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L’Autorité de la concurrence a rejeté, pour absence d’éléments probants, la plainte de Singing Studio contre le groupe Karafun pour pratiques anti-concurrentielles dans le secteur du karaoké.
Singing Studio reprochait à Karafun d’avoir modifié brutalement ses conditions de vente en juillet 2019, en refusant de lui vendre des vidéos au titre comme il le faisait jusque-là, et en lui proposant un abonnement à un tarif considéré comme abusif et discriminatoire. Singing Studio soutenait également que le groupe Karafun refusait de lui fournir certains titres de karaoké, les plus demandés par la clientèle, en les réservant à ses établissements, les « Karafun Bar ». En agissant ainsi, Karafun aurait voulu le mettre en difficulté, voire l’éliminer du marché, pour récupérer sa clientèle dans les Karafun Bar.
L’Autorité a considéré que les pratiques dénoncées par Singing Studio n’étaient pas appuyées d’éléments suffisamment probants. En effet, le groupe Karafun commercialise son catalogue de vidéos dans le cadre d’abonnements en streaming et non au titre. En juillet 2019, Karafun a mis fin à des accords dérogatoires qui permettaient à Singing Studio de télécharger des vidéos au titre et la proposition d’abonnement qui lui a été faite est conforme à la politique commerciale pratiquée à l’égard de tous les professionnels du karaoké.
En ce qui concerne le tarif de l’abonnement Karafun Business, aucun élément du dossier ne permettait d’établir qu’il s’agissait d’un tarif abusif ou discriminatoire pouvant être regardé comme contraire au droit de la concurrence.
Enfin, les allégations de Singing Studio selon lesquelles Karafun se réserverait les titres les plus demandés n’étaient pas fondées au vu du dossier. Le catalogue de vidéos était le même pour tous les clients et Karafun ne réservait aucun titre pour ses propres établissements.
Les vidéos de karaoké incorporent un enregistrement de musique instrumentale synchronisé avec le texte des paroles de la chanson et des images. Ces vidéos ne sont ni interprétées ni produites par les interprètes ou producteurs de la chanson originale.
Les producteurs de vidéos de karaoké doivent obtenir des ayants droit l’autorisation d’exploiter les textes et les musiques des chansons dans leurs vidéos. Ces autorisations peuvent être limitées à un usage privé (vente à des particuliers) ou étendues à l’exploitation des vidéos par des professionnels. Les principaux détenteurs de droits d’éditions, au niveau international comme au niveau national, sont les trois majors de l’industrie du disque : Universal Music Group, Sony Music Entertainment et Warner Music Group.
Ces licences donnent lieu au paiement de redevances. Les établissements de karaoké doivent également se rapprocher des sociétés de gestion collective (SACEM/SDRM/SESAM) pour obtenir les droits de reproduction et de diffusion publique des œuvres incorporées dans les vidéos de karaoké.
Les vidéos de karaoké, comme les autres vidéos de musique enregistrée, sont distribuées soit sur des supports physiques (CD-Rom, DVD), soit sur des supports numériques. Lorsque les vidéos sont proposées au format numérique, elles peuvent être disponibles en téléchargement ou en streaming, en contrepartie d’un prix de vente à l’unité, ou de la souscription d’un bonnement.
Alors que l’offre de vidéos est internationale et que la majorité des acteurs à travers le monde, dont Karafun, propose des contenus en plusieurs langues, il existe bien, sur le terrain du droit de la concurrence, un marché spécifique des vidéos de karaoké en langue française pour les établissements de karaoké en France.
En France, les clients des établissements de karaoké chantent très majoritairement des chansons en langue française. Chez Singing Studio, les chansons en langue française représentent en moyenne 67 % des vidéos jouées et un client chante au minimum cinq chansons en français durant sa session. Les titres les plus demandés seraient les répertoires de Michel Sardou (notamment Les lacs du Connemara), de Francis Cabrel, de Michel Berger, d’Aya Nakamura et de Stromae. Ces données sont confortées par le classement des titres les plus demandés sur le site Internet de Karafun : dans le classement « Top France » figurent presque exclusivement des chansons en langue française. Il est probable qu’un établissement de karaoké en France qui ne disposerait pas d’un catalogue de chansons en langue française perdrait une grande partie de sa clientèle. La fourniture de vidéos de karaoké en langue française pour les professionnels du karaoké est susceptible de constituer un marché de produits pertinent. La dimension géographique de ce marché est probablement nationale, voire pourrait être étendue à d’autres pays francophones comme la Belgique.
S’agissant de la politique commerciale des entreprises, les autorités de concurrence considèrent que, sauf circonstances exceptionnelles, une entreprise, qu’elle soit ou non dominante, devrait avoir le droit de choisir ses partenaires commerciaux et de disposer librement de ses biens. Ainsi, dans sa Communication sur les orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE (aujourd’hui article 102 du TFUE) aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes (OJ C 45, 24.2.2009) la Commission a précisé : « Pour fixer ses priorités en matière d’application, la Commission part du principe que, d’une manière générale, une entreprise, qu’elle soit ou non dominante, devrait avoir le droit de choisir ses partenaires commerciaux et de disposer librement de ses biens.
La Commission considère par conséquent qu’une intervention fondée sur le droit de la concurrence doit être soigneusement pesée lorsque l’application de l’article 82 risque de déboucher sur l’imposition d’une obligation de fourniture à l’entreprise dominante. L’existence d’une telle obligation — même contre une rémunération équitable — peut dissuader les entreprises d’investir et d’innover et, partant, léser les consommateurs »
En vertu de ces principes, un fournisseur reste libre de déterminer les conditions de commercialisation de ses produits. Son refus de fournir des marchandises ou des services nécessaires à l’exercice des activités d’une entreprise, qu’elle soit concurrente ou pas, est abusif, si ce refus est de nature à éliminer toute concurrence et s’il ne peut être objectivement justifié. Une entreprise, même dominante, a le droit de prendre les mesures raisonnables qu’elle estime appropriées pour protéger ses intérêts commerciaux, à condition que son comportement soit proportionné et ne vise pas à renforcer sa position dominante.
S’agissant de la politique tarifaire des entreprises, le premier alinéa de l’article L. 410-2 du code de commerce pose le principe général selon lequel « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services […] sont librement déterminés par le jeu de la concurrence ».
La jurisprudence, nationale comme européenne, a sanctionné comme pratiques abusives mises en œuvre sur un marché par des entreprises en position dominante, des prix d’exclusion ou encore l’imposition de prix de vente ou de conditions de transaction non équitables. Ainsi, dans son jugement ‘copyright letton’ (C-177/16 Autortiesību un komunicēšanās konsultāciju aģentūra / Latvijas Autoru apvienība EU:C:2017:286), la Cour de justice a confirmé (para 35 et 36) que « l’exploitation abusive d’une position dominante […] pourrait consister dans la pratique d’un prix excessif sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie. […] À cet égard, il s’agit d’apprécier s’il existe une disproportion excessive entre le coût effectivement supporté et le prix effectivement réclamé et, dans l’affirmative, d’examiner s’il y a imposition d’un prix inéquitable, soit au niveau absolu, soit par comparaison avec les produits concurrents ».
L’Autorité de la concurrence a rappelé dans la décision n° 18-D-17 du 20 septembre 2018 sur les pratiques de la société Sanicorse2 : « En règle générale, si les abus de position dominante réprimés par l’Autorité consistent, pour l’entreprise considérée, à empêcher des concurrents de pénétrer sur le marché ou à gêner l’activité de ceux qui s’y trouvent, l’Autorité peut, dans certaines circonstances, s’assurer, sur la base de l’article L. 420-2 du code de commerce, que les conditions commerciales pratiquées par une entreprise en position dominante ne sont pas manifestement abusives et que, notamment, les prix pratiqués par l’entreprise en position dominante ne sont pas inéquitables. Il en va notamment ainsi lorsqu’une entreprise détient un monopole qu’aucune autre entreprise n’est susceptible de venir contester et que le Gouvernement n’a pas réglementé les prix sur le fondement et dans les conditions prévues par l’article L. 410-2 du code de commerce (Conseil de la concurrence, décision n° 00-D-27 du 13 juin 2000 maison d’arrêt d’Osny ; décision n° 03-D-18 du 10 avril 2003 relative à une saisine de la société GLEM, §15 ; décision n° 05-D-15 du 13 avril 2005 relative à une saisine de la société Regal Pat contre la société Électricité de Strasbourg, §8 ; Autorité de la concurrence, décision n° 09-D-24 du 28 juillet 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques fixes dans les DOM, §168) ».