La marque FR4 est valide. Les lettres FR dans le signe FR4 désignent la France. Ce n’est toutefois pas le cas du chiffre 4, de sorte que la marque n’est pas entièrement composée de signes pouvant servir à désigner la provenance géographique du produit (l’ensemble est ainsi évocateur d’une origine française, ce qui a pour conséquence que pour le public pertinent les produits doivent être fabriqués en France, ce qui n’est pas contesté ici ; mais il ne peut pas suffire en soi à désigner une telle origine française).
Il n’est par ailleurs pas contesté que ce signe, FR4, est une référence à une appellation antérieure, connue dans le milieu des liquides pour cigarettes électroniques, « RY4 ». Pour autant, il ne résulte pas de cette appellation antérieure que tout signe de trois lettres contenant le chiffre 4 soit compris comme désignant directement ces produits ou leurs caractéristiques. De même, le fait que la référence soit connue du public concerné ne fait que rendre la marque évocatrice de la saveur du produit. Il n’en résulte pas qu’il puisse servir en soi à désigner ces caractéristiques (« FR4 » ne veut rien dire en soi) ni qu’il soit devenu usuel dans le secteur pour désigner cette saveur. Enfin, le signe « FR4 » est aisément prononçable, mémorisable et est distinctif en soi pour des arômes et liquides pour cigarettes électroniques. La demande en nullité de la marque FR4, manifestement malfondée, est donc rejetée. En vertu de l’article 52, paragraphe 1, sous a) du règlement 207/2009 (applicable à raison de la date d’enregistrement de la marque en cause, mais dont les dispositions à ce sujet sont en substance identiques à celles du nouveau règlement 2017/1001 comme du premier règlement 40/94), est déclarée nulle, sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, la marque de l’Union européenne qui a été enregistrée contrairement aux dispositions de l’article 7, lequel est ainsi rédigé : b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif; c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci; d) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce » |
Résumé de l’affaire : La société Gaiatrend accuse la société J.a.f.f.a.r. laboratoires de contrefaçon de la marque FR4, dont elle est licenciée exclusive, en raison de la vente d’arômes pour cigarettes électroniques portant ce signe. La marque FR4, enregistrée pour des produits liés aux e-liquides, a été contestée par Jaffar, qui a soulevé des exceptions de nullité et de déchéance, arguant que la marque était devenue usuelle et descriptive. Après une saisie-contrefaçon, Gaiatrend a assigné Jaffar, qui a été condamnée à verser 3 000 euros à Gaiatrend. Jaffar a ensuite été placée en redressement judiciaire, puis en liquidation, et Gaiatrend a déclaré une créance de 63 000 euros. Les deux parties ont présenté leurs prétentions et moyens respectifs, Gaiatrend demandant des dommages et intérêts pour contrefaçon, tandis que Jaffar contestait la validité de la marque et la notoriété de Gaiatrend. Le tribunal a finalement rejeté les demandes de déchéance et de nullité de Jaffar, interdit la vente des produits portant le signe FR4, et a fixé la créance de Gaiatrend à 4 000 euros pour contrefaçon, ainsi qu’à 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
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Q/R juridiques soulevées :
Sommaire Quelle est la nature de la contrefaçon reprochée par la société Gaiatrend à la société Jaffar ?La société Gaiatrend reproche à la société Jaffar la vente d’arômes pour liquides de cigarettes électroniques portant le signe « FR4 », en contrefaçon de la marque FR4 dont elle est licenciée exclusive. Cette marque verbale de l’Union européenne, enregistrée sous le numéro 13 515 581, est protégée pour désigner des arômes ou additifs pour les recharges de cigarettes électroniques, en classe 34. La contrefaçon est définie par l’article L. 717-1 du Code de la propriété intellectuelle, qui stipule que l’atteinte au droit conféré par la marque engage la responsabilité civile de son auteur. Dans ce cas, la société Jaffar a utilisé un signe identique à la marque FR4 pour des produits identiques, ce qui constitue une violation des droits de la société Gaiatrend. Quelles sont les conséquences de la déchéance de la marque FR4 sur les droits de la société Gaiatrend ?La déchéance de la marque FR4 a été soulevée par la société Jaffar, qui a affirmé que la société Gaiatrend n’avait plus la qualité à agir en raison de cette déchéance. Cependant, selon l’article 62 du règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne, la déchéance est réputée n’avoir pas eu d’effet à compter de la date de sa déclaration. Il est important de noter que le jugement prononçant la déchéance a été infirmé en appel le 8 décembre 2023, ce qui signifie que la marque n’est pas déchue et que la société Gaiatrend conserve ses droits. Ainsi, la société Gaiatrend est toujours en droit de défendre sa marque contre toute contrefaçon. Quels sont les critères pour établir la nullité d’une marque selon le droit de l’Union européenne ?La nullité d’une marque est régie par l’article 52, paragraphe 1, sous a) du règlement 207/2009, qui stipule que la marque peut être déclarée nulle si elle a été enregistrée en violation des dispositions de l’article 7. Les critères incluent : – Les marques dépourvues de caractère distinctif. – Les marques composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir à désigner les caractéristiques d’un produit. – Les marques devenues usuelles dans le langage courant ou dans les habitudes du commerce. Dans le cas présent, la société Jaffar a soutenu que la marque FR4 était descriptive et usuelle. Cependant, le tribunal a rejeté cette demande, affirmant que le signe FR4 est distinctif et évocateur d’une origine commerciale, ce qui ne le rend pas nul. Comment le tribunal a-t-il évalué le préjudice subi par la société Gaiatrend ?Le tribunal a évalué le préjudice subi par la société Gaiatrend en tenant compte des conséquences économiques de la contrefaçon, y compris le manque à gagner et le préjudice moral. L’article L. 716-4-10 du Code de la propriété intellectuelle précise que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction doit considérer distinctement ces éléments. La saisie-contrefaçon a révélé que la société Jaffar avait vendu 157 flacons de produits contrefaisants, générant un chiffre d’affaires total de 510,25 euros. Bien que la société Gaiatrend ait allégué des pertes plus importantes, le tribunal a fixé le préjudice à 4 000 euros, tenant compte de l’impact sur la notoriété de la marque et du pouvoir distinctif de celle-ci. Quelles mesures le tribunal a-t-il ordonnées concernant la vente des produits litigieux ?Le tribunal a interdit à la société Jaffar de vendre des arômes pour cigarettes électroniques ou e-liquides portant le signe FR4. Cette interdiction est fondée sur l’article L. 716-4-11 du Code de la propriété intellectuelle, qui permet d’ordonner des mesures appropriées pour protéger les droits de la marque. Cependant, le tribunal a décidé de ne pas assortir cette interdiction d’une astreinte, ni d’ordonner le rappel ou la destruction des produits, en raison de la liquidation judiciaire de la société Jaffar et de l’arrêt de la commercialisation des produits litigieux depuis juillet 2022. Ainsi, la protection des droits de la société Gaiatrend a été affirmée sans imposer des mesures excessives à la société Jaffar. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS
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3ème chambre
2ème section
N° RG 22/09245
N° Portalis 352J-W-B7G-CXSHA
N° MINUTE :
Assignation du :
29 juillet 2022
JUGEMENT
rendu le 06 Septembre 2024
DEMANDERESSE
S.A.R.L. GAIATREND
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Pierre GREFFE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0617
DÉFENDERESSES
S.E.L.A.R.L. EKIP’ prise en la personne de Maître [W] [B] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société J.A.F.F.A.R Laboratoires ( SAS)
[Adresse 3]
[Localité 5]
S.A.S. J.A.F.F.A.R LABORATOIRES
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentées par Maître Mickaël RUBINSOHN, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #G0586
et par Maître Alexandrine PANTZ de la SARL LÉGAPÔLE AVOCAT CABINET PANTZ, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant.
Copies éxécutoires délivrées le :
– Maître GREFFE #E617
– Maître RUBINSOHN #G586
Décision du 06 Septembre 2024
3ème chambre 2ème section
N° RG 22/09245 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXSHA
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Irene BENAC, Vice-Présidente
Madame Vera ZEDERMAN, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge
assités de Madame Caroline REBOUL, greffière lors des débats, et Monsieur Quentin CURABET, greffier lors de la mise à disposition
DEBATS
A l’audience du 07 Mars 2024 tenue en audience publique, avis à été donné aux avocats que la décision serait rendue le 21 Juin 2024 puis prorogé en dernier lieu au 06 septembre 2024
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
La société Gaiatrend reproche à La société J.a.f.f.a.r. laboratoires (la société Jaffar) la vente d’arômes pour liquides de cigarettes électroniques revêtus du signe « FR4 » pour en désigner la saveur, en contrefaçon selon elle de la marque FR4 dont elle est licenciée exclusive.
