titre subsidiaire :

– Rejeter le recours en annulation dans son intégralité, à l’exception du paragraphe 17 du dispositif de la Sentence

– Annuler la condamnation des Demandeurs, mentionnée dans le paragraphe 17 du dispositif de la Sentence,

o au paiement d’intérêts de 7 % sur la condamnation au paiement de 182.780 USD pour des frais de l’arbitrage de la Défenderesse ;

o et au paiement d’intérêts de 7% sur la condamnation au versement de 75% des 368.437,50 USD pour les frais de justice et d’expertise de la Défenderesse ;

– Conférer l’exequatur à la sentence du 28 janvier 2022 pour les autres chefs de demande accordés par le Tribunal arbitral aux paragraphes 1 à 16 du dispositif de la Sentence ;

– Condamner les Demandeurs à verser 100.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

15. Les demandeurs au recours invoquent quatre chefs d’annulation tirés de :

– l’exclusion des débats de certaines des pièces produites par Raiya Group (A) ;

– l’allocation à Crest Foods du montant de sa facture du 6 août 2019 (B) ;

– la violation de la position procédurale des parties (C) ;

– l’application par le tribunal arbitral d’un taux d’intérêt aux frais de l’instance et frais d’arbitrage qui n’était pas demandé (D).

A. Sur l’exclusion de certaines des pièces produites par la société Raiya Group

16. La société Raiya Group et M. [L] font grief au tribunal arbitral d’avoir écarté des débats certaines des pièces que Raiya Group entendait produire au soutien de ses positions, ce rejet caractérisant à leurs yeux une violation des droits de la défense et le non-respect par le tribunal de ses propres ordonnances de procédure.

1. Sur la violation des droits de la défense

17. La société Raiya Group et M. [L] exposent que :

– la sentence a été rendue en méconnaissance de l’ordre public procédural, en ce qu’elle prononce des condamnations contre Raiya Group qui découlent d’une atteinte au principe d’égalité des parties, à son détriment ;

– cette société s’est en effet vue priver de la faculté de se défendre dans des conditions qui ne la désavantagent pas, par suite de la décision prise par le tribunal arbitral d’exclure du débat des pièces qu’elle invoquait à l’appui de son argumentation, au motif de leur confidentialité dérivant de leur production au cours d’une autre instance arbitrale ;

– ce retrait a défavorisé la société Raiya Group, rompant ainsi l’égalité des armes au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ;

– les pièces litigieuses ont été écartées avant que le débat au fond ait lieu et ont ainsi fait l’objet d’un contrôle a priori auquel elles n’étaient pas censées être soumises ;

– leur exclusion a engendré le rejet du moyen invoqué par Raiya Group fondé sur la mauvaise foi de Crest Foods, pour absence de preuve, et a empêché Raiya Group de justifier de ses demandes tout en soulageant la société Crest Foods de contester ses allégations ;

– Crest Foods connaissant les pièces qui lui étaient opposées, elle a acquis une place prééminente vis-à-vis de son adversaire dans la détermination des documents servant de preuve ;

– les pièces admises au débat ont été, pour les plus importantes, celles que la société Crest Foods a acceptées.

18. Ils ajoutent que la confidentialité et l’absence de pertinence sur le fondement desquelles le tribunal a exclu les pièces du débat ne justifient pas le déséquilibre créé entre les sociétés Crest Foods et Raiya Group, au vu de l’incidence que ces pièces auraient eu sur le raisonnement du tribunal arbitral si elles avaient été admises, en soutenant que :

– le tribunal arbitral n’a pas eu à s’interroger sur la pertinence des pièces au regard du litige, les motifs d’exclusions invoqués par la société Crest Foods ayant cantonné le débat à la présence de la pièce ou non dans l’instance arbitrale précédente permettant d’éviter toute discussion sur leur contenu ;

– les sociétés Crest Foods et Raiya Group ayant connaissance des pièces litigieuses, leur exclusion des débats n’a permis ni de protéger la divulgation de ces pièces en dehors de ceux qui étaient tenus par la confidentialité, ni de préserver une partie contre des communications de pièces déstabilisantes pour ses droits de la défense ;

– le conseil de la société Nestlé a renoncé à la confidentialité des pièces en acceptant de transmettre les documents à la société Raiya Group ;

– les pièces écartées étaient déterminantes de l’issue du litige en ce qu’elles permettaient d’établir la mauvaise foi de la société Crest Foods ;

– l’article 3, paragraphe 13, des règles de l’IBA sur l’administration de la preuve dans l’arbitrage international prévoit une limitation à la confidentialité des documents produits au cours d’une instance arbitrale aux fins de protection ou de poursuite d’un droit ;

– le juge de l’annulation peut s’évincer de la décision de confidentialité prise par le tribunal arbitral pour évaluer l’égalité des droits des parties pour assurer leur défense, lorsqu’une violation caractérisée de l’ordre public international est alléguée.

19. La société Crest Foods réplique que le tribunal arbitral peut écarter des pièces dans l’exercice de son pouvoir souverain sans porter atteinte à l’égalité des armes. Elle soutient que :

– les demandeurs au recours tentent d’obtenir une révision au fond du litige, le juge de l’annulation n’ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des pièces dans l’arbitrage ;

– l’exclusion des pièces du débat repose sur des motifs légitimes, à savoir leur manque de pertinence au regard des questions en litige et la confidentialité, conformément à l’article 22 paragraphe 3 du règlement d’arbitrage CCI et aux articles 9 et 3 paragraphe 13 des règles de l’IBA sur l’administration de la preuve dans l’arbitrage international ;

– la procédure d’arbitrage parallèle dans laquelle les pièces litigieuses ont été produites était soumise à un accord exprès de confidentialité ;

– la possession de ces pièces par Raiya Group au moment où le tribunal arbitral s’est prononcé sur leur recevabilité n’étant pas nécessairement légitime, elle ne saurait permettre la levée de leur confidentialité.

20. Elle ajoute que l’irrecevabilité des pièces litigieuses n’a pas mis Raiya Group en situation de désavantage dès lors que :

– l’irrecevabilité de documents se rapportant à la relation entre Crest Foods et un tiers, la société Nestlé, et faisant l’objet d’un autre arbitrage auquel Raiya Group n’était pas partie, ne peut être de nature à engendrer un déséquilibre entre les parties ;

– les produits Nestlé en cause n’étaient pas indispensables à l’exploitation des cafés et des solutions alternatives avaient été envisagées ainsi que cela a été retenu dans la sentence litigieuse ;

– le tribunal arbitral, qui connaissait le contenu des pièces au moment où il s’est prononcé sur leur recevabilité, a eu toute latitude pour se forger une opinion sur leur caractère déterminant ou non et sur leur pertinence pour l’affaire ;

– le tribunal arbitral est le seul juge légitime des demandes de production de documents et de la recevabilité des pièces produites à la suite de cette phase de production, le fait que Crest Foods ait eu connaissance des pièces litigieuses n’ayant eu aucune incidence sur la recevabilité ou l’absence de recevabilité des pièces ;

– le tribunal arbitral était conscient de leur contenu et de leur utilité potentielle dans la procédure et Raiya Group a été mise en mesure d’obtenir gain de cause, nonobstant l’exclusion des pièces in fine.

SUR CE :

21. Selon l’article 1520, 5°, du code de procédure civile, l’annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l’ordre public international.

22. L’ordre public international au regard duquel s’effectue le contrôle du juge s’entend de la conception qu’en a l’ordre juridique français, c’est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.

23. Ce contrôle s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.

24. Quelle que soit la procédure choisie, il appartient au tribunal arbitral, en vertu de l’article 1510 du code de procédure civile, de garantir l’égalité des parties et de respecter le principe de la contradiction.

25. L’égalité des armes constitue un élément du procès équitable protégé par l’ordre public international. Elle implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris les preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation substantiellement désavantageuse par rapport à la partie adverse.

26. Elle n’impose toutefois pas l’admission de tout élément de preuve, l’arbitre pouvant être appelé à se prononcer sur la recevabilité des pièces produites devant lui par les parties, son appréciation sur ce point ne relevant pas du contrôle du juge de l’annulation.

27. Il résulte en l’espèce des débats et des pièces versées au dossier que Raiya Group a produit, en cours de procédure arbitrale, une série de pièces issues d’une procédure arbitrale concurrente, opposant Crest Foods à la société Nestlé, qui n’était pas elle-même partie à l’arbitrage objet du présent recours.

28. Crest Foods a contesté la recevabilité de ces pièces dans la procédure arbitrale et demandé au tribunal arbitral qu’il fasse interdiction à Raiya Group de les produire, ce à quoi Raiya Group s’est opposée, les parties adressant divers courriels à ce sujet au président du tribunal arbitral.

29. Par une ordonnance de procédure n° 2 du 15 octobre 2020, le tribunal arbitral a interdit à Raiya Group de divulguer les informations et documents obtenus par ses témoins au cours d’une procédure arbitrale distincte et soumis à un accord de confidentialité exprès, en considérant notamment que :

‘the nature of evidence purported to be led by the Claimant obtained from submissions made in an entirely different proceeding between the Respondent and a third party [‘] is irrelevant and immaterial to the present dispute and therefore cannot be allowed as evidence in the current proceedings. Also, because the documents exchanged in ICC Case [XXX] are subject to confidentiality undertaking as entailed in the Procedural Order dated 11 July 2017’

Traduction libre :

« la nature des preuves prétendument apportées par la Demanderesse et obtenues à partir de productions faites dans une procédure entièrement différente entre la Défenderesse et un tiers [‘] n’est pas pertinente et déterminante pour le présent litige, en conséquence elles ne peuvent pas être recevables comme preuve dans la présente procédure. De plus, les documents échangés dans l’affaire CCI [XXX] sont soumis à un engagement de confidentialité prévu dans l’Ordonnance de procédure du 11 juillet 2017 »

30. Raiya Group a, par courriel du 29 janvier 2021, sollicité l’admission des pièces litigieuses sur un autre motif, en demandant de réserver toute décision sur la pertinence de ces pièces jusqu’à l’audition des témoins lors de l’audience finale. Crest Foods s’est opposée à cette demande en faisant valoir qu’aucune circonstance nouvelle n’était avancée pour justifier de revenir sur l’ordonnance n° 2 et que les pièces étaient toujours sans pertinence dans la procédure l’opposant à Raiya Group.

31. Par son ordonnance de procédure n° 6 du 2 février 2021, le tribunal arbitral a jugé que :

‘9.5 Whereas, in line with the agreement of the Parties and Arbitral Tribunal during the Pre-Hearing Conference, no evidence or documents can be presented before the hearing;

9.6 As such, the Arbitral Tribunal decides to (i) dismiss the Application Requesting Documents’ Submission at this stage of the Arbitration proceedings; and accordingly (ii) currently consider the documents submitted by the Claimant and Additional Parties as part of their email dated January 29th, 2021 inadmissible, noting that the Arbitral Tribunal shall subsequently decide with regards to the possibility of presenting said documents following examination of witnesses and after the final hearing’

Traduction libre :

« 9.5 Attendu que, conformément à l’accord des Parties et du Tribunal arbitral durant la Conférence avant audience, aucune preuve ou aucun document ne peut être produit avant l’audience ;

9.6 De ce fait, le Tribunal arbitral décide de (i) rejeter la Demande d’admission des pièces à ce stade de la procédure arbitrale ; et, par conséquent, (ii) considère pour le moment que les documents soumis par le Demandeur et les Intervenants avec leur email en date du 29 janvier 2021 sont irrecevables, étant noté que le Tribunal arbitral se prononcera par la suite sur la possibilité de produire ces documents après l’audition des témoins et après l’audience finale. »

32. La recevabilité des pièces a été à nouveau débattue lors des audiences tenues devant le tribunal arbitral.

33. Le 4 mars 2021, les parties ont produit des mémoires post-audience reprenant leurs positions respectives.

34. Par l’ordonnance de procédure n° 7 du 16 mars 2021, le tribunal arbitral a statué en ces termes :

‘a.

Declare the admissibility of the redacted versions of exhibits C-008 and C-023 as per the mutual agreement of the Parties;

b. Order the inadmissibility of exhibits C-4, 9, 12-13, 16, 18, 21, 25, 27, 31, and 33 following the Claimant and Additional Parties consent to the Respondent’s objection to that effect and as such, exclude the aforesaid exhibits from the records of the present Arbitration;

c. Decide the admissibility of the exhibits presented and discussed by the Parties at the hearing and that the Arbitral Tribunal has previously refused their admission during these Arbitration proceedings, being exhibits C-049, C-50 and C-051; and

d. Exclude all other documents listed in the Respondent’s request dated February 26th, 2021 for irrelevance and immateriality with regards to the merits of the disputed case subject of this Arbitration.’

Traduction libre :

« a. Déclare recevables les versions caviardées des pièces C-008 et C-023 en application de l’accord des parties ;

b. Ordonne l’irrecevabilité des pièces C-4, 9, 12-13, 16, 18, 21, 25, 27, 31 et 33 en application de l’accord de la Demanderesse et des Intervenants aux objections de la Défenderesse et, en conséquence, exclut ces pièces des registres du présent arbitrage ;

c. Décide que sont recevables les pièces C-049, C-50 et C-051 présentées et discutées par les Parties à l’audience et que le Tribunal Arbitral avait précédemment écartées dans la procédure arbitrale ;

d. Exclut la production de tous les autres documents listés dans la requête de la Défenderesse du 26 février 2021 en raison de leur absence de pertinence et d’importance pour le fond du litige soumis à l’Arbitrage. »

35. Le rappel de ces éléments fait apparaître que :

– l’admission des pièces litigieuses a fait l’objet d’un débat contradictoire nourri entre les parties, qui ont été à même de faire valoir leurs arguments sur ces productions et leur admissibilité à différents stades de la procédure ;

– les décisions du tribunal arbitral ont été motivées par des considérations tirées de la confidentialité de pièces soumises à son examen et de leur pertinence au regard du litige.

36. Ces appréciations relatives à l’admissibilité des preuves relèvent du pouvoir souverain des arbitres. Elles n’entrent pas dans le champ du contrôle du juge de l’annulation.

37. Les demandeurs au recours ne démontrent par ailleurs aucun déséquilibre entre les parties dans le processus d’examen de l’admissibilité des pièces litigieuse.

38. Il résulte en effet de la procédure que chacune des parties a été mise à même de faire valoir ses positions, la rupture d’égalité alléguée par les demandeurs au recours ne pouvant se déduire du rejet par le tribunal arbitral de pièces présentées par l’une d’elles comme déterminantes de l’issue du litige.

39. Raiya Group et M. [L] ne sauraient, dans ces conditions, se prévaloir d’une atteinte à l’égalité des armes ou à leurs droits de la défense, leur argumentation invitant ici la cour à réviser la décision prise par le tribunal arbitral sur l’admissibilité des pièces produites devant lui, ce qui ne relève pas de l’office du juge de l’annulation, les considérations tirées du caractère prétendument décisif des pièces écartées des débats et de l’avantage ainsi procuré à Crest Foods étant à cet égard inopérantes.

40. Le moyen doit dès lors être rejeté comme infondé.

2. Sur le non-respect par le tribunal arbitral de ses propres ordonnances de procédure

41. La société Raiya Group et M. [L] font grief au tribunal arbitral d’avoir méconnu sa mission et violé le principe de la contradiction, faute de s’être référé, dans sa sentence finale, à son ordonnance de procédure n° 7 qui admettait des pièces précédemment exclues par les ordonnances n° 2 et 6. Ils exposent que :

– le paragraphe 10.2.1 de la sentence, qui énonce que les questions relatives à la confidentialité ou à la recevabilité de certains documents ont été tranchées par le tribunal arbitral en vertu d’ordonnances de procédure, ne cite que les ordonnances n° 2 et 6, sans référence à l’ordonnance n° 7, laquelle est particulièrement importante puisqu’elle admet certaines pièces jusqu’alors exclues ;

– ce faisant, le tribunal a écarté les pièces qu’il avait préalablement admises et modifié la teneur du débat sans en avertir les parties ;

– il n’existe aucun élément permettant de conclure qu’il y a là une erreur matérielle ;

– la sentence ne contient aucune référence aux pièces concernées, qui sont totalement éludées ;

– cette absence ne peut être considérée comme fortuite ;

– en prenant soin d’énoncer au paragraphe précité les ordonnances établissant l’état de sa position quant aux pièces, le tribunal arbitral a fait le choix d’une récapitulation précise, l’absence de toute référence aux pièces finalement admises par l’ordonnance n° 7 dans la sentence venant confirmer sa volonté de les écarter des débats.

42. La société Crest Foods réplique que :

– l’affirmation selon laquelle le tribunal arbitral aurait voulu écarter les pièces litigieuses est purement spéculative et ne repose sur aucun fait concret ou élément de procédure indiquant que la défenderesse à l’arbitrage aurait été privilégiée, seule l’issue du litige déplaisant aux demandeurs au recours ;

– l’histoire de la procédure arbitrale démontre, à l’inverse, le souci du tribunal arbitral d’entendre les demandes formées par les demandeurs de réexamen de la recevabilité des pièces litigieuses, qui a fait l’objet d’un débat contradictoire ;

– aucune preuve n’est rapportée de la remise en cause par le tribunal de son ordonnance de procédure n° 7, celle-ci étant citée dans l’exposé de la procédure ;

– le respect du principe de la contradiction n’impose pas au tribunal de se fonder sur l’intégralité des pièces ou de les mentionner dans sa sentence ;

– aucune preuve n’est apportée de la remise en cause par le tribunal arbitral de l’ordonnance de procédure n° 7 ;

– le paragraphe 10.2.1 de la sentence n’avait pas vocation à répertorier toutes les ordonnances prononcées et à rappeler le déroulé de l’ensemble des débats, ce qui était l’objet de l’exposé de la procédure figurant au début de la sentence.

SUR CE :

43. L’article 1520 du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque (3°) le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ou lorsque (4°) le principe de la contradiction n’a pas été respecté.

44. Ce principe veut seulement que les parties aient été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des pièces produites, et qu’elles aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n’ait échappé à leur débat contradictoire.

45. Le tribunal arbitral n’est pas tenu de soumettre aux parties l’argumentation juridique qui étaye la motivation de sa sentence avant son prononcé. Il ne peut toutefois fonder sa décision sur des moyens de droit ou de fait non invoqués.

46. Définie par la convention d’arbitrage, la mission du tribunal arbitral est quant à elle délimitée principalement par l’objet du litige, lequel est déterminé par les prétentions respectives des parties, sans qu’il y ait lieu de s’attacher uniquement à l’énoncé des questions figurant dans l’acte de mission.

47. S’il peut être considéré que le tribunal arbitral s’écarte de sa mission dès lors qu’il ne respecte pas les règles procédurales qui ont été arrêtées par les parties, directement ou par référence, un tel écart ne peut emporter annulation de la sentence que dans la mesure où il est établi qu’il cause un grief à la partie qui l’invoque ou qu’il a eu une incidence sur l’issue du litige.

48. Au cas présent, le paragraphe 10.2.1 de la sentence énonce que :

« Toutes les demandes des Parties relatives aux questions de confidentialité et/ou de recevabilité de certains documents ont été tranchées par le Tribunal arbitral au cours de la présente procédure d’arbitrage lors de la phase de production des documents ainsi qu’en vertu des différentes ordonnances de procédure rendues par le Tribunal arbitral, à savoir l’Ordonnance de procédure n° 2 du 15 octobre 2020 et l’Ordonnance de procédure n° 6 rendue du 2 février 2021. »

49. Si, comme le relèvent les demandeurs au recours, ce passage ne cite pas l’ordonnance de procédure n° 7, qui admet certaines des pièces produites par Raiya Group, cette décision n’en est pas moins rappelée par le tribunal arbitral, qui consacre de longs développements au débat ayant animé les parties sur ces productions, dresse un historique de leurs échanges, en précise la teneur, détaille leurs argumentations respectives et expose la solution retenue in fine quant à l’admissibilité de certaines des pièces querellées et le rejet des autres, ainsi qu’il ressort des paragraphes 8.31.1 à 8.31.9 de la sentence.

50. Il ne peut, dans ces conditions, être considéré que l’absence de mention de l’ordonnance de procédure n° 7 au paragraphe 10.2.1 constitue une remise en cause par le tribunal arbitral de sa décision sur l’admissibilité des pièces en débat, ce paragraphe, qui prend place dans la partie consacrée aux « points à déterminer » pour le traitement du litige, n’ayant d’autre objet que de rappeler que la question de la confidentialité et de la recevabilité des documents n’est plus en débat et n’appelle pas de nouvelle décision de sa part.

51. En quoi, l’omission dans ce paragraphe de la référence à l’ordonnance n° 7, par ailleurs rappelée par la sentence, ne caractérise pas la violation par le tribunal de sa mission alléguée par les demandeurs au recours.

52. Le fait que le tribunal arbitral ne se réfère pas aux pièces admises par cette ordonnance dans la suite de sa motivation ne saurait davantage être regardé comme constitutif d’une telle violation, les arbitres étant libres d’apprécier la pertinence et l’utilité des productions en débats, sans que ce point ressortisse au contrôle du juge de l’annulation.

53. Le rappel par la sentence des multiples échanges intervenus sur l’admissibilité et la pertinence de ces productions démontre quant à lui le respect par le tribunal arbitral du principe de la contradiction, ce principe n’imposant pas aux arbitres de se fonder sur l’ensemble des pièces pour arrêter leur décision, pas plus qu’il ne leur enjoint d’avoir à porter une appréciation sur la pertinence de chacune d’elle, la sentence n’encourant aucun grief de ce chef.

54. Il y a lieu, dans ces conditions, d’écarter le moyen.

B. Sur l’allocation par le tribunal arbitral du montant de la facture du 6 août 2019 à la société Crest Foods

55. La société Raiya Group et M. [L] soutiennent qu’en condamnant Raiya Group à verser le montant de sa facture émise le 6 août 2019, le tribunal arbitral a violé le principe de la contradiction. Ils font valoir à ce titre que :

– le tribunal arbitral a fondé sa décision sur une facture qui n’a jamais été versée au débat, ce document n’ayant pas été produit par Crest Foods comme pièce à l’appui de ses demandes au titre du minimum annuel de redevances ;

– Crest Foods n’a pas revendiqué cette facture dans ses mémoires, que ce soit au titre de ses demandes de versement de redevances perdues pour les cafés non ouverts sur le fondement de l’Accord ou au titre de ses demandes de versement de redevances perdues pour les cafés ouverts sur le fondement des contrats de franchise, qui ne se réfèrent pas à la facture susmentionnée ;

– Rayia Group n’a pas engagé de discussion sur la facture et les montants qu’elle comporte ;

– dans son rapport sur l’évaluation des préjudices de Crest Foods, l’expert ne s’est pas fondé sur cette facture pour effectuer ses calculs, l’affirmation de Crest Foods sur ce point étant erronée ;

– le tribunal a dénaturé l’étendue du débat tenu devant lui ;

– il s’est ainsi appuyé sur un document non discuté contradictoirement par les parties ;

– pour aboutir à ce résultat, il s’est en outre fondé sur deux moyens non-discutés par les parties :

– d’une part, en faisant application de l’article 98.2 de la loi irakienne n° 107, qui énonce une présomption légale d’exactitude des affirmations d’une partie dont la preuve n’est pas contestée par son adversaire, article que Crest Foods n’a jamais invoqué et dont Raiya Group n’a dès lors pu discuter la pertinence ;

– d’autre part, en introduisant un motif décisif sur l’exigibilité anticipée de la facture, qui n’a pas davantage été débattu par les parties.

56. La société Crest Foods réplique que la créance liée à la facture et la facture elle-même ont bien été soumises au débat contradictoire. Elle expose que :

– la créance sous-jacente à la facture était au c’ur des débats, la demanderesse ayant réclamé dans ses écritures le paiement de l’intégralité des redevances annuelles minimales restant dues ;

– la facture était effectivement présente comme pièce per se dans les débats, pour faire partie des pièces listées par l’expert, qui se réfère à une feuille de calcul qui en reprend le montant ;

– le montant de la facture a effectivement été débattu, les demandeurs s’étant appuyé sur ce montant que la défenderesse a reproduit dans le calcul de ses prétentions ;

– le quantum de la créance sous-jacente à la facture a été débattu ;

– le tribunal arbitral pouvait dans l’exercice de son pouvoir juridictionnel valablement décider que le montant de la créance était égal à celui indiqué dans la facture, faute pour cette dernière d’avoir été contestée de la sorte ;

– le tribunal a simplement tiré les conséquences des règles générales régissant la charge de la preuve, sans mettre en ‘uvre une véritable présomption légale, la référence à l’article 98.2 de la loi irakienne n° 107 sur le commerce, superfétatoire, ne caractérisant pas une violation du principe de la contradiction ;

– le juge de l’annulation ne contrôle pas la dénaturation du débat par l’arbitre, les demandeurs à l’arbitrage sollicitant de la cour qu’elle se prononce sur les débats qui ont eu lieu lors de l’arbitrage et procède à une révision au fond du litige ;

– la dénaturation alléguée de la position des demandeurs ne constitue dès lors pas une violation du principe de la contradiction.

SUR CE :

57. L’article 1520, 4°, du code de procédure civile précité ouvre le recours en annulation lorsque le principe de la contradiction n’a pas été respecté.

58. Ainsi qu’il a précédemment été rappelé, ce principe veut seulement que les parties aient été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des pièces produites, et qu’elles aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n’ait échappé à leur débat contradictoire, le tribunal arbitral, qui n’est pas tenu de soumettre aux parties l’argumentation juridique qui étaye la motivation de sa sentence avant son prononcé, ne pouvant fonder sa décision sur des moyens de droit ou de fait non invoqués.

59. En l’espèce, la sentence querellée a condamné Raiya Group, conjointement et solidairement avec M. [L], à payer à Crest Foods « le montant total indiqué dans la facture émise par le Défendeur le 6 août 2019, et étant égal à 2 098 268,68 USD (deux millions quatre-vingt-dix-huit mille deux cent soixante-huit dollars américains et soixante-huit centimes) [‘] ».

60. Il est constant que :

– le paiement de cette facture n’a pas été sollicité en tant que tel par Crest Foods dans ses demandes reconventionnelles, et que

– la facture n’est pas, elle-même, mentionnée dans les bordereaux de pièces joints aux mémoires développant ces demandes.

61. La cour n’en relève pas moins que les demandes reconventionnelles dont s’agit portaient sur l’indemnisation du non-paiement des redevances annuelles minimales, auquel se rattache la facture litigieuse et la créance qu’elle constate. En effet, alors que Crest Foods revendiquait, dans ses demandes reconventionnelles, le « versement des redevances perdues en vertu des contrats de franchise » en proposant une évaluation globale, la facture litigieuse portait sur des redevances annuelles minimales exigées pour des « cafés mis en place (ouverts ou fermés) et les cafés non exploités », le document précisant couvrir « la redevance annuelle minimale pour la durée de l’accord » de sept établissements identifiés, de sorte qu’elle entrait dans le champ de cette demande.

62. Cette facture figurait en annexe au rapport d’expertise produit par Crest Foods durant la procédure arbitrale, avec les autres factures relatives aux redevances réclamées, les demandeurs au recours reconnaissant dans leurs écritures avoir reçu ces pièces le 27 octobre 2020, soit quelques jours après le mémoire en duplique de la défenderesse.

63. Il résulte par ailleurs de la sentence (par. 10.3.6.1.4, 10.3.6.3.21 et 10.3.6.3.38) et de la transcription des audiences des 22 et 25 février 2021 (respectivement p. 23 et pp. 71 à 73 et 121) que le paiement de cette facture a été évoqué et débattu par les parties devant le tribunal arbitral, la société Raiya Group et M. [L], qui reconnaissaient s’être acquittés de toutes les factures émises par Crest Foods à l’exception de celle du 6 août 2019, soutenant en substance que le montant correspondant n’était pas dû car les contrats signés avec Crest Foods ne stipulaient pas leur obligation de payer la redevance annuelle minimale après la résiliation ‘ position reprise dans leur mémoire post-audience du 29 mars 2021.

64. Il s’ensuit que la créance litigieuse, comme la facture à laquelle elle se rapporte, étaient dans le débat tenu devant les arbitres, les demandeurs au recours ne pouvant se prévaloir d’une atteinte au principe de la contradiction de ce chef.

65. S’il est par ailleurs constant que le tribunal arbitral s’appuie, dans sa motivation, sur l’article 98.2 la loi irakienne n° 107 sur les preuves (sentence querellée, par. 10.3.6.3.37), sans qu’il soit démontré que l’application de cette disposition aurait été discutée par les parties, il résulte de la lecture de la sentence que cette référence ne constitue pas un motif décisoire.

66. Elle est en effet citée à la suite de deux paragraphes (10.3.6.3.35 et 10.3.6.3.36) rappelant, en termes généraux, les principes gouvernant la charge de la preuve dans toutes les instances arbitrales, auxquels le tribunal arbitral s’est conformé, le constat de la reprise de ces principes par le droit irakien n’étant pas ici décisif.

67. Enfin, la mention selon laquelle le montant de la facture était dû indépendamment de la date d’échéance qui y figurait (sentence querellée, par. 10.3.6.3.23) ne caractérise pas davantage une atteinte au principe de la contradiction, le tribunal rattachant ce paiement à l’exécution des contrats (par. 10.3.6.3.22), aux manquements constatés (par. 10.3.6.3.24) et aux faits que les sommes étaient dues au titre des redevances annuelles minimales (10.3.6.3.23), tous points qui étaient au c’ur des débats et sur lesquels il n’appartient pas au juge de l’annulation de porter une quelconque appréciation.

68. D’où il suit que le moyen tiré du non-respect du principe de la contradiction à raison de l’allocation par le tribunal arbitral du montant de la facture litigieuse n’est pas fondé.

C. Sur la violation de la position procédurale des parties

69. La société Raiya Group et M. [L] soutiennent que le tribunal arbitral n’a pas respecté sa mission et violé le principe de la contradiction en méconnaissant l’ordre des demandes au regard de la qualité des parties. Ils font valoir à ce titre que :

– Crest Foods avait la qualité de défendeur à la procédure et a formulé des demandes reconventionnelles que le tribunal a examinées avant les demandes principales dont il était saisi ;

– il a, ce faisant, dénaturé la structure du litige et les qualités que chaque partie avait dans la procédure arbitrale, en violation du règlement d’arbitrage CCI et de la volonté des parties, exprimée notamment dans l’acte de mission ;

– cette attitude a conduit le tribunal arbitral a privilégié le point de vue de Crest Foods au détriment de celui de Raiya Group qu’il traite comme un dérivé de celui-ci et subordonnée à celle-ci ;

– ce renversement n’a jamais été abordé par le tribunal arbitral et la sentence ne contient aucune explication à ce sujet.

70. La société Crest Foods réplique que :

– le droit français de l’arbitrage ne prévoit aucune exigence, a fortiori au regard de la contradiction, quant à l’ordre formel de l’examen des positions des parties dans une sentence arbitrale internationale ;

– le tribunal arbitral s’est conformé à l’acte de mission qui ne faisait référence à aucun texte prévoyant d’exigences particulières relatives à la forme de la sentence arbitrale ou à l’ordre dans lequel les arguments devaient être analysés ;

– le règlement d’arbitrage CCI ne prévoit aucune exigence particulière quant à la motivation de la sentence, outre son caractère obligatoire.

SUR CE :

71. S’il résulte des dispositions combinées des articles 1482 et 1506 du code de procédure civile que la sentence arbitrale internationale doit être motivée, à moins que les parties en soient convenues autrement, aucun principe du droit français de l’arbitrage n’impose une quelconque exigence quant à la forme requise pour cette motivation ou quant à l’ordre d’examen par le tribunal arbitral des demandes qui lui sont soumises, les arbitres n’étant pas tenus de soumettre à la discussion des parties l’ordre dans lequel ils entendent statuer sur ces demandes.

72. Les demandeurs à l’arbitrage ne démontrent pas qu’il résulterait par ailleurs de la convention d’arbitrage, du règlement d’arbitrage auquel elle renvoie ou de la volonté des parties une quelconque exigence de cette nature.

73. Le grief fondé sur le non-respect par le tribunal arbitral de sa mission et l’atteinte portée au principe de la contradiction de ce chef manque donc en droit. Il sera écarté.

D. Sur l’application par le tribunal arbitral d’un taux d’intérêt aux frais de l’instance et frais d’arbitrage

74. La société Raiya Group et M. [L] soutiennent que le tribunal arbitral a statué ultra petita et dépassé sa mission en accordant à Crest Foods des intérêts sur les frais de l’instance et les frais d’arbitrage. Ils font valoir que :

– Crest Foods n’a pas demandé l’application de ces intérêts, les formules qu’elle invoque pour en justifier ne constituant pas des demandes saisissant le tribunal arbitral ;

– le tribunal arbitral ne dispose pas du pouvoir d’accorder des intérêts d’office, le caractère accessoire des intérêts ne permettant pas de considérer qu’une demande d’indemnisation couvrirait nécessairement une demande d’application d’intérêts aux condamnations, ces intérêts n’étant pas prévus de plein droit ;

– Crest Foods ne peut se prévaloir des intérêts de plein droit en application de l’article 171 du code civil irakien, le tribunal n’ayant pas retenu un taux de 4 % tel que prévu à cet article mais fait application aux frais et coûts de l’arbitrage des intérêts contractuels limité à 7 % conformément à l’article 172 du code précité ;

– l’article 38 du règlement d’arbitrage CCI n’attribue pas aux arbitres le pouvoir de prononcer une condamnation aux intérêts sur les frais d’arbitrage sans demande des parties en ce sens.

75. La société Crest Foods réplique que le tribunal n’a pas statué ultra petita sur les frais d’arbitrage, dès lors que:

– les parties ont demandé au tribunal arbitral d’accorder toute réparation appropriée et ne se sont pas opposées à l’octroi d’intérêts sur les frais de l’arbitrage ;

– le tribunal arbitral peut accorder de façon discrétionnaire des intérêts moratoires, qui ne sont qu’un simple accessoire des réparations pécuniaires demandées aux arbitres, de sorte qu’ils étaient nécessairement compris dans les demandes de réparation soumises aux arbitres ;

– ce pouvoir est consacré par le droit irakien applicable au fond, par le droit français applicable à titre subsidiaire en tant que droit du siège et par l’article 38 du règlement d’arbitrage CCI.

76. Elle demande à titre subsidiaire, pour le cas où la cour décide d’une annulation à ce titre, qu’elle soit cantonnée à cet élément unique et isolé du dispositif.

SUR CE :

77. La cour relève, à titre liminaire, que, si le titre de la quatrième partie de leurs conclusions mentionne l’article 1520, 4°, du code de procédure civile, le moyen soutenu par les demandeurs au recours est exclusivement fondé sur le non-respect de la mission.

78. Aux termes de sa sentence, le tribunal arbitral a condamné la société Raiya Group et M. [L] à payer à Crest Foods des intérêts à hauteur de 7 % par an sur le montant total des frais d’arbitrage et sur le montant total des frais de justice et des honoraires d’experts, à compter de la date de la sentence et jusqu’au paiement final de ces frais conformément aux termes de l’article 171 du droit civil irakien, en précisant que « Les intérêts sont considérés comme faisant partie intégrante du montant principal dû conjointement et solidairement par le Requérant et la Partie intervenante 2 au Défendeur et sont calculés pour chaque année suivante et jusqu’au paiement intégral » (sentence querellée, par. 11.2.2.3 et point 14) du dispositif).

79. Dans ses mémoires des 14 juillet et 23 octobre 2020 et dans son mémoire post-audience du 29 mars 2021, Crest Foods demandait notamment au tribunal arbitral qu’il :

‘[‘] awards the Respondent the costs of these arbitral proceedings, including but not limited, to all legal costs, the ICC’s administrative fees, the Arbitrators’ costs, fees and expenses, and the costs, fees and expenses of the Respondent’s legal counsel (including any expert and/or witnesses); and

[‘] awards such further relief as the Arbitral Tribunal may deem to be appropriate.’

Traduction libre :

« […] accorde au défendeur les frais de la présente procédure arbitrale, y compris, mais sans s’y limiter, tous les frais de justice, les frais administratifs de la CCI, les frais, honoraires et dépenses des arbitres, ainsi que les frais, honoraires et dépenses du conseil juridique du défendeur (y compris tout expert et/ou témoin) ; et

[…] accorde toute autre réparation que le tribunal arbitral pourrait juger appropriée. »

80. Le mémoire post-audience du 29 mars 2021 comprenait en outre une demande de condamnation à des intérêts ainsi formulée :

‘[‘] orders the Claimant and the Additional Parties to pay interest where interest is not expressly claimed as part of any outstanding sum above (i.e., on late fees and on ‘Other Damage’) a rate of seven percent (or at the maximum rate permissible under Iraqi law), starting from the date on which such sums were due’

Traduction libre :

« ordonne au demandeur et aux parties additionnelles de payer des intérêts lorsque des intérêts ne sont pas expressément réclamés au titre de toute somme impayée ci-dessus (c’est-à-dire sur les frais de retard et sur les “autres dommages”) à un taux de sept pour cent (ou au taux maximum autorisé par la loi irakienne), à compter de la date à laquelle ces sommes étaient dues »

81. Contrairement à ce que soutient Crest Foods, cette dernière prétention ne peut être regardée comme propre à justifier la condamnation à des intérêts moratoires sur les frais d’arbitrage. Se référant explicitement aux demandes de condamnation à des dommages et intérêts à raison des manquements invoqués sur le fond, elle ne se rapporte pas aux frais de procédure, qui font l’objet d’un chef de demande distinct dans les écritures de cette société. Elle ne peut dès lors fonder la condamnation contestée par les demandeurs à l’arbitrage.

82. La demande de condamnation à « toute autre réparation que le tribunal pourrait juger approprié », par son étendue et la généralité de ses termes, apparaît en revanche de nature à justifier la décision du tribunal arbitral sur l’octroi d’intérêts moratoires, qui constituent l’accessoire de la condamnation au paiement des frais d’arbitrage et entraient comme tels dans le pouvoir des arbitres.

83. Dans ces conditions, le grief tenant au non-respect de sa mission par le tribunal arbitral n’apparaît pas fondé.

84. Il résulte de l’ensemble de ces considérations que le recours en annulation formé par la société Raiya Group et M. [L] doit être rejeté.

IV/DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Rejette le recours en annulation formé par la société Raiya Group et M. [G] [J] [L] [R] contre la sentence arbitrale intitulée « final award » datée du 28 janvier 2022 et rendue à Paris sous l’égide de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale sous la référence n° ICC 24692/AYZ ;

2) Rappelle qu’en application de l’article 1527, alinéa 2, du code de procédure civile, le rejet du recours en annulation confère l’exequatur à la sentence arbitrale ;

3) Rejette la demande formée par la société Raiya Group et M. [G] [J] [L] [R] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

4) Condamne in solidum la société Raiya Group et M. [G] [J] [L] [R] à payer à la société Crest Foods International Ltd la somme de cent mille euros (100 000 €) au titre des frais non compris dans les dépens exposés pour les besoins de sa défense ;

5) Condamne in solidum la société Raiya Group et M. [G] [J] [L] [R] aux dépens.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,

 


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