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En procédant à un entretien informel en laissant entendre à un agent d’accueil que la décision de rompre son contrat de travail était acquise, alors qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation préalable de sa hiérarchie pour engager une telle démarche, le salarié (directeur) n’a pas respecté les procédures internes en matière de discipline et a cherché à obtenir une démission par voie de pression, caractérisant, malgré l’absence de sanction disciplinaire antérieure, une violation de ses obligations d’une importance telle qu’elle rend impossible la poursuite du contrat de travail et justifiant le licenciement pour faute grave privatif des indemnités de rupture.
AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 20/03923 – N° Portalis DBVX-V-B7E-NB5I
[Z]
C/
Société GEORRAY
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Lyon
du 09 Juillet 2020
RG : F 18/02769
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 08 NOVEMBRE 2023
APPELANT :
[E] [Z]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Yves NICOL de la SELARL AVOCATALK, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société GEORRAY
[Adresse 6]
[Localité 1]
représentée par Me Michel TALLENT de la SELARL ACTIVE AVOCATS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Michel DUFRANC de la SCP AVOCAGIR, avocat au barreau de BORDEAUX substitué par Me Karine MARTIN, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 05 Septembre 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Catherine MAILHES, Présidente
Nathalie ROCCI, Conseiller
Anne BRUNNER, Conseiller
Assistés pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 08 Novembre 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MAILHES, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [E] [Z] (le salarié) a été embauché suivant contrat de travail à durée indéterminée le 19 avril 2010, par la société Villeray, en qualité de directeur en charge de la gestion du cinéma Méga CGR d'[Localité 5].
Au dernier état de la relation contractuelle, soumise aux dispositions de la convention collective nationale de l’exploitation cinématographique, le salarié a bénéficié d’une mutation interne le 1er décembre 2014 pour gérer, en qualité de directeur avec reprise d’ancienneté, le cinéma CRG de [Localité 4], exploité par la société Georray (la société).
La société a convoqué M. [Z] a un entretien préalable à son licenciement, par courrier du 29 juin 2018.
Elle lui a notifié son licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er août 2018.
Par requête du 13 septembre 2018, M. [Z] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon en lui demandant de condamner la société à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour licenciement irrégulier, ainsi qu’une somme au titre de la rupture de son contrat de travail.
Par jugement du 9 juillet 2020, le conseil de prud’hommes a :
– dit qu’il n’y a pas eu de faute grave dans le licenciement prononcé par la SARL Georray envers Monsieur [Z] ;
– prononcé la requalification du licenciement de Monsieur [Z] en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
– fixé le salaire mensuel brut moyen de Monsieur [Z] à 5 694 euros ;
en conséquence,
– condamné la SARL Georray à payer à Monsieur [Z] les sommes suivantes :
16 239 euros d’indemnité compensatrice de préavis
1 623 euros d’indemnité de congés payés afférents
15 500 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement
5 694 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement
– condamné la SARL Georray à payer à Monsieur [Z] la somme de 1 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté la SARL Georray de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire autre que celle de droit ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
– condamné la SARL Georray aux entiers dépens de l’instance.
Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 22 juillet 2020, M. [Z] a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 9 juillet 2020, aux fins de réformation du jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a jugé qu’il n’y avait pas de faute grave dans le licenciement prononcé par la SARL Georray et en ce qu’il a prononcé la requalification de son licenciement en un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 6 octobre 2020, M. [Z] demande à la cour de :
infirmer le jugement du Conseil de prud’hommes ;
dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
condamner la SARL Georray à lui payer la somme de 45 552,00 euros à titre de dommages et intérêts ;
condamner la SARL Georray à lui payer la somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile, outre aux entiers éventuels dépens de l’instance.
Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 29 décembre 2020, la société Georray, ayant fait appel incident en ce que le jugement a dit que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave, en ce qu’il a prononcé la requalification du licenciement en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. [Z] les sommes suivantes : 16 239 euros d’indemnité compensatrice de préavis, 1 623 euros d’indemnité de congés payés afférente, 15 500 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement, 5 694 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,
demande à la cour d’infirmer partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau de :
considérer le licenciement de M. [Z] pour faute grave parfaitement justifié,
par conséquent,
débouter M. [Z] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
à titre subsidiaire,
confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a prononcé la requalification du licenciement de M. [Z] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et en ce qu’elle l’a condamnée à payer à M. [Z] les sommes suivantes :
– 16 239 euros d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1 623 euros d’indemnité de congés payés afférente,
– 15 500 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 5 694 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,
en tout état de cause,
condamner M. [Z] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture des débats a été ordonnée le 22 juin 2023 et l’affaire a été évoquée à l’audience du 5 septembre 2023.