Il s’agit de la marque verbale de l’Union européenne ‘FR4’ numéro 13 515 581, déposée le 1er décembre 2014 et enregistrée le 8 juin 2015 pour désigner notamment des arômes ou additifs pour les recharges de cigarettes électroniques, « e-liquide » pour cigarettes électroniques, fluides et liquides aromatiques pour cigarettes électroniques, en classe 34, appartenant à M. [X] [P].
Après une saisie-contrefaçon, la société Gaiatrend a assigné la société Jaffar le 29 juillet 2022.
Le juge de la mise en état du présent tribunal a écarté l’exception de nullité de l’assignation soulevée par la société Jaffar et condamné celle-ci à payer 3 000 euros à la société Gaiatrend au titre de l’article 700 du code de procédure civile, par ordonnance du 10 mars 2023.
La société Jaffar a été placée en redressement judiciaire le 25 avril 2023 (converti en liquidation le 28 novembre 2023). La société Gaiatrend a déclaré sa créance le 26 mai 2023 (à hauteur de 63 000 euros) et assigné le mandataire judiciaire (devenu liquidateur) le 1er juin 2023.
L’instruction a été close le 19 janvier 2024 et l’affaire plaidée le 7 mars suivant.
Prétentions des parties
La société Gaiatrend, dans ses dernières conclusions (14 décembre 2023), résiste aux demandes reconventionnelles et demande elle-même 50 000 euros de dommages et intérêts pour contrefaçon ou subsidiairement concurrence déloyale et parasitaire, des mesures d’interdiction, de rappel, de destruction des produits litigieux, la publication du jugement, 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, « en conséquence » fixer sa créance contre la société Jaffar à 63 000 euros, outre le recouvrement des dépens par son avocat.
La société Jaffar et son liquidateur, dans leurs dernières conclusions (11 décembre 2023), soulèvent l’irrecevabilité des demandes, y résistent au fond, « subsidiairement » demandent la déchéance de la marque FR4, plus subsidiairement sa nullité, demandent eux-mêmes la publication du jugement et réclament 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre le recouvrement des dépens par leur avocat.
Moyens des parties
Sur la fin de non-recevoir, la société Jaffar et son liquidateur estiment que la société Gaiatrend est dépourvue de qualité à agir car la marque a été déclarée déchue à compter du 12 mai 2016 par jugement du 12 novembre 2021, exécutoire de plein droit, de sorte que la licence n’a plus de cause ; que la société Gaiatrend a perdu le droit de défendre une marque déchue et a menti en introduisant une nouvelle action sans le dire et en ne publiant pas la déchéance à l’office européen de la propriété intellectuelle.
À titre subsidiaire, sur le fond, ils soulèvent à nouveau la déchéance de la marque, en premier lieu pour non usage, aux motifs que la marque FR4 est utilisée pour désigner une saveur, donc une caractéristique du produit, parmi les e-liquides de la marque Alfaliquid, sans lui être jamais dissociée, de sorte que sans cette autre marque, l’origine du signe FR4 n’est pas évidente pour le consommateur et le signe FR4 n’est pas utilisé à titre de marque ; que ce signe est en outre écrit en très petits caractères sur les produits et leur emballage et que c’est la marque Alfaliquid qui est dominante ; que les consommateurs eux-mêmes ne dissocient pas « FR4 » de « Alfaliquid » et s’y réfèrent pour désigner des saveurs de tabac blond, fruité ou caramélisé, en sachant que cet arôme est issu du liquide populaire « RY4 » ; que des concurrents eux-mêmes utilisent les signes FR4 ou FR pour désigner des saveurs de tabac blond.
Ils soulèvent la déchéance en deuxième lieu pour dégénérescence (marque devenue usuelle), aux motifs que « l’ensemble des concurrents du secteur usent du signe 4 pour désigner la saveur de son produit et ce, déjà bien avant le dépôt de ce signe par Gaiatrend en tant que marque » ; que les professionnels du secteur identifient les liquides au gout de tabac blond comme étant de « type FR4 » ; qu’il s’agit ainsi d’une « simple nomenclature à vocation administrative » ; que la société Gaiatrend elle-même utilise le signe FR4, dans ses factures, dans la colonne « désignation de l’article » à l’instar d’autres saveurs de sorte que cette dénomination ne désigne que la saveur des produits et non une origine commerciale.
À titre plus subsidiaire, la société Jaffar et son liquidateur soulèvent la nullité de la marque au motif qu’elle est descriptive, en ce qu’elle ne fait que transposer la nomenclature RY4, bien connue du grand public, avec les lettres FR qui sont l’abréviation de « français » et désignent donc la France tandis que le chiffre 4 n’est nullement distinctif en soi et était connu dans le milieu comme décrivant une saveur précise (l’arôme de tabac blond vanillé et caramélisé).
En réponse sur la fin de non-recevoir, la société Gaiatrend fait valoir notamment que le jugement du 12 novembre 2021 a été infirmé en appel (arrêt du 8 décembre 2023).
Contre la nouvelle demande en déchéance pour non usage, la société Gaiatrend soutient que comme l’ont déjà jugé à quatre reprises la cour d’appel et le présent tribunal, l’origine économique d’un produit peut être indiquée par plusieurs marques et une marque peut être exploitée pour une sous-catégorie de produits et servir à la fois à distinguer une caractéristique, comme une saveur, et indiquer sa provenance et qu’elle exploite bien le signe FR4 à titre de marque. Sur la dégénérescence, elle conteste que sa marque soit utilisée par l’ensemble des concurrents du secteur, fait valoir que la déchéance n’est encourue que si c’est du fait du titulaire que la marque est devenue usuelle et affirme à cet égard avoir toujours fait preuve de vigilance et agi devant les tribunaux à chaque fois qu’elle avait connaissance d’un usage contrefaisant.
Contre la demande en nullité, la société Gaiatrend fait valoir que, comme l’a déjà relevé le présent tribunal et la cour d’appel, une marque peut servir à la fois à distinguer une caractéristique du produit (comme une saveur) et sa provenance, que les commentaires d’utilisateurs et de revendeurs ne prouvent pas que le signe FR4 est descriptif, qu’en effet ce signe ne permet pas au consommateur d’identifier immédiatement et avec précision le produit ou l’une de ses caractéristiques, qu’il n’y a aucun point de contact entre lui et le produit qu’il désigne, qu’au contraire, il est systématiquement associé à l’origine commerciale (de la société Gaiatrend) du fait de la notoriété de la marque ; que tout au plus il s’agirait d’une simple évocation.
Sur la contrefaçon, la société Gaiatrend soutient que comme l’a déjà retenu le présent tribunal la marque FR4 est très fortement distinctive au regard des produits de la classe 34, que cette distinctivité est accrue par sa forte notoriété (établie selon elle par l’important succès commercial des produits revêtus de la marque, des articles du « Petit Vapoteur » et de « VapingPost », les publicités nombreuses qu’elle a fait paraitre dans plusieurs types de médias), que le signe litigieux est identique à la marque, est utilisé pour des produits identiques ou du moins fortement similaires, qu’il en résulte un risque de confusion important.
Elle estime subsidiairement que l’usage du signe FR4 par la défenderesse constitue une concurrence déloyale par risque de confusion et un parasitisme.
Sur le préjudice, elle fait valoir que la saisie-contrefaçon a révélé que la société Jaffar avait, depuis février 2020, vendu près de 200 flacons contrefaisants, lesquels contiennent un arôme concentré devant être dilué, ce qui correspond à plusieurs dizaines d’e-liquides pour chaque flacon d’arôme ; que ces ventes lui ont fait perdre un bénéfice, ont porté atteinte à la notoriété de la marque ; que ses produits, eux, sont réputés pour leur excellente qualité et bénéficient de plusieurs certifications ; que les produits contrefaisants ont en outre un gout différent qui risque de détourner à jamais les consommateurs du produit original.
En défense contre la contrefaçon, la société Jaffar et son liquidateur contestent la notoriété alléguée de la marque FR4, estimant que les pièces produites ne montrent que l’ascension économique de la société Gaiatrend en général, contestent l’identité des produits, en ce que les conditions d’utilisation du signe doivent selon elles être prises en compte, conditions qui, en l’espèce, excluent tout risque de confusion au regard des différences nettes entre les emballages et les flacons des produits en cause, de leur différence de gout et de marché (le produit litigieux est un arôme concentré à diluer par le consommateur pour faire son propre e-liquide et vise donc un consommateur aguerri tandis que le produit de la demanderesse est un e-liquide prêt à l’emploi qui vise donc le consommateur novice). Ils en concluent que le consommateur percevra FR4 comme la référence d’un arôme de recharge e-liquide commercialisé à la fois par Alfaliquid (la marque de la société Gaiatrend) et par Bio France arômes (la marque de la société Jaffar).
Ils ajoutent que la société Jaffar a immédiatement cessé la commercialisation du produit litigieux après la saisie-contrefaçon et est donc de bonne foi. Sur les dommages et intérêts, ils estiment que la demanderesse n’apporte pas la preuve de son préjudice. En particulier sur le bénéfice que la société Jaffar aurait réalisé, ils font valoir que le procès-verbal de saisie-contrefaçon fait état de la vente de 157 produits au prix de 3,25 euros HT l’unité depuis le 1er février 2020, soit des ventes totales de 510,25 euros jusqu’au 7 juillet 2022, date de la saisie ; que le stock restant, de 89 flacons, a été immédiatement détruit ; que, par ailleurs, la liquidation judiciaire de la société Jaffar montre qu’elle n’a jamais tiré de bénéfice de la contrefaçon alléguée. Ils estiment également les mesures complémentaires disproportionnées. Ils contestent enfin la concurrence déloyale et le parasitisme.
Sur les frais de la procédure, les défendeurs soutiennent que la société Jaffar, dont les moyens sont plus limités que ceux de la demanderesse, subit un préjudice du fait de cette procédure judiciaire, qui n’est selon eux qu’une tentative de nuire à un concurrent sérieux du fait de la renommée et de la qualité de ses produits ; que la demanderesse a ainsi pu obtenir des documents relevant du secret des affaires lors de la saisie-contrefaçon et qu’il serait « parfaitement illégitime et inéquitable » de condamner la société Jaffar de ce fait.
I . Fin de non-recevoir tirée de la déchéance précédemment prononcée
L’article 62 du règlement 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne prévoit que la marque est réputée n’avoir pas eu d’effet, à compter de la date d’effet de sa déchéance.
L’effet absolu de cette déchéance n’est soumis à aucune condition de publicité et peut toujours être opposé au titulaire par les tiers qui en ont connaissance, afin de faire obstacle (ne fût-ce que temporairement lorsque la déchéance est prononcée par une décision frappée d’appel) aux demandes fondées sur cette marque.
Toutefois, le jugement du 12 novembre 2021 ayant prononcé la déchéance, dont se prévaut la société Jaffar, a été infirmé le 8 décembre 2023. La marque n’est donc pas déchue et le moyen en ce sens, par conséquent, infondé.
II . Demande reconventionnelle en déchéance
La déchéance de la marque de l’Union européenne est prévue par l’article 58 du règlement 2017/1001, dans les termes suivants :
« 1. Le titulaire de la marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon :
a) si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage ; (…)
b) si la marque est devenue, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d’un produit ou d’un service pour lequel elle est enregistrée ;
(…) »
1 . Défaut d’usage sérieux
Au cas présent, il n’est pas contesté que le signe FR4 a été utilisé sur le conditionnement de l’ensemble des produits pour lesquels la marque est enregistrée. Seul est contesté le fait que cet usage ait été fait à titre de marque.
Une marque peut servir à identifier à la fois l’entreprise à l’origine du produit (ce qui est sa fonction essentielle) et, au sein de l’ensemble des produits commercialisés par cette entreprise, une sous-catégorie de produits ayant une caractéristique particulière, telle qu’une saveur. Il s’agit d’indiquer aux consommateurs à la fois que le produit aura cette caractéristique (ici, la saveur « FR4 ») et, en se réservant cette appellation, que c’est la saveur de l’entreprise concernée (ici, Gaiatrend). Le fait que le signe FR4 soit utilisé pour indiquer la saveur du produit est donc indifférent. Il suffit qu’il soit utilisé, comme ici, de manière visible (même si c’est en petits caractères, et sans être dominant) sur le produit ou son conditionnement, en tant que signe distinctif.
De même, le fait qu’une marque soit utilisée en combinaison avec une autre est indifférent, plusieurs signes pouvant avoir la fonction d’indiquer l’origine commerciale d’un même produit. En particulier dans un cas tel que celui-ci où la marque ombrelle (Alfaliquid) aide à rattacher la marque secondaire (FR4) à l’entreprise concernée.
Le moyen tiré du défaut d’usage sérieux est donc manifestement infondé.
2 . Marque devenue usuelle
Le fait que les consommateurs aient compris à quelle saveur concrète (un tabac blond etc) la marque litigieuse correspondait ne fait que révéler le succès de la stratégie du titulaire de cette marque et n’indique en rien qu’elle serait devenue la désignation usuelle des produits ou de cette saveur chez ces produits en général
.
Par ailleurs, il est constant que de nombreuses actions en justice ont été introduites par la société Gaiatrend contre les concurrents qui avaient tenté d’utiliser le signe FR4 sur leurs produits, ce qui caractérise des diligences suffisantes réalisées au nom du titulaire de la marque.
Par conséquent, la demande en déchéance est rejetée.
III . Demande reconventionnelle en nullité
En vertu de l’article 52, paragraphe 1, sous a) du règlement 207/2009 (applicable à raison de la date d’enregistrement de la marque en cause, mais dont les dispositions à ce sujet sont en substance identiques à celles du nouveau règlement 2017/1001 comme du premier règlement 40/94), est déclarée nulle, sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, la marque de l’Union européenne qui a été enregistrée contrairement aux dispositions de l’article 7, lequel est ainsi rédigé :
« 1. Sont refusés à l’enregistrement :
(…)
b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;
c) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci;
d) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce;
(…) »
Comme le soulèvent la société Jaffar et son liquidateur, les lettres FR dans le signe FR4 désignent la France. Ce n’est toutefois pas le cas du chiffre 4, de sorte que la marque n’est pas entièrement composée de signes pouvant servir à désigner la provenance géographique du produit (l’ensemble est ainsi évocateur d’une origine française, ce qui a pour conséquence que pour le public pertinent les produits doivent être fabriqués en France, ce qui n’est pas contesté ici ; mais il ne peut pas suffire en soi à désigner une telle origine française).
Il n’est par ailleurs pas contesté que ce signe, FR4, est une référence à une appellation antérieure, connue dans le milieu des liquides pour cigarettes électroniques, « RY4 ». Pour autant, il ne résulte pas de cette appellation antérieure que tout signe de trois lettres contenant le chiffre 4 soit compris comme désignant directement ces produits ou leurs caractéristiques.
De même, le fait que la référence soit connue du public concerné ne fait que rendre la marque évocatrice de la saveur du produit. Il n’en résulte pas qu’il puisse servir en soi à désigner ces caractéristiques (« FR4 » ne veut rien dire en soi) ni qu’il soit devenu usuel dans le secteur pour désigner cette saveur.
Enfin, le signe « FR4 » est aisément prononçable, mémorisable et est distinctif en soi pour des arômes et liquides pour cigarettes électroniques.
La demande en nullité, manifestement malfondée, est donc rejetée.
IV . Contrefaçon
1 . Principe de responsabilité
Le droit conféré par les marques de l’Union européenne est prévu par le règlement 2017/1001, à son article 9, ce dernier étant ainsi rédigé :
« 1. L’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.
2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque :
a) ce signe est identique à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée ;
(…) »
La Cour de justice de l’Union européenne a précisé que le droit exclusif du titulaire de la marque, qui n’est pas absolu, ne l’autorise à s’opposer à l’usage d’un signe par un tiers en vertu de l’article 9, dans les conditions énumérées au paragraphe 2, sous a) et b), que si cet usage porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (CJCE, 12 novembre 2002, Arsenal football club, C-206/01, point 51 ; plus récemment, CJUE, 25 janvier 2024, Audi, C-334/22, points 31 et 43 et jurisprudence citée).
L’atteinte au droit conféré par la marque de l’Union européenne est qualifiée de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l’article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle.
Il est constant que la société Jaffar a vendu des arômes à diluer pour cigarettes électroniques identifiés par plusieurs signes dont « FR4 » sur leur flacon et leur emballage en carton.
Il s’agit donc d’un usage dans la vie des affaires d’un signe identique à la marque, pour des produits, qui sont des produits identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée (arômes ou additifs pour les recharges de cigarettes électroniques).
Cet usage, qui est utilisé pour désigner la saveur des produits, n’en est pas moins l’usage d’un signe distinctif et arbitraire, qui peut laisser penser au public que la saveur concernée a été fabriquée sous le contrôle de l’entreprise titulaire de la marque ; le fait que par ailleurs l’emballage contient d’autres signes et se présente différemment de celui sur lequel la marque est exploitée est indifférent. Cet usage porte dès lors atteinte à la fonction essentielle de la marque, donc au droit conféré par celle-ci.
2 . Réparation et autres mesures
L’article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle prévoit, en application de l’article 13 de la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée, le préjudice moral causé à cette dernière et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Par ailleurs, l’article L. 716-4-11 du même code prévoit notamment la destruction des produits contrefaisants et toute mesure appropriée de publicité, aux frais du contrefacteur.
La saisie-contrefaçon a permis de constater que le logiciel de la société Jaffar faisait état de 157 ventes de produit référencé FR4 au prix de 3,25 euros l’unité soit 510,25 euros au total. Si la société Gaiatrend allègue pour sa part que la saisie-contrefaçon aurait permis de prouver que « près de 200 flacons » auraient été vendus, elle n’explique pas sur quels éléments elle s’est fondée ni comment elle est parvenue à ce résultat. La contrefaçon est donc prouvée à hauteur de 157 flacons vendus pour 510,25 euros au total, ce dont il résulte pour le contrefacteur un bénéfice faible.
Même en tenant compte du fait qu’il s’agit d’arôme concentré qui, une fois dilué, correspond à un nombre plus important de flacons de produit directement utilisable, il en résulte une perte de vente relativement faible également pour la société Gaiatrend.
Toutefois, ces ventes ont nécessairement contribué à affaiblir le pouvoir distinctif de la marque FR4.
Il en résulte un préjudice de 4 000 euros, créance qui doit être fixée au passif de la société Jaffar.
La poursuite de la vente des produits en cause, illicite, doit être interdite.
En revanche, la société Jaffar étant en liquidation et les ventes de produits litigieux ayant cessé depuis juillet 2022, il n’y a pas lieu d’assortir l’interdiction d’une astreinte, ni d’ordonner le rappel, la destruction, ni une publication du jugement.
V . Dispositions finales
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu’il détermine, en tenant compte de l’équité et de la situation économique de cette partie.
La société Jaffar, qui perd le procès, est tenue aux dépens. Elle a résisté à la demande dans son principe, en soulevant de très nombreux moyens manifestement voués à l’échec et sans former la moindre proposition d’indemnisation, de sorte que malgré le montant exagéré des demandes indemnitaires de la société Gaiatrend, l’entièreté des frais du procès lui est tout de même imputable. Elle doit donc être condamnée, même en tenant compte de sa situation économique, à indemniser entièrement la société Gaiatrend de ces frais. Le montant de ceux-ci peut être fixé conformément à la demande à 10 000 euros, les défendeurs ayant eux-mêmes estimé, par leur propre demande, que la procédure avait justifié des frais de ce montant.
Enfin, l’exécution provisoire est de droit et rien ne justifie de l’écarter ici, d’autant moins qu’il est nécessaire de permettre la clôture de la liquidation judiciaire de la société Jaffar dans un délai raisonnable.
Le tribunal :
Rejette les demandes de la société Jaffar en déchéance et nullité de la marque FR4 ;
Interdit à la société Jaffar de vendre des arômes pour cigarettes électroniques ou e-liquides pour cigarettes électroniques revêtus du, ou désignés par, le signe FR4 ;
Rejette les demandes de la société Gaiatrend en rappel, destruction, publication ;
Rejette la demande de la société Jaffar en publication ;
Fixe à 4 000 euros la créance de la société Gaiatrend au passif de la société Jaffar au titre de la contrefaçon ;
Condamne la société Jaffar aux dépens (avec recouvrement des dépens par l’avocat de la société Gaiatrend pour ceux dont il aurait fait l’avance sans en recevoir provision) ;
Fixe à 10 000 euros la créance de la société Gaiatrend au passif de la société Jaffar au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 06 Septembre 2024
Le greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC