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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 4IA
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 14 FEVRIER 2023
N° RG 21/00483
N° Portalis DBV3-V-B7F-UI4Z
AFFAIRE :
Association ACTION AIR
C/
Société GRAM SOGN HOLDING GMBH
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Novembre 2020 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 2015F01070
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Martine DUPUIS
Me Dan ZERHAT
TC VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Association ACTION AIR
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 2165115
Représentant : Me Emmanuel DRAI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0418
APPELANTE
****************
Société GRAM SOGN HOLDING GMBH
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentant : Me Dan ZERHAT de l’AARPI OHANA ZERHAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 – N° du dossier 21078072
Représentant : Me Philippe HAMEAU , Plaidant, avocat au barreau de PARIS et Me Guillaume RUDELLE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 24 Octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller chargé du rapport et Madame Delphine BONNET, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
Madame Aurélie DAOUST, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN,
La société de droit néerlandais Elco Holland BV, filiale à 100 % de la société de droit israélien Elco holding ltd, contrôlait depuis 1994 la SAS de droit français ACE, qui détenait elle-même, outre la société de droit allemand Airwell Deutschland Gmbh, trois sociétés françaises dénommées Airwell industrie France, Wesper industrie France, Airwell France (groupe Airwell), qui fournissaient des systèmes de climatisation destinés au secteur résidentiel (branche RAC) et au secteur professionnel des entreprises (branche CAC).
En 2012, la société Elco Holland a décidé de séparer ces deux branches d’activité et a cédé à une des filiales de la société Elco ltd la division consacrée au secteur résidentiel ; après avoir recherché des investisseurs et s’être rapprochée de sociétés de droit allemand, la société Berlinerluft, société concurrente, et la société Deutsche Unternehmensbeteiligung AG (société Dubag), fonds de retournement intervenant principalement en prenant le contrôle de sociétés sous performantes, voire déficitaires, aux droits duquel est désormais la société Gram sogn holding (société GS holding), immatriculée au Liechtenstein, la société Elco Holland a cédé les actions de la société ACE le 11 juin 2013 à la société de droit allemand AC Beteiligungen gmbh aux termes d’un ‘share purchase agreement’ (contrat d’achat d’actions), conclu en présence de la société Dubag qui détenait la précédente ; ces actions ont été revendues à la fin du même mois à la société de droit allemand Aw industries gmbh (société Awi).
Le 1er avril 2014, la société ACE et ses trois filiales françaises du groupe Airwell ont été placées en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Versaille ; un plan de cession de leurs actifs a été homologué par jugement du 15 juillet 2014 qui a converti les procédures en liquidation judiciaire et 185 salariés sur les 500 ont été licenciés ; 149 d’entre eux ont constitué l’association Action air qui a pour objet ‘la représentation, l’assistance et la défense des salariés des sociétés Airwell France, Airwell industrie France, Wesper industrie France et ACE telles que constituées à l’intérieur du groupe Airwell et encore présents au 31 mars 2014.’
La présente procédure s’inscrit dans une instance initiée en 2015, laquelle a fait l’objet de plusieurs décisions ci-dessous rappelées, en particulier un arrêt de la présente cour du 27 novembre 2018 statuant sur l’appel compétence d’un jugement du 29 juin 2018 à la suite duquel la procédure s’est poursuivie devant le tribunal de commerce de Versailles qui a rendu le jugement dont appel.
Par acte du 30 septembre 2015, Maître [D] [C], en qualité de liquidateur de la société Ace et de ses trois filiales françaises, a assigné les sociétés Elco Holland et Elco ldt, puis la société Dubag par acte du 29 octobre 2015 devant le tribunal de commerce de Versailles en paiement de dommages et intérêts correspondant à l’insuffisance d’actif dans chacune des sociétés demanderesses ; l’association Action air est intervenue dans cette instance, après jonction des deux procédures ;
Cette dernière, par acte du 25 novembre 2015, a assigné les sociétés Elco ltd et Elco Holland devant le tribunal de commerce de Versailles en sollicitant leur condamnation à verser à chacun de ses membres la somme de 13 600 euros à titre de dommages et intérêts ; la présente cour, par arrêt définitif du 28 novembre 2017 infirmant le jugement du 7 décembre 2016, a déclaré les juridictions françaises incompétentes pour connaître de ce litige ;
S’agissant de la procédure à laquelle l’association Action air est intervenue, la présente cour :
– par arrêt du 19 décembre 2019 statuant sur l’appel du jugement du tribunal de commerce de Versailles du 29 juin 2018 interjeté par l’association Action air à l’égard des sociétés Elco Holland et Elco Ltd, a confirmé, dans les limites de cet appel, le jugement en ce qu’il a déclaré l’association Action air irrecevable en ses demandes formées à l’encontre de ces deux sociétés, le tribunal ayant accueilli la fin de non-recevoir pour autorité de chose jugée tirée de l’arrêt précité du 28 novembre 2017 ;
– par arrêt du 27 novembre 2018, statuant sur l’appel sur la compétence interjeté par l’association Action air, a infirmé le jugement du 29 juin 2018 en ce qu’il a disjoint l’instance principale de l’intervention volontaire et en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour traiter des demandes de l’association Action air, a notamment dit que la société GS holding venant aux droits de la société Dubag n’avait pas la possibilité de décliner la compétence territoriale du tribunal de commerce de Versailles à l’encontre du seul intervenant volontaire et renvoyé les parties à poursuivre l’instance devant ce tribunal, lequel, suite aux conclusions de reprise d’instance du 9 avril 2019, a rendu le jugement du 13 novembre 2020 dont appel.
Enfin, sur l’appel du liquidateur judiciaire des sociétés ACE et de ses trois filiales françaises, la présente cour, par arrêt du 10 décembre 2020 rendu à l’égard des sociétés Elco, Elco Holland et GS holding, seules intimées par le liquidateur judiciaire, a confirmé le jugement du 29 juin 2018 en ce qu’il a débouté le liquidateur judiciaire de l’ensemble de ses demandes à l’encontre des sociétés Elco, Elco Holland et GS holding.
Par jugement du 13 novembre 2020, le tribunal de commerce de Versailles a dit l’association Action air irrecevable en ses demandes à l’égard de la société GS holding, venant aux droits de la société Dubag, l’a condamnée à payer à la société GS holding la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens.
Le 25 janvier 2021, l’association Action air ainsi que cent-trente personnes physiques ont interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance d’incident en date du 9 février 2022, le conseiller de la mise en état de la présente cour a:
– déclaré irrecevable l’appel interjeté par les cent-trente personnes physiques listées dans la déclaration d’appel ;
– débouté la société GS holding de sa demande de nullité de la déclaration d’appel pour vice de forme ;
– dit que la demande formée par la société GS Holding dans le cadre de l’incident tendant à dire nul l’appel pour défaut de pouvoir de l’association Action air ne relève pas des attributions du conseiller de la mise en état mais de la cour et est, par conséquent, irrecevable en ce qu’elle lui est soumise ;
– condamné les cent-trente personnes physiques appelantes aux dépens de l’incident.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 15 juin 2022, l’association Action air demande à la cour de :
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
Et, statuant à nouveau,
– la déclarer recevable en son action, en ce qu’elle vise à défendre collectivement l’intérêt individuel de ses membres, ou à défendre le préjudice collectif de ces derniers ;
– renvoyer l’affaire devant le tribunal de commerce de Versailles afin qu’il soit statué sur le fond du dossier et le préjudice ;
A défaut de renvoi devant le tribunal, il est demandé à la cour de :
A titre principal,
– débouter la société GS holding de l’ensemble de ses demandes ;
– juger que les agissements de la société GS holding caractérisent une légèreté blâmable constitutive d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil ;
– juger que cette faute est directement responsable de l’ouverture le 1er avril 2014 du redressement judiciaire des sociétés Ace, Airwell France, Airwell Industrie France, Wesper Industrie France composant l’activité « professionnels » du groupe Airwell et du licenciement de leurs 185 salariés ;
En conséquence,
– condamner la société GS holding à payer la somme de 35 105,39 euros à chacun de ses membres en réparation du préjudice financier subi ;
– condamner la société GS holding à payer la somme de 15 000 euros à chacun de ses membres en réparation du préjudice moral subi par les salariés,
Soit la somme totale de 50 105,39 euros par membre ;
– rejeter les demandes de la société GS holding de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire,
Si la cour considère que son préjudice nécessite une évaluation détaillée en fonction de la situation de chacun de ses membres, il lui est demandé de :
– ordonner la nomination d’un expert judiciaire aux frais avancés de la société GS holding ;
En tout état de cause,
– condamner la société GS holding à lui payer la somme de 150 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué Paris-Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La société GS holding, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 8 juin 2022, demande à la cour de :
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
En tout état de cause,
– débouter l’association Action air de l’ensemble de ses demandes à son encontre ;
– condamner l’association Action air à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 juin 2022.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Sur la qualité et l’intérêt à agir de l’association Action air :
Après avoir rappelé le principe posé dès 1918 par la jurisprudence dite des ‘ligues de défense’ selon lequel une association peut défendre collectivement la somme des intérêts individuels de ses membres et reproché au tribunal d’en avoir fait une fausse application, l’appelante soutient que les premiers juges ont méconnu leur propre jurisprudence puisque lorsque la société Elco, dans la procédure initiée en novembre 2015, avait soulevé l’irrecevabilité de son action par des arguments strictement identiques, le tribunal, dans son jugement du 7 décembre 2016, l’avait jugée recevable au regard notamment de ses statuts et de l’habilitation dont disposait son président.
Contestant aussi le deuxième motif retenu par le tribunal qui a jugé qu’elle ne justifiait ni d’un intérêt déterminé distinct de l’intérêt individuel de chacun de ses membres ni d’une habilitation législative, l’appelante fait valoir qu’une association peut ester en justice pour la défense d’intérêts collectifs, même hors habilitation législative et en l’absence de prévision statutaire expresse quant à l’emprunt des voies judiciaires, à la seule condition que les intérêts précités entrent dans son objet social (1ère Civ, 18 septembre 2008, 06-22038) ; elle souligne qu’au regard de son objet elle détient les qualités requises pour tout à la fois défendre collectivement l’intérêt individuel et l’intérêt collectif de ses membres et que selon la jurisprudence, les associations qui agissent pour assurer collectivement l’intérêt de leurs membres ont par essence un intérêt qui leur est propre puisque éprouvé par l’ensemble de leurs associés et constitué par la somme de ces intérêts individuels.
S’agissant du dernier motif retenu par le tribunal qui a considéré qu’elle ne justifiait pas d’un mandat spécial pour agir dans la mesure où les bulletins d’adhésion comportaient une date limite fixée au 4 février 2015 antérieure à l’introduction des instances, l’appelante expose que le tribunal a statué en méconnaissance de l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901 alors qu’étant régulièrement déclarée, elle bénéficie du droit d’agir en justice sans autorisation spéciale de ses membres par la simple voix de son président, comme le prévoit l’article 14 de ses statuts et ce conformément en outre à son objet. Elle ajoute, à toutes fins utiles, que les membres de l’association réunis en assemblée générale extraordinaire le 29 janvier 2021 ont validé la poursuite des procédures.
A propos de la recevabilité à agir des personnes physiques, membres de l’association, l’appelante observe qu’aucune exigence ne peut lui être valablement opposée à ce titre dans la mesure où ses membres n’ont pas exercé d’action individuelle, leur mention dans la déclaration visant simplement à informer de l’identité de ses adhérents. Elle ajoute que contrairement à ce que prétend l’intimée et au regard des dispositions de l’article 2241 et de l’effet interruptif de prescription de l’action qu’elle a elle-même engagée, ses membres pourraient ainsi exercer individuellement l’action s’ils le décidaient sans que la prescription puisse leur être opposée.
La société GS holding fait valoir, au visa des articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile que l’association Action air est irrecevable en son action en justice dès lors qu’en premier lieu elle ne remplit pas les conditions de la jurisprudence dite des ‘ligues de défense’ puisqu’elle ne défend pas d’intérêts collectifs et ne démontre pas agir dans le cadre de son objet social. Citant plusieurs arrêts de la Cour de cassation qui ont considéré que les intérêts collectifs d’une association ne peuvent être confondus avec les intérêts individuels propres à chacun de ses membres, elle observe que la recevabilité de l’action de l’association est subordonnée à la preuve d’un préjudice direct et personnel distinct des dommages propres à chacun de ses membres et que l’appelante entretient une ambiguïté totale sur la nature de sa demande au regard des termes employés dans sa déclaration d’appel ou dans ses conclusions mais que de toute évidence, celle-ci n’a subi aucun préjudice personnel direct et qu’elle ne recherche la réparation que de préjudices purement individuels, liés à la rupture du contrat de travail de chaque salarié et à la privation d’indemnités qu’ils auraient pu percevoir dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi plus favorable ou de dommages et intérêts pour préjudice moral, ces préjudices n’étant pas subis uniformément puisqu’ils dépendent de l’ancienneté et de la rémunération des salariés. Elle reproche à l’appelante de travestir cette réalité en procédant à un ‘lissage dénué de toute logique’ pour obtenir une perte moyenne par salarié.
L’intimée relève aussi que l’objet particulièrement large de l’association ne fait pas mention de l’emprunt des voies judiciaires comme moyen de réalisation de l’objet social qui en outre, est limité à la représentation des salariés des sociétés qui y sont désignés et qui étaient encore présents au 31mars 2014, preuve qui n’est pas rapportée.
En deuxième lieu, la société GS holding soutient que l’association appelante ne peut se prévaloir d’un mandat valable pour agir alors qu’à défaut d’intérêt collectif, l’action pour le compte d’un tiers nécessite la production d’un mandat spécial et régulier et que les associations agissant au nom et pour le compte de leurs membres doivent respecter ce principe lorsqu’elles agissent exclusivement dans le but d’obtenir la répartion d’un préjudice individuel, et non collectif, subi par leurs membres. Elle précise que ce mandat
en justice doit être écrit, spécial et individuel et que les bulletins d’adhésion de ses membres que l’appelante a finalement fournis ne constituent pas des mandats spéciaux d’agir en justice à son encontre de sorte que le tribunal a justement considéré qu’aucun mandat pour agir dans cette instance n’était produit aux débats, observant que l’assemblée générale extraordinaire du 29 janvier 2021, outre qu’elle est tardive, n’a pas suffit à remédier à l’absence de mandat dans la mesure où la résolution se contente de confirmer des mandats qui n’ont jamais valablement existé, que l’identité des membres qui se sont exprimés en faveur de cette résolution n’est pas indiquée et que les termes en sont particulièrement ambigus ; qu’en outre au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, aucune régularisation ne peut intervenir dans la mesure où elle est tardive car effectuée postérieurement à l’expiration du délai de prescription, ses membres ayant parfaitement connaissance des faits lui permettant d’agir à son encontre, ajoutant que cette assemblée viole l’article 12 des statuts prévoyant dans quel cadre une telle assemblée se réunit.
Enfin, elle soutient que l’action d’une association ne peut être admise si aucun membre n’est lui-même recevable à agir et qu’en l’absence d’un quelconque élément de preuve permettant d’établir la qualité des membres de l’association, leur recevabilité à agir n’est pas démontrée.
Conformément à l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
Il est admis qu’en l’absence d’infraction pénale, les associations dites de défense peuvent exercer sous forme collective les actions qui appartiennent aux membres du groupe pris individuellement et agir collectivement pour la défense des intérêts individuels de leurs membres, étant souligné qu’un intérêt ne devient collectif que si on y retrouve la convergence de plusieurs intérêts individuels.
En outre, même hors habilitation législative et en l’absence de prévision statutaire expresse quant à l’emprunt des voies judiciaires, une association peut agir en justice au nom d’intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social.
L’association appelante a pour objet, aux termes de l’article 2 de ses statuts,’la représentation, l’assistance et la défense des salariés des sociétés Airwell France, Airwell industrie France, Wesper industrie France et ACE telles que constituées à l’intérieur du groupe Airwell et encore présents au 31 mars 2014.’
A la lecture de la déclaration d’appel, l’association Action air précise agir ‘au nom et pour le compte de ses membres afin de défendre collectivement leur intérêt individuel et également faire valoir leur préjudice global’, étant précisé que cent-trente personnes sont énumérées dans la liste des membres pour lesquels elle indique agir ; elle confirme dans ses dernières écritures que ‘son action vise à défendre collectivement l’intérêt individuel de ses membres, ou à défendre le préjudice collectif’ de ces derniers et sollicite ainsi la condamnation de la société GS holding à payer une somme totale de 50 105,39 euros par salarié membre de l’association.
L’appelante fait ainsi la preuve qu’elle intervient pour défendre collectivement ses membres dont les intérêts individuels ont été affectés par la faute reprochée à l’intimée de sorte qu’il doit être considéré qu’elle intervient pour la défense d’un intérêt collectif lui causant un préjudice direct et personnel, la faute alléguée portant, selon la position de l’appelante, préjudice aux intérêts collectifs et individuels de cent-trente de ses membres qu’elle est chargée de défendre dans le cadre de son objet.
L’exercice d’une action judiciaire telle que celle exercée à l’encontre de la société intimée à la suite de la procédure collective des sociétés du groupe Airwell, même s’il n’est pas nommément visé dans l’objet de l’association, y est inclus dans la mesure où le pouvoir de représenter et assurer la défense de ses membres comprend nécessairement leur défense dans cadre d’instances judiciaires, afin d’obtenir réparation du préjudice consécutif à la perte de leur emploi.
Par conséquent, cette action collective, conforme à l’objet social de l’association, quand bien même elle n’est pas prévue par les statuts et s’inscrit en dehors de toute habilitation législative, doit être jugée recevable, étant précisé que les statuts prévoient, en leur article 14, que ‘par défaut’, le président de l’association est le seul habilité à agir en justice au nom de l’association, sauf désignation par un vote à la majorité du bureau, d’un autre de ses membres.
Dès lors que la cour considère que l’association agit dans le cadre d’une action collective conforme à son objet social, il n’y a pas lieu d’exiger la production d’un mandat spécifique pour l’exercice et la poursuite de la présente procédure, étant observé que l’association, régulièrement déclarée à la sous-préfecture des Andelys, bénéficie du droit d’agir en justice au regard de l’article 6 de la loi de 1901 qui dispose que toute association régulièrement déclarée peut, sans aucune autorisation préalable, ester en justice.
Il n’y a donc pas lieu, dans la mesure où un mandat spécial n’était pas indispensable, d’examiner les moyens opposés à la délibération de l’assemblée générale extraordinaire qui s’est tenue le 29 janvier 2021 et par laquelle les membres de l’association Action air ont confirmé les mandats qu’ils ont confiés à son président et à ‘maître Emmanuel Drai’, pour agir en justice à l’encontre de toutes les parties ayant contribué à la déconfiture du goupe Airwell et aux préjudices subis et en particulier à l’encontre d’Elco Ltd, Elco holding BV et Gram sogn Holding venant aux droits de la société Dubag et ce, conformément à l’article 2 des statuts’.
De surcroît, les bulletins aux termes desquels les membres de l’association Action air ont adhéré à l’association, pour la plupart en janvier et février 2015, précisent expressément qu’un des deux chèques remis en paiement est ‘libellé à l’ordre de Emmanuel Drai’, avocat qui les représente toujours, ‘au titre de ses honoraires relatifs à l’action engagée’ et que cette somme, versée en plus de la cotisation annuelle, ‘n’entre pas dans la trésorerie de l’association’, ce qui démontre que la présente action s’inscrit dans la démarche souhaitée par ses membres .
Enfin, dès lors que l’association Action air agit pour défendre un intérêt collectif qui lui est propre, la recevabilité à agir de chacun des membres qu’elle indique représenter n’a pas à être appréciée indépendamment de la présente action dès lors qu’ils ne sont pas partie individuellement à la procédure.
Il suffit de constater que sont communiqués sous la pièce 27 de l’appelante les bulletins d’adhésion des cent-trente personnes dont les noms figurent en en-tête des conclusions de l’appelante, communication relevée d’ailleurs par l’intimée dans ses écritures sans autre observation ; l’article 6 des statuts prévoyant que ‘pour faire partie de l’association, il faut remplir les conditions de l’article 2 et régler la cotisation définie à l’article 7’, il s’en déduit que ne peuvent être membres de l’association que les salariés des sociétés françaises du groupe Airwell ‘encore présents au 31 mars 2014’, sans qu’il y ait lieu d’exiger d’autre preuve de la part de l’appelante de la présence des salariés dans une des sociétés françaises du groupe, objet de la procédure collective.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il convient, infirmant le jugement, de juger l’association Action air est recevable en son action.
La fin de non-recevoir, retenue par le tribunal, qui a mis fin à l’instance ne constituant pas un cas d’évocation où la cour peut décider ou non de statuer sur les points non jugés en première instance, il convient de faire application de l’effet dévolutif de l’appel et de statuer sur le fond du litige transmis à la cour du fait de l’appel.
Sur les demandes de l’appelante :
Après avoir d’abord exposé en détail dans le rappel des faits les conditions dans lesquelles est intervenue le 11 juin 2013 la cession des actions à la société Dubag dans le cadre d’un partenariat avec la société Berliner luft et les événements postérieurs à cette cession, en particulier dix-huit jours plus tard, la revente de ces titres dont la cohérence et la finalité ne sont pas démontrées, l’association Action air soutient que la société Dubag s’est associée à l’opération frauduleuse imaginée par la société Elco pour contourner son obligation légale de déposer le bilan, pourtant nécessaire pour éviter la continuation d’une activité structurellement déficitaire ; que c’est ainsi qu’elle s’est portée acquéreur du groupe Airwell, sans avoir contractualisé un partenariat avec la société Berliner luft alors qu’elle se savait incapable de conduire seule le projet envisagé tout en organisant en parallèle la revente de ces sociétés dix-huit jours plus tard ‘à des aventuriers incompétents et sans surface financière’ .
Elle se réfère au jugement du tribunal de commerce de Versailles qui, le 29 juin 2018, a fait état du ‘délai anormalement court’ de l’opération de revente et considéré que la société Dubag a ainsi ‘agi avec précipitation et fait preuve d’une légèreté blâmable constitutive d’une faute’ ; elle explique que cette analyse est confirmée par les pièces 37, 39 et 45 de l’intimée et ses pièces 12 et 16, dont il ressort qu’en juin 2013, la société Berliner Luft n’était aucunement engagée dans un plan de reprise d’Airwell.
Pour soutenir, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, que sont établis les trois éléments constitutifs de la faute appréciée au moment de la vente de l’activité sous-performante, tels qu’ils sont fixés par la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment dans son arrêt Soc. 8 juillet 2014 (13-15573), elle fait état de :
– l’existence d’une décision dommageable ayant dégradé la situation de la filiale dès lors que d’une part au moment de l’achat d’Airwell, la société Dubag a caché que le partenariat avec la société Berliner luft, pourtant essentiel à la réalisation du projet présenté aux représentants du personnel, était impossible à mettre en oeuvre ; que d’autre part, elle a négocié en parallèle la revente d’Airwell à une société sans surface financière, créée pour l’occasion et dirigée par ‘deux aventuriers incompétents’ alors qu’elle savait qu’Airwell était fragile et avait besoin d’investissements et de synergies industrielles à long terme pour être redressée ;
– une décision sans utilité pour Airwell au regard de la société Awi, coquille créée quelques mois auparavant, dénuée de surface financière et de salarié si ce n’est son actionnaire unique ;
– une décision uniquement profitable à la société mère dès lors que ‘ de toute évidence’ un actionnaire cède une filiale pour servir son intérêt et qu’en l’espèce cette cession était ‘forcément conforme’ à celui de la société Dubag.
L’appelante expose ensuite que comme l’a jugé le tribunal la faute commise par la société Dubag ne pouvait que conduire à la déconfiture du groupe Airwell et par conséquent à la perte des emplois en résultant et au préjudice subi par les salariés et membres de l’association.
Elle observe que le préjudice financier est constitué d’une part de la perte de chance de bénéficier d’un plan de sauvegarde de l’emploi plus favorable, ses conclusions comportant notamment une comparaison entre le plan de sauvegarde de l’emploi réalisé sous le contrôle d’Elco en 2012 et les indemnités dont les salariés ont effectivement bénéficié en 2014 ; elle calcule la perte moyenne subie par salarié et ajoute que ce préjudice matériel comprend aussi la perte de chance pour ceux-ci de conserver leur emploi.
S’agissant du préjudice moral, l’association Action air qui reproche à la société Dubag d’avoir ‘abandonné le groupe Airwell’ et de ne lui avoir laissé aucune chance de survie souligne que le liquidateur a mis en évidence que les sociétés ‘Elco et Dubag avaient agi en toute conscience des préjudices humains qui ne pouvaient que découler de leur mépris pour l’avenir de ses filiales’ et fait état à cet égard des angoisses des salariés résultant, pendant un an, de la découverte que le projet de partenariat était un leurre et de la gestion qu’ils savaient désastreuse des aventuriers auxquels ils ont été cédés mais aussi du chômage dans lequel ils ont été précipités ‘car, de manière délibérée, on ne leur avait laissé aucune chance’.
La société GS holding qui rappelle qu’elle n’a été mise en cause que dans un second temps par l’appelante qui n’avait initialement initié aucune procédure à son encontre lorsqu’elle a assigné les sociétés Elco, observe en préalable que l’association Action air se contente de se fonder sur le jugement du 29 juin 2018 du tribunal de commerce de Versailles, alors même qu’il a fait l’objet d’un appel et d’un arrêt du 10 décembre 2020 qui, par substitution de motifs, ne retient aucune faute commise par elle à l’égard des sociétés Airwell ; qu’en outre l’appelante ne cherche pas à démontrer que les conditions de la jurisprudence Sofarec seraient remplies en l’espèce ; elle soutient notamment n’avoir pris aucune décision de gestion à l’égard d’Airwell, dans la mesure où la cession d’ACE ne constitue pas un tel acte mais le simple exercice de son droit de propriété sur les titres de la société et n’avoir tiré aucun profit de la cession du groupe et de l’ensemble de cette opération.
Après avoir rappelé que le droit de propriété est absolu, que le cédant ne doit de garantie qu’au cessionnaire et dans la stricte mesure de ce que la loi prévoit ou des engagements qu’il a pu souscrire volontairement, que les précédents jurisprudentiels invoqués par l’appelante, s’ils posent le principe d’une éventuelle responsabilité des sociétés mères de sociétés en liquidation, n’édictent aucune présomption en ce sens et exigent au contraire la démonstration de circonstances particulièrement graves, la société GS holding expose en premier lieu que son acquisition d’Airwell n’était pas fautive dès lors qu’elle avait clairement exposé son projet qui reposait sur une véritable volonté de la société Berliner luft d’investir dans le groupe, qu’elle n’a pas failli à ses engagements concernant la participation de cette dernière dès lors qu’elle a toujours indiqué que ce partenariat n’était pas encore formalisé de sorte qu’aucune faute ne peut être déduite du fait qu’elle se soit portée acquéreur des actions sans le soutien formalisé de ce partenaire alors même qu’il existait des discussions qui en rendaient vraisemblable la conclusion à l’avenir et que les conditions de la cession permettaient la mise en place d’un plan de restructuration.
L’intimée fait valoir en second lieu que la ‘cession d’Airwell’ qu’elle a opérée n’était pas fautive et qu’il n’est nullement démontré par l’appelante dans quelle mesure cette cession aurait été instrumentalisée dans son seul intérêt alors qu’elle n’a fait qu’user de son droit de propriété d’une manière qui n’est pas interdite par la loi et les règlements, sans intention de nuire aux salariés des sociétés Airwell ; elle observe qu’au contraire cette opération a été motivée par la volonté de passer la main le plus rapidement possible à un cessionnaire en mesure de mettre en oeuvre un plan de restructuration alors que son propre plan était devenu caduc, expliquant que la société Berliner luft tardant à s’engager après la signature de la promesse d’achat signée le 6 mai 2013, elle a conçu des doutes sur la volonté réelle de cette dernière, ce qui l’a motivée à rechercher un nouveau partenaire industriel, expliquant avoir pris contact avec une société italienne ; elle précise dans quelles circonstances elle a pris attache dès le 10 mai 2013 avec M. [B], professionnel respecté du secteur du retournement, lorsqu’elle a travaillé à la constitution de son équipe de retournement, précisant que celui-ci devait se voir confier le rôle de ‘chef restructuring officer’ (‘CRO’). Elle fait aussi état de la démission imprévue des dirigeants d’Airwell dont l’appui était essentiel alors qu’elle n’avait envisagé que de renforcer les équipes avec des spécialistes de la restructuration.
Elle ajoute qu’aucune faute de gestion n’est prouvée à son encontre alors qu’elle n’a pris aucune décision de gestion durant les dix-sept jours où elle a été en fonction et qu’elle n’a d’ailleurs tiré aucun profit de cette opération alors qu’elle n’a fait que perdre de l’argent compte compte tenu des frais d’étude et de conseil engagés, précisant qu’elle a en définitive revendu Airwell à un euro, que la société Elco a justifié ne lui avoir versé aucune rémunération et que l’appelante ne démontre pas le bénéfice personnel qu’elle aurait tiré de cette opération.
Soutenant que le groupe Airwell n’a pas été revendu à un repreneur qu’elle savait incapable de redresser la situation et qu’il était ‘logique’ lorsqu’elle a constaté que le projet ne bénéficiait plus des appuis nécessaires à sa conduite de proposer à M. [B] de reprendre Airwell, lequel était déjà ‘CRO’ et disposait d’une grande expérience de la restructuration, elle conteste avoir été complice des propriétaires et dirigeants ultérieurs dont elle ne pouvait anticiper les négligences ou les malversations et souligne que la cour, dans son arrêt du 10 décembre 2020, a retenu que le liquidateur judiciaire des sociétés du groupe Airwell ne prouvait pas que cette seconde cession intervenue très rapidement aurait retardé le dépôt de bilan.
Elle soutient que l’association Action air n’apporte aucune preuve de la réalité des préjudices qui ne peuvent être admis ni à titre forfaitaire ni en totalité dès lors qu’ils consistent en une perte de chance de bénéficier de conditions de licenciement au moins équivalentes à celles dont avaient pu bénéficier des salariés en 2012, contestant également la demande d’expertise au visa de l’article 146 du code de procédure civile et l’existence d’un lien causal entre les prétendues fautes et les préjudices allégués.
L’action en responsabilité délictuelle engagée sur le fondement de l’article 1240 du code civil suppose que celui qui l’engage démontre l’existence d’une faute à l’origine direct du préjudice qu’il soutient subir.
L’appelante ne peut utilement s’appuyer sur les motifs du jugement du tribunal de commerce de Versailles du 29 juin 2018 qui a retenu, dans le cadre de l’action en responsabilité engagée par le liquidateur judiciaire de la société ACE et de ses trois filiales françaises, qu’ ‘en se portant acquéreur du groupe Airwell sans avoir contractualisé un partenariat avec Berliner Luft, dont elle a toujours affirmé son rôle primordial dans l’opération, alors qu’elle se savait parfaitement incapable de conduire seule le projet envisagé et en le recédant à FS Beteiligungen dix-huit jours après son acquisition du groupe Airwell à Awi, Dubag a agi avec précipitation et fait preuve d’une légèreté constitutive d’une faute’ ; en effet si ce jugement a été confirmé en appel par l’arrêt du 10 décembre 2020, la cour, opérant une substitution de motifs, n’a pas retenu à l’occasion de la première cession du 11 juin 2013 de faute de la société Dubag en lien avec une aggravation de l’insuffisance d’actifs des sociétés du groupe Airwell et elle n’a pas davantage considéré que lors de la cession du 28 juin 2013, la société Dubag avait commis une faute au point de retarder le dépôt de bilan de la société ACE.
La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation à laquelle l’appelante se réfère, notamment dans ses arrêts des 8 juillet 2014 (13-15573) et 24 mai 2018 ( plusieurs pourvois dont le n° 16-22881) concerne des affaires dans lesquelles la responsabilité d’une société mère a été recherchée pour gestion fautive du groupe entraînant la fermeture des filiales et la perte de l’emploi des salariés du groupe. La chambre sociale a admis que les salariés d’une filiale d’un groupe puissent mettre en cause la responsabilité délictuelle de la société mère de ce groupe dès lors que celle-ci a pris des décisions dommageables qui ont aggravé la situation économique de cette filiale, qui ne répondaient à aucune utilité pour elle et que ces décisions ont concouru à la déconfiture de l’employeur et à la disparition des emplois qui en est résultée.
Outre que les décisions dommageables retenues dans ces arrêts sont intervenues dans le cadre d’actes de gestion de la société mère au sein du groupe et qu’en l’espèce, il n’est pas allégué que la société Dubag ait effectué d’actes de gestion, en dehors des actes par lesquels elle a acquis puis cédé la société ACE et ses filiales, le délai séparant ces deux dates étant particulièrement court, il appartient à la cour de rechercher s’il est établi à l’encontre de la société Dubag, aux droits de laquelle est désormais l’intimée, des manquements ayant concouru à la liquidation des sociétés du groupe Airwell et à l’augmentation de l’insuffisance d’actif, à l’origine de la disparition des emplois et des licenciements des salariés de la société ACE et de ses filiales.
S’agissant de la présence de la société Berliner Luft lors des négociations qui ont conduit à la signature le 11 juin 2013 du ‘ share purchase agreement’, lequel avait été précédé le 6 mai 2013 d’une promesse unilatérale d’achat des titres de la société ACE, conclue entre la société Elco Holland d’une part et les sociétés AC Beteiligungen gmbh et Dubag d’autre part, il est constant que la société Berliner Luft n’a pas été partie à ces actes et n’a pris aucun engagement à ce titre.
Les messages électroniques versés aux débats, échangés entre la société Dubag et M. [Y] [L], représentant la société Berliner Luft, en particulier les 24 avril 2013, 7, 21, 28 et 31 mai 2013, 5 et 11 juin 2013, lesquels correspondent à des échanges d’informations relatives aux sociétés françaises du groupe Airwell, illustrent l’intérêt que portait toujours à cette période la société Berliner Luft à cette opération et n’établissent pas que celle-ci ne voulait plus conclure le partenariat envisagé depuis octobre 2012 en vue du possible rachat des sociétés du groupe Airwell dont cette société allemande était le concurrent, partenariat notamment évoqué dans la lettre d’intention que la société Dubag a établie le 19 octobre 2012 à propos de la ‘vente d’Airwell’, dans laquelle elle précisait que ‘la société Berliner Luft, une fois la réorganisation d’Airwell achevée et la mise en place de synergies, se porterait acquéreur du groupe ou constituerait une joint-venture avec Dubag et Airwell’. Les sociétés ACE et ses filiales étaient ainsi informées que la société Berliner Luft n’interviendrait que dans un second temps.
D’ailleurs, d’autres mails échangés les 7 juin et 1er juillet 2013 établissent que même postérieurement au 28 juin 2013, la société Berliner Luft a continué de s’intéresser aux sociétés du groupe Airwell dont elle a visité un des sites en France les 2 et 3 juillet 2013. Il ressort enfin des motifs de l’arrêt définitif du 20 décembre 2020, qui peuvent être retenus dès lors qu’il s’agit de faits objectifs, non discutés par les parties, même si cette décision n’a pas autorité de la chose jugée dans la présente instance, que la société Berliner Luft, d’après un mail de M. [L] en date du 3 juin 2014, continuait de s’intéresser à une des usines de la société ACE et qu’il était toujours en discussion à cette date avec M. [G], président depuis le mois de juillet 2013, de cette dernière.
Par conséquent et au regard de ces éléments, il ne peut être soutenu que lors de la signature de la promesse d’achat en mai 2013 et lors de sa régularisation le 11 juin 2013 le partenariat avec la société Berliner Luft était impossible à mettre en oeuvre même s’il n’est pas contesté par l’intimée que cette société tardait effectivement à s’engager ; l’existence d’une faute de la société Dubag lors de cette acquisition n’est donc pas prouvée.
S’agissant de la cession opérée au profit de la société Awi le 28 juin 2013, il est indéniable que cette cession a nécessité que la société Dubag procède préalablement à des négociations, ce que démontre d’ailleurs l’accord de confidentialité qu’elle a signé le 12 juin 2013 avec une société italienne, la société Del Clima, qu’elle envisageait d’associer au projet ; cette recherche d’autres partenaires industriels établit aussi qu’à cette date elle avait des doutes sur l’effectivité de la volonté de la société Berliner Luft de s’engager, même si les éléments transmis dans le cadre de la procédure qui a donné lieu à l’arrêt du 10 décembre 2020 établissent que la société Berliner Luft demeurait toujours intéressée à cette opération postérieurement au 28 juin 2013.
Sa décision de se désengager de cette opération par la cession des parts de la société AC Beteiligung à la société Awi que dirigeait M. [T] [B] avec lequel la société Dubag était en contact depuis le 10 mai 2013, date à laquelle elle avait signé avec lui un accord de confidentialité et qui donc avait déjà connaissance de la situation des sociétés du groupe Airwell, a été précipitée par la démission le 26 juin 2013 des dirigeants de la société ACE et de ses filiales.
Il est certain que cette démission rendait plus complexe son intervention dans la mesure où dans son projet dit ‘Grand crue’ d’octobre 2012, la société Dubag précisait qu’elle entendait ‘renforcer les structures de management existantes par l’adjonction d’au moins un expert de l’industrie et /ou d’un manager de transition (si nécessaire) au poste de PDG ou de directeur d’exploitation’ et non les remplacer.
Si la société GS holding, comme la cour le relève dans son arrêt du 10 décembre 2020, n’a pas justifié qu’il était nécessaire, dans l’intérêt du projet de reprise des sociétés du groupe Airwell qui en étaient l’objet, de procéder à cette seconde cession dès lors que la société Dubag disposait d’une expérience en restructuration qui lui aurait permis de mettre elle-même en oeuvre le projet de reprise même s’il s’était trouvé complexifié, il n’est cependant pas établi par l’appelante que cette cession, certes rapide, a été fautive et est en elle-même directement à l’origine de l’aggravation de la situation des sociétés du groupe Airwell. En effet, M. [B], dirigeant de la société Awi, certes nouvellement constituée en janvier 2013, était spécialiste de la restructuration d’entreprises et disposait d’une solide expérience en la matière d’après les éléments communiqués par l’intimée qui ne peuvent être valablement contredits par les seules affirmations de l’association appelante qui le qualifie d’ ‘aventurier incompétent’ et il connaissait la situation des sociétés du groupe Airwell dans la mesure où il était en relation avec la société Dubag depuis le 10 mai 2013. Comme la cour l’a relevé dans son arrêt du 10 décembre 2020, la preuve n’a pas été rapportée que cette cession rapide ait retardé l’ouverture de la procédure collective des sociétés françaises du groupe Airwell.
Ainsi que l’observe la société intimée en page 38 de ses écritures, le fait que la société Awi n’ait pas disposé d’une surface financière nécessaire pour apporter un soutien industriel n’avait pas d’effet sur sa capacité à entreprendre des actions de réorganisation et à rechercher un partenaire industriel approprié.
La société GS holding, dont il n’est pas davantage prouvé qu’elle ait retiré un avantage financier de cette cession, ne peut voir en outre sa responsabilité engagée par les agissements ultérieurs de M. [S] [G] dont elle indique qu’elle l’avait ‘pressenti pour coordonner les efforts de restructuration’; il ressort en effet de l’arrêt de la présente cour du 15 janvier 2019 que celui-ci, dirigeant de la société ACE et de ses filiales depuis le 8 juillet 2013 et jusqu’à l’ouverture des procédures de liquidation judiciaire, a commis des fautes de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de ces sociétés, la cour ayant en particulier relevé qu’il avait utilisé la trésorerie de ces sociétés pour favoriser d’autres sociétés dans lesquelles lui-même ou ses associés étaient intéressés au détriment des premières.
Par conséquent, la preuve d’une faute de la société Dubag aux droits de laquelle est la société intimée en lien avec la liquidation des sociétés françaises du groupe Airwell et la rupture du contrat de travail des salariés membres de l’association Action air n’est pas davantage rapportée par l’association appelante lors de la cession du 28 juin 2013 de sorte que celle-ci sera déboutée de l’intégralité de ses demandes à l’encontre de la société GS holding.
En équité, au regard de la situation respective des parties et du sens du présent arrêt, les parties seront déboutées de leurs demandes au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du 13 novembre 2020 sauf en ce qu’il a condamné la société Action air aux dépens de première instance ;
Statuant à nouveau,
Déclare l’association Action air recevable en ses demandes à l’encontre de la société Gram Sogn holding gmbh ;
Déboute l’association Action air de toutes ses demandes à l’encontre de la société Gram Sogn holding gmbh ;
Déboute les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l’association Action air aux dépens de la procédure d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le conseiller,