Les parties ont la maîtrise sur l’objet et la cause des demandes formulées en justice

·

·

Les parties ont la maîtrise sur l’objet et la cause des demandes formulées en justice

Conformément au principe dispositif édicté par les articles 4 et 5 du Code de procédure civile, les parties ont la maîtrise sur l’objet et la cause des demandes formulées en justice et le juge ne doit se prononcer que sur les prétentions telles qu’elles ont été présentées par elles.

C’est la raison pour laquelle les articles 56 et 768 du même code leur imposent de préciser clairement dans leurs écritures l’objet de leur demande.

En l’occurrence, il n’a été statué que sur la base des demandes telles qu’elles ont été présentées par les parties dans leurs écritures, étant rappelé qu’il n’appartient pas au juge de donner acte aux parties d’intention ou de volonté, ni de faire un constat. Ces demandes n’ont pas pour objet de trancher un litige et se trouvent dépourvues de tout effet juridique.

De même, il n’y a pas lieu de reprendre ni d’écarter dans le dispositif du jugement les demandes tendant à ‘dire que …’, telles que figurant dans le dispositif des conclusions des parties, lesquelles portent sur des moyens ou éléments de fait relevant des motifs et non des chefs de décision devant figurer dans la partie exécutoire du jugement.

Résumé de l’affaire :

Contexte du litige

Le 4 juillet 2014, la société PBC a signé un contrat avec l’AGENCE [Y] [D] pour l’aménagement d’un restaurant franchisé, LES 3 BRASSEURS. Le 5 novembre 2015, le franchisé a rompu le contrat de franchise, entraînant des conséquences juridiques.

Jugement du Tribunal de commerce

Le 16 janvier 2018, le Tribunal de commerce de Lille a condamné la société PBC à verser 174.150 euros de dommages-intérêts et 20.000 euros de frais irrépétibles au franchiseur LES 3 BRASSEURS.

Décision de la Cour d’appel

Le 24 novembre 2022, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a ordonné à la société PBC de payer à l’AGENCE [Y] [D] les honoraires non réglés pour la réalisation des plans.

Accusations de contrefaçon

L’AGENCE [Y] [D] a accusé PBC et son nouvel architecte, INNSIDE, d’avoir copié ses plans d’agencement. Elle a demandé une injonction de cesser les actes de contrefaçon et des dommages-intérêts pour préjudice économique et moral.

Rejet des demandes de nullité

Le 12 octobre 2021, le Juge de la mise en état a rejeté la demande de nullité d’assignation de la société INNSIDE et a déclaré irrecevable celle de la société PBC.

Arguments de l’AGENCE [Y] [D]

L’AGENCE [Y] [D] a soutenu que ses plans étaient originaux et protégés par le droit d’auteur, et que les similitudes avec les plans de PBC et INNSIDE constituaient une contrefaçon.

Réponse de la société PBC

La société PBC a demandé le rejet des demandes de l’AGENCE [Y] [D], arguant que cette dernière avait été imposée par le franchiseur et que ses plans manquaient d’originalité.

Position de la société INNSIDE

La société INNSIDE a également contesté les accusations de contrefaçon, affirmant que les similitudes étaient dues à des contraintes techniques et que la décoration intérieure était différente.

Clôture de l’audience

L’audience a été clôturée le 9 juillet 2024, et l’affaire a été mise en délibéré pour le 12 décembre 2024.

Motifs de la décision

Le tribunal a statué sur la base des demandes formulées par les parties, précisant que l’AGENCE [Y] [D] ne pouvait pas revendiquer des droits d’auteur sur des plans jugés non originaux.

Conclusion du tribunal

Le tribunal a débouté l’AGENCE [Y] [D] de ses demandes, condamné cette dernière à payer des frais irrépétibles aux sociétés PBC et INNSIDE, et a ordonné l’exécution provisoire de la décision.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les implications juridiques de la rupture du contrat de franchise par le franchisé ?

La rupture du contrat de franchise par le franchisé, en l’occurrence la société PBC, a des conséquences juridiques significatives. Selon l’article 1.3.6 du contrat d’architecte d’intérieur, l’architecte conserve l’entière propriété intellectuelle de ses plans, ce qui signifie que la société AGENCE [Y] [D] peut revendiquer ses droits d’auteur sur les plans conçus pour le restaurant.

En vertu de l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation d’une œuvre sans le consentement de l’auteur est illicite. Ainsi, la société PBC, après avoir rompu le contrat de franchise, ne peut pas utiliser les plans de l’AGENCE [Y] [D] sans autorisation, ce qui pourrait constituer une contrefaçon.

De plus, le jugement du Tribunal de commerce de Lille a condamné la société PBC à verser des dommages-intérêts au franchiseur, ce qui souligne les conséquences financières d’une rupture de contrat. La société PBC doit donc être consciente des obligations contractuelles qui subsistent même après la rupture.

Quels sont les droits de propriété intellectuelle de l’AGENCE [Y] [D] sur les plans d’aménagement ?

L’AGENCE [Y] [D] détient des droits de propriété intellectuelle sur les plans d’aménagement en vertu des articles L. 111-1 et L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. L’article L. 111-1 stipule que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit d’un droit de propriété incorporelle exclusif sur celle-ci, ce qui inclut les plans d’architecte.

L’article L. 122-4 précise que toute représentation ou reproduction d’une œuvre sans le consentement de l’auteur est illicite. Dans ce cas, l’AGENCE [Y] [D] a conçu des plans spécifiques pour le restaurant de la société PBC, et ces plans sont considérés comme des œuvres originales, protégées par le droit d’auteur.

Le jugement du tribunal a également reconnu que l’AGENCE [Y] [D] n’avait pas cédé ses droits à la société 3 BRASSEURS INTERNATIONAL, ce qui renforce sa position en tant que titulaire des droits de propriété intellectuelle sur les plans d’aménagement.

Quelles sont les conséquences d’une contrefaçon des plans d’aménagement ?

En cas de contrefaçon des plans d’aménagement, l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que l’auteur peut demander des dommages-intérêts pour le préjudice subi. La société AGENCE [Y] [D] a demandé 231 780 euros pour le préjudice économique et 35 000 euros pour le préjudice moral, ce qui illustre les conséquences financières d’une contrefaçon.

De plus, l’article 514 du Code de procédure civile stipule que les décisions de première instance sont exécutoires à titre provisoire, ce qui signifie que la société AGENCE [Y] [D] pourrait obtenir une exécution immédiate de la décision en cas de contrefaçon avérée.

La société PBC et son nouvel architecte, la société INNSIDE, pourraient également être condamnés à des frais irrépétibles, comme le prévoit l’article 700 du Code de procédure civile, si la cour juge que leur comportement a été abusif ou malveillant.

Comment la notion d’originalité est-elle appliquée dans le cadre de la propriété intellectuelle ?

La notion d’originalité est essentielle pour déterminer si une œuvre est protégée par le droit d’auteur. Selon l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, une œuvre doit porter l’empreinte de la personnalité de son auteur pour être considérée comme originale.

Dans le cas présent, la société AGENCE [Y] [D] soutient que ses plans d’aménagement présentent un caractère original en raison des choix esthétiques qu’elle a réalisés. Cependant, la société PBC conteste cette originalité, arguant que les plans sont simplement des adaptations aux contraintes techniques du local.

Le tribunal a noté que les choix de disposition des pièces étaient dictés par des contraintes techniques et non par une volonté créative, ce qui remet en question l’originalité des plans. Ainsi, la protection par le droit d’auteur pourrait ne pas s’appliquer si les plans ne démontrent pas une originalité suffisante.

Quelles sont les implications de l’exécution provisoire dans ce litige ?

L’exécution provisoire, selon l’article 514 du Code de procédure civile, permet à une décision de première instance d’être exécutée immédiatement, même si elle est susceptible d’appel. Dans ce litige, le tribunal a décidé de ne pas écarter l’exécution provisoire, ce qui signifie que les décisions prises peuvent être mises en œuvre sans attendre l’issue d’un éventuel appel.

