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Le salarié qui, malgré plusieurs avertissements, persiste à consulter des sites non professionnels et téléchargé des films à partir de ces sites, monopolisant de ce fait toute la bande passante du réseau de l’entreprise, s’expose à un licenciement.
Il ressort d’une note de service à destination des salariés que le responsable des ressources humaines avait expressément rappelé l’interdiction d’installer quelque logiciel que ce soit sur le matériel de l’entreprise, sans l’accord préalable du service informatique, et l’usage strictement professionnel de ce matériel. Il y est mentionné ‘sont donc à proscrire les chats (utilisation de MSN/MSN live) tous les jeux en ligne ainsi que le visionnage de vidéos diverses sur internet’.
Le responsable du service informatique, alerté par le personnel sur un débit trop faible sur le réseau, a procédé à une enquête sur le trafic réseau et a constaté que le poste informatique du salarié (licencié), était toujours mis en cause. Le responsable informatique avait averti personnellement le salarié sur les dispositions du règlement intérieur et les conséquences sur le travail du reste du personnel. Il appartenait bien au service informatique de trouver la cause de ces ralentissements et aucune déloyauté ne résultait de cette recherche nécessaire au fonctionnement de l’entreprise.
Il était donc suffisamment établi que le salarié avait connaissance des interdictions en place et qu’il a pourtant persisté à télécharger des films sur le matériel de l’entreprise, ce qu’il ne contestait pas, se contentant de faire valoir qu’il n’était pas le seul salarié concerné. Ces faits, fautifs, justifiait le licenciement prononcé compte tenu de leur réitération délibérée malgré un rappel à l’ordre individuel et précis. Ces fautes ne justifiaient toutefois pas la qualification de faute grave. En effet, le salarié faisait un usage excessif d’internet uniquement lors des périodes inter-contrats, et non lors des périodes où des missions lui étaient confiées ; plusieurs personnes du service dans lequel il travaillait étaient peu occupées. La faute du salarié, en relation avec son désœuvrement, ne rendait donc pas impossible son maintien dans l’entreprise. Le licenciement pour faute grave du salarié a été requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRÊT DU 26 Juin 2019
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 16/11082 – N° Portalis 35L7-V-B7A-BZRBG
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Mai 2012 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS section RG n° 10/01616
APPELANT
B X
[…]
représenté par Me Alfred FITOUSSI, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 52
INTIMEE
SAS SEGULA INGENNIERIE
[…]
représentée par Me Philippe FALCONNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0522
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 21 Mai 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Hélène GUILLOU, Présidente de chambre
Anne BERARD, Présidente de chambre
Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Hélène GUILLOU, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.
Greffier : Madame Pauline MAHEUX, lors des débats
ARRÊT :
— contradictoire,
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
— signé par Madame Hélène GUILLOU, présidente de chambre et par Madame Pauline MAHEUX greffière, présente lors de la mise à disposition.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
B X a été embauché par la société Segula Engeneering R&D, aux droits de laquelle se trouve la société Segula Engeneering France (la société Segula) par contrat de travail à durée indéterminée en date du 22 octobre 2007 en qualité de technicien validation électronique, statut Etam.
La convention collective applicable est celle des Bureaux Techniques d’Etude.
Après plusieurs remarques concernant l’utilisation excessive d’internet sur son lieu de travail, M. X a été convoqué par courrier en date du 25 septembre 2009 à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement fixé le 6 octobre 2009 et a été mis à pied à titre conservatoire.
Par lettre en date du 12 octobre 2009, M. X a été licencié pour faute grave en raison d’un usage excessif d’internet à des fins personnelles causant un ralentissement du débit réseau de l’entreprise.
X a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny le 28 avril 2010 pour voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement d’indemnités de rupture.
Par jugement du 14 mai 2012, le conseil de prud’hommes de Bobigny a débouté M. X de l’intégralité de ses demandes et l’a condamné aux dépens.
X a interjeté appel de cette décision le 3 janvier 2013.
L’affaire a été appelée à l’audience du 21 mai 2019 au cours de laquelle les parties ont développé leurs conclusions régulièrement visées par le greffier ce jour et auxquelles la cour se réfère expressément.
X demande à la cour de:
— infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bobigny,
— juger son licenciement infondé et sans cause réelle et sérieuse, et, en conséquence,
— condamner la société Segula Information à lui verser :
— 41 400 euros d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
— 1 635 euros de rappel de salaire pour la période allant du 28 septembre 2009 au 12 octobre 2009 correspondant à la mise à pied
— 6 868 euros d’indemnité compensatrice de préavis, et 686 euros de congés payés y afférents,
— 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
— ordonner la remise des documents Pôle emploi conformes et condamner la société Segula information aux entiers dépens.
La société Segula Engeneering France demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, et de juger que le licenciement de M. X repose bien sur une faute grave. A titre subsidiaire, la société demande à la cour de ramener la demande de M. X à titre de dommages et
intérêts à de plus justes proportions. En tout état de cause et à titre reconventionnel, la société demande la condamnation de M. X à lui verser 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur le licenciement
En application des articles L1232-1 et L 1235-1 du code du travail dans leur rédaction applicable en l’espèce, l’administration de la preuve du caractère réel et donc existant des faits reprochés et de leur importance suffisante pour nuire au bon fonctionnement de l’entreprise et justifier le licenciement du salarié, n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et, au besoin, après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute persiste, il profite au salarié.
En revanche la charge de la preuve de la qualification de faute grave des faits reprochés qui est celle correspondant à un fait ou un ensemble de faits s’analysant comme un manquement du salarié à ses obligations professionnelles rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et le prive de tout droit au titre d’un préavis ou d’une indemnité de licenciement, pèse sur l’employeur.
Sur le fondement des articles L 1232-1 et L 1235-3 du code du travail dans leur rédaction applicable à l’espèce, la cour, à qui il appartient de qualifier les faits invoqués et qui constate l’absence de faute grave, doit vérifier s’ils ne sont pas tout au moins constitutifs d’une faute de nature à conférer une cause réelle et sérieuse au licenciement.
Il ressort de la lettre de licenciement qu’il est reproché à M. X d’avoir, malgré plusieurs avertissements, consulté des sites non professionnels et téléchargé des films à partir de ces sites, monopolisant de ce fait toute la bande passante du réseau de l’entreprise.
X soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, fait valoir que les autres salariés avaient le même comportement, qu’il existe une incertitude sur le fait qu’il soit à l’origine des difficultés du réseau, d’autres salariés disposant également de son mot de passe, qu’il est peu probable que son utilisation d’internet ait pu avoir un impact sur le débit de toute l’entreprise, que la preuve rapportée repose sur des contrôles irréguliers et est donc déloyale, qu’en tout état de cause la sanction est disproportionnée par rapport à la faute.
Il ressort d’une note de service datée du 9 juillet 2007 à destination des salariés du bureau d’étude que le responsable des ressources humaines a expressément rappelé l’interdiction d’installer quelque logiciel que ce soit sur le matériel de l’entreprise, sans l’accord préalable du service informatique, et l’usage strictement professionnel de ce matériel. Il y est mentionné ‘sont donc à proscrire les chat (utilisation de MSN/MSN live) tous les jeux en ligne ainsi que le visionnage de vidéos diverses sur internet’.
Dans un courriel du 24 septembre 2009, confirmé par une attestation du 6 octobre 2009, M. Y, responsable du service informatique alerté par le personnel sur un débit trop faible sur le réseau, expose avoir procédé à une enquête sur le trafic réseau et avoir constaté qu’un poste informatique, le INV19031 était toujours mis en cause. Il atteste avoir averti personnellement M. X, titulaire de ce poste, de cette difficulté le 20 août 2009, lui avoir rappelé les dispositions du règlement intérieur l’avoir averti des conséquences sur le travail du reste du personnel.
Y rappelle dans ce courriel que suite à l’emportement de M. X ‘l’entretien a fini dans le bureau de M. D A qui a essayé de tempérer la discussion durant laquelle il nous a été reporché de ne pas lui trouver de travail et que cela était donc de notre faute s’il était obligé de faire du streaming en video’.
D A, directeur de pôle, confirme les faits ainsi relatés et ajoute qu’il en a profité ce jour là pour rappeler cette interdiction à tous les membres du bureau d’étude, ajoutant que pour les personnes ayant peu d’activité il ne s’opposait pas à une utilisation modérée d’internet.
Les captures d’écran du jeudi 24 septembre 2009 concernant le poste INV19031 versées aux débats démontrent que le salarié titulaire de ce poste, M. X, s’est rendu sur un site de téléchargement et a téléchargé un film via le réseau Segula.
Le 25 septembre 2009, l’entreprise a à nouveau constaté, sur demande d’utilisateurs mécontents, que M. X utilisait la connexion internet à des fins personnelles. Il appartenait donc au service informatique de trouver la cause de ces ralentissements et aucune déloyauté ne résulte de cette recherche nécessaire au fonctionnement de l’entreprise. Son poste étant désigné par les recherches, M. X a alors été convoqué à un entretien avec son supérieur hiérarchique, ainsi qu’il en atteste.
Le compte rendu de l’entretien de licenciement de M. X, dressé par M. Z, délégué du personnel, secrétaire adjoint du CE fait clairement apparaître que M. X reconnaît son usage de sites de streaming. En effet lorsqu’il lui est rappelé qu’il a été constaté le 29 août 2009 que son poste de travail était utilisé pour aller sur des sites de téléchargement, il a apporté la précision suivante : ‘plutôt des sites de lecture direct : streaming et tout le monde en faisait au BE’
Il reconnaît également dans cet entretien que son supérieur M. A l’avait averti sur le fait d’utiliser de manière excessive internet à des fins personnelles, et notamment l’interdiction d’aller sur des sites de streaming : ‘il [M. A] a dit mot pour mot d’arrêter : de voir des films en direct sur internet et d’écouter la radio ou de la musique en direct sur internet’.
Il est donc suffisamment établi que M. X avait connaissance des interdictions ci-dessus rappelées et qu’il a pourtant persisté à télécharger des films sur le matériel de l’entreprise, ce qu’il ne conteste pas, se contentant de faire valoir qu’il n’est pas le seul salarié concerné, ce qu’aucune des pièces versées aux débats n’atteste.
Ces faits, fautifs, justifie le licenciement prononcé compte tenu de leur réitération délibérée malgré un rappel à l’ordre individuel et précis.
Ils ne justifient cependant pas la qualification de faute grave.
En effet, il n’est pas contesté par les parties que M. X faisait un usage excessif d’internet uniquement lors des périodes inter-contrats, et non lors des périodes où des missions lui étaient confiées et que plusieurs personnes du service dans lequel il travaillait étaient peu occupées.
La faute de M. X en relation avec son désoeuvrement, ne rendait donc pas impossible son maintien dans l’entreprise.
Son licenciement pour faute grave sera donc requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse et le jugement du conseil de prud’hommes sera infirmé en ce qu’il a rejeté les demandes relatives au paiement du salaire pendant la mise à pied, d’une indemnité de préavis et des congés payés y afférent.
Sur les conséquences financières de la rupture:
En dernier lieu, la rémunération de M. X s’élevait à 3 434 euros brut mensuels.
La faute grave ayant été écartée M. X peut prétendre au paiement de son salaire pendant la durée de la mise à pied conservatoire, soit du 28 septembre au 12 octobre 2009 inclus, dans la limite de ses demandes, soit un montant de 1 635 euros.
Il sera également fait droit à la demande de M. X au titre de l’indemnité compensatrice de préavis qui, aux termes de l’article 15 de la convention collective applicable est d’une durée minimale de 2 mois lorsque le salarié a plus de 2 ans d’ancienneté. La société Segula Ingénierie sera donc condamnée à lui verser la somme de 6 868 euros à ce titre outre la somme de 686 euros au titre des congés payés y afférent, aucune somme n’étant réclamée au titre de l’indemnité de conventionnelle de licenciement.
La société Segula sera également condamnée à remettre au salarié les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Bobigny sauf en ce qu’il a débouté M. X de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
DIT que le licenciement de M. X est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la société Segula Ingénierie à verser à M. B X les sommes de:
— 1 635 euros de rappel de salaire pour la période de mise à pied,
— 6 868 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, et 686 euros de congés payés y afférent,
CONDAMNE la société Segula Ingénierie à remettre à M. X les documents de fin de contrat rectifiés,
CONDAMNE la société Segula Ingénierie à verser 1 000 euros à M. X au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Segula Ingénierie aux entiers dépens d’appel,
DÉBOUTE la société Segula de sa demande reconventionnelle.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE