Abandon de chantier : l’action en responsabilité du client

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Abandon de chantier : l’action en responsabilité du client

Résumé de l’affaire

Madame [C] [M] a confié des travaux de rénovation à la SARL COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE pour un montant de 53.604,50 euros, mais a constaté un abandon du chantier et a demandé la restitution de l’acompte versé, déduction faite de la partie effectuée. Elle a assigné la SARL en justice pour obtenir le remboursement du trop-perçu. La SASU LA BOUTIQUE DE [K], qui devait exploiter le fonds de commerce rénové, a également subi un préjudice en raison du retard dans les travaux. Une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’égard de la SARL, et la SELARL EKIP’, en tant que mandataire liquidateur, a été assignée pour fixer les créances des demanderesses.

L’essentiel

Irrégularité de la procédure

Madame [C] [M] fonde sa demande sur la théorie de l’enrichissement sans cause prévue par l’article 1303 du code civil, aux termes duquel en dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. L’article 1303-3 du même code précise que l’appauvri n’a pas d’action sur ce fondement lorsqu’une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription. Madame [C] [M] et la SARL COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE se sont trouvées liées par une relation contractuelle dès l’acceptation par la première, le 19 mai 2021, de l’estimation des travaux par la seconde réalisée le 11 mai 2021. La demanderesse déplorant un abandon du chantier par sa co-contractante et poursuivant la restitution de l’acompte versé pour des travaux non réalisés, elle dispose d’une action en responsabilité contractuelle aux fins d’obtenir le résiliation du contrat et le remboursement de tout ou partie de l’acompte à titre de réparation des conséquences de l’inexécution, telle que prévue par l’article 1217 du code civil. Dès lors, elle n’a pas d’action sur le fondement de l’enrichissement sans cause et doit être déboutée de sa demande.

Responsabilité contractuelle

La SASU LA BOUTIQUE DE [K] recherche la responsabilité contractuelle de droit commun de la SARL COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE sur le fondement des dispositions de l’article 1231-1 du code civil aux termes duquel le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. L’existence des relations contractuelles entre les deux parties est établie par l’étude financière du projet de rénovation de la boutique/travaux intérieurs réalisée par l’entreprise le 22 février 2022 et le planning de reprise des travaux adressé à Madame [M] le 31 mars 2022 visant conjointement la “SAS[K]” et “[M]”. La SARL COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE était donc tenue à l’égard de la SASU LA BOUTIQUE DE [K] de réaliser les travaux commandés dans les délais auxquels elle s’était engagée et l’abandon du chantier tel qu’il ressort du procès-verbal de constat d’huissier du 5 avril 2022 est constitutif d’une faute de sa part de nature à engager sa responsabilité contractuelle. La SASU LA BOUTIQUE DE [K] justifie son préjudice de 10.000 euros par le fait que le commencement de l’exploitation de son commerce, dont le chiffre d’affaires avait été estimé à 3.400 euros mensuels, a été retardé de trois mois du fait du retard pris pour l’exécution des travaux. Le préjudice qu’elle subit n’est toutefois nullement la somme de trois chiffres d’affaires mensuels estimatifs, mais une simple perte de chance de pouvoir démarrer l’exploitation de son commerce dès septembre 2022 et d’espérer en tirer des revenus, au titre de laquelle elle ne forme aucune demande. Elle sera déboutée de sa demande.

Indemnité et dépens

Madame [C] [M] et la SASU LA BOUTIQUE DE [K] succombant en leurs demandes principales, l’équité commande de ne pas leur allouer d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Elles seront condamnées aux entiers dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

30 juillet 2024
Tribunal judiciaire de Bordeaux
RG
22/08964
N° RG 22/08964 – N° Portalis DBX6-W-B7G-XHG3

7EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
7EME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 30 Juillet 2024
66B

N° RG 22/08964
N° Portalis DBX6-W-B7G-XHG3

Minute n° 2024/

AFFAIRE :

[C] [M],
S.A.S.U. LA BOUTIQUE DE [K]
C/
S.A.R.L. COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE,
S.E.L.A.R.L. EKIP’

Grosse Délivrée
le :
à
Avocats :
Me Philippe DE FREYNE

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats et du délibéré :
Madame Alice VERGNE, Vice-Présidente,
statuant en Juge Unique.

Lors des débats et du prononcé :
Monsieur Eric ROUCHEYROLLES, Greffier

DEBATS :

à l’audience publique du 26 Mars 2024,
délibéré au 04 Juin 2024, prorogé au 02 Juillet et au 30 Juillet 2024.

JUGEMENT :

Réputé contradictoire
En premier ressort
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe

DEMANDERESSES

Madame [C] [M]
née le 11 Avril 1967 à [Localité 9] (AVEYRON)
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 8]

représentée par Me Philippe DE FREYNE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

S.A.S.U. LA BOUTIQUE DE [K]
[Adresse 1]
[Localité 8]

représentée par Me Philippe DE FREYNE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

DEFENDERESSES

S.A.R.L. COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE
[Adresse 6]
[Localité 4]

défaillant

S.E.L.A.R.L. EKIP’ en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL COURTAGES TRAVAUX SUD GIRONDE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]

défaillant

*****************************

EXPOSE DU LITIGE

Madame [C] [M] est propriétaire d’un immeuble à usage commercial situé [Adresse 7] à [Localité 8].

Le 19 mai 2021, elle a confié à la SARL COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE des travaux de rénovation pour un prix de 53.604,50 euros.

Le 5 avril 2022, Madame [C] [M] a fait constater par huissier de justice l’état d’avancement des travaux réalisés.

Par courriers recommandés des 13 juin et 1er juillet 2022 respectivement reçus par la société COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE les 15 juin et 5 juillet 2022, Madame [M] a pris acte de l’abandon du chantier et de la rupture du contrat et l’a mise en demeure de restituer l’acompte, déduction faite de la partie effectuée soit Architecte et démolition soit un montant de 13.560 euros.

Par exploit du 25 novembre 2022, Madame [C] [M] et la SASU LA BOUTIQUE DE [K] prise en la personne de sa présidente Madame [K] [M] ont assigné la SARL COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de la voir condamner à verser à Madame [C] [M] la somme de 13.560 euros au titre du trop-perçu sur le fondement de l’article 1303 du code civil, à la SASU LA BOUTIQUE DE [K] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1231 du code civil et à chacun la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

N° RG 22/08964 – N° Portalis DBX6-W-B7G-XHG3

Elles font valoir que Madame [C] [M] ayant versé un trop perçu de 13.560 euros pour des travaux qui n’ont jamais été réalisés, il y a un enrichissement sans cause de la SARL COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE à hauteur de 13.560 euros et que la SASU LA BOUTIQUE DE [K], qui a repris les engagements de Madame [C] [M] concernant les aménagements intérieurs dès lors qu’elle devait exploiter le fonds de commerce à compter de septembre 2022, à hauteur de 28.220 euros, a subi un retard de plus de trois mois dans le commencement de son exploitation qui ne pourra débuter qu’en décembre 2022.

Une procédure de liquidation judiciaire ayant été ouverte à l’égard de la SARL COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 8 mars 2023, les demanderesses ont, par exploit du 16 mai 2023, assigné la SELARL EKIP’, mandataire judiciaire, es qualité de mandataire liquidateur devant la même juridiction aux fins de lui voir déclarer opposable la procédure en cours et de voir fixer la créance de la SASU LA BOUTIQUE DE [K] à la somme de 11.500 euros soit 10.000 euros de dommages et intérêts et 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la créance de Madame [C] [M] à la somme de 15.114,82 euros soit 13.560 euros au titre de la restitution du trop perçu, 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et 54,82 euros au titre du coût de l’assignation du 25 novembre 2022 et condamner le défendeur en tous les dépens à venir.

Les deux instances ont été jointes.

Régulièrement assignée selon les modalités de l’article 658 du code de procédure civile, la SELARL EKIP’ es qualité de mandataire liquidateur de la SARL COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE n’a pas comparu.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 26 mars 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande principale de Madame [C] [M]

Madame [C] [M] fonde sa demande sur la théorie de l’enrichissement sans cause prévue par l’article 1303 du code civil, aux termes duquel en dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement.

L’article 1303-3 du même code précise que l’appauvri n’a pas d’action sur ce fondement lorsqu’une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription.

Madame [C] [M] et la SARL COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE se sont trouvées liées par une relation contractuelle dès l’acceptation par la première, le 19 mai 2021, de l’estimation des travaux par la seconde réalisée le 11 mai 2021.

La demanderesse déplorant un abandon du chantier par sa co-contractante et poursuivant la restitution de l’acompte versé pour des travaux non réalisés, elle dispose d’une action en responsabilité contractuelle aux fins d’obtenir le résiliation du contrat et le remboursement de tout ou partie de l’acompte à titre de réparation des conséquences de l’inexécution, telle que prévue par l’article 1217 du code civil.
N° RG 22/08964 – N° Portalis DBX6-W-B7G-XHG3

Dès lors, elle n’a pas d’action sur le fondement de l’enrichissement sans cause et doit être déboutée de sa demande.

Sur la demande principale de la SASU LA BOUTIQUE DE [K]

La SASU LA BOUTIQUE DE [K] recherche la responsabilité contractuelle de droit commun de la SARL COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE sur le fondement des dispositions de l’article 1231-1 du code civil aux termes duquel le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

L’existence des relations contractuelles entre les deux parties est établie par l’étude financière du projet de rénovation de la boutique/travaux intérieurs réalisée par l’entreprise le 22 février 2022 et le planning de reprise des travaux adressé à Madame [M] le 31 mars 2022 visant conjointement la “SAS[K]” et “[M]”.

La SARL COURTAGE TRAVAUX SUD GIRONDE était donc tenue à l’égard de la SASU LA BOUTIQUE DE [K] de réaliser les travaux commandés dans les délais auxquels elle s’était engagée et l’abandon du chantier tel qu’il ressort du procès-verbal de constat d’huissier du 5 avril 2022 est constitutif d’une faute de sa part de nature à engager sa responsabilité contractuelle.

La SASU LA BOUTIQUE DE [K] justifie son préjudice de 10.000 euros par le fait que le commencement de l’exploitation de son commerce, dont le chiffre d’affaires avait été estimé à 3.400 euros mensuels, a été retardé de trois mois du fait du retard pris pour l’exécution des travaux.

Le préjudice qu’elle subit n’est toutefois nullement la somme de trois chiffres d’affaires mensuels estimatifs, mais une simple perte de chance de pouvoir démarrer l’exploitation de son commerce dès septembre 2022 et d’espérer en tirer des revenus, au titre de laquelle elle ne forme aucune demande.

Elle sera déboutée de sa demande.

Sur les autres demandes

Madame [C] [M] et la SASU LA BOUTIQUE DE [K] succombant en leurs demandes principales, l’équité commande de ne pas leur allouer d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elles seront condamnées aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

DEBOUTE Madame [C] [M] et la SASU LA BOUTIQUE DE [K] de l’ensemble de leurs demandes ;

CONDAMNE Madame [C] [M] et la SASU LA BOUTIQUE DE [K] aux dépens ;

RAPPELLE que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire.

La présente décision est signée par Madame Alice VERGNE, la Présidente, et Monsieur Eric ROUCHEYROLLES, Greffier.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


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