Accord de confidentialité : 20 juin 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 22/00839

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Accord de confidentialité : 20 juin 2023 Cour d’appel de Besançon RG n° 22/00839
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ARRÊT N°

MW/FA

COUR D’APPEL DE BESANÇON

– 172 501 116 00013 –

ARRÊT DU 20 JUIN 2023

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

Contradictoire

Audience publique du 18 avril 2023

N° de rôle : N° RG 22/00839 – N° Portalis DBVG-V-B7G-EQNP

S/appel d’une décision du TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LONS-LE-SAUNIER en date du 04 mai 2022 [RG N° 22/123]

Code affaire : 97K Actions disciplinaires exercées contre les notaires

MADAME LA PROCUREURE GENERALE C/ [U] [N] – CHAMBRE DEPARTEMENTALE DES NOTAIRES

PARTIES EN CAUSE :

Madame la procureure générale

Cour d’appel – [Adresse 1]

APPELANTE

ET :

Monsieur [U] [N]

né le [Date naissance 5] 1969 à [Localité 4]

de nationalité française, demeurant [Adresse 3]

Représenté par Me Thierry WICKERS de la SELAS ELIGE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

Chambre interdépartementale des notaires

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par M. [W] [F]

INTIMES

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats :

PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre.

ASSESSEURS : Messieurs Jean-François LEVEQUE et Cédric SAUNIER, Conseillers.

GREFFIER : Madame Fabienne ARNOUX, Greffier.

Lors du délibéré :

PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre, magistrat rédacteur

ASSESSEURS : Messieurs Jean-François LEVEQUE et Cédric SAUNIER, conseillers.

L’affaire, plaidée à l’audience du 18 avril 2023 a été mise en délibéré au 20 juin 2023. Les parties ont été avisées qu’à cette date l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.

**************

Le 9 février 2022, le procureur de la République a fait citer M. [U] [N], notaire à Arbois (39), devant le tribunal judiciaire de Lons le Saunier sur le fondement de l’ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels, aux fins :

– de prononcé d’une mesure préventive de suspension provisoire avec effet immédiat ;

– de condamnation à la peine disciplinaire d’interdiction temporaire pour une durée de deux ans ;

– de désignation de Maître [K] [O], notaire honoraire, en qualité d’administrateur provisoire.

Le procureur de la République a exposé que M. [N] avait fait l’objet d’inspections annuelles les 17 avril 2018, 14 mars 2019, 4 décembre 2020 et 13 octobre 2021, ainsi que d’une inspection occasionnelle le 2 juillet 2018, lesquelles avaient relevé les manquements suivants dans la conduite de l’étude notariale :

– un désordre général de gestion résultant d’une absence de classement des actes, pièces comptables et dossiers tels le répertoire des actes dont la tenue constituait une obligation fiscale et réglementaire (absence d’un acte authentique lors de l’inspection du 14 mars 2019, refus de remise d’une partie du répertoire), la rédaction imprécise ou incomplète des actes, l’omission d’un acte au fichier des dernières volontés, le recours à la sous-traitance pour la rédaction des actes, l’absence de provisionnement systématique des actes, l’absence de transfert des fonds clients pour des sommes conséquentes, l’absence d’affichage des honoraires, l’imprécision des écritures comptables, l’absence de dépôt systématique des actes soumis à publicité foncière ;

– une insécurité financière des fonds clients résultant de l’absence de garantie collective des notaires sur les valeurs remises par les clients, auxquels les reçus de fonds n’étaient pas systématiquement délivrés, des erreurs comptables nombreuses et récurrentes témoignant d’une comptabilité ni fiable, ni sincère ;

– une fragilité financière de 1’étude, dont la trésorerie ne couvrait pas les dettes à court terme, les pertes cumulées dépassant les résultats cumulés, le rapport annuel de 2021 concluant que l’étude se trouvait de fait dans l’impossibilité à court terme de rembourser tous ses clients et de payer toutes ses dettes.

M. [N] a sollicité du tribunal qu’il cantonne la peine disciplinaire à un rappel à l’ordre. Il a fait valoir :

– qu’il avait créé son étude, et ne disposait donc pas de clientèle, de sorte qu’il avait dû souscrire des prêts pour assurer son installation et son fonctionnement ; qu’il s’était heurté à des difficultés pour trouver un comptable qualifié, et avait rencontré des problèmes informatiques récurrents ayant compliqué la tenue du répertoire des actes et les transmissions avec les services fonciers ;

– qu’il avait tenu compte des observations des inspecteurs, et avait mis en oeuvre des mesures correctives ; que sa comptabilité était désormais parfaitement tenue ;

– que les faits qui lui étaient reprochés ne renvoyaient pas à des fautes disciplinaires, et que les sanctions sollicitées étaient totalement disproportionnées aux erreurs et négligences commises.