Cela a des implications importantes pour les parties, car cela permet à l’AGENCE [Y] [D] de faire valoir ses droits rapidement, notamment en ce qui concerne la cessation des actes de contrefaçon et le paiement des dommages-intérêts. La société PBC et la société INNSIDE doivent donc se préparer à se conformer à la décision du tribunal, même si elles envisagent de faire appel.

L’exécution provisoire peut également avoir un impact sur la stratégie des parties, car elle peut inciter la société PBC à chercher un règlement amiable pour éviter des conséquences financières immédiates.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 décembre 2024
Tribunal judiciaire de Marseille
RG n° 20/00539
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/ DU 12 Décembre 2024

Enrôlement : N° RG 20/00539 – N° Portalis DBW3-W-B7E-XE23

AFFAIRE : S.A.R.L. AGENCE [Y] [D]( Me Claire FLAGEOLLET)
C/ S.A.S. PBC (la SELARL PIOS AVOCATS) – S.A.R.L. INSIDE (SELARL LE ROUX-BRIN)

DÉBATS : A l’audience Publique du 17 Octobre 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente
Assesseur : BERTHELOT Stéphanie, Vice-Présidente (juge rapporteur)

Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte

Vu le rapport fait à l’audience

A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 12 Décembre 2024

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BERARD Béatrice, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

S.A.R.L. unipersonnelle AGENCE [Y] [D],
immatriculée au RCS de LILLE métropole sous le numéro 418 746 673, prise en la personne de son représentant légal, dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Claire FLAGEOLLET, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Me Sébastien BEAUGENDRE, de la SELARL Cabinet Hubert Bensoussan & Associés, avocat plaidant au barreau de PARIS

C O N T R E

DEFENDERESSES

S.A.S. PBC,
immatriculée au RCS de TOULON sous le numéro 408 136 273, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès-qualité audit siège, dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Maître Velen SOOBEN de la SELARL PIOS AVOCATS, avocats postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Jérôme LANGLAIS de la SCP LANGLAIS BRUSTEL LEDOUX, avocat plaidant au barreau de CLERMONT-FERRAND

S.A.R.L. unipersonnelle INNSIDE,
inscrite au registre au RCS de ROUBAIX sous le n° 807 874 300dont le siège social est sis [Adresse 3] agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

représentée par Maître Pascal-yves BRIN de la SELARL SELARL LE ROUX-BRIN, avocats au barreau de MARSEILLE,

EXPOSE DU LITIGE

Le 4 juillet 2014, la société PBC a conclu avec la société AGENCE [Y] [D], architecte d’intérieur, un contrat de mission d’architecte d’intérieur destiné à mettre en œuvre le concept d’aménagement commercial d’un restaurant franchisé LES 3 BRASSEURS.

Le 5 novembre 2015, le franchisé a notifié au franchiseur une rupture du contrat de franchise.

Par jugement du Tribunal de commerce de Lille du 16 janvier 2018, la société PBC a été condamnée à payer au franchiseur LES 3 BRASSEURS les sommes de 174.150 euros de dommages-intérêts et 20.000 euros de frais irrépétibles.

Par arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 24 novembre 2022, la société PBC a été condamnée à payer à l’AGENCE [Y] [D] les honoraires liés à la réalisation des plans objet de la présente instance, que la société PBC n’avait pas réglés.

Reprochant à la société PBC et son nouvel architecte d’intérieur, la société INNSIDE d’avoir repris et copié le plan conçu par l’AGENCE [Y] [D] pour l’agencement du restaurant, cette dernière les a fait citer par acte d’huissier de justice des 18 et 20 décembre 2019, sollicitant au visa de l’article L. 122-4 du Code de la propriété Intellectuelle, qu’il soit enjoint, sous astreinte, à la société PBC de cesser les actes de contrefaçon en réagençant son restaurant, et la condamnation in solidum des défenderesses à lui payer la somme de 231 780 euros au titre du préjudice économique et 35 000 euros au titre du préjudice moral.

La société AGENCE [Y] [D] demandait également la condamnation in solidum des défenderesses à publier des communiqués judiciaires, et à lui payer la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi que les dépens.

Par ordonnance du 12 octobre 2021, le Juge de la mise en état a rejeté la demande formée par la SARL INNSIDE tendant à voir prononcer la nullité de l’assignation, et a déclaré irrecevable la même demande formée par la SAS PBC, pour avoir déjà conclu au fond.

Par conclusions signifiées le 9 avril 2024, la société AGENCE [Y] [D] maintient ses demandes initiales, sollicitant que la décision à intervenir soit revêtue de l’exécution provisoire.

Au soutien de ses prétentions, elle avance que :

la saisie-contrefaçon réalisée le 27 mai 2016 établit que le plan d’agencement conçu par la société AGENCE [Y] [D] pour l’ouverture par la société PBC d’un restaurant à l’Enseigne « 3 BRASSEURS » a été repris de manière servile par la société PBC et la société INNSIDE pour l’agencement de son restaurant « [4] ».
elle ne présente aucune demande pour le compte de la société LES 3 BRASSEURS.
elle peut seule agir en contrefaçon, pour être demeurée titulaire des droits de propriété intellectuelle sur les plans d’aménagement litigieux, non transférés à 3 BRASSEURS INTERNATIONAL.
il n’existe aucun principe de concentration des demandes, mais uniquement des moyens.
ses plans d’aménagement originaux sont protégés au titre du droit d’auteur, conformément aux articles L111-1 et L112-1 du Code de la propriété intellectuelle.
par jugement du tribunal de céans du 27 juin 2019, il a été reconnu qu’étant l’auteur du concept et de sa traduction architecturale, [Y] [D] est intervenu au restaurant de [Localité 5] “pour le compte” de la société 3 BRASSEURS INTERNATIONAL, même s’il a conclu, avec la société PBC un contrat spécifique.
lors de la création des plans pour le restaurant de [Localité 5], l’architecte a procédé à des choix esthétiques propres portant l’empreinte de sa personnalité, qui se traduisent dans la disposition, la dimension, la forme et l’aménagement de toutes les pièces du restaurant.
la version retenue in fine par la société ADD, après de nombreuses esquisses et heures de travail, témoigne des choix propres de l’architecte.
les plans dont s’agit ne sont en toutes hypothèses pas « génériques » pour avoir été affinés en fonction des attentes particulières de PBC.
le rapport d’expertise privée non contradictoire réalisé à la demande de la société PBC n’a aucune valeur probante.
les plans qu’elle a dessinés ne résultaient pas de contraintes techniques ; il ne s’agit pas d’éléments d’agencement banals destinés à ne répondre qu’à des contraintes d’ordre technique ou fonctionnel.
les sociétés PBC et INNSIDE ont copié et repris à leur compte les plans d’agencement réalisé par ses soins.
les similitudes entre les deux plans d’agencement du restaurant se vérifient à l’égard des pictogrammes utilisés sur les plans, ainsi qu’à l’égard du positionnement des pièces du restaurant.
la superposition des plans traduit ainsi la volonté de copiage des sociétés PBC et INNSIDE, cette dernière s’étant contentée de reprendre les plans réalisés par la société ADD en y apposant seulement son nom.
les similitudes précitées sont encore renforcées par celles des plans de façade.
il n’est pas reproché à la société INNSIDE d’avoir repris les techniques commerciales d’une micro-brasserie mais d’avoir repris les plans d’aménagement traduisant le nouveau concept du réseau « LES 3 BRASSEURS » pour l’ouverture du restaurant à [Localité 5].
la prétendue « paternité » de la société INNSIDE sur l’ancien concept 3 BRASSEURS est indifférente au présent litige et n’évince en rien le caractère contrefaisant de la reproduction des plans invoquée, lesquels ne concerne pas cet « ancien concept ».
une reproduction même imparfaite des caractéristiques essentielles du plan constitue une contrefaçon.
le préjudice à parfaire se calcule au regard des économies d’investissements intellectuels et matériels que le contrefacteur PBC a réalisées par contrefaçon des plans de l’AGENCE [Y] [D].
à ce préjudice économique, s’ajoute un préjudice moral, car PBC et INNSIDE ont pillé le travail intellectuel d’AGENCE [Y] [D] et ont agi de manière subreptice pour détourner son travail. La société INNSIDE s’est comportée de manière particulièrement anti-confraternelle, n’hésitant pas à copier le travail d’un confrère.
En défense et par conclusions signifiées le 28 août 2023, la société PBC demande au tribunal de rejeter, sinon de réduire les prétentions de la société AGENCE [Y] [D], et à titre infiniment subsidiaire de condamner la société INNSIDE à la relever et garantir.

En tout état de cause, elle s’oppose au prononcé de l’exécution provisoire, et réclame l’allocation d’une somme de 7 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

l’Agence [Y] [D] lui a été imposée par la Société 3 BRASSEURS INTERNATIONAL.
l’Agence [Y] [D] était parfaitement informée des difficultés que connaissait le futur franchisé dans l’aménagement de son restaurant, son mécontentement, et cela d’autant plus qu’elle n’était absolument pas étrangère à l’envolée des prix d’aménagement du restaurant pour être l’actrice principale des erreurs commises.
l’AGENCE [Y] [D] est instrumentalisée par la Société 3 BRASSEURS INTERNATIONAL ; elle ne plaide pas réellement pour son intérêt personnel, mais agit « masquée » pour servir les intérêts de 3 BRASSEURS INTERNATIONAL.
en application des dispositions relatives à « la concentration des moyens ou des demandes » et à l’autorité de la chose jugée, il appartenait à la SARL [Y] [D] de faire état des actuelles demandes indemnitaires dans le cadre de l’instance qui s’est tenue devant le Juge Consulaire de TOULON.
la SARL [Y] [D] devant concentrer l’ensemble de ses moyens et de ses demandes afin de solliciter l’indemnisation de son préjudice en lien avec la rupture des relations contractuelles, Il lui appartenait notamment de chiffrer son préjudice consécutif au prétendu réemploi de ses dessins et modèles par la SARL PBC, postérieurement à la rupture des relations contractuelles. La SARL [Y] [D] ne peut plus venir dans le cadre d’une instance distincte solliciter une pareille demande.
le travail réalisé par Monsieur [Y] [D] ne répond pas à la définition d’œuvres de l’esprit au sens du Livre I du Code de la Propriété Intellectuelle. Il s’agit de plans d’aménagement d’une structure commerciale typique d’une Brasserie, dans lesquels on ne retrouve strictement aucune originalité. Ces plans ont pour objet de s’adapter aux locaux, à ses contraintes de fluides et de sécurité.
l’architecte ne peut justifier d’un choix arbitraire et personnel dans le projet, la conception ayant été initialement dictée tant par les besoins exprimés par le maître de l’ouvrage que par les exigences du cahier des charges du franchiseur.
Monsieur [Y] [D] n’est pas l’auteur du concept et de sa traduction architecturale.
Monsieur [Y] [D] apparaît très tardivement comme un des énièmes architectes de la franchise. Celui-ci n’apporte aucune originalité, mais prolonge le concept déjà existant des Brasseries du Nord.
Monsieur [Y] [D] ne peut prétendre à une originalité de ses plans et à une personnalisation de ceux-ci car, lorsqu’il intervient en 2015, celui-ci poursuit un concept déjà existant, présent dans plus de 40 lieux de distribution.
Monsieur [Y] [D] reconnaît lui-même dans la rédaction du contrat qu’il a personnellement rédigé, que sa mission se limite à mettre en œuvre un concept d’aménagement d’un tiers, à savoir celui des 3 BRASSEURS.
il ne peut y avoir originalité dès lors que le travail de l’auteur a pour but d’être repris dans le cadre d’une diffusion en séries.
selon l’expert qu’elle a mandaté, l’aménagement et la distribution de l’établissement ne dépendent pas du travail de Monsieur [D] mais des contraintes imposées par le bâtiment.
un rapport d’expertise, fût-il versé par une seule partie, constitue un élément de preuve soumis aux débats.
la demande de réagencement de son restaurant n’est pas réalisable dans son principe et dans les délais imposés, et n’a de but que de nuire à la SAS PBC.
le préjudice économique n’existe pas puisqu’il est reconnu par la SARL [Y] [D] avoir d’ores et déjà perçu 166 780 € d’honoraires de 3 BRASSEURS INTERNATIONAL. Ces honoraires ne sont donc pas perdus et n’ont pas été restitués.
la Cour d’Appel d’AIX en PROVENCE a définitivement arrêté les honoraires pouvant être dus à la SARL AGENCE [Y] [D]. L’arrêt est définitif, la demande indemnitaire s’oppose à l’autorité de Chose jugée et au principe de concentration des moyens.
elle s’en est remise à l’aménagement par la société INNSIDE en lui donnant une mission claire et précise consistant à éviter toute confusion avec l’aménagement que pouvait avoir les restaurants de l’enseigne 3 BRASSEURS INTERNATIONAL.
En défense et par conclusions signifiées le 26 février 2024, la société INNSIDE demande au tribunal de rejeter toutes les demandes à son encontre, et de condamner la demanderesse à lui payer la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Elle avance que :

la demanderesse s’estimait initialement victime d’une contrefaçon de ses plans d’architecte, mais demande aujourd’hui que soit reconnue une contrefaçon de ses éléments de décoration, ce qui constitue une violation de l’obligation de concentration des moyens ; ces moyens nouveaux devront être écartés.
il n’est pas établi en quoi la disposition des pièces du restaurant résulterait de l’esprit personnel de la société AGENCE [Y] [D], et non pas des contraintes des lieux.
le travail créatif de l’architecte n’est pas explicité.
les plans sont d’une conception banale et ne révèlent pas d’effort créateur et de recherche esthétique.
en l’espèce, la disposition des plans est dictée par une nécessité technique.
les similitudes entre les plans ont été dictées par les contraintes techniques du local livré par la galerie marchande.
la décoration intérieure adoptée est complètement différente de celle conçue par la société AGENCE [Y] [D].
les similitudes entre les plans sont uniquement dues aux contraintes techniques et à la volonté d’optimiser l’espace.
le directeur de la société INNSIDE est à l’origine de la création du concept de micro-brasserie, en 1998.
la société AGENCE [Y] [D] cherche à s’attribuer un concept dont elle n’est pas à l’origine.
l’utilisation de mobiliers et luminaires largement accessibles sur le marché grand public ne constitue pas une contrefaçon.
par ailleurs, la conception de la façade n’incombait pas à la société INNSIDE.
toutes les micro-brasseries rendent visibles le processus de brasserie.
le droit d’auteur ne protège pas un genre ou une famille de formes qui ne présentent entre elles des caractères communs que parce qu’elles correspondent à un style découlant d’une idée.
La clôture a été prononcée le 9 juillet 2024.

Lors de l’audience du 17 octobre 2024, les conseils des parties entendus en leurs observations, l’affaire a été mise en délibéré au 12 décembre 2024.

MOTIFS

Conformément au principe dispositif édicté par les articles 4 et 5 du Code de procédure civile, les parties ont la maîtrise sur l’objet et la cause des demandes formulées en justice et que le juge ne doit se prononcer que sur les prétentions telles qu’elles ont été présentées par elles.

C’est la raison pour laquelle les articles 56 et 768 du même code leur imposent de préciser clairement dans leurs écritures l’objet de leur demande.

En l’occurrence, il ne sera statué que sur la base des demandes telles qu’elles ont été présentées par les parties dans leurs écritures, étant rappelé qu’il n’appartient pas au juge de donner acte aux parties d’intention ou de volonté, ni de faire un constat. Ces demandes n’ont pas pour objet de trancher un litige et se trouvent dépourvues de tout effet juridique. Il ne sera pas statué du chef de celles-ci.

De même, il n’y a pas lieu de reprendre ni d’écarter dans le dispositif du présent jugement les demandes tendant à ‘dire que …’, telles que figurant dans le dispositif des conclusions des parties, lesquelles portent sur des moyens ou éléments de fait relevant des motifs et non des chefs de décision devant figurer dans la partie exécutoire du jugement.

Sur la contrefaçon de plans invoquée par la société AGENCE [Y] [D]

L’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.

L’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.

En l’espèce, le 4 juillet 2014, les sociétés PBC et AGENCE [Y] [D] ont signé un contrat de mission d’architecte d’intérieur pour la mise en œuvre du concept d’aménagement commercial d’un restaurant franchisé LES 3 BRASSEURS.

L’article 1.3.6 du contrat stipule que l’architecte d’intérieur conserve l’entière propriété intellectuelle et artistique de ses plans, études, avant-projets, ainsi que l’exclusivité de ses droits de reproduction et de représentation.

Le 5 novembre 2015, la société PBC a choisi de rompre le contrat de franchise.

Les parties s’accordent à considérer que le contrat d’architecte a été rompu en conséquence.

Par arrêt de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE du 24 novembre 2022, la société PBC a été condamnée à payer à la société AGENCE [Y] [D] la somme de 34 320 euros au titre de sa facture d’honoraires, outre la somme de 11 700 euros au titre de l’indemnité contractuelle de résiliation, et 4 000 euros au titre des frais irrépétibles.

La société AGENCE [Y] [D] soutient que le plan d’agencement qu’elle avait conçu pour le restaurant de la société PBC a été repris de manière servile par cette dernière et l’architecte INNSIDE pour l’aménagement du restaurant ouvert à l’enseigne [4].

Un jugement prononcé le 27 juin 2019 par le tribunal de céans dans une instance opposant la société 3 BRASSEURS INTERNATIONAL à la société PBC a considéré que [Y] [D] n’avait pas cédé au franchiseur ses droits sur les plans élaborés pour la société PBC, et qu’il était seul titulaire des droits de propriété intellectuelle sur l’œuvre, « à supposer que celle-ci soit une œuvre de l’esprit au sens du livre 1 du code de la propriété intellectuelle ».

Dès lors, la société PBC n’est pas fondée à soutenir que la société 3 BRASSEURS INTERNATIONAL plaiderait par procureur dans le cadre de la présente instance, puisque seule la société AGENCE [Y] [D] est recevable à agir pour la protection des plans qu’elle a conçus, et qu’elle considère protégés par le droit d’auteur.

Ensuite, les demandes formulées dans le cadre du présent litige, et fondées sur la protection de la propriété intellectuelle, ne se confondent pas avec celles portant uniquement sur le paiement des honoraires et l’indemnité de résiliation du contrat signé le 4 juillet 2014.

La société PBC n’est donc pas fondée à opposer à la demanderesse le principe de concentration des moyens, puisqu’en l’espèce il ne s’agit pas des mêmes demandes, même si l’origine des deux litiges réside dans les mêmes faits, à savoir le contrat d’architecte d’intérieur du 4 juillet 2014.

Sur le fond, la société AGENCE [Y] [D] a réalisé pour la société PBC un plan DCE pour l’aménagement de son futur restaurant à [Localité 5].

Elle considère que ces plans ont un caractère original, pour avoir procédé à des choix esthétiques propres portant l’empreinte de sa personnalité, se traduisant dans la disposition, la dimension, la forme et l’aménagement des pièces du restaurant.

La société PBC conteste cette position, en se fondant notamment sur un rapport dressé unilatéralement par un architecte qu’elle a mandaté à cette fin.

Bien que rédigé hors du contradictoire de la société AGENCE [Y] [D], ce rapport a été régulièrement communiqué au débat, et a provoqué la libre discussion des parties.

La société PBC communique également d’autres éléments au soutien de sa position.

Ce rapport, rédigé par Monsieur [U], architecte, est donc recevable.

Il résulte de l’examen des plans fournis par le promoteur de la galerie marchande où la société PBC entendait ouvrir son restaurant, que la cellule a été livrée brute.

Il s’agit d’un local de forme rectangulaire allongée.

Le plan du promoteur fait apparaître les arrivées et évacuations de fluides, ainsi que l’emplacement de l’entrée, de la vitrine et de la mezzanine.

Tant la forme du local que les pré-équipements conditionnaient le positionnement de la cuisine, des toilettes, de l’entrée, et de la sortie vers la terrasse.

Partant de ces contraintes techniques, le choix de l’emplacement du comptoir de bar près de l’entrée apparaît logique, surtout pour un restaurant disposant également d’un service de bar.

Et, il n’est pas établi que le projet d’implantation du mobilier de restaurant, tel que proposé par la société AGENCE [Y] [D] présente un caractère d’originalité.

En effet, il est usuel que les salles de restaurant se situent dans le prolongement de l’entrée, surtout dans un local rectangulaire.

La société AGENCE [Y] [D] ne dispose d’aucun droit d’auteur sur le concept de micro-brasserie dans un restaurant.

Il est usuel dans ce type de concept de placer les cuves de brassage, qui présentent un aspect visuel attractif pour la chalandise, près des vitrines.

La demanderesse ne peut pas non plus invoquer posséder un droit d’auteur sur les différentes phases d’élaboration des bières.

Le fait que certaines micro-brasseries aient opéré un choix de disposition différent est insuffisant à établir le caractère original des plans proposés par la société AGENCE [Y] [D].

De plus, le nombre de cuves et leur alignement dépend des contraintes des techniques de brassage, et non pas de choix esthétiques.

Par ailleurs, la société AGENCE [Y] [D] a également dû se conformer au cahier des charges du franchiseur ; elle ne démontre donc pas que ses plans porteraient l’empreinte de leur auteur, puisqu’ils traduisent les codes de la franchise LES 3 BRASSEURS, dont la société AGENCE [Y] [D] n’est pas l’auteur.

Dès lors, la société AGENCE [Y] [D] ne démontre pas le caractère original de ses plans, et elle n’est pas fondée à soutenir que la société PBC et la société INNSIDE se seraient livrées à une reprise servile de ses plans d’aménagement intérieur.

S’agissant de la décoration intérieure du restaurant, la société PBC a fait le choix d’utiliser les carrelages type « métro » dans les sanitaires, avec les reproductions d’affiches anciennes, et un style industriel dans la salle de restaurant.

Ces éléments de décoration ne présentent aucun caractère original, dans la mesure où ils sont couramment utilisés par des bars et des restaurants, de par le monde, pour évoquer l’ambiance d’une usine ancienne.

Il ressort des éléments versés au débat que plusieurs restaurants ne présentant aucun lien avec les parties utilisent ces codes esthétiques, et présentent aux clients les étapes de fabrication de leurs propres bières à travers des verrières.

En outre, les tables et chaises choisies par la société PBC pour son restaurant sont différentes de celles proposées en application du cahier des charges de la franchise.

La société PBC a opté pour des fauteuils aspect cuir, des bibliothèques en bois et des banquettes matelassées, évoquant davantage un esprit club qu’un esprit industriel.

Ainsi, le projet élaboré par la demanderesse et celui réalisé par la société PBC avec le concours de la société INNSIDE divergent en plusieurs aspects visuels, qui ne se limitent pas à de simples points de détail, contrairement à ce que soutient la société AGENCE [Y] [D].

Enfin, la société AGENCE [Y] [D] ne démontre pas que la façade réalisée pour le restaurant de la société PBC serait une contrefaçon de celle qu’elle aurait proposée.

En conséquence, la société AGENCE [Y] [D] sera déboutée de l’ensemble de ses demandes formées tant à l’encontre de la société PBC qu’à l’encontre de la société INNSIDE.

Sur les frais irrépétibles

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
La somme allouée au titre du 2° ne peut être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50 %.
En l’espèce, la société AGENCE [Y] [D], succombant à l’instance, ne pourra pas voir accueillie sa demande formée à ce titre.

En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge des défenderesses l’intégralité des frais exposés et non compris dans les dépens.

Une somme de 5 000 euros chacune leur sera allouée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En l’espèce, la société AGENCE [Y] [D], succombant à l’instance, sera condamnée au paiement des entiers dépens.

Sur l’exécution provisoire

Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

En l’espèce, il n’y a pas lieu de ne pas ordonner l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

Déboute la société AGENCE [Y] [D] de ses demandes formées à l’encontre des sociétés PBC et INNSIDE.

Condamne la société AGENCE [Y] [D] à payer aux sociétés PBC et INNSIDE la somme de 5 000 euros chacune au titre des frais irrépétibles.

Condamne la société AGENCE [Y] [D] aux dépens.

Juge ne pas avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit.

AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 12 Décembre 2024

LE GREFFIER LE PRESIDENT


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x