Contrat d’architecte | Résiliation non fautive

Contrat d’architecte | Résiliation non fautive

Les maîtres de l’ouvrage ont, par leur démarche auprès de la mairie de Fouesnant, remis en cause le projet réalisé depuis de nombreux mois avec leur architecte, dénigré devant des tiers le travail réalisé par celui-ci, exclu l’architecte du rendez vous avec l’architecte-conseil de la mairie puisqu’il n’y était pas invité, modifié les plans de l’architecte avant transmission à la mairie, tout en conservant dessus le cachet de la société Onze04 laissant ainsi penser qu’il s’agissait du projet de celle-ci. Ce faisant, ils ont commis des fautes qui ont mis à mal la confiance qui doit exister entre l’architecte et ses clients et ils ont rendu impossible la poursuite du contrat. La résiliation par l’architecte était donc justifiée.

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 24 OCTOBRE 2019

4ème chambre

RG N° 1700404

Sur les personnes

Président : Hélène RAULINE, président

Avocat(s) : Claire LIVORY, Claude CHAPPEL, Sylvie PELOIS

Cabinet(s) : CHAPPEL – LE ROUX, AB LITIS-SOCIETE D’AVOCATS DE MONCUIT-SAINT HILAI RE-PELOIS-VICQUELIN

Parties : SARL ONZE 04 SARL D’ARCHITECTURE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Hélène RAULINE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Andrée GEORGEAULT, Conseillère,

Assesseur : Madame Florence BOURDON, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Y Z, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 25 Juin 2019 devant Madame Florence BOURDON, magistrat rapporteur, tenant seule l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 24 Octobre 2019 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur A X

né le […] à PAIMPOL

[…]

[…]

Représenté par Me A CHAPPEL de la SELARL CHAPPEL-LE ROUX, PlaidantPostulant, avocat au barreau de LORIENT

Madame C X

née le […] à […]

[…]

[…]

Représentée par Me A CHAPPEL de la SELARL CHAPPEL-LE ROUX, PlaidantPostulant, avocat au barreau de LORIENT

INTIMÉE :

SARL ONZE 04 SARL D’ARCHITECTURE

prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Claire LIVORY de la SELARL CLAIRE LIVORY AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de NANTES

Représentée par Me Sylvie PELOIS de la SELARL AB LITIS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

FAITS ET PROCÉDURE

Suite à une mise en contact par le site Architectes-France, M. et Mme X ont confié à la société Onze 04, selon contrat en date du 11 mars 2013, une mission complète pour la réalisation d’une maison individuelle, lotissement Merrien, lot 12, à Fouesnant.

Le montant forfaitaire de la rémunération de l’architecte était fixé à 19 600 € TTC.

L’architecte a réalisé sa mission jusqu’au dossier de permis de construire qu’il a adressé aux époux X par mail du 16 décembre et par lettre du 17 décembre 2013.

Par courrier en date du 17 février 2014, la société Onze 04 a résilié le contrat d’architecte, invoquant un manque de confiance manifesté par les maîtres de l’ouvrage rendant impossible le bon déroulement de sa mission.

Selon acte d’huissier du 21 novembre 2014, M. et Mme X ont fait assigner la société Onze 04 devant le tribunal de grande instance de Lorient en paiement de dommages et intérêts.

Par jugement en date du 4 janvier 2017, le tribunal a :

— jugé justifiée la résiliation du contrat du 11 mars 2013 par la société Onze 04, et débouté M.et Mme X de l’ensemble de leurs demandes ;

— condamné solidairement M. et Mme X à payer à la société Onze 04 la somme de 2438,52 € TTC au titre de l’indemnité de résiliation ;

— condamné solidairement M. et Mme X à payer à la société Onze 04 la somme de 2 000 € à titre de dommages-intérêts pour atteinte à l’image et à la propriété intellectuelle ;

— débouté la société Onze 04 de sa demande en paiement d’une somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

— condamné solidairement M. et Mme X à payer à la société Onze 04 1a somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles ;

— condamné solidairement M. et Mme X aux dépens ;

— ordonné l’exécution provisoire à hauteur de la moitié des condamnations.

Par déclaration en date du 17 janvier 2017, M. et Mme X ont interjeté appel de ce jugement.

Les parties ont conclu.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2019.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions en date du 4 août 2017, M. et Mme X demandent à la cour de:

Vu les articles 1134 et 1184 du code civil,

— infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Lorient en date du 4 janvier 2017 ;

— dire et juger la rupture unilatérale de la société Onze 04 brutale, abusive et injustifiée ;

— condamner en conséquence la société Onze 04 à payer à M. et Mme X une somme de 27447,99 € à titre de dommages-intérêts ;

— condamner la même au paiement d’une somme de 8 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions du 2 mai 2019, la société Onze 04 demande à la cour de :

— confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a rejeté la demande présentée au titre des dommages et intérêts pour procédure abusive ;

En conséquence,

— débouter les époux X de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

A titre reconventionnel,

— les condamner in solidum à lui payer les sommes suivantes :

—  2 438,52 € TTC au titre de l’indemnité pour rupture anticipée ;

—  2 000 € à titre de dommages-intérêts pour atteinte à la propriété intellectuelle et atteinte à l’image ;

—  5 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

—  3 000 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;

—  3 000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

— les condamner aux dépens de première instance et d’appel.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la résiliation du contrat d’architecte

Les appelants soutiennent que la rupture unilatérale du contrat par la société Onze 04 est brutale, injustifiée et fautive.

Ils soulèvent tout d’abord le non respect par l’architecte des dispositions de l’article G-9-3 du cahier des clauses générales du contrat d’architecte au terme duquel la résiliation sur initiative de l’architecte ne peut être prononcée qu’après une mise en demeure restée infructueuse adressée au maître de l’ouvrage de se conformer à ses obligations et de mettre immédiatement fin à la situation de manquement, dans un délai de 15 jours minimum, sauf urgence.

Le contrat d’architecte signé par les parties le 11 mars 2013 stipule expressément en son article 3 que les pièces constitutives du contrat sont les suivantes, par ordre de priorité décroissante : le présent contrat, la proposition d’honoraires du 15 février 2013 et le planning prévisionnel de la même date.

Le document de l’ordre des architectes intitulé ‘ Contrat d’architecte pour travaux neufs -Partie 2: Cahier des clauses générales -‘ n’entre donc pas dans le champ contractuel et il n’est d’ailleurs ni signé, ni paraphé par les parties, contrairement aux trois pièces constitutives du contrat. Il n’est donc pas opposable au maître de l’ouvrage.

En outre, le manquement reproché aux maîtres de l’ouvrage n’était pas de nature à faire l’objet d’une régularisation.

Le grief tenant à l’absence de respect de la procédure de mise en demeure et au caractère brutal de la résiliation n’est donc pas justifié.

Les époux X font également valoir que la rupture du contrat est fautive et injustifiée.

L’article 13-12-2 du contrat dispose que ‘la résiliation du contrat ne peut intervenir sur initiative de l’architecte que pour des motifs justes et raisonnables tels que, par exemple, la perte de la confiance manifestée par le maître de l’ouvrage, l’impossibilité pour l’architecte de respecter les règles de son art, de sa déontologie ou de toutes dispositions légales ou réglementaires…’

La société Onze 04 a résilié le contrat par un courrier du 17 février 2014 après avoir réalisé deux esquisses (structure maçonnerie et ossature en bois), un avant projet simplifié (APS), un avant projet définitif (APD) et un dossier de permis de construire adressé aux maîtres de l’ouvrage par mail du 16 décembre et par courrier du 17 décembre 2013. Les éléments de mission ainsi réalisés ont été payés par les maîtres de l’ouvrage.

Le motif invoqué au soutien de la résiliation est le manque de confiance et de respect des maîtres de l’ouvrage rendant impossible le bon déroulement de la mission.

Il est établi qu’à réception du dossier de permis de construire, M.et Mme X ont pris l’initiative, le 4 janvier 2014, d’envoyer par mail à l’architecte-conseil de la mairie de Fouesnant, en vue d’obtenir un conseil de sa part, les pièces suivantes :

— le projet de permis de construire complet établi par la société Onze 04,

— des plans et éléments graphiques qu’ils avaient eux même modifiés, portant le cachet du cabinet d’architecture.

Ces documents sont accompagnés d’un long message dans lequel M.et Mme X critiquent le travail fait par leur architecte, lui reprochant notamment de ne pas avoir complètement pris en compte leurs souhaits architecturaux, et ils indiquent qu’ils souhaiteraient modifier les plans du projet notamment au niveau des toitures, demandant l’avis de l’architecte conseil sur les modifications qu’ils avaient eux-mêmes apportées aux plans joints à leur envoi. Ils ajoutent qu’ils souhaitent, avant d’en discuter avec leur architecte, être fixés sur la faisabilité des modifications projetées et sur leur incidence financière sur leur projet .

Le courriel se termine par la mention de ce que les maîtres de l’ouvrage appelleront ‘comme convenu ‘ la mairie pour en discuter le 9 janvier 2014 à 11 heures.

Contrairement à ce qui est soutenu par les époux X, la société Onze 04 n’a été informée de la transmission des documents à la mairie que le 10 janvier, soit postérieurement à la tenue du rendez vous téléphonique. Le courriel qu’il lui ont adressé le 4 janvier indiquait uniquement un entretien à la mairie de Fouesnant pour savoir ce qu’il était possible de faire sur les toits en fonction du POS

Les maîtres de l’ouvrage ne sont donc pas fondés à opposer l’absence de réaction de l’architecte à réception de leur mail du 4 janvier puisqu’il n’était pas informé de la transmission des documents de son cabinet à la mairie .

De même, la pratique de correction des plans qu’il soutiennent avoir mise en place avec leur architecte n’était pas transposable dans leurs rapports avec des tiers sans autorisation de ce dernier.

La contestation élevée sur l’absence de modification des plans originaux de l’architecte est inopérante et elle est écartée. En effet, dans leur courriel du 4 janvier à l’architecte-conseil, les époux X indiquent eux-même ‘ Nous avons modifié les plans ( avec nos moyens limités en dessin ) pour tenter de s’approcher davantage de nos souhaits de base…’ .

Il découle des éléments ci-dessus que les maîtres de l’ouvrage ont, par leur démarche auprès de la mairie de Fouesnant, remis en cause le projet réalisé depuis de nombreux mois avec leur architecte, dénigré devant des tiers le travail réalisé par celui-ci, exclu l’architecte du rendez vous avec l’architecte-conseil de la mairie puisqu’il n’y était pas invité, modifié les plans de l’architecte avant transmission à la mairie, tout en conservant dessus le cachet de la société Onze04 laissant ainsi penser qu’il s’agissait du projet de celle-ci.

Ce faisant, ils ont commis des fautes qui ont mis à mal la confiance qui doit exister entre l’architecte et ses clients et ils ont rendu impossible la poursuite du contrat. La résiliation par l’architecte était donc justifiée.

Les époux X reprochent en outre à l’architecte d’avoir manqué à ses obligations contractuelles.

Ils contestent tout d’abord avoir accepté tacitement l’APD et le dossier de permis de construire en faisant valoir qu’ils n’ont pas signé ces documents alors que cette exigence résulte à la fois du guide du contrat maison individuelle et de l’article 7.2 du contrat d’architecte.

Le guide du contrat ‘ maison individuelle’, élaboré par l’ordre des architectes à l’attention des architectes, n’entre pas dans le champ contractuel.

S’agissant du contrat d’architecte, le chapitre 7 est intitulé ‘ Définitions des éléments de mission’ et l’article 7.2, qui porte sur le dossier permis de construire, stipule:

Elaboration du dossier de permis de construire: l’architecte établit les documents graphiques et pièces écrites de sa compétence, nécessaires à la constitution du dossier de demande de permis de construire suivant la réglementation en vigueur. Il assiste le maître d’ouvrage pour la constitution du dossier administratif . Le maître d’ouvrage signe tous les documents nécessaires y compris les pièces graphiques: cette formalité vaut approbation pour lui du dossier d’avant-projet.

Cette exigence de signature concerne uniquement le dossier de demande de permis de construire en vue de son dépôt en mairie. Or, il n’est pas contesté que le projet des époux X n’était pas au stade du dépôt en mairie car le lotissement n’était pas viabilisé.

Cette disposition n’est pas applicable dans les rapports entre l’architecte et le maître de l’ouvrage, qui sont régis à l’article 5 du contrat, intitulé ‘Droits et Obligations des Parties’.

L’article 5.1 qui définit les obligations du maître de l’ouvrage indique:

Approbation des documents établis par l’architecte: Le maître d’ouvrage examine en vue de leur approbation, les documents que lui soumet l’architecte. Cette approbation vaut acceptation par le maître d’ouvrage de l’élément de mission concerné et des honoraires correspondants et vaut notification de poursuivre la mission. En cas de refus, le maître d’ouvrage doit en préciser les motifs par écrit dans les 10 jours suivant la réception des documents. Passé le délai convenu, l’approbation est réputée acquise.

L’APD et le dossier de permis de construire ont été tacitement validés en l’absence de désaccord exprimé par M. et Mme X dans les 10 jours de leur envoi.

Les factures correspondant à ces éléments de mission ont été payées par les maîtres de l’ouvrage qui ne rapportent pas la preuve de leurs affirmations selon lesquelles ils auraient été contraints de les payer car l’architecte refusait de modifier le projet en l’absence de paiement.

M.et Mme X soutiennent également que l’architecte n’a pas respecté un certain nombre d’obligations figurant au cahier des clauses générales annexé au contrat d’architecte.

Ainsi que jugé ci-dessus, ce document n’entre pas dans le champ contractuel de sorte que ce moyen est inopérant.

Les maîtres de l’ouvrage invoquent, enfin, l’incapacité de l’architecte de leur proposer un projet conforme à leurs attentes.

Il ressort incontestablement des correspondances échangées entre les parties des difficultés de relation entre elles. Cependant, le fait que le projet ne soit pas conforme à leur attente ne caractérise pas une faute et ne remet pas en cause le travail fait par l’architecte qu’ils ont d’ailleurs validé.

Enfin, leurs affirmations quant à l’absence de rentabilité de leur projet pour l’architecte ne sont pas justifiées.

Les époux X ne rapportant pas la preuve de manquements contractuels de l’architecte, le jugement est confirmé en ce qu’il a dit que la résiliation du contrat par l’architecte était justifiée et en ce qu’il a rejeté leur demande de dommages et intérêts.

Sur les demandes indemnitaires de la société Onze 04

Les sommes allouées au titre de l’indemnité de résiliation et de l’atteinte à la propriété intellectuelle et à l’image, non critiquées en appel, sont confirmées.

La société Onze 04 ne justifie pas du caractère abusif de la procédure et sa demande à ce titre n’est pas justifiée.

Elle est rejetée par voie de confirmation.

Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles sont confirmées.

Succombant en leur appel, M.et Mme X en supporteront les dépens et seront condamnés solidairement à payer à la société Onze 04 la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du CPC, leur propre demande de ce chef étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ,

Y ajoutant,

CONDAMNE solidairement M. et Mme X à payer à la société Onze 04 la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du CPC en cause d’appel,

CONDAMNE solidairement M. et Mme X aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC.

Le Greffier, Le Président,


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