Accord de confidentialité : 3 août 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/01477

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Accord de confidentialité : 3 août 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 21/01477
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ARRÊT N° 474

N° RG 21/01477

N° Portalis DBV5-V-B7F-GIQ5

S.A.S. AVI CHARENTE

C/

[G]

S.A.S. SENSO

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre sociale

ARRÊT DU 03 AOUT 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 avril 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de LA ROCHELLE

APPELANTE :

S.A.S. AVI CHARENTE

N° SIRET : 305 689 432

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]

Ayant pour avocat postulant Me François MUSEREAU de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Vincent MULLER de la SELARL DNA AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Madame [A] [G]

née le 12 mai 1964 à [Localité 7] (971)

[Adresse 4]

[Localité 1]

Ayant pour avocat postulant Me Medhi DUBUC-LARIBI de la SELARL B HEMAZ, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Paul FOURASTIER de la SARL TER AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE SUR APPEL INCIDENT PROVOQUÉ :

S.A.S. SENSO

N° SIRET : 503 143 224

[Adresse 3]

[Localité 5]

Par assignation en appel provoqué du 4 octobre 2021 à la demande de Mme [A] [G]

Ayant pour avocat postulant Me François MUSEREAU de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Vincent MULLER de la SELARL DNA AVOCATS , avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 26 avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Valérie COLLET, Conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIÈRE

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, que l’arrêt serait rendu le 15 juin 2023. A cette date le délibéré a été prorogé au 06 juillet 2023 puis à la date de ce jour.

– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SAS Avi-Charente, anciennement dénommée [KW] Desserts Premium, est une société du groupe [KW] ayant pour activité principale la fabrication de desserts ultra-frais pour la grande distribution. L’associé unique de la société Avi-Charente est la SAS Senso, société holding du groupe [KW], qui était dirigée en 2016 par M. [W] [R], son directeur général. L’associé unique de la société Senso est la SARL Seninvest de droit belge, représentée par M. [L] [KW].

Suivant contrat de travail à durée indéterminée signé le 4 avril 2016, la SAS Avi-Charente a engagé Mme [A] [G], à compter du 11 juillet 2016, pour exercer les fonctions de Directeur Général salarié, sous la responsabilité hiérarchique de M. [W] [R], directeur général du groupe [KW], moyennant le paiement d’un salaire mensuel brut de 11.231 euros, outre une rémunération variable.

Le 4 avril 2016, Mme [G] a signé un accord de confidentialité avec la société Senso prévoyant un intéressement à la cession de la société [KW] Desserts Premium et une indemnité complémentaire de licenciement sous certaines conditions.

Le 3 juillet 2019, Mme [G] a été placée en arrêt de travail pour maladie.

Le même jour, la société Avi-Charente a envoyé à Mme [G] une lettre de convocation pour le 12 juillet 2019 à un entretien préalable à son éventuel licenciement, et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.

Le 16 juillet 2019, la société Avi-Charente a notifié à Mme [G] son licenciement pour faute grave en lui reprochant d’avoir mis en péril la relation commerciale avec le premier client de la filiale.

Par courrier du 2 août 2019, Mme [G] a contesté son licenciement, par l’intermédiaire de son avocat, auprès de son employeur.

Par requête du 23 octobre 2019, Mme [G] a saisi le conseil de prud’hommes de La Rochelle, en contestant son licenciement, en sollicitant le paiement de diverses indemnités et de rappels de salaires et en sollicitant l’application de l’accord de confidentialité du 4 avril 2016 pour obtenir le paiement de l’indemnité complémentaire de licenciement.

Par jugement du 13 avril 2021, le conseil de prud’hommes :

– s’est déclaré incompétent pour connaître du litige opposant Mme [G] à la société Senso,

– a dit que le licenciement de Mme [G] est sans cause réelle et sérieuse,

– a condamné la société Avi-Charente à payer à Mme [G] les sommes suivantes :

* 5.969,15 euros et 596,92 euros brut au titre respectivement du rappel de salaire lors de la mise à pied conservatoire et des congés payés afférents,

* 44.915,31 euros et 4.491,53 euros brut respectivement au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents,

* 23.683,72 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

* 59.887,08 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 6.412,76 euros et 641,28 euros brut au titre respectivement du rappel de rémunération variable et des congés payés afférents,

– a débouté Mme [G] de ses autres demandes,

– a ‘ordonné l’exécution provisoire de droit du jugement’,

– a condamné la société Avi-Charente aux dépens,

– a condamné la société Avi-Charente à payer à Mme [G] la somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– a débouté la société Avi-Charente de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 6 mai 2021, la société Avi-Charente a interjeté appel du jugement, par voie électronique, sauf en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour connaître du litige opposant Mme [G] à la société Senso et ce qu’il a débouté Mme [G] de ses autres demandes.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 29 mars 2023 et l’affaire fixée à l’audience du 26 avril 2023.

Par conclusions notifiées le 11 juillet 2022 par voie électronique, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens, la société Avi-Charente et la société Senso demandent à la cour de :

– déclarer la société Avi-Charente recevable en son appel,

– infirmer le jugement entrepris,

– débouter Mme [G] de ses demandes,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes formées par Mme [G] contre la société Senso,

– renvoyer la cause et les parties devant le tribunal de commerce de Sens,

– débouter Mme [G] de son appel provoqué,

– condamner Mme [G] à payer à la société Avi-Charente la somme de 12.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens dont distraction au profit de Me François Musereau de la Selarl Jurica,

– condamner Mme [G] à payer à la société Senso la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens dont distraction au profit de Me François Musereau de la Selarl Jurica,

– subsidiairement, ramener à de plus justes proportions l’indemnité prévue à l’accord confidentiel du 4 avril 2016.

Par conclusions notifiées le 16 février 2022 par voie électronique, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens, Mme [G] demande à la cour de :

-A titre principal, constater l’absence d’effet dévolutif de l’appel et confirmer le jugement sauf en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour connaître du litige l’opposant à la société Senso, en ce qu’il a condamné la société Avi-Charente à lui payer la somme de 23.683,72 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement, la somme de 6.412,76 et la somme de 641,28 euros brut au titre respectivement du rappel de rémunération variable et des congés payés afférents et en ce qu’il l’a déboutée de ses autres demandes,

– subsidiairement, confirmer le jugement sauf en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour connaître du litige l’opposant à la société Senso, en ce qu’il a condamné la société Avi-Charente à lui payer la somme de 23.683,72 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement, la somme de 6.412,76 et la somme de 641,28 euros brut au titre respectivement du rappel de rémunération variable et des congés payés afférents et en ce qu’il l’a déboutée de ses autres demandes,

– Statuant à nouveau,

* se déclarer compétente pour traiter du litige à l’égard de toutes les parties,

* condamner la société Avi-Charente à lui payer les sommes suivantes :

– 26.437,15 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 14.971,77 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire du contrat de travail,

– 27.701,13 euros brut outre 2.770,11 euros brut au titre respectivement du rappel de rémunération variable et des congés payés afférents,

– 59.887,08 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* condamner solidairement la société Avi-Charente et la société Senso à lui payer la somme de 224.576,56 euros à titre d’indemnité contractuelle de licenciement,

* débouter les sociétés Avi-Charente et Senso de leurs demandes,

* condamner solidairement les sociétés Avi-Charente et Senso à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’effet dévolutif de l’appel

Les sociétés Avi-Charente et Senso soutiennent que les dispositions de l’article 954 du code de procédure civile ont été respectées, faisant observer qu’il n’est pas imposé de reprendre dans le dispositif des conclusions les chefs du jugement critiqués. Elles ajoutent qu’il est suffisant de solliciter dans le dispositif des conclusions l’infirmation du jugement et le débouté intégral des demandes adverses.

Mme [G], se fondant sur les articles 562 et 954 du code de procédure civile, prétend que l’effet dévolutif de l’appel n’a pas joué, à défaut pour les appelants de préciser dans le dispositif de leurs conclusions les chefs du jugement critiqués. Elle en conclut qu’aucun chef de jugement n’est déféré à la cour.

*****

Selon l’alinéa 1er de l’article 954 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, applicable au litige, les conclusions d’appel contiennent, en entête, les indications prévues à l’article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, avec l’indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.

Aux termes des alinéas 2 et 3, les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

En l’espèce, la société Avi Charente et la société Senso sollicitent, aux termes du dispositif de leurs conclusions, l’infirmation du jugement du 13 avril 2021 et le débouté de Mme [G] de ses demandes ainsi que la condamnation de cette dernière aux dépens et à leur payer à chacune une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elles sollicitent également la confirmation du jugement qui s’est déclaré incompétent pour connaître du litige entre Mme [G] et la société Senso et le renvoi de l’affaire devant le tribunal de commerce de Sens. Il s’en déduit qu’hormis le chef du jugement statuant sur la compétence de la juridiction prud’homale, la société Avi Charente et la société Senso demandent l’infirmation de tous les autres chefs du jugement tout en formulant une demande de rejet des prétentions adversaires. Elles ont ainsi satisfait aux exigences de l’article 954 du code de procédure civile précité sans être tenues de reprendre, dans le dispositif de leurs conclusions, les chefs de dispositif du jugement dont elles demandaient l’infirmation.

C’est donc tout à fait vainement que Mme [G] se prévaut de l’absence dévolutif de l’appel, étant observé, à titre surabondant, que la déclaration d’appel, qui emporte effet dévolutif, mentionne, quant à elle, la demande d’infirmation et les chefs du jugement expressément critiqués par la société Avi Charente et la société Senso.

Sur les demandes relatives au licenciement

La société Avi-Charente soutient que Mme [G] a commis une faute grave justifiant son licenciement caractérisée par l’absence de prise de décision quant au dossier d’Ecotaxe Portugaise. Elle précise que Mme [G] a été défaillante dans la gestion d’un contrat angulaire pour le client, déjà présent en Espagne et qui se fournissait auprès de la société Avi-Charente et qui entendait se développer et ouvrir des points de vente au Portugal. Elle ajoute que la demande a eu lieu le 1er mars 2019, que l’écotaxe devait être intégrée dans les conditions tarifaires, que le 28 mai 2019, Mme [G] a signé une proposition de contrat ne tenant pas compte de cette écotaxe, que le client exaspéré a renvoyé le contrat rectifié par ses soins comprenant l’écotaxe et que Mme [G] a attendu la dernière minute pour finaliser le contrat. Elle insiste sur le fait que le 24 juin 2019, soit une semaine avant l’ouverture du magasin [I] au Portugal, Mme [G] était encore en phase d’interrogation avec le cabinet d’avocats alors qu’elle aurait dû avoir à cette date toutes les réponses et non poser des questions. Elle indique encore que Mme [G] a fait preuve d’une grande désinvolture vis-à-vis du client [I], d’un manque de courtoisie vis-à-vis de M. [U] [UC] [C] de la société [I] et d’un comportement inadapté avec le risque de perdre le client [I]. Elle explique que Mme [G] a refusé de recevoir M. [UC] [C] lorsqu’il était dans les locaux, priorisant des tâches de moindre importance (participation à une réunion sur le projet de changement d’ERP ne nécessitant pas la présence permanente du directeur général). Elle rappelle que [I] est un acteur économique majeur en Espagne, leader de la grande distribution alimentaire avec 1636 magasins et 25% du marché espagnol et qu’il s’agit de son client principal puisqu’il représente 34% des volumes et 30% du chiffre d’affaires brut annuel, ce qui représente 84,9% de la rentabilité de l’entreprise. Elle considère que le comportement de Mme [G] doit être apprécié par rapport à ses fonctions telles que définies par la convention collective qui précise que les emplois de direction générale intègre une prise en charge globale de projets pluridisciplinaires et la participation à la définition de la stratégie de l’entreprise et de ses objectifs à long terme.

Mme [G] explique tout d’abord que le retard pris dans le traitement du dossier est dû uniquement à la longueur et à l’âpreté des négociations avec [I] et en particulier à la tentative de tromperie de l’acheteur espagnol qui a essayé de faire supporter à la société Avi-Charente le coût de la taxe éco-emballage portugaise et qui a mis plus d’un mois pour accepter de faire supporter au final la charge de cette taxe à Irmadona (filiale portugaise de [I]). Elle estime n’avoir commis aucune faute dans le suivi de la négociation, exposant que :

– la négociation a commencé en janvier 2019 mais qu’il a fallu attendre le 29 mai 2019 pour avoir une première proposition de contrat,

– si elle a signé ce contrat, il n’a jamais été envoyé à [I] car la supercherie de l’acheteur espagnol avait été découverte,

– l’acheteur a renvoyé un contrat le 3 juin 2019, et non pas le 2 juin, qui ne prévoyait toujours pas la taxe éco-emballage portugaise dans le prix d’achat,

– si personne ne s’était préoccupé de la taxe éco-emballage jusqu’alors, c’est parce qu’aucune proposition de contrat n’avait été faite par [I],

– étant du même avis que la responsable administrative et financière, elle a missionné les commerciaux pour régler la question avec le client, ce qu’ils ont fait puisque le client a fini par accepter, le 25 juin 2019, l’inclusion de l’écotaxe dans les prix d’achat des produits,

– Mme [Z], assistante commerciale, a envoyé au client, le 28 juin 2019, le contrat incluant le coût de taxe éco-emballage,

– le client a immédiatement contesté la façon dont les prix étaient renseignés de sorte que le contrat a de nouveau été modifié et renvoyé,

– le 29 juin 2019, l’acheteur espagnol est revenu vers la société Avi-Charente en demandant à ce que le contrat intègre la taxe éco-emballage portugaise et non la française,

– étant en déplacement dans une autre région de la France, elle a demandé à un commercial de procéder aux modifications demandées, de signer le contrat en ‘P.O’ et de le poster pour que [I] le reçoive le mardi suivant,

– l’acheteur espagnol a refusé cette solution ainsi que celle du déplacement du commercial français à [Localité 8] pour procéder à la modification, exigeant de venir lui-même dans les locaux de la société Avi-Charente le 1er juillet 2019,

– elle a demandé au commercial de prévenir l’acheteur qu’elle ne pourrait le recevoir le lundi en raison d’une réunion importante mais que les commerciaux s’occuperaient de lui.

Elle ajoute que M. [UC] [C], l’acheteur espagnol, était donc informé bien avant son arrivée sur le site qu’elle ne pourrait pas le recevoir, précisant que dans la mesure où la négociation était terminée, il ne s’agissait que d’une formalité administrative. Elle affirme qu’elle ne pouvait pas quitter sur-le-champ la réunion à laquelle elle participait, s’agissant d’un comité de pilotage stratégique lié au changement d’ERP de l’entreprise où elle devait valider des budgets complémentaires. Elle prétend que sa présence n’était pas essentielle avec l’acheteur espagnol puisque tout avait été préparé et relu. Elle souligne que l’allégation selon laquelle l’acheteur serait reparti furieux n’est pas démontrée. Elle en conclut qu’elle a parfaitement exécuté ses obligations, dans des conditions normales avec quelques tensions comme habituellement. Elle rappelle que le contrat a été signé et qu’il n’est absolument pas démontré en quoi elle aurait gravement mis en danger la pérennité de la société.

*****

1. Selon les articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, énoncée dans une lettre notifiée au salarié. Cette lettre, qui fixe les limites du litige doit exposer des motifs précis et matériellement vérifiables, permettant au juge d’en apprécier la réalité et le sérieux. Le juge ne peut pas examiner d’autres motifs que ceux évoqués dans la lettre de licenciement mais il doit examiner tous les motifs invoqués, quand bien même ils n’auraient pas tous été évoqués dans les conclusions des parties.

La charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse sur aucune des parties en particulier, le juge formant sa conviction au vu des éléments produits par chacun. L’employeur est en droit, en cas de contestation, d’invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier ce motif.

Quand le licenciement est prononcé pour faute grave, il incombe à l’employeur de prouver la réalité de la faute grave, c’est à dire de prouver non seulement la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail mais aussi que cette faute est telle qu’elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.

La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire.

En l’espèce, la lettre de licenciement de Mme [G] du 16 juillet 2019 qui fixe les limites du litige est ainsi libellée :

« Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d’une faute grave et nous vous en avons fait part lors de l’entretien auquel vous avez été convoquée le 12 juillet 2019.

En votre qualité de Directeur Général de la société Avi-Charente, vous êtes responsable de la politique de développement des ventes et du niveau d’activités qui en résulte pour l’usine et son personnel.

Or, vous avez dernièrement failli dans la mise en ‘uvre de cette responsabilité, en mettant en péril notre relation commerciale avec le premier client de la filiale.

En effet, notre plus gros client le Groupe [I] a souhaité nous référencer dans le cadre de l’ouverture le 3 juillet 2019 d’un magasin au Portugal et a adressé une proposition de contrat à Avi-Charente en avril dernier.

Malgré les relances qui vous ont été adressées en interne pour traiter ce dossier avec ce client majeur représentant 30% de l’activité de notre société et plus de 80% du résultat (EBITDA) de l’entreprise, vous avez attendu le 28 mai 2019 pour signer la proposition de contrat adressée à notre partenaire et d’autre part vous n’avez pas inclus l’éco taxe dans la construction tarifaire alors même que le client l’exigeait pour finaliser le contrat.

Depuis cette date, le client, très mécontent de cette première proposition, vous a demandé de revoir les éléments de tarifs et d’inclure l’Ecotaxe portugaise.

N’ayant toujours pas validé une position ferme sur ce sujet, vous avez attendu et finalement rédigé une proposition tarifaire incluant l’Ecotaxe française, trois fois plus élevée que l’Ecotaxe portugaise, proposition qui a encore renforcé le mécontentement du client. De plus, ce n’est que semaine 26, soit seulement 10 jours avant l’ouverture du magasin au Portugal, que vous avez envoyé cette proposition de tarif de vente très au-dessus de ce qui est habituellement pratiqué, courant ainsi le risque de menacer la relation commerciale et le partenariat existant entre [I] et notre société.

Compte tenu de l’urgence, et très insatisfait du traitement du dossier l’acheteur [D], Monsieur [U] [UC] [C], s’est vu contraint par votre attitude négligente et irresponsable de se déplacer chez Avi-Charente afin de négocier et de signer ce contrat qui aurait dû être finalisé depuis des semaines.

Lors de la venue de celui-ci dans les locaux de l’entreprise le 1er juillet 2019, ce dont vous étiez avisée, vous n’avez pas daigné vous présenter à lui et l’accueillir comme il se doit pour un client aussi stratégique pour l’entreprise.

Pire, vous n’avez pas jugé bon de le recevoir lorsqu’il en a fait la demande expresse.

De fait, vous avez donc laissé Monsieur [X] [KP] de rang hiérarchique très inférieur, négocier seul avec Monsieur [U] [UC] [C], l’acheteur [I], dans un climat de défiance que vous avez petit à petit construit par votre manque d’implication et de responsabilité dans la finalisation de ce dossier stratégique.

Monsieur [X] [KP], vous a demandé, après s’être accordé avec le client, et alors que vous étiez en réunion, de venir signer le contrat, ce qui est obligatoire pour les contrats de ce niveau.

Restant sur votre quant à soi, faisant preuve une fois de plus d’irresponsabilité, vous avez refusé de le suivre pour venir signer le contrat avec Monsieur [U] [UC] [C], et c’est Monsieur [X] [KP] qui a dû insister pour vous amener le contrat dans la salle de réunion pour que vous le signiez.

Vous avez ainsi paraphé un contrat stratégique sans même prendre le temps d’une relecture approfondie et commune avec le client.

Cette attitude a fortement déplu au représentant de notre partenaire commercial qui s’était déplacé spécifiquement pour signer ce contrat dans le cadre de l’ouverture, le 03 juillet, d’un magasin au Portugal.

Ce dernier s’est entretenu téléphoniquement avec Monsieur [L] [KW], Président du Groupe, le 02 juillet, pour lui faire part de son mécontentement d’avoir été reçu de la sorte et de sa volonté de ne plus jamais travailler avec vous, vous refusant dorénavant en tant que futur potentiel interlocuteur pour la filiale que vous dirigez contractuellement.

Il a précisé les faits dès le lendemain dans un mail à Monsieur [KW].

Au vu de ces comportements fautifs et irresponsables, nous considérons que vous avez commis une faute grave dans l’exercice de votre fonction de Directeur Général, et qu’au lieu de faciliter le maintien et le développement de la relation commerciale existant entre notre société et son plus gros client, vous avez adopté une attitude volontaire de blocage mettant gravement en danger la relation avec le client et par la même la pérennité de la société.

Ce comportement est injustifiable et incompatible avec votre niveau de responsabilité et les délégations de pouvoir pour engager la société qui en résultent.

Les explications que vous nous avez fournies au cours de notre entretien du 12 juillet ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.

En conséquence, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.

Compte tenu de la gravité de cette faute et de ses conséquences, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible pendant la durée de la procédure.

Nous vous confirmons, pour les mêmes raisons, la mise à pied à titre conservatoire qui vous a été notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception du 03 juillet 2019.

Le licenciement prend donc effet immédiatement dès l’envoi de cette lettre et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date, sans indemnité de préavis, ni de licenciement[…].»

Il résulte des articles de presse produits par l’employeur que [I], qui est effectivement le plus gros client de la société Avi-Charente, représentant 84,9% de l’EBITDA 2018 et plus de 30% de son chiffre d’affaires, a ouvert son premier magasin au Portugal le 2 juillet 2019 et non pas le 3 juillet 2019.

La société Avi-Charente ne produit toutefois aucun élément démontrant que [I] lui a adressé en avril 2019 une proposition de contrat ni qu’il y aurait eu des relances adressées à Mme [G] en interne pour traiter le dossier.

Mme [G] démontre au contraire par la production d’échanges de mails (pièces 22 et 23) qu’elle a, avant toute proposition de contrat faite par [I], assuré un suivi des négociations puisque :

– le 29 janvier 2019, M. [X] [E] [O] [D], a écrit à M. [X] [KP], commercial de la société Avi-Charente, en lui demandant de remplir une fiche de renseignements et des documents bancaires pour pouvoir référencer la Société Avi-Charente chez Irmadona (société de [I] au Portugal),

– le 31 janvier 2019, M. [X] [KP] a adressé à Mme [P] [TT], assistante comptabilité clients, la fiche à remplir en lui demandant de l’envoyer remplie à toutes les personnes de [I] pour le lendemain avant midi, avec le RIB et la certification PME,

– le 31 janvier 2019, Mme [TT] a renvoyé à M. [KP] la fiche d’identité, le Kbis et le Rib,

– le 1er février 2019, M. [KP] a demandé à Mme [TT] de compléter avec le numéro de tva intracommunautaire, le siret et le paiement à 60 jours,

– Mme [TT] a fait suivre le 4 février 2019 les mails à Mme [K] [V], responsable administrative et financière, laquelle les a fait suivre à Mme [G] qui a, le même jour, indiqué à M. [KP] que ‘nous ne pouvons pas accepter un délai de règlement à 60 jours alors que nous sommes à 26 jours aujourd’hui. Il aurait été souhaitable que tu m’en parle car les conditions de règlement de [I] ont un impact considérable sur notre trésorerie. Je fais modifier la fiche avec un délai de règlement à 26 jours’,

– M. [KP] a répondu le 5 février 2019 à Mme [G] qu’il avait déjà discuté de ce point avec son homologue espagnol et que la ‘fiche n’a aucune validité à part celle de nous créés informatiquement dans l’entrepôt d’Irmadona.’

Le mail du 1er mars 2019 que l’employeur produit, adressé par M. [KP] à Mme [V] et Mme [G], aux termes duquel il sollicite le RIB de la société pour le transmettre à [I] pour le référencement au Portugal s’inscrit donc dans la suite des échanges ayant débuté en janvier 2019. En outre, le fait que M. [KP] indique ‘je devrais recevoir d’ici peu les nouvelles conditions commerciales à signer pour [I] et Irmadona’ ne signifie pas qu’il les a reçues en avril 2019. Mme [G] produit d’ailleurs un mail de M. [UC] [C], adressé à M. [KP] et en copie à elle-même, le 29 mai 2019, par lequel il adresse la proposition de contrat.

Le 3 juin 2019, M. [KP] a répondu à M. [UC] [C] qu’il fallait modifier les informations sur le contrat s’agissant du représentant légal qui était Mme [G] et non M. [R]. A cet égard, la cour observe que la société Avi-Charente ne produit aucun justificatif que le contrat daté du 2 juin 2019 et signé par M. [UC] [C] a effectivement été envoyé à la société. En revanche, il est établi par la production des mails que le 3 juin 2019, à 19h29, M. [UC] [C] a retourné le contrat modifié à M. [KP], lequel l’a transféré à Mme [KJ] [Z] du service commercial en lui indiquant ‘Voici le contrat Irmadona à imprimer et faire signer par FG. D’une part tu auras la souscription pour la taxe éco locale et d’une autre le contrat commercial. Ces deux docs seront à envoyer par voie postale à [KM] [H]’ . Parallèlement, M. [KP] a informé Mme [G] par mail qu’il avait transmis le contrat à Mme [Z] pour qu’elle lui remette à la signature. A 8h50, le 4 juin 2019, Mme [Z] a répondu à M. [KP], Mme [G] étant en copie, pour lui demander ‘de quoi s’agit-il exactement pour la taxe éco-emballage’ Tout comme [I] Espagne, nous ne sommes pas tenus de payer la taxe éco-emballage pour [I] Portugal’, M. [KP] lui confirmant en retour, à 8h52, que ‘c’est à eux de la payer, nous devons juste nous enregistrer auprès de cet organisme’.

Le 5 juin 2019, M. [UC] [C] a renvoyé à M. [KP], Mme [G] étant en copie, des documents modifiés en lui demandant de lui confirmer la date à laquelle il viendrait amener les contrats à [Localité 8] et en lui adressant le document ‘Punto Verde’ (la société Punto Verde étant l’organisme chargé de la collecte et du traitement des déchets au Portugal). M. [KP] a adressé immédiatement à Mme [Z], Mme [G] étant en copie du mail, ‘le contrat à faire signer par FG’ et en lui indiquant ‘pour l’autre document, Punto Verde, ne signez rien, ne l’envoyez pas. [U] me semble avoir toutes les infos et semblerait qu’il y ait quelque chose à payer. J’attends son retour.’

S’il est établi que Mme [G] a effectivement signé le contrat, il n’en reste pas moins que cela n’a eu aucune incidence à défaut pour l’employeur de rapporter la preuve qu’il a été renvoyé au client espagnol.

Le 6 juin 2019, M. [KP] a précisé par mail à Mme [Z] ‘les éléments afin de calculer la taxe recyclage à payer….pour rappel, n’envoyez aucune confirmation, il faut que nous évaluions combien cela représente.’ Mme [Z] lui a alors répondu, Mme [G] étant en copie : ‘attention, Avi-Charente ne paie pas la taxe éco-emballage pour [I] Espagne, il devrait en être de même pour [I] Portugal ”. M. [KP] lui a renvoyé le message suivant, Mme [G] étant en copie : ‘Selon [U], la législation portugaise impose au fournisseur cette taxe, en Espagne cet impératif est imposé au distributeur. Mais comme je te l’avais dit hier soir, je lui ai demandé de bien se renseigner car je trouve cela très étonnant d’avoir cet info le jour où il faut signer le contrat.’Mme [V] est alors intervenue dans ces échanges de mail pour préciser, le 7 juin 2019, Mme [G] étant toujours en copie, que : ‘Nous sommes une entreprise française donc non soumis à législation Portugaise’.

A ce stade, il s’avère donc que la position de l’équipe de Mme [G] était contraire à celle de M. [UC] [C], ce dernier considérant que la société Avi-Charente devait supporter la taxe éco-emballage. Ainsi, contrairement à ce qui est mentionné dans la lettre de licenciement, c’est le client espagnol, rédacteur du contrat, qui n’avait pas inclus correctement l’éco-taxe dans la construction tarifaire. De plus, il n’est pas démontré que depuis le 28 mai 2019, le client espagnol avait demandé l’inclusion de l’écotaxe portugaise, étant précisé qu’en tout état de cause, un désaccord persistait sur le point de savoir qui devait supporter cette taxe.

Mme [G] établit ensuite que le 28 juin 2019, le contrat modifié a été envoyé par mail à M. [UC] [C] par Mme [Z] qui lui précisait lui envoyer par courrier dans l’après midi pour une date de réception au 2 juillet 2019. M. [UC] [C] a répondu que ‘cela ne fonctionne pas ainsi. J’ai besoin que vous me disiez le coût réel du point vert qui doit être ajouté à chaque produit..vous ne pouvez pas modifier le contrat, nous devons le remplir nous-mêmes (comme toujours). Ce qui est urgent, c’est que vous remplissiez ce contrat…vous devez le remplir, le signer et l’envoyer de toute urgence en Espagne’.

Si la société Avi-Charente ne démontre pas que la proposition tarifaire faite à ce moment-là était erronée, Mme [G] admet néanmoins que le 29 juin 2019, le client [I] a demandé à ce que le contrat intègre la taxe éco-emballage portugaise et non la française qui avait été insérée par erreur. Mme [G] justifie que le samedi 29 juin 2019, elle ne se trouvait pas à [Localité 2] de sorte qu’elle ne pouvait pas faire la modification elle-même du contrat, les parties indiquant que M. [UC] [C] s’est ensuite présenté le 1er juillet 2019 au siège social de la société Avi-Charente pour récupérer le contrat modifié et signé.

Il résulte donc de l’ensemble de ces éléments que le reproche fait par la société Avi-Charente à Mme [G] d’avoir été défaillante dans la gestion du client [I] n’est pas établi, l’employeur présentant une version tronquée de la situation. Les éléments produits par Mme [G] permettent au contraire de retenir que la société Avi-Charente n’a été destinataire d’un premier projet de contrat que le 29 mai 2019 et que ce n’est qu’à sa réception que la question de la taxe éco-emballage s’est posée. Or, les équipes de Mme [G] ont très rapidement réagi face à un client espagnol récalcitrant pour prendre en charge cette taxe, Mme [G] étant en copie de tous les échanges sans qu’il ne soit démontré que son intervention était absolument nécessaire. Il s’avère ainsi que le retard pris dans la rédaction et la signature du contrat est uniquement dû au client espagnol. S’il y a effectivement eu une erreur commise lors de la modification du contrat le 28 juin 2019, il n’en reste pas moins que ce n’est pas cette erreur qui a ‘contraint’ M. [UC] [C] a venir le 1er juillet 2019 mais seulement son refus initial de supporter l’écotaxe portugaise. Par ailleurs, l’employeur se contente d’affirmer sans produire la moindre pièce que la proposition de tarif erronée avait risquer de menacer la relation commerciale et le partenariat existant avec [I].

De plus, si Mme [G] reconnaît ne pas avoir reçu, le 1er juillet 2019, M. [UC] [C] et avoir laissé M. [KP] s’occuper de ce client espagnol, la cour retient que :

– M. [UC] [C] s’est toujours adressé à M. [KP] dans les échanges de mail pour faire les négociations sans s’adresser directement à Mme [G], qui était néanmoins, la plupart du temps, en copie,

– il résulte des échanges de mails précédemment évoqués qu’il n’avait nullement été envisagé initialement que Mme [G] signe les contrats en présence de M. [UC] [C] puisqu’il avait été convenu que les contrats soient envoyés par courrier et/ou que M. [KP] se déplace à [Localité 8] pour remettre les contrats signés à M. [UC] [C],

– l’employeur ne démontre pas que les négociations étaient encore en cours le 1er juillet 2019 de sorte que M. [KP] n’a pas été laissé seul pour finaliser une négociation avec M. [UC] [C], mais seulement pour modifier le contrat déjà finalisé en y intégrant l’écotaxe portugaise,

– M. [UC] [C] a donc été reçu par M. [KP] avec lequel il avait toujours été en contact,

– Mme [G] participait, le 1er juillet 2019, à un comité de pilotage stratégique lié au changement d’ERP (Entreprise Ressource Planning) de l’entreprise,

– la société Avi-Charente affirme sans le démontrer que la présence de Mme [G] à cette réunion était moins importante que de venir rencontrer M. [UC] [C] qui avait exigé de la voir le 1er juillet 2019,

– Mme [G] a effectivement signé le contrat alors qu’elle était en réunion sans pour autant qu’il ne soit démontré qu’elle devait impérativement le relire en présence du client, alors qu’aucune difficulté ne se présentait,

– la société Avi-Charente ne rapporte pas la preuve que M. [UC] [C] aurait été furieux de ne pas avoir été reçu par Mme [G] le 1er juillet 2019 ni qu’il ne voulait plus travailler avec elle dans la mesure où le mail de M. [KW] du 2 juillet 2019 dans lequel il indique à M. [F] : ‘J’ai reçu ce jour 14h14 un appel d'[U] [UC], acheteur de la catégorie Desserts Végétaux de [I], absolument furieux contre [A] et refusant définitivement de communiquer avec elle. Cela ne fait que confirmer nos doutes : il y a danger pour la filiale à la garder à ce poste’, n’est pas confirmé par le mail que M. [UC] [C] a envoyé à M. [KW] à la suite de leur appel téléphonique puisqu’il indique seulement ‘Comme nous en avions discuté auparavant, je me suis rendu hier à l’usine Avi-Charente pour discuter de l’écotaxe portugaise, des tarifs portugais et d’autres sujets habituels. [A] ne m’a pas reçu durant toute la réunion, j’ai demandé à [X] s’il était possible de parler à [A] et il m’a répondu que c’était impossible. Même lors de la signature du contrat, elle ne s’est pas montrée’ et ne fait pas état de son mécontentement ni du fait qu’il ne voulait plus communiquer avec Mme [G].

Il n’est en outre pas démontré que Mme [G] aurait adopté une attitude volontaire de blocage ni en quoi son comportement aurait gravement mis en danger la relation avec le client espagnol, la société Avi-Charente se contentant de procéder par voie d’allégations.

Par conséquent, la cour considère que la preuve d’une faute grave n’est pas rapportée par l’employeur et que les éléments du dossier ne permettent pas de retenir une cause réelle et sérieuse au licenciement de Mme [G]. Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.

2. En application de l’article L.1235-3 du code du travail, Mme [G] qui avait 3 ans d’ancienneté, a droit, dans la mesure où son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, à une indemnité pour réparer son préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi, comprise entre 3 et 4 mois de salaire brut.

Compte tenu de l’âge de la salariée au moment de son licenciement (55 ans), de son salaire brut mensuel moyen (14.971,77 euros), du fait qu’elle n’a pas retrouvé d’emploi, il est justifié de lui allouer la somme de 59.887,08 euros à titre de dommages et intérêts, la société Avi-Charente se contentant de faire valoir de manière inopérante que le licenciement était justifié.

Le jugement entrepris est en conséquence confirmé de ce chef.

3. Le licenciement de Mme [G] étant dépourvu de cause réelle et sérieuse , le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a condamné la société Avi-Charente à payer à Mme [G] la somme de 5.969,15 euros brut à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire, outre la somme de 596,92 euros brut au titre des congés payés afférents, la société Avi-Charente concluant vainement au débouté en considérant, à tort, qu’il existait une faute grave justifiant la mise à pied conservatoire de la salariée.

4. Selon l’article 14 de Annexe II relative aux dispositions particulières applicables aux cadres, ingénieurs, agents de maîtrise et techniciens de la convention collective nationale de l’industrie laitière du 20 mai 1955 :

‘En cas de rupture du contrat de travail à durée indéterminée, la durée du préavis réciproque sera dans tous les cas, sauf faute grave, de :

– 2 mois pour les agents de maîtrise et techniciens ;

– 3 mois pour les cadres et ingénieurs.’

En l’espèce, Mme [G] était cadre et avait donc droit à un préavis de trois mois. Le jugement entrepris est en conséquence confirmé en ce qu’il a condamné la société Avi-Charente à lui payer la somme de 44.915,31 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 4.491,53 euros brut au titre des congés payés afférents.

5. Selon l’article 15 de Annexe II relative aux dispositions particulières applicables aux cadres, ingénieurs, agents de maîtrise et techniciens de la convention collective nationale de l’industrie laitière du 20 mai 1955 :

‘1. Une indemnité de licenciement distincte du préavis est allouée aux cadres, ingénieurs, agents de maîtrise et techniciens licenciés, sauf faute grave de leur part, et à la condition qu’ils comptent au moins 1 année d’ancienneté dans l’entreprise en qualité de cadre, ingénieur, agent de maîtrise ou technicien, et soient âgés de moins de 65 ans au jour du licenciement.

2. Cette indemnité est ainsi calculée :

– 1/30 du salaire annuel par année d’ancienneté dans l’entreprise en qualité de cadre, ingénieur, agent de maîtrise ou technicien avec un maximum de 30/30.

En cas d’années incomplètes, le calcul sera fait pro rata temporis.

3. Le salaire annuel retenu sera le meilleur des 3 dernières années comprenant les primes, gratifications, à l’exclusion des indemnités ayant incontestablement un caractère bénévole ou exceptionnel. Les sommes versées au titre de l’intéressement ou de la participation, résultant des ordonnances de 1959 et de 1967, sont exclues de ce calcul.

4. Pour les cadres, ingénieurs, agents de maîtrise ou techniciens âgés de 50 ans révolus à la date effective de leur départ de l’entreprise, le montant de cette indemnité est majoré comme suit :

– de 50 ans révolus à 55 ans : 50 % ;

– de 55 ans révolus à 60 ans : 35 % ;

– de 60 ans révolus à 65 ans : 20 %.

Le montant total de cette indemnité de licenciement ne peut excéder 45/30 du salaire annuel.’

En l’espèce, Mme [G], âgée de 55 ans révolus au jour de son licenciement, avait acquis 3,27 ans d’ancienneté en tenant compte de la période de préavis non exécuté. En retenant un salaire annuel de 179.661,25 euros, il est justifié de lui allouer une indemnité conventionnelle de licenciement d’un montant de 26.437,15 euros, la société Avi-Charente ne formulant aucune observation sur les modalités du calcul proposées par Mme [G]. Le jugement entrepris est en conséquence infirmé en ce qu’il a limité l’indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 23.683,72 euros.

Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral

Il résulte de l’article L. 1154-1 du code du travail que, dès lors que le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En vertu des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail qui précise que ‘Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel’. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, ce qui implique que le harcèlement moral peut procéder d’une organisation du travail, pour autant toutefois qu’il répond aux conditions posées par la loi à l’égard d’un salarié déterminé.

En l’espèce, Mme [G] expose qu’elle a subi des faits de harcèlement moral pendant plus d’un an avant son licenciement de la part de M. [L] [KW] qui ont eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail et qui ont altéré sa santé physique et mentale depuis le début de l’année 2018. Elle précise que M. [KW] a fait preuve d’agressivité à son égard et a exercé sur elle une pression constante qui l’ont amenée à un état dépressif sévère à partir de décembre 2018. Elle indique qu’il est très probable que cette situation de harcèlement soit à l’origine de son carcinome basocellulaire dont elle a été opérée le 6 décembre 2018. Elle ajoute que l’altercation qu’elle a eue le 2 juillet 2019 avec M. [KW] a accru cet état dépressif de sorte que son médecin l’a obligée à s’arrêter de travailler.

Pour établir la matérialité des faits allégués, Mme [G] produit :

– des échanges de SMS entre M. [KW] et elle, en mars – avril 2018, qui révèlent une agressivité certaine de M. [KW] à l’égard de M. [G], n’hésitant pas à lui écrire en ces termes : ‘Vous n’êtes pas au niveau de la fonction, en restant directrice des ventes MDD. Ne m’appelez pas. Je dois décider de votre sort. D’ores et déjà, à mal gérer les priorités, vous n’aurez pas de bonus cette année. Décision irrévocable’ – ‘Je suis obligé de rabâcher avec vous. Faites bien attention à ne pas me manquer de respect. Je considère que ‘m’oublier’ quand on dirige une filiale, c’est symptomatique d’un manque de vision sur les enjeux et le management du groupe.’

– l’attestation de M. [Y] [S], qui a été compte clé RHD de mars 2017 à novembre 2017 sous la responsabilité de Mme [G] et qui explique avoir vu ‘l’emprise psychologique de Monsieur [KW] sur les équipes historiques qui en avait peur. Mme [G] assumait seule cette pression intense, souhaitant toujours nous préserver pour avancer.’

– le certificat médical du Dr [N], médecin généraliste, du 2 septembre 2020 qui atteste avoir reçu en consultation Mme [G] à plusieurs reprises à partir du 19 décembre 2018 pour un état dépressif sévère nécessitant un traitement et un suivi psychologique.

– des ordonnances de son médecin traitant lui prescrivant à partir du 19 décembre 2018 un anxiolytique et un anti-dépresseur,

– un courrier du 27 novembre 2018 d’un dermatologue à l’attention de son médecin traitant lui indiquant qu’il allait l’opérer pour un ‘Baso frontal + Baso arête nasale’,

Elle s’appuie également sur des échanges de mails produits par la société Avi-Charente dans lesquels M. [L] [KW] lui a répondu de la manière suivante : ‘Oui sinon vous pouvez commencer à chercher du travail. Je ne vous paie pas pour dégrader les résultats. Mettez en place un plan drastique de réduction de charges fixes et limitez encore la hausse logistique. Vous avez une semaine, et vous m’envoyez votre version définitive mardi avant la réunion de mercredi’, ou encore ‘Je ne validerai jamais un tel budget et vous le savez. Il est donc inutile que j’assiste à une réunion pour jouer au marchand de tapis. Si vous confirmez un tel budget, d’autres dispositions seront à prendre.’, le tout sans aucune formule de courtoisie pour terminer les courriels.

Les faits allégués par Mme [G] sont donc matériellement établis et laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral à l’encontre de la salariée. Il appartient donc à ce stade à l’employeur de rapporter la preuve que les agissements de M. [L] [KW] sur Mme [G] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il est précisé que M. [L] [KW], qui n’était ni l’employeur ni un salarié de l’employeur, mais un actionnaire, exerçait une autorité de fait sur Mme [G] puisqu’il lui donnait des directives, lui demandait de ‘lui faire une présentation plus en adéquation avec mes attentes’ lors des entretiens qu’il lui imposait ainsi que cela ressort par exemple du mail du 18 avril 2018 à 14h10 (pièce 2 de la société Avi-Charente). Or, la cour constate que la société Avi-Charente, qui était parfaitement au courant du comportement de M. [L] [KW] puisque M. [J] [F], directeur de ressources humaines de la société Avi-Charente, était destinaire en copie des mails adressés à Mme [G], se contente de :

– déclarer que ‘Mme [G] n’hésite pas à prétendre que son carcinome serait lié à ces prétendus faits de harcèlement. Ceci est indécent’, ce qui est inopérant pour démontrer que les agissements de M. [KW] reposeraient sur des éléments objectifs et alors même que Mme [G] a établi une dégradation de son état psychique,

– reprendre à son compte la motivation du conseil de prud’hommes qui a retenu ‘que l’engagement important du salarié est inhérent à l’acceptation d’un poste de cette nature et de ce niveau de responsabilité’, ‘que les demandes de l’actionnaire exprimaient clairement les attentes légitimes de la holding en termes de résultats et de rentabilité’ , ‘que les demandes relatives au respect de la ponctualité et de la transmission des dossiers attendus ne sauraient être interprétées comme du harcèlement’ et que ‘Mme [G] ne pouvait ignorer le mécontentement de l’actionnaire’ alors que s’il exact que le très haut niveau de responsabilité de Mme [G] impliquait une forte pression inhérente à l’exécution de ses tâches, il n’en reste pas moins que l’agressivité et la pression exercées par M. [KW] sur Mme [G] excédaient manifestement ce qu’un salarié peut raisonnablement supporter. Il est en outre observé que M. [KW] n’a eu de cesse de rappeler à Mme [G] qu’elle devait le respecter (”” Alors’ Un peu de délicatesse à mon égard svp. L’heure c’est l’h. Votre actionnaire est à vos yeux à votre service, je sais, mais tout de même’, ‘Faites bien attention à ne pas me manquer de respect’, sans qu’il ne soit d’ailleurs démontré qu’elle ait été défaillante à cet égard et alors même que M. [KW] n’a pas fait preuve de la réciprocité pourtant nécessaire à toute relation professionnelle.

La société Avi-Charente échoue donc à rapporter la preuve d’une justification objective aux agissements de M. [KW] à l’égard de Mme [G]. La cour retient donc l’existence d’un harcèlement moral.

Mme [G] justifie du préjudice moral occasionné par les agissements de M. [KW] par la production des certificats médicaux qui attestent de la dégradation de son état de santé psychologique, et ce indépendamment du carcinome pour lequel elle a été opérée. Elle justifie également suivre un traitement médicamenteux et avoir rencontré un psychologue du travail en août et septembre 2020, le psychologue indiquant en résumé de l’entretien du 3 août 2020 : ‘vous avez vécu un épisode professionnel difficile. Vous êtes sur une réorientation professionnelle. Je vous propose de vous accompagner sur le chemin de la résilience professionnelle via la méthode RBPO. Nous démarrons ce jour le positionnement sur la matrice et partageons les séquences pédagogiques en lien. Prochain RDV le 03/09’.

La cour est ainsi suffisamment informée pour évaluer le préjudice de Mme [G] à la somme de 35.000 euros au paiement de laquelle la société Avi-Charente est condamnée. Le jugement entrepris doit être infirmé ce qu’il a débouté Mme [G] de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire

La société Avi-Charente, reprenant les motifs du jugement du conseil de prud’hommes, considère qu’il n’y a eu aucune rupture brutale et vexatoire du contrat de travail de Mme [G].

Mme [G] soutient que son licenciement a été brutal, sans aucun préavis alors qu’elle n’avait jamais été sanctionnée ni rappelée à l’ordre. Elle ajoute qu’elle n’a pas pu saluer ses collègues et subordonnés ni donner la moindre explication sur ce qu’il lui arrivait. Elle indique qu’elle était déjà fragilisée par trois années de pression et d’engagement total, qu’elle a sombré dans une forte dépression, et qu’elle a été mise en arrêt maladie par son médecin traitant.

*****

En application de l’article 1147 du code civil dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, il est permis d’indemniser un préjudice distinct de ceux déjà indemnisés résultant de procédés vexatoires dans la mise en ‘uvre ou les circonstances du licenciement.

En l’espèce, Mme [G] ne justifie pas de circonstances particulières dans la mise en oeuvre de son licenciement qui auraient pu lui causer un préjudice distinct de ceux déjà indemnisés au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre du harcèlement moral.

Mme [G] doit en conséquence être déboutée de sa demande de dommages et intérêts, le jugement entrepris étant confirmé de ce chef.

Sur la demande de rappel de salaire au titre de la rémunération variable

La société Avi-Charente affirme que la commune intention des parties lors de la conclusion du contrat de travail était de prévoir une prime annuelle versée lorsque les objectifs annuels sont atteints, ce qui exclut une appréciation des objectifs en cours d’année. Elle ajoute que les objectifs de Mme [G] n’étaient pas atteints au 1er semestre 2019 et qu’aucune prime n’est due pour l’année 2019, Mme [G] n’ayant en outre pas exécuté son contrat de travail de bonne foi.

Mme [G] rappelle les termes de l’article 4 de son contrat de travail prévoyant le versement d’une prime d’objectifs. Elle explique qu’aucun objectif personnel ne lui a jamais été fixé et en conclut que l’intégralité de la partie liée aux objectifs personnels doit lui être versée chaque année, ce qui n’a pas été le cas pour le bonus lié à l’année 2017 ni à celui lié à l’année 2019. Elle ajoute que son employeur ne démontre pas que le budget n’a pas été atteint chaque année de sorte que la partie liée aux objectifs budgétaires doit être versée chaque année ce qui n’a pas été le cas pour le bonus lié à l’année 2017 ni celui lié à l’année 2019. Elle souligne qu’il n’était pas prévu à son contrat de travail qu’elle devait être présente dans la société à la date de versement du bonus, insistant que son absence n’est due qu’à son licenciement injustifié. Elle indique que la décision d’octroyer le bonus annuel était prise de façon parfaitement arbitraire par M. [KW]. Elle estime qu’il lui est dû au titre de l’année 2017, la somme de 16.707,83 euros tandis que pour l’année 2019, il lui est dû la somme de 10.993,30 euros.

*****

Il résulte des articles 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et L. 1221-1 du Code du travail que, lorsque la rémunération variable dépend d’objectifs définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, à défaut de fixation desdits objectifs, la rémunération variable doit être payée intégralement (Cass. soc., 7 juin 2023, n° 21-23.232). Elle doit alors être versée à hauteur du bonus cible maximum (Cass. soc., 25 nov. 2020, n° 19-17.246).

En l’espèce, l’article 4 du contrat de travail de Mme [G] dispose :

‘4.4- Par ailleurs, Madame [A] [G] bénéficiera d’une prime d’objectifs d’un montant brut maximum de 15% de sa rémunération annuelle forfaitaire fixe, versée au mois d’avril suivant l’exercice auquel il se rapporte,

Cette prime est liée aux résultats de la société et à la performance individuelle de Madame [A] [G] en fonction de l’atteinte d’objectifs fixés préalablement chaque début d’année.

Elle se décompose de la manière suivante :

* Pour 60% de son montant à la réalisation de l’objectif (budget) EBITDA de la société Avi-Charente,

* Pour 40% de son montant à la réalisation des objectifs personnels.

Concernant l’année 2016 :

Dans l’hypothèse d’une prise de fonction de Madame [A] [G], au plus tard le 11 juillet 2016, le bonus 2016 sera calculé et attribué sur la base maximum de 58% du bonus potentiel d’une année pleine.

Les objectifs personnels 2016 seront définis lors de l’intégration de Madame [A] [G].’

En l’espèce, il résulte des bulletins de salaire pour l’année 2017 que la rémunération fixe annuelle perçue par Mme [G] était de 146.586,67 euros brut et qu’elle a perçu en mai 2018, la somme de 4.380 euros brut au titre de la prime d’objectifs 2017. Dans un courrier du 25 avril 2018, M. [W] [R], directeur général du groupe, a expliqué à Mme [G] que sa prime d’objectifs était limitée à 4.380 euros brut pour les motifs suivants :

– les résultats de l’entreprise n’étaient pas conformes au budget établi par la direction générale pour l’année 2017 de sorte que l’objectif n’étant pas atteint, elle ne percevrait pas le pourcentage du bonus prévu à cet effet,

– les objectifs personnels de Mme [G] qui étaient de confirmer sa prise de fonction comme Directeur général de la société Avi-Charente, de redévelopper l’activité commerciale et de redéfinir la stratégie globale de l’entreprise étaient atteints mais les difficultés à communiquer avec la Direction Générale dégradaient cette bonne performance individuelle, de sorte qu’elle ne percevrait que 50% du bonus prévu pour la partie qualitative du bonus.

La cour observe cependant que la société Avi-Charente ne démontre absolument pas quel était l’objectif EBITDA fixé pour l’année 2017 ni le fait qu’il n’ait pas été atteint, le seul courrier de M. [R] qui procède par affirmation étant insuffisant. La société Avi-Charente ne justifie pas plus avoir fixé des objectifs individuels à Mme [G] pour l’année 2017. Par ailleurs, l’explication donnée à Mme [G] pour limiter à 50% le bonus prévu au titre des objectifs individuels est tout à fait artificielle dès lors, d’une part, qu’il n’est pas démontrer que la communication avec la direction générale avait été fixée comme objectif individuel et d’autre part, qu’il s’avère que M. [KW] avait déjà décidé, le 18 avril 2018, de manière totalement arbitraire et subjective de priver Mme [G] de son bonus annuel ainsi que cela résulte du SMS qu’il lui a envoyé en lui indiquant ‘vous n’aurez pas de bonus cette année. Décision irrévocable.’

La société Avi-Charente qui ne présente aucune observation sur cette question à hauteur d’appel doit donc être condamnée à payer à Mme [G] la somme de 16.707,83 euros brut correspondant au solde du bonus pour atteindre 15 % de la rémunération annuelle forfaitaire fixe perçue par Mme [G] au cours de l’année 2017, outre la somme de 1.670,78 euros brut au titre des congés payés afférents.

S’agissant de la prime d’objectifs pour l’année 2019, il est constant que Mme [G] n’a perçu aucune somme à ce titre. La cour constate que l’employeur ne justifie aucunement lui avoir fixé des objectifs individuels pour l’année 2019. Il est donc tout à fait vain pour la société Avi-Charente de prétendre que Mme [G] n’avait pas atteint ses objectifs pour le 1er semestre 2019. Il est également inopérant de soutenir que Mme [G] n’a pas exécuté de bonne foi son contrat de travail en 2019 dès lors que son licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse. La société Avi-Charente ne justifie pas de l’objectif EBITDA fixé pour l’année 2019. Dans ces conditions, si Mme [G] avait travaillé l’intégralité de l’année 2019, elle aurait eu droit à 15% de sa rémunération annuelle forfaitaire fixe en raison de la défaillance de son employeur dans la fixation et la justification des objectifs. Elle est donc bien-fondée à solliciter le paiement de son bonus 2019 correspondant à 15% de sa rémunération fixe perçue jusqu’à la rupture de son contrat de travail, et ce d’autant plus que son absence dans l’entreprise à la fin de l’année 2019 n’est due qu’à l’initiative de son employeur qui a rompu son contrat de travail de manière injustifiée, ce qui ne saurait lui préjudicier pour la perception de la prime 2019. Par conséquent, la société Avi-Charente est condamnée à payer à Mme [G] la somme de 10.993,30 euros brut outre la somme de 1.099,33 euros brut au titre des congés payés afférents. Le jugement entrepris est ainsi infirmé en ce qu’il a limité la somme allouée à Mme [G] à 6.412,76 euros brut outre les congés payés afférents.

Sur la demande d’indemnité complémentaire de licenciement

La société Avi-Charente et la société Senso soutiennent que la cour d’appel est matériellement incompétente pour connaître des demandes de Mme [G] à l’encontre de la société Senso, considérant que seul le tribunal de commerce de Sens pourrait en connaître. Elles indiquent que seule la société Avi-Charente a été l’employeur de Mme [G], l’ayant rémunérée, ayant établi ses bulletins de salaire, l’ayant convoquée pour son entretien préalable et lui ayant notifiée son licenciement. Elles contestent tout lien de subordination à l’égard de la société Senso. Elles rappellent que l’accord de confidentialité a été conclu par Mme [G] avec la société Senso uniquement et que la société Senso est totalement étrangère au contrat de travail de Mme [G], bien que M. [R] ait signé les deux documents mais en deux qualités différentes. Elles dénient l’existence d’une situation de co-emploi. Elles indiquent que la clause relative à l’indemnité complémentaire de licenciement s’analyse en une clause pénale qui doit être réduite dans la mesure où elle est manifestement excessive au regard du barème Macron qui, pour une ancienneté de trois ans, prévoit une indemnité comprise entre 3 et 4 mois de salaire brut.

Mme [G] soutient que l’accord de confidentialité signé avec la société Senso est un accessoire à son contrat de travail dont la connaissance relève de la compétence du conseil de prud’hommes. Elle explique à cet égard que sans cet accord, elle n’aurait jamais accepté de quitter son précédent emploi et de signer le contrat de travail qui lui était proposé. Elle prétend qu’il y a un véritable lien de subordination entre la société Senso et elle. Elle ajoute qu’il y a une situation de co-emploi qui justifierait la condamnation solidaire des deux sociétés. Elle insiste sur le fait que la clause relative à l’indemnité complémentaire de licenciement n’est pas manifestement excessive.

Sur la demande d’indemnité complémentaire de licenciement à l’encontre de la société Senso

Aux termes de l’article L.1411-1 du code du travail : ‘Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.’

Cet article combiné à l’article L.1411-4 du même code attribue au conseil de prud’hommes une compétence exclusive en matière de différends nés entre employeur et salarié à l’occasion d’un contrat de travail.

En l’espèce, l’accord de confidentialité dont se prévaut Mme [G] a été signé par M. [W] [R], en sa qualité de directeur général du groupe [KW], qui était également le directeur général de la société Senso. Or, cette dernière n’était pas l’employeur de Mme [G] de sorte que la jurisprudence qu’elle invoque n’est pas transposable à son cas particulier.

Il est vain pour Mme [G] de soutenir que cet accord est un accessoire de son contrat de travail dont le conseil de prud’hommes pourrait connaître puisqu’aux termes des dispositions précitées du code du travail, la juridiction prud’homale ne connaît que des litiges entre employeur et salarié.

De plus, et contrairement à ce qu’elle prétend, Mme [G] ne démontre pas l’existence d’un lien de subordination à l’égard de la société Senso. Le seul fait que la société Senso soit l’associée unique de son employeur ne suffit pas à caractériser l’existence d’un lien de subordination, étant en outre rappelé qu’aux termes des statuts de la société Avi-Charente, cette dernière avait pour président Mme [B] [T] [M] dont le lien n’est établi ni avec la société Senso, ni avec M. [R], ni avec la société Seninvest ni avec M. [L] [KW]. Contrairement à ce que Mme [G] indique, c’est bien le directeur des ressources humaines de la société Avi-Charente qui a signé la lettre de licenciement et qui l’avait reçue lors de l’entretien préalable. Par ailleurs, il est inopérant d’évoquer les immixtions, interventions de M. [L] [KW] pour soutenir l’existence d’un lien de subordination de Mme [G] à la société Senso, dès lors que M. [KW] n’était que le représentant légal de la société Séninvest laquelle était actionnaire de la société Senso.

Enfin, il est rappelé que, hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de co-employeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière (Cass. soc., 25 nov. 2020, n° 18-13.769 publié et Cass. soc., 14 avril 2021, n° 19-10.232). Il appartient au salarié de démontrer l’existence du co-emploi qu’il invoque. Or, au cas particulier, Mme [G] se contente de procéder par voie d’affirmation, sans produire de pièces permettant de caractériser une situation de co-emploi et donc une immixtion permanente de la société Senso dans la gestion de la société Avi-Charente.

C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes s’est déclaré incompétent pour connaître de cette demande à l’encontre de la société Senso. Le jugement entrepris est confirmé mais doit être complété par la désignation de la juridiction de renvoi compétente, à savoir le tribunal de commerce de Sens.

Sur la demande d’indemnité complémentaire de licenciement à l’encontre de la société Avi-Charente

Selon l’article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 : ‘Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites’. L’article 1165 du même code dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 précise que ‘Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121’.

En l’espèce, l’accord de confidentialité litigieux a été conclu par M. [R], directeur Général du Groupe [KW].

Il a expressément été convenu entre les parties que ‘ces accords sont exclusivement valables entre la société Senso et Mme [A] [G] et n’engagent pas contractuellement la société [KW] Desserts Premium’. Par ailleurs, cet accord a été rédigé sur un papier a entête de la société Senso et il est indiqué, in fine, ‘nous vous remercions de retourner un exemplaire signé du présent accord à la société Senso, précédé de la mention ‘Bon pour accord, lu et approuvé’.

Il s’ensuit que la mention incise, juste avant le nom de M. [R], ‘Pour [KW] Desserts Premium’ n’a pas pour effet de rendre la société Avi-Charente partie à cet accord de confidentialité dès lors que les termes de cet accord ne laissent aucun doute sur le fait qu’elle en était expressément exclue.

Par conséquent, il convient de débouter Mme [G] de sa demande en paiement de l’indemnité complémentaire de licenciement à l’encontre de la société Avi-Charente qui n’était pas signataire de l’accord de confidentialité du 4 avril 2016.

Sur les frais du procès

Compte tenu de la solution du litige, il y a lieu de condamner la société Avi-Charente aux dépens d’appel venant s’ajouter aux dépens de première instance.

Il est également équitable de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Avi-Charente à payer à Mme [G] une somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner la société Avi-Charente à payer à Mme [G], une somme de 3.000 euros sur le même fondement pour les frais irrépétibles exposés en appel. Les sociétés Avi-Charente et Senso sont déboutées de leur demande respective à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Constate l’effet dévolutif de l’appel,

Confirme le jugement rendu le 13 avril 2021 par le conseil de prud’hommes de La Rochelle sauf en ce qu’il a :

– condamné la SAS Avi-Charente à payer à Mme [A] [G] la somme de 23.683,72 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

– condamné la SAS Avi-Charente à payer à Mme [A] [G] la somme de 6.412,76 euros brut au titre de la rémunération variable outre 641,28 euros brut au titre des congés payés afférents,

– débouté Mme [A] [G] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Statuant à nouveau sur les chefs du jugement infirmés et y ajoutant,

– Condamne la SAS Avi-Charente à payer à Mme [A] [G] la somme de 26.437,15 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

– Condamne la SAS Avi-Charente à payer à Mme [A] [G] la somme de 27 701,13 euros brut au titre de la rémunération variable outre la somme de 2 770,11 euros brut au titre des congés payés afférents,

– Condamne la SAS Avi-Charente à payer à Mme [A] [G] la somme de 35.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– Renvoie l’affaire et les parties devant le tribunal de commerce de Sens matériellement compétent pour connaître de la demande en paiement de l’indemnité complémentaire de licenciement présentée par Mme [A] [G] à l’encontre de la SAS Senso,

– Dit que le dossier sera transmis par les soins du greffe de la chambre sociale de la cour d’appel de Poitiers au tribunal de commerce de Sens,

– Condamne la SAS Avi-Charente aux dépens d’appel,

– Condamne la SAS Avi-Charente à payer à Mme [A] [G] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Déboute la SAS Avi-Charente et la SAS Senso de leur demande respective au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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