SUR CE :
Sur les motifs du licenciement
Pour contester le jugement entrepris, le salarié fait valoir que :
– la décision avait été prise avant même la lettre de licenciement de le licencier à bref délai, arguant d’une part de la dégradation de la situation à compter du séminaire de direction d’avril 2018, celle-ci étant devenue très tendue, et d’autre part de l’absence d’entretien préalable, celui-ci n’ayant pas eu lieu en raison du non respect de la procédure, si bien qu’il n’a pas pu prendre connaissance des motifs de son licenciement avant la réception du courrier ;
– sur le grief tiré du non respect des consignes, il rentrait dans ses pouvoirs de directeur précisé comme prévu au sein de la convention collective nationale, d’assurer la discipline ; il n’existe aucune procédure interne ou consigne dans le groupe en cas de constat d’une fraude, l’appréciation de la situation incombant au directeur ; reconnaissait avoir reçu M. [K] dans le cadre d’un entretien et lui avoir expliqué les griefs à son encontre et lui avoir laissé le choix entre un départ volontaire ou la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, il dénie avoir mis en oeuvre une procédure disciplinaire mais seulement avoir tenu un entretien informel ; les faits reprochés ne sont pas justifiés et ne sauraient constituer une faute grave ;
– sur l’insuffisance professionnelle, celle-ci ne constitue jamais une faute grave ; l’employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire en lui ayant notifié des courriers ayant valeur d’avertissement les 10 et 18 avril 2018 sur les mêmes faits ;
– la chronologie et la précipitation de la société démontrent que le véritable motif de licenciement n’est pas la prétendue insuffisance, inexistante au regard de son parcours et de ses résultats, mais son refus de la rupture conventionnelle qu’elle lui imposait ;
– contestant la réalité des faits reprochés au titre de l’insuffisance professionnelle, ceux portant sur la dégradation des résultats, le déficit de communication, ne sont étayés par aucun élément ou pièce ; ceux concernant la propreté des locaux, ne lui sont pas imputables : non seulement les locaux du cinéma dont il assurait la direction étaient en pleine rénovation de janvier à juillet 2018 tout en demeurant ouvert au public, mais la société de nettoyage ne donnait pas du tout satisfaction ;
– les termes employés au sein de ses courriers ne sont pas injurieux ou à la limite de l’injure, estimant n’avoir que répondu point par point aux accusations de son employeur en décrivant objectivement la situation qu’il vivait.
La société fait valoir que :
– dans le cadre de l’entretien entre M. [Z] et son subordonné, M. [K], le directeur lui a fait part de ce qu’il lui donnait le choix entre la remise de sa démission et la mise en place d’une procédure de licenciement pour faute grave, et l’a congédié verbalement sans autorisation, obligeant la société à proposer à M. [K] une rupture conventionnelle ; M. [Z] a pris seul l’initiative de la procédure disciplinaire litigieuse et s’est arrogé un pouvoir qu’il ne détenait pas, commettant un acte d’insubordination caractérisé ;
– le comportement du salarié a été déloyal à l’égard de M. [K], n’ayant pas hésité à le menacer et à faire pression sur ce dernier, et alors même qu’après vérification il s’est avéré qu’il n’avait pas commis la fraude dont il était accusé ;
– concernant l’insuffisance professionnelle reprochée, elle tentait depuis plusieurs mois de redresser la situation en accompagnant le salarié afin que le chiffre d’affaires de son cinéma puisse évoluer positivement, mais ce dernier a adopté une posture d’opposition systématique, de déni de réalité, et une volonté de s’inscrire dans une logique d’affrontement systématique et de polémiquer sur tous les sujets, constituant une insubordination flagrante ; ainsi, depuis le 24 mars 2018, le salarié a systématiquement refusé d’appliquer les consignes et directives données par la direction générale et n’a eu de cesse de remettre en question les pouvoirs de direction de son employeur malgré les différents échanges de courriers l’alertant sur ses carences dans la gestion du cinéma et l’accompagnement de l’équipe de direction ;
– aucun courrier d’avertissement n’a été notifié au salarié avant que la procédure de licenciement ne soit initiée : le courrier litigieux du 10 avril 2018 est un simple courrier d’observations, et elle ne fait qu’expliquer les motifs la conduisant à considérer l’insuffisance de M. [Z] dans sa gestion du cinéma dans le courrier du 18 juin 2018, repris dans le courrier de licenciement ;
– le grief de dégradation des résultats du cinéma est matériellement vérifiable, basé sur les résultats des cinémas du groupe du 1er avril 2017 au 31 mars 2018, produits par le salarié lui-même ;
– concernant le déficit de communication, le salarié a manqué à de nombreuses reprises à son obligation d’établir un rapport d’activité et les extraits de la page facebook du cinéma sur le premier semestre 2018 sont largement insuffisants pour démontrer que le salarié a pris la mesure de ses instructions ;
– malgré la visite des locaux et les alertes relatives aux difficultés rencontrées concernant leur état d’hygiène, aucune action n’avait été mise en place par M. [Z] plusieurs mois plus tard afin de redresser la situation ; le grief est matériellement vérifiable, le directeur régional d’exploitation ayant pris des photos lors de la visite précitée ;
– le salarié ne gérait pas les premières parties dans sa salle premium ICE dans le format recommandé par la direction et a pris des décisions stratégiques concernant la tarification des places en contradiction avec les consignes de la direction et sans qu’elle n’en soit informée ; M. [Z] n’a pas non plus respecté les procédures organisationnelles relatives à la prise de repos par le pôle direction des cinémas.
Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, il est reproché au salarié les faits suivants :
« /’/ Vous n’avez pas respecté les consignes en matière de procédures disciplinaires.
En effet, nous avons reçu en date du 23 mai 2018 un courrier de Monsieur [T] [K], employé en qualité d’agent d’accueil depuis le 8 novembre 2018 au sein du MEGA GGR de [Localité 4] nous faisant part de votre décision de ne plus le faire travailler dans votre établissement.
Dans son courrier, il explique que le mercredi 23 mal 2018, vous l’avez accusé de fraude en vendant des cartes de fidélité sans les remettre aux clients. Suite à cet échange et malgré les explications de Monsieur [K], vous lui avez ordonné de faire un choix entre remettre sa démission ou faire l’objet d’une procédure de licenciement pour faute.
Pour prendre cette décision, vous n’avez eu l’autorisation ni de la Direction Générale ni celle des Ressources Humaines et n’avez pas jugé non plus opportun de nous en tenir informés.
En découvrant cette situation, nous avons pris contact avec Monsieur [K] et avec vous afin d’éclaircir les faits fautifs supposés à l’encontre de Monsieur [K]. L’analyse des faits a démontré que le salarié n’avait commis aucune faute et que vous étiez dans l’incapacité de fournir toute pièce justificative de la réalité de la fraude.
Ainsi, nous avons demandé au salarié de bien vouloir poursuivre son activité professionnelle.
Cependant, le salarié n’ayant plus confiance dans votre management et ne souhaitant plus travailler à vos côtés, nous avons dû engager des frais et proposer une rupture conventionnelle.
Ainsi, pour une faute inexistante, vous avez cherché à obtenir une démission par voie de menace et de pression. Vous n’avez respecté aucune des procédures disciplinaires en vigueur au sein notre entreprise ni même à obtenir l’autorisation préalable de votre direction et de votre hiérarchie pour engager, le cas échéant, une telle démarche. Ce comportement n’est pas n’est pas acceptable de la part d’un directeur de cinéma.
Par ailleurs nous déplorons depuis plusieurs mois une insuffisance professionnelle. En effet, votre direction met en avant votre gestion insuffisante du cinéma de [Localité 4], la dégradation de vos résultats, votre déficit de communication en matière d’animation et d’opération commerciale, votre négligence sur l’état de propreté des locaux, votre mauvaise gestion sur les premières parties dans votre salle premium lCE. Elle déplore également votre comportement déplacé et votre manque de professionnalisme et de réactivité pour redresser la situation du cinéma et le non-respect des procédures organisationnelles du temps de travail de votre équipe de direction.
Je vous ai personnellement alerté à plusieurs reprises par courrier sur ces faits en date du 10 avril 2018 et du 18 juin 2018.
Suite à ces alertes vous n’avez pas réagi et au lieu de vous remettre en cause et de faire preuve de professionnalisme et d’une meilleure implication dans la gestion et dans les résultats du MEGA CRG de [Localité 4], vous n’avez de cesse de vous justifier avec des explications pour le moins surprenantes et non fondées. Dans vos courriers vous utilisez des propos à la limite de l’injure qui ne sont pas acceptables de la part d’un directeur qui se doit d’adopter un comportement exemplaire dans l’exercice de ses fonctions. /’/ ».
Il ressort de la lettre de licenciement que celui-ci repose à la fois sur un grief disciplinaire qualifié de faute grave et sur un grief non disciplinaire qualifié d’insuffisance professionnelle.
L’employeur peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié dès lors qu’ils procèdent de faits distincts, à condition de respecter les règles de procédure applicables à chaque cause de licenciement.
Sur le motif disciplinaire de faute grave
Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des griefs invoqués et de former sa conviction au vu des éléments fournis pas les parties, le doute profitant au salarié.
La charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse n’incombe pas particulièrement à l’une ou l’autre partie.
Toutefois, la charge de la preuve de la gravité de la faute privative des indemnités de préavis et de licenciement incombe à l’employeur et tel est le cas d’espèce.
La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire.
Le moyen selon lequel les motifs du licenciement n’ont pas été exposés au salarié avant la notification de la lettre de licenciement, en l’absence d’un entretien préalable, en raison de l’irrégularité de la procédure, est inopérant au soutien de la prétention tendant à déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement entrepris.
La tension des relations entre le salarié et l’employeur à la suite du séminaire de direction, début avril 2018, au cours duquel son comportement avait attiré l’attention de la direction générale, associée à l’absence de report de l’entretien préalable malgré l’absence de respect du délai légal de convocation, ne permet pas d’établir que la décision de le licencier à bref délai avait été prise et programmée avant même la notification de celui-ci.
Aux termes de la convention collective nationale applicable, les fonctions du directeur comportent notamment la gestion, la discipline, la bonne tenue du personnel placé sous ses ordres, étant précisé que le directeur sera informé de toutes les décisions prises concernant le personnel.
Ainsi, il ne rentre pas dans ses pouvoirs de décider de licencier ou de prendre la décision de rompre les contrats de travail de salariés placés sous ses ordres.
Concernant l’exercice de ses fonctions en matière de discipline, il ressort des courriels versés aux débats par l’employeur que le salarié informait préalablement la direction des ressources humaines des difficultés constatées au sein de l’établissement avec le personnel et soumettait à la dite direction toute mesure disciplinaire envisagée pour validation, même un simple courrier d’avertissement. Il existait donc un modus operandi consistant en l’information préalable de la direction des incidents et en l’obtention de l’autorisation préalable de celle-ci sur la sanction envisagée. Il existait donc des procédures internes ou de consignes en matière de discipline, même verbales consistant à informer la direction des ressources humaines des éléments constatés et à lui soumettre pour validation la mesure disciplinaire envisagée.
En l’espèce, selon les termes de son courrier du 28 mai 2018, M. [K], employé du cinéma géré par M. [Z] et placé sous son autorité, a fait part à l’employeur du comportement de ce dernier à son égard à l’occasion d’un entretien informel, le 23 mai 2018, en indiquant, d’une part qu’il contestait les accusations dont il avait été la victime de la part de ce dernier et pour lesquelles le directeur lui avait demandé de rentrer chez lui sans respect d’une quelconque procédure et en joignant la copie du courrier daté du 23 mai 2018 qu’il adressait à M. [Z] dans lequel il relatait les faits lors de son arrivée à son poste de travail ce jour, à savoir que : il avait été accusé par celui-ci de frauder en vendant des cartes de fidélité que le directeur lui présentait matériellement, sans les avoir remises aux clients ; malgré sa surprise et ses dénégations, le directeur était resté sur sa position et lui avait indiqué qu’il ne travaillerait plus pour le Cinéma CGR et lui avait demandé de choisir entre deux options : soit rentrer chez lui, auquel cas il serait en abandon de poste, soit de le faire licencier pour faute grave et qu’il avait 5 minutes pour réfléchir ; il avait maintenu sa position et face à l’insistance sur une réponse au choix donné, il lui avait dit qu’il allait donc partir ; après avoir une ultime fois demandé s’il travaillait ce soir et les jours à venir, le directeur lui avait alors indiqué que ‘non’. Vous partez maintenant et ne travaillez plus jamais ici’ ; il était donc parti à sa demande.
M. [K] mentionnait par ailleurs : ‘Par ce présent courrier, je prends acte de votre décision de ne plus me faire travailler à compter de ce mercredi soir, bien que je me sois présenté à mon poste de travail. Vous ne m’avez pas remis de courrier me convoquant à un quelconque entretien (…)’
Il résulte de ce courrier, dont la valeur probante n’est pas utilement remise en cause par le salarié qui reconnaît avoir reçu en entretien, même informel, l’agent d’accueil en lui expliquant les faits et en lui ayant laissé le choix entre un départ volontaire et la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire, que ce dernier avait effectivement fait pression sur l’agent d’accueil pour obtenir sa démission, en lui laissant entendre que la décision de rompre le contrat de travail était acquise pour sa part.
Ce faisant, en procédant à cet entretien informel en laissant entendre à l’agent d’accueil que la décision de rompre son contrat de travail était acquise, alors qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation préalable de sa hiérarchie pour engager une telle démarche, le salarié n’a pas respecté les procédures internes en matière de discipline et a cherché à obtenir une démission par voie de pression, caractérisant un comportement fautif de sa part.
Par courrier du 10 avril 2018, la direction générale de la société a :
– d’une part reproché au salarié un ‘manque de professionnalisme et du sérieux nécessaire à son poste de directeur’ pour de ne pas avoir prévenu l’organisateur du séminaire de son absence au motif qu’il se sentait souffrant, de ne pas avoir jugé utile de prévenir ses responsables hiérarchiques, ni même d’envisager la possibilité de les rejoindre au cours de la journée du 5 avril 2018 ;
– d’autre part, informé le salarié de la décision de l’accompagner dans l’accomplissement de ses missions de directeur estimées insatisfaisantes, notant la gestion insuffisante du cinéma de [Localité 4], son absence de communication et la dégradation de ses résultats ;
– enfin, précisé que les équipes de direction de l’exploitation l’épauleront pour la bonne réalisation et le suivi de la rénovation du cinéma et pour le repositionner dans une dynamique d’entrée en hausse.
A aucun moment il n’a été reproché des agissements considérés comme fautifs, en sorte que ce courrier n’est pas constitutif d’une sanction disciplinaire au sens des dispositions de l’article L. 1331-1 du code du travail.
En définitive, en procédant à cet entretien informel en laissant entendre à l’agent d’accueil que la décision de rompre son contrat de travail était acquise, alors qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation préalable de sa hiérarchie pour engager une telle démarche, le salarié n’a pas respecté les procédures internes en matière de discipline et a cherché à obtenir une démission par voie de pression, caractérisant, malgré l’absence de sanction disciplinaire antérieure, une violation de ses obligations d’une importance telle qu’elle rend impossible la poursuite du contrat de travail et justifiant le licenciement pour faute grave privatif des indemnités de rupture.
Le salarié sera en conséquence débouté de sa demande tendant à déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement et de ses demandes subséquentes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre des indemnités de rupture.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes tendant à déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mais sera infirmé en ce qu’il a rejeté la faute grave, prononcé la requalification du licenciement de Monsieur [Z] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné la société au paiement des sommes accordées au titre des indemnités de rupture (16 239 euros d’indemnité compensatrice de préavis, 1 623 euros d’indemnité de congés payés afférente, 15 500 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement).
Sur les dommages et intérêts pour procédure irrégulière
La société ne fait valoir aucun moyen pour remettre en cause le jugement en ce qu’il a condamné la société au versement d’une indemnité pour procédure irrégulière, alors même que :
– le jugement a exactement constaté que le délai de cinq jours, issu des dispositions de l’article L. 1232-2 du code du travail, entre la présentation de la convocation à entretien préalable, le mercredi 4 juillet 2018, et l’entretien fixé le 6 juillet 2018, n’avait pas été respecté ;
– les premiers juges ont exactement apprécié le préjudice subi par le salarié (lequel n’a pas été mis en mesure de s’assurer l’assistance d’un conseiller ni même de se présenter à l’entretien prévu dans les locaux du siège social de la société en Charente, dès lors qu’il habitait dans le département du Rhône) et résultant de cette irrégularité à la somme de 5694 euros correspondant à un mois de salaire, conforme aux dispositions de l’article L.1235-2 du code du travail.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a condamné la société au paiement de dommages et intérêts pour irrégularité de procédure.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens de l’appel
La société succombant, même partiellement sera condamnée aux entiers dépens de l’appel et sera en conséquence déboutée de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
L’équité commande en revanche de faire bénéficier le salarié de ces dispositions et de condamner la société à lui verser une indemnité complémentaire de 2000 euros à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;
Dans la limite de la dévolution,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Georray à verser à M. [Z] 5 694 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, en ce qu’il a débouté M. [Z] de ses demandes tendant à déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la faute grave, en ce qu’il a prononcé la requalification du licenciement de M. [Z] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné la société Georray au paiement des sommes de 16 239 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 1 623 euros à titre d’indemnité de congés payés afférente, 15 500 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
Statuant à nouveau dans cette limite,
DÉCLARE justifié par la faute grave le licenciement de M. [Z] ;
DÉBOUTE M. [Z] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes au titre des indemnités de rupture ;
Y ajoutant,
RAPPELLE que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;
CONDAMNE la société Georray à verser à M. [Z] une indemnité complémentaire de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Georray aux entiers dépens de l’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE