Il a été jugé que la société Transversal Films a imposé à une salariée un statut précaire de salariée à temps partiel à laquelle elle imposait néanmoins une totale disponibilité puisqu’elle lui demandait de réaliser des heures complémentaires, de travailler à temps complet voire d’effectuer des heures supplémentaires tout en lui refusant d’adapter le contrat de travail à la réalité de son exécution, prétextant ne pas disposer de poste à temps complet disponible.
Cette manière – persistante – de gérer la relation de travail, associée aux négligences quant à l’évolution des taux horaires applicables, à l’accumulation d’arriérés de salaires et à la notification d’avertissements infondés, de la part d’un employeur s’affirmant militant de la protection des plus faibles à l’occasion de projection de films dédiés et de débats, constituent autant de manquements graves de l’employeur à ses obligations rendant impossible la poursuite de la relation de travail, peu important que la salariée se soit portée candidate et ait entre-temps été élue en qualité de déléguée du personnel.
En effet, il est admis que si la procédure de licenciement du salarié représentant du personnel est d’ordre public, son investissement en qualité de représentant au sein de l’entreprise ne peut le priver de la possibilité de poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquement de ce dernier à ses obligations.
Dans ce contexte, la juridiction a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée aux torts de la société Transversal Films.
______________________________________________________________________________
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre sociale
ARRET DU 26 MAI 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/00059 –��N° Portalis
DBVK-V-B7C-NPWI
Arrêt n°:
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 NOVEMBRE 2017
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER -N° RG F 14/01545
APPELANTE :
Madame C X
[…]
[…]
Représentée par Me Fabrice BABOIN de la SELAS PVB AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me PICARD, avocat au barreau de Montpellier
INTIMEE :
SARL TRANSVERSAL FILMS Représentée par son représentant en exercice
[…]
[…]
Représentée par Me Gautier DAT, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Cécile LOUIS, avocate au barreau de Montpellier
Ordonnance de Clôture du 03 Février 2021
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 FEVRIER 2021, en audience publique, Monsieur Jean-Pierre MASIA, premier président de chambre, ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code,
devant la cour composée de :
M. Jean-Pierre MASIA, Président
Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller
Madame Marianne FEBVRE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Marie BRUNEL
ARRET :
— contradictoire
— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, la date du délibéré initialement fixée au 12 mai 2021, ayant été prorogée à celle du 26 mai 2021, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile ;
— signé par M. Jean-Pierre MASIA, Président, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.
*
* *
Mme C X a été engagée en qualité de ‘contrôleur’ au sein de la société Transversal Films – qui a pour activité la projection de films cinématographiques disposant des labels ‘Art et essai – Recherche – Jeune public’ et qui exploite le cinéma Diagonal à Montpellier – par le biais d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel (84,30 heures par mois, soit 19h30 par semaine) à effet du 1er novembre 2004.
Par un avenant signé le 2 juillet 2008 à effet du 15 septembre suivant indiquant que les postes de contrôleur étaient supprimés, les parties ont convenu que la salariée serait désormais employée en qualité de caissière avec un horaire de travail sur une base lissée de 28 heures hebdomadaires en fonction des plannings.
Plusieurs autres avenants sont venus modifier la durée du travail de la salariée pour la faire passer ponctuellement à 35 heures par semaine.
La relation de travail était soumise à la convention collective nationale de l’exploitation cinématographique.
Mme X a fait l’objet de deux avertissements en date des 25 avril 2007 et 30 janvier 2014.
Le 25 juin 2014, Mme X et quatre autres salariés également employés par le biais de contrats à temps partiel (M. Y, Mme Z, M. A et M. B) ont mis la société Transversal Films en demeure de régulariser leur situation par l’intermédiaire de leur avocat dont le courrier indiquait que les contrats de travail ne répondaient pas aux dispositions légales applicables en matière de temps partiel et que les avenants étaient destinés à contourner la législation applicable en matière d’heures
complémentaires. La salariée réclamait le paiement d’un complément de salaire de 2.957,83 € en contrepartie de 470,11 heures complémentaires et 97,13 heures supplémentaires.
Dès le 30 juillet 2014, elle a saisi le conseil des prud’hommes de Montpellier en paiement de cette somme, outre les congés payés afférents et une indemnité pour ses frais irrépétibles.
Le 17 novembre 2014, Mme X a sollicité un congé individuel de formation pour suivre une formation de journalisme, à laquelle la société Transversal Films a accédé et qui s’est déroulée du 21 septembre 2015 au 26 mars 2016, la salariée étant dispensée d’activité durant cette période.
Le 30 septembre 2015, la société Transversal Films qui avait fait intervenir un nouvel expert comptable, lui a adressé un courrier accompagné d’un chèque d’un montant de 3.362,57 € (correspondant à un rappel de salaire de 3.971,90 € en brut, majoré des congés payés afférents).
Suite à une demande d’organisation d’élections professionnelles par l’intermédiaire d’un syndicat CGT, Mme X a été élue déléguée du personnel le 27 septembre 2016.
Lors d’une audience du 21 octobre 2016, l ’employeur lui a remis un nouveau chèque de 1.637,83 € à titre de rappel de salaire d’un montant de 2.156,34 € en brut, outre les congés payés afférents.
Mme X a modifié ses demandes devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes pour solliciter la résiliation de son contrat de travail en raison des nombreux manquements de l’employeur à ses obligations, la requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps plein, un rappel de salaire pour des heures non rémunérées, une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, des dommages et intérêts pour avertissements infondés et irréguliers, des dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat et en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat de travail ainsi que les indemnités de préavis et de licenciement.
La cour statue sur l’appel principal de Mme X, en date du 12 janvier 2018, contre le jugement du 24 novembre 2017 qui a :
— débouté la salariée de toutes ses demandes,
— jugé que la demande de résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l’employeur n’était pas justifiée,
— débouté l’employeur de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
— dit n’y avoir lieu de prononcer l’exécution provisoire du jugement rendu sauf pour ce qui est de droit.
— condamné la salariée aux éventuels dépens de l’instance.
Vu les uniques conclusions transmises le 12 avril 2018 par le biais du réseau privé virtuel des avocats pour Mme X, laquelle demande à la cour d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :
— dire qu’elle travaillait à temps complet pour la société Transversal Films,
— juger que les manquements commis par la société Transversal Films justifient la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur,
— condamner ce dernier à lui verser les sommes suivantes :
— 9.826,98 € à titre de rappel de salaire pour les heures normales et supplémentaires non rémunérées,
— 982,69 € au titre des congés payés afférents,
— 7 875,32 € au titre de l’indemnité pour travail dissimulé,
— 1.000 € au titre du préjudice moral subi du fait du caractère infondé et irrégulier de l’avertissement du 25 avril 2007,
— 1.000 € au titre du préjudice moral subi du fait du caractère infondé et irrégulier de l’avertissement du 30 janvier 2014,
— 10.000 € au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail,
— 2.862,98 € au titre des deux mois de préavis,
— 286,30 € au titre des congés payés afférents,
— 6.185,85 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
— 25.766,78 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture de son contrat de travail,
— ordonner la remise des bulletins de salaire rectifiés,
— condamner la société Transversal Films à lui payer la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,
Vu les dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 1er février 2021 par la société Transversal Films aux fins de voir :
— confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté l’intégralité des demandes de la salariée, en ce qu’il a jugé que la prise d’acte de la rupture emportait les effets d’une démission et en ce qu’il l’a condamnée au paiement de la somme de 3.445,03 € au titre de l’indemnité de préavis,
— à titre subsidiaire, faire une plus juste appréciation des dommages et intérêts à lui accorder,
— condamner Mme X au paiement de la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,
Vu l’ordonnance de clôture en date du 3 février 2021,
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites susvisées.
A l’issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue le 12 mai 2021 par mise à disposition au greffe. Elles ont été informées par le greffe que le délibéré était prorogé au 26 mai 2021.
SUR CE :
Sur la requalification du contrat de travail à temps partiel :
Aux termes de l’article L.3123-14 du code du travail, le contrat à temps partiel – obligatoirement écrit – doit mentionner, outre la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, les cas dans lesquels cette répartition peut être modifiée ainsi que la nature de cette modification, les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié et les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires.
L’absence d’écrit conforme fait présumer que l’emploi est à temps complet. Cette présomption est une présomption simple qui permet à l’employeur de rapporter la preuve d’une part de la durée convenue, d’autre part que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et n’était pas tenu de se tenir en permanence à sa disposition.
En l’espèce, le contrat de travail de Mme X ne comporte pas la répartition journalière ou hebdomadaire de l’horaire de travail à temps partiel, de sorte que la salariée est effectivement fondée à se prévaloir de la présomption qui en découle.
Le conseil de prud’hommes de Montpellier l’a déboutée de sa demande de requalification de son contrat de travail en contrat à temps complet aux motifs, notamment, que si la société Transversal Films reconnaissait que sa durée de travail avait régulièrement varié et que la salariée avait pu effectuer des heures au-delà du contingent légal et conventionnel, c’était de manière exceptionnelle et par le biais d’avenants qui lui permettaient de connaître à l’avance son emploi du temps, les plannings étant remis avec au moins un mois d’avance. Les premiers juges, qui en ont déduit que la salariée ne se trouvait pas à la disposition permanente de l’employeur, se sont également fondés sur le double constat d’une part, que Mme X avait demandé à passer à temps complet en exposant la réalité de sa situation ce que la société Transversal Films avait refusé en lui opposant qu’il n’existait aucun poste à temps plein disponible relevant de sa catégorie professionnelle ou sur un emploi équivalent au sein de l’entreprise et, d’autre part, que la salariée n’avait jamais émis aucune réclamation sur une quelconque heure complémentaire ou supplémentaire mis à part cette demande de passage à temps plein.
Force est cependant de constater que Mme X justifie d’un contrat de travail ne précisant pas la répartition de la durée du travail et organisant au contraire un mécanisme autorisant l’employeur à modifier les horaires de travail de la salariée à sa convenance. En effet, l’article 3 de l’avenant du 2 juillet 2008 prévoit que ‘les horaires de travail seront déterminés selon un planning hebdomadaire qui lui sera remis au minimum 10 jours au préalable. Le présent contrat est conclu et accepté pour un horaire de travail sur une base lissée de 28 heures hebdomadaire(s) en fonction des plannings’.
Il est par ailleurs établi que la société Transversal Films imposait très régulièrement à la salariée de travailler à temps complet ou davantage, à savoir pas moins de 12,5 semaines par an en moyenne au cours des années 2010, 2011, 2012 et 2013 – dont 15
au cours de l’année 2011.
La cour constate également que si l’employeur produit des plannings, il ne justifie pas de leur remise au moins dix jours à l’avance tandis qu’il ressort au contraire des avenants versés aux débats que certains étaient datés et donc signés le jour même de la modification voire deux ou trois jours plus tard, en régularisation a posteriori contrairement aux déclarations faites par plusieurs salariés dans des attestations produites par la société Transversal Films. Par ailleurs, nombre des avenants soumis à la signature de Mme X avaient pour effet de porter la durée de son travail à un temps complet, voire davantage.
Or, en application de l’article L.3123-17 du code du travail dans sa version applicable au litige (antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016), lorsque le recours à des heures complémentaires a pour effet, fût-ce pour une période limitée, de porter la durée du travail d’un salarié à temps partiel au niveau ou au-delà de la durée légale ou conventionnelle, le contrat de travail à temps partiel doit être requalifié en contrat à temps plein à compter de la première irrégularité. La requalification en temps plein s’applique même en exécution d’avenants au contrat et impose à l’employeur de supporter les conséquences financières résultant de l’absence de respect de dispositions d’ordre public se rapportant à la durée du travail à temps partiel, c’est-à-dire de payer le rappel de salaire correspondant.
Au vu des éléments versés aux débats, la cour constate que non seulement l’employeur ne détruit pas la présomption de temps complet découlant de l’absence d’écrit conforme, mais les plannings et les avenants qui étaient soumis à la signature de la salariée comportant des variations importantes d’horaires hebdomadaires d’une semaine sur l’autre établissent que la durée du travail n’était pas fixe et que Mme X était dans l’obligation de se tenir en permanence à la disposition de la société Transversal Films, ce dont elle s’était d’ailleurs plainte en demandant à se voir reconnaître un emploi à temps complet.
Il y a donc lieu d’infirmer le jugement entrepris, et d’accueillir la demande de Mme X de voir requalifier son contrat de travail à temps partiel en contrat à temps plein à compter du 9 novembre 2009, semaine où elle a effectué 40,75 heures de travail.
Sur le rappel de salaire :
Par suite de la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet, l’employeur est redevable des rappels de salaire correspondant outre le paiement des éventuelles heures supplémentaires réalisées et non rémunérées.
En l’occurrence, Mme X produit plusieurs décomptes détaillés précis en pièces 5, 6 et 7, qui lui permettent d’aboutir à l’existence d’un arriéré de salaire total de 15.833,90 € sur l’ensemble de la période considérée, dont elle a déduit les deux versements effectués par la société Transversal Films les 30 septembre 2015 et 21 octobre 2016, pour justifier sa demande de paiement d’un solde de 9.826,98 € outre les congés payés afférents.
Pour sa part, la société Transversal Films – qui a formellement reconnu des erreurs commises dans le montant des salaires payés – se base sur un décompte ne prenant pas en compte la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet, mais elle ne conteste pas formellement celui de la salariée.
Dans ce contexte, il y a donc lieu d’accueillir la demande de rappel de salaire de Mme X, et de dire que cette créance produira des intérêts de droit à compter de la réception par la société Transversal Films de sa mise en demeure, à savoir le 30 juin 2014.
Sur le travail dissimulé :
Selon les dispositions de l’article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L.8221-5 du même code – notamment en mentionnant sciemment sur le bulletin de salaire un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli – a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire en cas de rupture de la relation de travail quel qu’en soit le mode.
Le paiement de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé n’est pas subordonné à l’existence d’une décision pénale déclarant l’employeur coupable. En revanche, le travail dissimulé doit être caractérisé dans ses éléments matériel et intentionnel, ce dernier ne pouvant se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.
Le montant de l’indemnité forfaitaire doit être calculée en tenant compte des heures supplémentaires accomplies par le salarié au cours des six mois précédant la rupture du contrat de travail.
En l’espèce, Mme X ne produit aucun élément démontrant que la société Transversal Films a agi avec une intention dissimulatrice, notamment avec la volonté d’échapper à ses obligations déclaratives et de paiement à l’égard de l’organisme chargé du recouvrement des cotisations sociales. Au contraire, l’employeur pensait pouvoir continuer d’employer la salariée sur la base d’un contrat à temps partiel, et sa position a été confirmée en première instance, tandis qu’il s’est employé à régulariser le paiement des heures décomptées avec l’aide d’un nouvel expert comptable dès qu’il a eu connaissance de la mise en demeure du 25 juin 2014.
Le jugement entrepris sera donc confirmé sur le rejet de la demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
Sur les avertissements :
En cas de litige sur une sanction disciplinaire, la juridiction apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. Elle peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise. Un comportement fautif ne peut résulter que d’un fait imputable au salarié.
L’employeur fournit au juge les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utile. Si un doute subsiste il profite au salarié.
Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.
Mme X réitère en cause d’appel sa demande d’annulation des avertissements datés des 25 avril 2007 et 30 janvier 2014, et de paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ces deux sanctions qu’elle conteste.
Le conseil de prud’hommes de Montpellier a retenu que la demande relative au premier avertissement était prescrite. La cour observe que la salariée fait à juste titre valoir qu’elle a recouvré la possibilité de contester cette première sanction du fait qu’elle a été rappelée dans le second avertissement alors même que ce rappel était contraire aux prescriptions de l’article L.1332-5 du code du travail qui interdit d’invoquer, à l’appui d’une nouvelle sanction, une sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des nouvelles poursuites disciplinaires.
Sur le fond, la cour constate que ce premier avertissement ne fait mention d’aucun fait fautif précis, justifié et matériellement vérifiable, étant rédigé en ces termes : ‘Nous vous rappelons que votre fonction au sein de notre société est celle de contrôleur et que vous n’avez pas à intervenir dans les cabines de projection’.
Il conviendra d’infirmer le jugement et d’accueillir la demande d’annulation de cet avertissement présentée par Mme X qui – pour sa part – expose qu’elle travaillait ce jour-là de 13h30 à 23h et qu’elle avait fait le choix de se rendre à la cabine de projection durant son temps de pause, d’une durée d’une heure trente, ce qui n’avait pas perturbé la projection.
S’agissant du second avertissement, notifié le 30 janvier 2014, la société Transversal Films reproche à la salariée de ne pas avoir anticipé de retirer un banc se trouvant au milieu de l’accueil du cinéma et de s’être positionnée au contrôle des billets en abandonnant son poste à la caisse le lundi 27 janvier 2014 à 20h30 à l’occasion de la projection du film ‘Un beau dimanche’ en avant-première et en présence de la réalisatrice et des deux principaux comédiens. La lettre d’avertissement rappelle par ailleurs à la salariée les termes de son contrat lui imposant une tenue correcte.
La cour observe que l’employeur ne justifie pas avoir donné des instructions à la salariée pour procéder au retrait du banc en question, tandis que la salariée expose que
– face au nombre des spectateurs présents ce soir-là (l’employeur indiquant lui-même que la projection avait été un succès ayant fait ‘salle comble’), elle était venue en renfort au niveau du contrôle pour permettre de fluidifier la circulation des spectateurs, après avoir vendu tous les billets et pris soin de fermer et bloquer sa caisse au moyen de son code personnel. Quant à la question de la tenue correcte, la lettre d’avertissement ne formule aucun grief matériellement vérifiable.
En l’état des explications fournies par la salariée et en l’absence de faute caractérisée de sa part, la cour infirmera le jugement entrepris et prononcera l’annulation de ce second avertissement.
Mme X est fondée à obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi à réception de sanctions qui – même si elles n’ont eu aucun impact sur sa rémunération – étaient de nature à fragiliser la relation de travail et son maintien dans l’entreprise, le second avertissement lui rappelant d’ailleurs que ‘dans le cas où ce courrier ne serait pas suivi d’effet, nous serons contraints de prendre des mesures plus sévères à votre encontre’.
La société Transversal Films sera donc condamnée à payer à Mme X deux sommes de 200 € et 300 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l’un et l’autre des deux avertissements annulés.
Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :
Au soutien de son appel, Mme X réclame l’octroi d’une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail, demande qu’elle justifie par le retard dans le paiement de ses heures complémentaires et supplémentaires de travail et qu’elle fonde à la fois sur les dispositions de l’ancien article 1147 du code civil (devenu l’article 1231-1) qui sanctionne l’inexécution ou le retard dans l’exécution d’une obligation contractuelle) et sur l’article L.1222-1 du code du travail selon lequel le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.
La cour observe cependant que la salariée ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un préjudice distinct de celui qui sera réparé par les intérêts de droit – lesquels courent à compter de la connaissance de sa demande par l’employeur- ni de la mauvaise foi de l’employeur qui a procédé à deux régularisations – certes partielles au regard de la requalification du contrat à temps partiel, mais spontanées – des sommes qu’il a reconnu devoir après avoir expliqué qu’il avait été confronté à l’arrêt maladie de sa comptable depuis février 2013 et qu’il avait dû procéder à la vérification des calculs des trois dernières années avec un nouvel expert comptable. Il convient également d’observer que le conseil des prud’hommes lui-même, s’estimant insuffisamment informé, avait décidé de recouvrir à une mission d’instruction confiée à des conseillers rapporteurs dans le cadre de laquelle il avait demandé à la salariée d’apporter l’intégralité de ses calculs, en reprenant mois par mois, les absences, les maladies, les congés et les jours et heures travaillés.
Dans ce contexte, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande fondée sur l’exécution déloyale du contrat de travail de Mme X.
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :
Le salarié peut demander au conseil de prud’hommes la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquements de l’employeur à ses obligations empêchant la poursuite de ce contrat.
Lorsqu’il est saisi d’une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, le juge doit d’abord vérifier si les faits invoqués par le salarié à l’appui de sa demande de résiliation sont établis et, dans l’affirmative, s’ils caractérisent un manquement suffisamment grave pour justifier la résiliation du contrat aux torts de l’employeur. Si tel est le cas, la résiliation produit les effet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En revanche, quand les manquements ne rendent pas impossible la poursuite du contrat de travail, le contrat ne peut être résilié et son exécution doit être poursuivie.
Force est de constater en l’espèce que la société Transversal Films a imposé à Mme X un statut précaire de salariée à temps partiel à laquelle elle imposait néanmoins une totale disponibilité puisqu’elle lui demandait de réaliser des heures complémentaires, de travailler à temps complet voire d’effectuer des heures supplémentaires tout en lui refusant d’adapter le contrat de travail à la réalité de son exécution, prétextant ne pas disposer de poste à temps complet disponible.
Cette manière – persistante – de gérer la relation de travail, associée aux négligences quant à l’évolution des taux horaires applicables, à l’accumulation d’arriérés de salaires et à la notification d’avertissements infondés, de la part d’un employeur s’affirmant militant de la protection des plus faibles à l’occasion de projection de films dédiés et
de débats, constituent autant de manquements graves de l’employeur à ses obligations rendant impossible la poursuite de la relation de travail, peu important que Mme X se soit portée candidate et ait entre-temps été élue en qualité de déléguée du personnel. En effet, il est admis que si la procédure de licenciement du salarié représentant du personnel est d’ordre public, son investissement en qualité de représentant au sein de l’entreprise ne peut le priver de la possibilité de poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquement de ce dernier à ses obligations.
Dans ce contexte, il conviendra d’infirmer le jugement et de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme X aux torts de la société Transversal Films.
S’agissant du préjudice résultant de la perte de l’emploi, la cour constate que la salariée renonce à invoquer que la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul compte tenu de son statut protecteur et qu’elle réclame le paiement d’une somme correspondant à quinze mois de salaire à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur.
Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération sur la base d’un temps complet (1.671,85 €), de l’âge de Mme X (48 ans), de son ancienneté dans l’entreprise (plus de 16 ans), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, la société Transversal Films sera condamnée à lui verser la somme de 25.000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture aux torts de l’employeur.
Il sera par ailleurs fait droit aux demandes de la salariée au titre de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis, cette dernière étant majorée des congés payés afférents, sur des bases ne faisant l’objet d’aucune discussion et qui s’avèrent parfaitement justifiées.
Sur les autres demandes :
Il sera fait droit à la demande de remise de bulletins de salaire rectifiés.
Il serait inéquitable que Mme X supporte l’intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la société Transversal Films qui succombe doit en être déboutée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement contradictoirement :
Infirme le jugement rendu le 24 novembre 2017 par le conseil des prud’hommes de Montpellier, sauf sur le rejet des demandes d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,
Requalifie le contrat de travail à temps partiel de Mme X en contrat à temps complet à compter du 9 novembre 2009 ;
Annule les avertissements en date des 25 avril 2007 et 30 janvier 2014 ;
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme X aux torts de la société Transversal Films ;
Condamne la société Transversal Films à payer à Mme X les sommes suivantes :
— 9.826,98 € à titre de rappel de salaire,
— 982,69 € au titre des congés payés afférents,
— 200 € à titre de dommages et intérêts pour l’avertissement injustifié du 25 avril 2007,
— 300 € à titre de dommages et intérêts pour l’avertissement injustifié du 30 janvier 2014,
— 25.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur,
— 6.185,85 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
— 2.862,98 € au titre des deux mois de préavis,
— 286,30 € au titre des congés payés afférents,
Dit que les créances de rappel de salaire porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l’employeur a eu connaissance de leur demande, à savoir le 30 juin 2014, et les autres créances, à caractère indemnitaire ou liées à la résiliation judiciaire du contrat de travail, à compter du présent arrêt ;
Dit que la société Transversal Films devra transmettre à Mme X dans le délai d’un mois suivant la notification de la présente décision un bulletin de salaire récapitulatif ainsi que les documents de fin de contrat ;
Condamne la société Transversal Films aux entiers dépens de première instance et d’appel, et à payer à Mme X la somme de 2.500 € en vertu de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT