Concurrence déloyale du salarié | Preuve insuffisante

Concurrence déloyale du salarié | Preuve insuffisante

La société Soprodi prétend caractériser l’existence d’actes de concurrence déloyale sur la base du seul et unique courriel susmentionné de Mme X adressé à un seul client (l’association des commerçants de Vesoul), dont elle déduit que l’intimée « présente le même argumentaire à l’ensemble des annonceurs situés sur le territoire de la Haute-Saône dans l’unique but de détourner [s]a clientèle » sans produire quelque élément que ce soit venant à l’appui de cette supposition.

Les déductions de la société Soprodi qui se borne à invoquer des « raisons légitimes de penser » que la société Y détourne sa clientèle sont insuffisantes à caractériser les actes de concurrence déloyale invoqués, étant observé qu’elle n’établit pas davantage un acte de débauchage quand elle écrit que l’embauche de Mme X en août 2015 « laisse à penser qu[‘elle] a été débauchée par la société Y Global Régions ».

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE BESANÇON

ARRÊT DU 22 OCTOBRE 2019

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

 

Contradictoire

 

Audience publique

 

du 17 septembre 2019

 

N° de rôle : N° RG 18/00896 – N° Portalis DBVG-V-B7C-D6SV

 

S/appel d’une décision

 

du TRIBUNAL DE COMMERCE DE VESOUL

 

en date du 16 mars 2018 [RG N° 2017000272]

 

Code affaire : 39H

 

Demande en cessation de concurrence déloyale ou illicite et/ou en dommages et intérêts

 

SAS […] C/ SAS Y GLOBAL REGIONS REGIE NETWORKS

 

PARTIES EN CAUSE :

 

SAS […]

 

dont le siège est sis […]

 

APPELANTE

 

Représentée par Me Guillaume MONNET de la SCP MONNET – VALLA – RICHARD – BESSE, avocat au barreau de BESANCON

 

ET :

 

SAS Y GLOBAL REGIONS REGIE NETWORKS

 

Prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés pour ce audit siège

 

dont le siège est sis […]

 

INTIMÉE

 

Représentée par Me Caroline LEROUX, avocat au barreau de BESANCON

 

COMPOSITION DE LA COUR :

 

Lors des débats :

 

PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre.

 

ASSESSEURS : Mesdames B. UGUEN LAITHIER et A. CHIARADIA (magistrat rapporteur) , Conseillers.

 

GREFFIER : Madame D. BOROWSKI, Greffier.

 

lors du délibéré :

 

PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre

 

ASSESSEURS : Mesdames B. UGUEN LAITHIER, et A. CHIARADIA, Conseillers.

 

L’affaire, plaidée à l’audience du 17 septembre 2019 a été mise en délibéré au 22 octobre 2019. Les parties ont été avisées qu’à cette date l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.

 

**************

 

Faits et prétentions des parties

 

La SAS Soprodi Radio Régions (la société Soprodi) exerce une activité de régie publicitaire, consistant en la vente d’espaces publicitaires sur la radio qu’elle exploite sous le nom de Radio Star.

 

La société Y Global Régions – Régie Networks (la société Y) est une société concurrente qui commercialise aussi des espaces publicitaires sur la radio Chérie FM.

 

Par exploit d’huissier délivré le 19 janvier 2017, la société Soprodi a fait assigner la société Y devant le tribunal de commerce de Vesoul aux fins d’obtenir réparation d’actes de concurrence déloyale.

 

Suivant jugement rendu le 16 mars 2018, ce tribunal a :

 

— dit qu’il n’y a pas lieu de retenir l’existence d’actes de concurrence déloyale,

 

— débouté la SAS Soprodi Radio Régions de l’ensemble de ses prétentions,

 

— rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions plus amples des parties,

 

— condamné la SAS Soprodi Radio Régions à payer à la société Y Global Régions – Régie Networks la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

 

— condamné la SAS Soprodi Radio Régions aux entiers dépens.

 

La société Soprodi a interjeté appel de cette décision par déclaration reçue au greffe le 17 mai 2018 et, aux termes de ses dernières conclusions transmises le 20 juillet 2018, elle en sollicite la réformation en toutes ses dispositions et demande à la cour de :

 

à titre principal :

 

— juger que la société Y a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice ou, subsidiairement une faute civile au sens de l’article 1382 ancien du code civil,

 

— condamner la société Y à lui payer la somme de 38 898 euros à titre de dommages- intérêts en réparation de son préjudice économique et celle de 10 000 euros à titre de dommages- intérêts en réparation de son préjudice moral,

 

— ordonner à la société Y, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée d’avoir à cesser immédiatement toute prospection des annonceurs en violation des règles professionnelles édictées par Médiamétrie et contenues dans le document établi par Médiamétrie intitulé « Directives d’application des règles de communication »,

 

— ordonner la publication du ‘jugement’ à intervenir, aux frais de la société Y et dans la limite de 3 000 euros, dans un support (journal ou revue, papier ou en ligne) à son choix,

 

à titre subsidiaire :

 

— ordonner à la société Y, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée, d’avoir à cesser immédiatement toute prospection des annonceurs en violation des règles professionnelles édictées par Médiamétrie et contenues dans le document établi par Médiamétrie intitulé « Directives d’application des règles de communication »,

 

en toutes hypothèses :

 

— condamner la société Y à lui payer 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

 

Selon écritures déposées le 11 octobre 2018, la société Y conclut à la confirmation du jugement entrepris, au débouté de la société Soprodi de l’ensemble de ses demandes, et à sa condamnation au paiement de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

 

Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions ci-dessus rappelées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

 

L’ordonnance de clôture est intervenue le 27 août 2019.

 

Motifs de la décision

 

— Sur la concurrence déloyale,

 

Les premiers juges ont estimé au vu des pièces produites qu’aucun acte de concurrence déloyale n’était prouvé et caractérisé et qu’aucun préjudice commercial n’était démontré, la société Soprodi ne procédant, selon eux, que « par affirmations et suppositions ».

 

Le tribunal a qualifié de maladroit le courriel envoyé par Mme X de Y et rejeté l’ensemble des demandes de la société Soprodi, laquelle prétendait que son ancienne salariée, Mme X travaillant désormais pour Y, avait recours à des méthodes douteuses pour convaincre les annonceurs de faire l’acquisition d’espaces publicitaires sur la radio Chérie FM plutôt que sur Radio Star, la société Soprodi reprochant à la société Y, lors du démarchage de la clientèle, de donner des informations mensongères sur les audiences réalisées par Radio Star en comparaison de celles réalisées par Chérie FM sur le département de la Haute-Saône.

 

Au soutien de son appel, la société Soprodi fait valoir qu’elle a employé Mme X, du 18 novembre 2013 au 14 août 2015, en qualité d’attachée commerciale et qu’après la rupture conventionnelle de son contrat de travail celle-ci a été immédiatement embauchée par la société Y au mois d’août 2015, en qualité de responsable des ventes d’espaces publicitaires sur la radio concurrente Chérie FM, ce qui, selon les conclusions de l’appelante, « laisse à penser que Mme X a été débauchée par la société Y Global Régions ».

 

La société Soprodi expose que par courriel du 29 septembre 2016, en réponse à une demande de l’association des commerçants de Vesoul qui souhaitait obtenir un devis pour la diffusion d’annonces publicitaires et connaître les mesures d’audience sur le département de la Haute-Saône, la société Y, par l’intermédiaire de Mme X, lui a indiqué : « Pour Chérie FM 13000 personnes vont entendre votre message publicitaire tous les jours. Pour Radio Star 11 968 personnes vont entendre votre message publicitaire ».

 

Elle rappelle que si, dans le cadre de leur activité, les stations de radio et les régies publicitaires sont autorisées à communiquer les résultats des mesures d’audience réalisées par la société Médiamétrie, ce n’est qu’à la condition d’avoir conclu avec cette dernière des contrats de souscriptions aux études radio, lesquels imposent des règles professionnelles définies dans un document intitulé « Directives d’application des règles de communication » qui prévoit, notamment, que la présentation des résultats ne doit pas être de nature à induire en erreur ceux à qui ils sont diffusés.

 

Selon l’appelante, les chiffres d’audience annoncés par Y (13 000 auditeurs/jour pour Chérie FM et 11968 auditeurs/ jour pour Radio Star) sont mensongers car ils ne reposent sur aucune étude d’audience réalisée par Médiamétrie annonçant de tels chiffres et elle en veut pour preuve la réponse que Médiamétrie lui a adressée par courriel du 25 octobre 2016 aux termes duquel celle-ci écrivait notamment : « Nous ne disposons pas de données permettant d’évaluer l’écoute radio sur un support multimédia au niveau départemental. Le recueil d’audience se fait sur tous les supports, mais le détail permettant de distinguer une écoute FM vs Internet, ou un poste traditionnel vs un support multimédia n’est pas accessible dans nos études que ce soit sur la Haute-Saône ou un autre département ».

 

La société Soprodi en déduit que la société Y ne pouvait prétendre, comme elle l’a fait dans le courriel de Mme X, qu’« il faudrait enlever environ 12’% aux chiffres de nos concurrents qui ne retransmettent pas les pubs locales quand l’auditeur est sur un support web (tablette, smarphone ou ordi) » et en conclut que cette assertion et les chiffres avancés dans le courriel de Mme X (13 000 auditeurs pour Chérie FM et 11 968 pour Radio Star) étaient volontairement de nature à induire en erreur l’association des commerçants de Vesoul et que les méthodes commerciales employées par Mme X et la société Y sont déloyales et constitutives d’actes de concurrence déloyale.

 

Subsidiairement, elle soutient que si la cour ne retenait aucun acte de concurrence déloyale à l’encontre de la société Y, elle devrait juger que la violation par cette dernière des règles professionnelles édictées par Médiamétrie constitue une faute civile au sens de l’article 1382 du code civil.

 

En toute hypothèse, la société Soprodi fait valoir qu’elle « a des raisons légitimes de considérer que la société Y Global Régions présente le même argumentaire à l’ensemble des annonceurs situés sur le territoire de la Haute-Saône dans l’unique but de détourner la clientèle de la société Soprodi Radio Régions ».

 

Elle soutient également avoir perdu la clientèle des sociétés Leclerc Lure, Otique Soligot et Biochauf en relations d’affaires avec elle depuis plusieurs années et évalue, en conséquence, sur la base de son taux de marge brut de l’ordre de 56 %, son préjudice économique à la somme totale de 38 898 euros dont elle réclame réparation à la société Y outre 10 000 euros au titre de son préjudice moral connexe.

 

Néanmoins, l’article 9 du code civil dispose qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention et la jurisprudence retient que l’action en concurrence déloyale n’est pas fondée sur une présomption de responsabilité, de sorte qu’il appartient aux juges du fond d’apprécier la valeur des présomptions qui leur sont soumises (Civ. 1re, 23 janvier 2001’: Bull. Civ. I, n°6).

 

Or, la société Soprodi prétend caractériser l’existence d’actes de concurrence déloyale sur la base du seul et unique courriel susmentionné de Mme X adressé à un seul client (l’association des commerçants de Vesoul), dont elle déduit que l’intimée « présente le même argumentaire à l’ensemble des annonceurs situés sur le territoire de la Haute-Saône dans l’unique but de détourner [s]a clientèle » sans produire quelque élément que ce soit venant à l’appui de cette supposition.

 

Les déductions de la société Soprodi qui se borne à invoquer des « raisons légitimes de penser » que la société Y détourne sa clientèle sont insuffisantes à caractériser les actes de concurrence déloyale invoqués, étant observé qu’elle n’établit pas davantage un acte de débauchage quand elle écrit que l’embauche de Mme X en août 2015 « laisse à penser qu[‘elle] a été débauchée par la société Y Global Régions ».

 

Enfin, il s’avère que l’association des commerçants de Vesoul a acheté l’espace publicitaire sur les deux radios, de sorte que le courriel de Mme X du 29 septembre 2016 n’a conduit à aucun détournement de clientèle au préjudice de la société Soprodi, celle-ci n’établissant, au demeurant, pas quel acte de concurrence déloyale aurait entraîné la perte de la clientèle des sociétés Leclerc Lure, Otique Soligot et Biochauf.

 

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à retenir l’existence d’actes de concurrence déloyale et a débouté la société Soprodi de l’ensemble de ses prétentions.

 

— Sur la violation des règles édictées par Médiamétrie,

 

Sans être démentie, la société Y souligne que la société Médiamétrie – qui a un pouvoir de sanction lorsque les stations de radio ne respectent pas les règles édictées dans l’utilisation de ses données – n’a jamais pris de sanction à son égard, de sorte que la violation par elle des règles professionnelles édictées par Médiamétrie n’est nullement établie;

 

La société Soprodi sera, en conséquence, déboutée de sa demande subsidiaire.

 

— Sur les demandes accessoires,

 

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l’intimée la totalité des frais qu’elle a dû engager pour se défendre en appel. Une somme de 2 000 euros lui sera donc allouée à ce titre, en application de l’article 700 du code de procédure civile.

 

Succombant, la société Soprodi sera condamnée aux dépens d’appel, les dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance étant, par ailleurs, confirmées.

 

PAR CES MOTIFS

 

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

 

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Vesoul en date du 16 mars 2018.

 

Y ajoutant,

 

Déboute la SAS Soprodi Radio Régions de sa demande subsidiaire.

 

La condamne à payer à la SAS Y Global Régions – Régie Networks la somme de deux mille (2 000) euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

 

Condamne la SAS Soprodi Radio Régions aux dépens d’appel.

 

Ledit arrêt a été signé par Monsieur Edouard Mazarin, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Madame Chantal Mouget faisant fonction de greffier.

 

Le greffier, le président de chambre

 


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