Par jugement du 4 mai 2022, le tribunal judiciaire a prononcé à l’encontre de Maître [U] [N] la censure simple prévue par l’article 3 de l’ordonnance du 28 juin 1945, et l’a condamné aux dépens. Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :

– que les rapports d’inspections annuelles 2018 à 2021, de même que l’inspection occasionnelle de 2018 faisaient apparaître, pendant ces quatre années, un désordre affectant les actes, les pièces et écritures comptables, mais également des anomalies portant, notamment, sur la couverture des fonds clients détenus, sur le registre des formalités, sur le suivi des formalités clients, et un manque de clarté dans les rapprochements bancaire ;

– que les erreurs ainsi constatées, non contestées par le défendeur, avaient eu pour conséquence, en particulier, que la couverture des fonds clients n’avait pas été assurée en permanence par les seuls comptes financiers prévus à cet effet et, d’une façon générale, une fragilisation inquiétante de l’équilibre financier de l’office de nature à porter atteinte aux intérêts de ses clients ;

– que Maître [N] invoquait, pour se justifier, des aléas techniques, des difficultés relatives au recrutement d’un personnel qualifié en matière comptable, mais que, pour autant, il était constant que les anomalies consignées s’étaient reproduites dans le temps et s’étaient accentuées à l’occasion de l’inspection annuelle 2021, malgré les observations qui lui avaient été faites à l’issue de chaque inspection ;

– que les manquements aux règles professionnelles essentielles reprochés à Maître [N] étaient donc démontrés et étaient constitutifs d’une faute disciplinaire ;

– qu’il était nécessaire de respecter une certaine proportionnalité entre la sanction à appliquer et les faits à sanctionner, et qu’en l’espèce, compte tenu de la gravité des faits et de leur durée dans le temps, mais aussi des actions correctives entreprises, une mesure de censure simple apparaissait suffisante.

Le ministère public a relevé appel de cette décision le 24 mai 2022.

Par conclusions transmises le 14 mars 2023, reprises et développées à l’audience, le procureur général demande à la cour :

Vu l’ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains

officiers ministériels (abrogés, mais en vigueur au momentdes faits), en particulier ses articles

2, 3 et 4,

Vu I’ordonnance n°2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels, en particulier ses articles les articles 7 et 16,

Vu I’ordonnance n°45-2590 du 2 novembre 1945 dans sa version antérieure, et dans sa version telle que résultant de l’ordonnance du 13 avril 2022 précitée,

– d’infirmer le jugement du 4 mai 2022 sur la peine, dans le sens d’une aggravation de la peine

prononcée en première instance, et de prononcer à l’encontre de Maître [U] [N] une peine d’interdiction temporaire d’exercer pour une durée de trois ans ;

– de commettre un notaire administrateur sur proposition de la chambre interdépartementale des notaires en qualité de suppléant pour la durée de l’interdiction temporaire ;

– de rappeler que cette sanction entraîne à titre accessoire l’inéligibilité aux chambres, organismes et conseils professionnels conformément aux articles 4 alinéa 2 de I’ordonnance n°45-1418 précitée et 6-4 de l’ordonnance n°45-2590 précitée ;

– de condamner Maître [U] [N] aux dépens d’instance.

Par conclusions du 3 avril 2023, reprises à l’audience, la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté demande à la cour :

– de statuer ce que de droit sur les demandes de Mme le Procureur Général ;

– si la cour devait suivre les réquisitions de Mme le Procureur Général, la chambre estime à deux ans minimum la durée nécessaire pour la remise en ordre de l’office, de ses actes et de ses comptes et propose, s’il y a lieu, la désignation de la SCP Agnès Buscoz et [S] [L], titulaire d’un office notarial à la résidence de Saint Claude (39), en qualité d’administrateur.

Par conclusions notifiées le 13 avril 2023, reprises à l’audience, M. [N] demande à la cour :

– l’annulation des poursuites dans leur intégralité, sur le fondement notamment de l’article 6-1 de la CEDH, de l’article 9 du code de procédure civile et de l’article 13 du décret 73-1202 du 28 décembre 1973 ;

– à titre subsidiaire, que l’appel soit déclaré mal fondé, et le rejet de toutes les demandes du procureur général et de la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté ;

– la condamnation du procureur général aux dépens.

Sur ce, la cour,

L’appelant sollicite l’aggravation de la peine prononcée par le premier juge, alors qu’aux termes de son appel incident, M. [N] réclame à titre principal l’annulation de la procédure suivie à son encontre.

Ce moyen de nullité devra en toute logique être examiné en premier lieu.

Sur la nullité de la procédure

M. [N] fait d’abord valoir que la procédure d’appel doit être annulée dès lors que le parquet général s’appuyait, pour solliciter l’infirmation du jugement entrepris, sur des faits postérieurs à l’assignation comme résultant de l’inspection annuelle 2022 ainsi que d’une inspection occasionnelle des 13 et 14 décembre 2022.

L’article 13 du décret n°73-1202 du 28 décembre 1973 relatif au statut des officiers publics ou ministériels, applicable à la date de l’assignation, dispose que ‘le tribunal judiciaire est saisi en matière disciplinaire par assignation délivrée à l’officier public ou ministériel soit à la requête du procureur de la République, soit à celle du président de la chambre de discipline ou de la personne qui se prétend lésée.

L’officier public ou ministériel est assigné à comparaître à jour fixe, au moins huit jours à l’avance.

L’assignation indique les faits reprochés. Si elle émane du procureur de la République, avis en est donné au président de la chambre de discipline et, le cas échéant, à l’auteur de la plainte ; si elle émane du président de la chambre de discipline, celui-ci en notifie une copie au procureur de la République.

Lorsque l’officier public ou ministériel exerce les activités prévues au III de l’article L. 812-2 du code de commerce, l’auteur de l’assignation informe, par lettre simple, les personnes mentionnées à l’article 6-1.’

Il en résulte que, dans le cas d’une procédure disciplinaire diligentée contre un notaire, les faits incriminés sont limitativement circonscrits par l’assignation délivrée à celui-ci, en l’espèce celle du 9 février 2022.

Dès lors qu’en application de ce principe les mérites de l’appel ne seront appréciés par la cour qu’au regard des seuls éléments figurant à l’assignation initiale, la production par l’appelant de pièces nouvelles, qui ne seront pas prises en considération, n’a pas pour effet d’entacher la procédure d’appel de nullité.

M. [N] se prévaut ensuite de la nullité de l’assignation du 9 février 2022 au motif qu’elle contrevient à l’article 13 du décret n°73-1202 du 28 décembre 1973 relatif au statut des officiers publics ou ministériels comme ne lui permettant pas, du fait de l’imprécision des faits rapportés et de l’absence totale de référence aux textes régissant la profession, de connaître précisément les manquements de nature disciplinaire qui lui sont reprochés.

Toutefois, comme le relève le parquet général, il sera observé qu’en première instance M. [N] n’avait pas soulevé la nullité de l’assignation, mais s’était exclusivement défendu au fond. Dès lors, par application de l’article 112 du code de procédure civile, selon lequel la nullité des actes de procédure pour vice de forme est couverte si celui qui l’invoque a, postérieurement à l’acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever la nullité, l’intimé n’est pas recevable à soulever pour la première fois à hauteur d’appel la nullité de l’assignation.

Sur le fond

I. Sur la commission de fautes de nature disciplinaire

L’article 2 de l’ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels, applicable à la date de délivrance de l’assignation du 9 février 2022, dispose que ‘toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout fait contraire à la probité, à l’honneur ou à la délicatesse commis par un officier public ou ministériel, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, donne lieu à sanction disciplinaire.’

En application de ce texte, combiné avec l’article 13 du décret du 28 décembre 1973 précité, c’est à l’autorité poursuivante qu’il incombe de caractériser la commission par le notaire de fautes disciplinaires, ce qui lui impose d’énoncer précisément les faits retenus et de les articuler au regard des textes et règles spécifiques qu’il lui est reproché d’avoir enfreints.

En l’occurrence, l’assignation délivrée à M. [N] impute à ce dernier trois séries de manquements, consistant respectivement dans un ‘désordre général de gestion’, une ‘insécurité financière des fonds clients’ et une ‘fragilité financière de l’étude’.

La lecture de l’assignation elle-même fait apparaître, comme le souligne M. [N], qu’à l’intérieur de chacune de ces séries de manquements, la description des griefs manque de précision, pour s’en tenir à des considérations générales qui ne sont pas rattachées à des dossiers nominativement identifiés.

Par ailleurs, comme le relève encore M. [N], l’assignation ne vise au titre des textes de référence que l’article 2 de l’ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945, les articles 1, 3 à 10 et 15 de cette même ordonnance, et les articles 2, 3, et 13 à 18 du décret n°73-1202 du 28 décembre 1973. Le premier de ces textes, dont la teneur a été rappelée ci-dessus, définit de manière générale les faits susceptibles de sanction disciplinaire, en rappelant qu’ils résultent notamment de la violation des lois et réglements, ainsi que des règles professionnelles. Les autres textes visés ont quant à eux exclusivement trait au déroulé de la procédure disciplinaire et à la nature des sanctions pouvant être prononcées. En réalité, seul un type de manquement est expressément rapporté à un texte dans le corps de l’assignation, savoir le défaut de dépôt systématique des actes soumis à la publicité foncière, une violation de l’article 710-1 du code civil étant pointée à cet égard.

Toutefois, il doit être rappelé que l’assignation délivrée à M. [N] a été accompagnée de la communication d’un certain nombre d’annexes, parmi lesquelles figurent une synthèse de la situation de l’étude comportant 24 pages et dans le cadre de laquelle les griefs des inspecteurs sont rapportés à des textes de référence, des tableaux récapitulant les constatations faites à l’occasion des inspections annuelles 2018 à 2021 ainsi que de l’inspection occasionnelle du 2 juillet 2018, et les rapports de ces inspections eux-mêmes.

La lecture de l’assignation, qui renvoie expressément aux rapports d’inspection, doit donc être mise en perspective avec ces documents afin de vérifier si les fautes disciplinaires reprochées à M. [N] sont ou non constituées.

1° S’agissant des fautes reprochées au titre du désordre général de gestion :

Il convient de reprendre successivement les divers griefs émis à ce titre par l’autorité poursuivante.

* absence de classement des actes, pièces comptables et dossiers :

Cette constatation a été faite dans le cadre de la première inspection annuelle de 2018, dont il convient de rappeler qu’elle a été effectuée le 17 avril 2018, soit avant même le début de l’activité officielle de M. [N], qui a débuté ses fonctions le 20 avril 2018. Elle n’a pas été reprise dans le cadre des inspections suivantes, ce qui démontre qu’il avait été remédié au désordre initialement constaté. L’absence de classement doit donc être imputée à un manque d’organisation dans le cadre de l’ouverture de l’étude, qui, n’ayant pas persisté, ne saurait êre qualifiée de faute disciplinaire.

* comptes clients mal ouverts :

Ce reproche renvoie à l’inspection annuelle de 2021, qui mentionne de manière laconique que ‘ le nom du titulaire du compte est à deux reprises erroné : autre tiers titulaire’. Force est de constater qu’aucune précision n’est fournie permettant d’identifier les comptes concernés, de sorte que la pertinence de ce grief est invérifiable en l’état des éléments communiqués par l’assignation et ses annexes. Aucune faute disciplinaire ne peut dans ces conditions être considérée comme démontrée à l’encontre de M. [N].

* répertoire des actes non correctement tenu :

Ce grief, relevé lors de l’inspection occassionnelle du 2 juillet 2018 et des inspections annuelles de 2020 et 2021, consiste dans le fait que le répertoire n’est pas imprimé sur les feuillets préalablement cotés et paraphés par la chambre interdépartementale des notaires, ce qui contrevient, ainsi qu’il est indiqué à la synthèse détaillée annexée à l’assignation, à l’article 867 du code général des impôts, aux articles 23 à 25 du décret n°2005-973 du 10 août 2005 modifiant le décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires, ainsi qu’aux principes fondamentaux rappelés à la circulaire du Conseil supérieur du notariat du 27 mai 1991. Ce manquement aux textes et règles régissant la profession, persistant malgré le fait qu’il ait été signalé à l’intéressé dès 2018, constitue indéniablement une faute disciplinaire à la charge de M. [N].

* absence d’un acte authentique au répertoire :

L’assignation fait état, à l’occasion de l’inspection annuelle 2019, d’un acte authentique ne figurant pas au répertoire, sans autre élément d’identification. Or, la lecture du rapport d’inspection 2009 ne fait apparaître aucune précision à ce sujet, alors que la note de synthèse renvoie à cet égard à la page 31 de l’inspection, qui est pourtant muette au sujet de l’absence d’un acte. Dans ces conditions de preuve défaillante de la part de l’autorité de poursuite, il ne saurait être retenu aucune faute disciplinaire à l’encontre de M. [N].

* refus de communication d’une partie du répertoire des actes :

Il est fait état du refus de M. [N] de fournir la dernière page du répertoire des actes dans le cadre de l’inspection annuelle 2019. Ce refus a effectivement été acté dans le rapport d’inspection, et M. [N] n’en conteste pas la matérialité. Cet obstacle à la mission des inspecteurs contrevient, ainsi que le rappelle la note de synthèse communiquée à M. [N] en même temps que l’assignation, à l’article 4.5.2 du règlement national du 22 mai 2018 et à l’article 11 du décret n°2010-9 du 6 janvier 2010 modifiant le décret n°74-737 du 12 août 1974 relatif aux inspections des études de notaires. La faute disciplinaire est à cet égard établie.

* des erreurs de taxation récurrentes :

Le rapport d’inspection annuel 2018 mentionne que ‘des erreurs de taxation sont relevées’. Le rapport d’inspection annuelle 2019 évoque des ‘erreurs dans les droits d’enregistrement (droits payés sur Etat régulièrement erronés)’. Le rapport 2020 indique ‘taxe SS + Gros Suzanne corriger : 130 € et 21,48 €'(sic). Les griefs relatifs à 2018 et 2019 sont ainsi formulés de manière très générale, sans que puissent être vérifiés les dossiers concernés, faute d’identification précise. Il est encore fait état dans la note de synthèse de manquements similaires constatés lors de l’inspection annuelle 2021, mais renvoie à des pages ne figurant pas dans les pièces annexes, alors que la conclusion générale de l’inspection de cette année ne comprend pas de mentions spécifiques à cet égard. Ainsi, seul le dossier nommément identifié en 2020 peut être retenu au titre de l’erreur sur la taxation. Il n’est cependant pas caractérisé en quoi une telle erreur, dont il n’est pas établi qu’elle soit volontaire ni systématique, procéderait d’une faute de nature disciplinaire.

* une rédaction des actes imprécise :

L’assignation fait état d’une rédaction des actes imprécise, incomplète, parfois même erronée, et ajoute qu’il est annexé aux actes des diagnostics périmés, alors que certaines pièces manquent dans les dossiers. Cette formulation est reprise de la note de synthèse, qui identifie quatre actes qui seraient concernés, et qui auraient été identifiés dans les rapports 2019 et 2021. Pour autant, il est fait état pour deux d’entre eux de formalités postérieures qui n’auraient pas été effectuées, pour un troisième de l’absence de séquestre, de l’omission d’un acte de mainlevée et de l’absence de lettre de mission, toutes carences ne relevant manifestement pas d’une erreur ou d’une imprécision de rédaction de l’acte lui-même. Pour le quatrième (vente Association Sport et Santé au profit de AV Pro), il est indiqué lapidairement que ‘la validité de l’acte est soulevée’, sans plus de précision quant au manquement pouvant être imputé au notaire dans la rédaction de l’acte, de sorte qu’en l’état la commission à ce sujet d’une éventuelle faute disciplinaire reste impossible à vérifier.

* omission d’au moins un acte au fichier des dernières volontés :

Ce grief renvoie à l’inspection annuelle 2020, qui mentionne ‘ADSN: dispositions à inscrire, dépôts à faire avec écritures erronées’. Il n’est pas fourni le moindre élément d’identification de la, ou des dispositions de dernières volontés dont l’inscription aurait été omise, de sorte que, sur ce point également, le grief est invérifiable. La faute disciplinaire n’est donc pas suffisamment caractérisée.

* le recours à la sous-traitance :

Dans son assignation, l’autorité poursuivante indique que ‘Me [N] a recours pour des montants conséquents à la sous-traitance pour la rédaction des actes, ce qui par ailleurs ne semble pas compatible avec la préservation du secret attaché à ses fonctions.’ La cour relève que, ce faisant, il n’est pas indiqué à quel niveau est fixé le seuil des ‘montants conséquents’, et que, par ailleurs, l’irrégularité du recours à la sous-traitance est énoncée de manière dubitative, par l’emploi du verbe ‘sembler’. En tout état de cause, M. [N] fait valoir à juste titre que le recours à la sous-traitance est autorisé, et même préconisé pour les notaires créateurs, et que les délibérations du Conseil supérieur du notariat en date des 2 et 3 juillet 2019, que vise à titre de fondement la note de synthèse annexée à l’assignation, et qui avaient pour objet d’encadrer ce recours en le limitant à des prestataires labellisés, ont été annulées par arrêt du Conseil d’Etat en date du 5 mai 2021. Ensuite, l’intimé soutient, sans être contredit sur ce point, que les seuls sous-traitants auxquels il avait recours étaient la société La Plume Didot, à laquelle il avait fait signer un accord de confidentialité, et la société Prestanotaire, qui bénéficiait quant à elle d’un agrément du Conseil supérieur du notariat. Dans ces conditions, il n’est pas caractérisé de faute disciplinaire dans le recours par M. [N] à la sous-traitance.

* le défaut de provisionnement des actes :

La note de synthèse annexée à l’assignation renvoie sur ce point au rapport d’inspection annuelle du 14 mars 2019, mais la cour ne trouve aux pages visées aucune caractérisation suffisante de ce grief, de sorte qu’il ne sera pas retenu de faute disciplinaire à cet égard.

* non-respect de l’obligation de transférer les fonds clients non mouvementés :

Il est fait grief à M. [N] par l’assignation, ainsi que par la note de synthèse jointe, de n’avoir pas transféré les comptes clients non mouvementés sur des comptes de dépôts obligatoires, ce qui avait généré des produits financiers pour l’étude au détriment des clients concernés. Il sera relevé que le montant des produits ainsi encaissés n’est pas chiffré. Il résulte du rapport d’inspection annuelle 2020 que 57 comptes clients étaient concernés, pour un montant total de 115 938,93 euros, et du rapport 2021 que 42 comptes clients étaient concernés pour un montant total de 59 562,72 euros. Si le fait pour un notaire de ne pas transférer les comptes clients contrevient aux dispositions de l’article 15 du décret n°45-0117 du 19 décembre 1945 pris pour l’application du statut du notariat, tel que cela est rappelé par la note de synthèse communiquée à M. [N] avec l’assignation, il doit pour autant être constaté que le listing précis des comptes clients concernés, permettant de vérifier la matérialité des manquements et de collationner les montants évoqués, n’est pas fourni parmi les pièces annexées à l’assignation, de sorte que la faute disciplinaire, au demeurant contestée par M. [N] en ce qu’il soutient que les intérêts générés par les fonds clients ont toujours intégralement profité à ces derniers, est insuffisamment démontrée.

* défaut d’information envers la clientèle :

Il est pointé l’absence d’affichage à la destination de la clientèle des honoraires obligatoires. Cette carence résulte du rapport d’inspection annuelle 2018 et du rapport occasionnel de la même année. Contrairement à ce que semble indiquer la note de synthèse, cette carence n’apparaît pas persister dans les rapports 2019 et 2021. Il s’agit donc manifestement d’une mauvaise organisation dans le cadre de l’ouverture de l’étude, qui, n’ayant pas persisté, ne saurait êre qualifiée de faute disciplinaire.

* défaut de signature des lettres de mission dans le cadre des conventions d’honoraires libres :

A cet égard, les griefs manquent de précision, le rapport d’inspection 2019 faisant état d’une vente de fonds de commerce sans convention d’honoraires, sans individualisation de l’acte concerné, et le rapport 2021 indiquant, avec le même défaut d’identification des dossiers, ‘lettres de mission avec convention d’honoraires à mettre en place pour la négociation. Sur 6 dossiers : 5 rien, 12 convention sans lettre de mission.’ L’impossibilité de vérifier les manquements en les rattachant à des dossiers précis ne permet, là-encore, pas de caractériser suffisamment la faute disciplinaire imputée à M. [N].

* défaut de concordance entre la comptabilité et les actes :

L’assignation reproche à M. [N] le fait que ‘les écritures comptables sont imprécises en ce qu’elles ne retracent pas la comptabilité clients selon les stipulations des actes.’ La note de synthèse annexée renvoie à cet égard à des anomalies détectées par sondage, dans des actes qui sont cette fois dûment identifiés (vente du 11 décembre 2020, vente du 14 décembre 2020, contrat de mariage du 30 janvier 2021) et dans lesquels des fonds taxés ont été versés sur des comptes ne permettant pas de tracer leur origine, en infraction à l’article 30 du règlement national des notaires relatif à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, comme ne correspondant pas aux parties concernées par l’acte. L’infraction à cette disposition, qui renvoie elle-même aux dispositions du code monétaire et financier, s’analyse en une faute disciplinaire au sens de l’article 2 de l’ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945.

* non dépôt systématique des actes soumis à publicité foncière :

S’agissant de ce grief, force est de constater qu’il n’est fourni aucune identification des dossiers qui seraient concernés, l’assignation, la note de synthèse et les rapports d’inspection annuelle 2019 et 2021 se bornant à des affirmations d’ordre général, invérifiables en l’état des pièces produites. Dans ces conditions, la faute disciplinaire n’est pas caractérisée.

2° S’agissant des fautes reprochées au titre de l’insécurité financière des fonds clients :

* l’absence du registre des valeurs obligatoires et des reçus :

Il a été constaté par chacune des inspections annuelles 2018, 2019, 2020 et 2021 que l’office de M. [N] ne disposait pas du registre des valeurs obligatoires, ce que l’intéressé ne conteste pas. Ce défaut contrevient aux dispositions de l’article 16 du décret n°45-0117 du 19 décembre 1945 pris pour l’application du statut du notariat. Il a par ailleurs été relevé que la délivrance des reçus par le notaire donnait lieu à une rédaction incomplète, et que M. [N] s’était même affranchi de leur remise au cours d’une période s’étendant du 14 mars 2020 au 25 septembre 2020. Ce faisant, il a enfreint l’article 16A du même décret, qui impose au notaire, pour toute somme encaissée, la délivrance d’un reçu extrait d’un carnet conforme à un modèle arrêté par le garde des sceaux. Ces manquements ne sont pas anodins au regard des conséquences qu’ils sont susceptibles d’avoir en termes de preuve pour les clients désireux de mettre en oeuvre la garantie collective des notaires. A cet égard, la faute disciplinaire est d’autant moins contestable que les manquements ont persisté malgré rappel.

* défaut d’affichage obligatoire :

Les inspecteurs ont constaté en 2018, 2020 et 2021 l’absence d’affichage obligatoire dans les locaux de l’étude de l’affiche relative à la garantie collective et au spécimen de reçu, l’affiche d’adhésion au centre de gestion agréée et les documents relatifs à la protection du consommateur, ces affichages étant imposés, ainsi que le rappelle expressément la note de synthèse jointe à l’assignation, par la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique et aux libertés, le règlement UE 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des données et l’article 28.2 du règlement national des notaires. M. [N] ne conteste pas cette carence, qui a persisté malgré les rappels effectués dès 2018, de sorte qu’elle doit être analysée comme constitutive d’une faute disciplinaire au sens de l’article 2 de l’ordonnance du 28 juin 1945.

* erreurs comptables récurrentes :

L’assignation stigmatise des confusions entre les comptes financiers de gestion des clients et les comptes de l’étude, des lacunes et un manque d’organisation comptable, des erreurs d’imputation comptables, ces divers désordres étant évoqués par chacune des inspections annuelles, des omissions dans la comptabilisation des factures en 2019 et des comptes de TVA présentant des soldes erronés en 2020 et 2021. Le désordre comptable résulte suffisamment du contenu des rapports, et des exemplaires de pièces produites. Au demeurant, M. [N] ne conteste pas avoir rencontré des difficultés au plan de la tenue comptable de son étude, qu’il explique par la difficulté à laquelle il s’est trouvé confronté de trouver un professionnel qualifié pour prendre en charge cette gestion. Si la commission d’erreurs comptables ponctuelles ne saurait revêtir une coloration disciplinaire, il en va différemment lorsque la gestion comptable revêt, comme c’est le cas en l’espèce un aspect globalement désordonné, auquel il n’a pas été remédié avec diligence, malgré les observations formulées dès l’ouverture de l’étude, et qui ont dû être renouvelées au fil des années suivantes. Par les erreurs qu’il a générées, ce désordre persistant a indubitablement porté atteinte à la fiabilité des comptes. Le notaire est tenu au respect des articles 16 et suivants du décret n°45-0117 du 19 décembre 1945 pris pour l’application du statut du notariat, ainsi qu’aux dispositions relatives au plan comptable notarial, qui est une adaptation du plan comptable général, dont l’article 120-2, visé à la note de synthèse annexée à l’assignation, pose le principe de la régularité et de la sincérité de la comptabilité. Le manquement persistant à ces principes s’analyse en une faute disciplinaire au sens de l’article 2 de l’ordonnance du 28 juin 1945.

3° S’agissant des fautes reprochées au titre de la fragilité financière de l’étude :

En lui-même, le fait que la santé financière de l’étude soit apparue fragile au cours des inspections réalisées de 2018 à 2021 ne permet pas de caractériser une faute disciplinaire commise par son titulaire, compte tenu des aléas auxquels est exposée toute activité économique. Au demeurant, cet état de fait résulte en l’espèce de facteurs extérieurs à tout manquement de M. [N], et tenant à la rentabilité intrinsèque de son étude. Il devra à cet égard être rappelé que son office était une étude nouvellement créée, dont il était le premier titulaire, et dont la rentabilité ne pouvait en aucun cas être immédiate au regard des importants investissements indispensables au démarrage de l’activité et à la nécessité de créer et développer progressivement une clientèle par définition non préexistante. Par ailleurs, les perspectives de développement de l’étude se sont inévitablement heurtées au ralentissement général de son activité du fait des contraintes liées aux mesures de confinement prises dans le cadre de la pandémie du Covid 19, survenue moins de deux ans après l’ouverture de l’office. Dans ces conditions, l’autorité poursuivante échoue à caractériser à ce sujet la commission d’une faute disciplinaire.

4° S’agissant de la faute tirée du défaut de coopération avec les organes d’inspection :

L’appelant fait enfin grief à M. [N] d’avoir adopté une attitude non coopérative en ne répondant pas aux interrogations des inspecteurs ou en le faisant dans des délais rendant les contrôles inopérants. Force est de constater que les pièces fournies ne permettent pas d’apprécier la réalité de ce manquement. Si la note de synthèse fait état d’une absence de réponse non justifiée lors des inspections annuelles de 2018 et 2021, et d’un délai de réponse trop long s’agissant de l’arrêté de caisse lors de l’inspection annuelle de 2021, les pages auxquelles il est renvoyé à cet égard ne permettent pas de déterminer précisément quels sont les éléments de réponse qui n’auraient pas été fournis, ni dans quelles circonstances ces carences seraient intervenues au regard des demandes qui auraient été formulées, alors que M. [N] conteste pour sa part toute absence de collaboration aux inspections concernées. La faute disciplinaire tirée de l’obstacle au bon déroulement des inspections est, en l’état, insuffisamment circonstanciée.

II. Sur la sanction

L’article 3 de l’ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels, dans sa rédaction alors applicable au litige, dispose que ‘les peines disciplinaires sont :

1° le rappel à l’ordre ;

2°la censure simple ;

3°la censure devant la chambre assemblée ;

4° la défense de récidiver ;

5° l’interdiction temporaire ;

6° la destitution.’

En l’espèce, il sera rappelé que, parmi l’ensemble des griefs invoqués par l’autorité de poursuite, six fautes disciplinaires ont été retenues comme suffisamment constituées à l’encontre de M. [N], savoir la tenue incorrecte du répertoire des actes, le refus de communication d’une partie du répertoire des actes, le défaut de concordance entre la comptablilité et les actes, l’absence du registre des valeurs obligatoires et des reçus, le défaut d’affichage obligatoire des documents relatifs à la garantie collective, au centre de gestion agréé et à la protection des consommateurs, ainsi qu’un désordre comptable.

Ces fautes relèvent toutes, non pas d’un comportement intentionnellement frauduleux, mais d’une organisation défaillante et d’un déficit de compétence dans certains domaines techniques, auxquels il peut être remédié par l’intéressé au prix d’une rigueur accrue et du recours à des professionnels qualifiés, ainsi que, pour lui-même et ses collaborateurs, à des actions de formation appropriées. Il sera relevé par ailleurs qu’il n’est ni démonré, ni soutenu, que les manquements imputables à M. [N] aient entraîné des conséquences préjudiciables pour les clients de l’étude.

Il doit encore être tenu compte du contexte difficile, déjà évoqué précédemment, dans lequel s’inscrit l’activité de M. [N], à savoir la création ex nihilo d’une étude en 2018, avec les difficultés et contingences qu’implique tout démarrage d’activité, et dont le développement a été rapidement contrarié par les contraintes de fonctionnement imposées par la pandémie du Covid 19.

Enfin, s’il est constant que certains des manquements retenus se sont inscrits dans la durée, comme étant relevés au fil des inspections successives sans qu’il y soit utilement remédié, d’autres ont été pris en compte par l’intéressé et ont fait l’objet de mesures correctives.

Au regard de ces éléments, le premier juge a fait une juste appréciation de la gravité des manquements disciplinaires de M. [N], et lui a infligé une sanction adaptée en prononçant la censure simple.

Le jugement entrepris sera donc confirmé.

Les dépens d’appel seront mis à la charge du Trésor Public.

Par ces motifs

Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,

Rejette la demande de M. [U] [N] tendant à la nullité de la procédure d’appel ;

Déclare irrecevable la demande de M. [U] [N] tendant à la nullité de l’assignation du 9 février 2022 ;

Confirme le jugement rendu le 4 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Lons le Saunier ;

Met les dépens d’appel à la charge du Trésor Public.

Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier, Le président,

 


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