Sommaire Naissance et Reconnaissance des EnfantsLe 26 mai 2016, deux enfants, [V] [F] [O] et [V] [L] [O], sont inscrits sur les registres de l’état civil à la mairie de [Localité 11] (Seine-Saint-Denis). Leur mère, [C] [O], est originaire de Guinée. Le 1er juin 2016, M. [Y] [S], de nationalité française, reconnaît les deux enfants à la même mairie, et cette reconnaissance est consignée sur leurs actes de naissance. Procédure JudiciaireLe 26 avril et le 2 mai 2024, le procureur de la République engage une procédure contre Mme [O] et M. [S] pour contester la paternité de ce dernier. Il demande l’annulation des reconnaissances de paternité, la constatation de l’absence de lien de filiation, et la mention de ces décisions sur les actes de naissance des enfants. Le procureur évoque des soupçons de fraude liés à la reconnaissance de paternité, notamment en raison de l’absence de communauté de vie entre M. [S] et Mme [O]. Arguments du ProcureurLe procureur souligne que Mme [O] a sollicité un titre de séjour en tant que parent d’enfants français, alors qu’elle n’avait pas de lien de vie avec M. [S]. Il mentionne que M. [S] a exprimé des doutes sur sa paternité, n’ayant jamais envisagé de vie commune avec Mme [O]. Des incohérences dans ses déclarations et l’absence de contact avec les enfants renforcent les soupçons de fraude. Le procureur conclut que la filiation a été établie pour contourner les règles d’immigration. Décision du TribunalLe tribunal déclare la procédure régulière et l’action du ministère public recevable. Il statue que M. [S] n’est pas le père des enfants [V] [F] [O] et [V] [L] [O], annule les reconnaissances de paternité, et ordonne la mention de ces décisions sur les actes de naissance. Le tribunal conclut également que les enfants ne sont pas de nationalité française et condamne M. [S] et Mme [O] aux dépens. ConclusionLa décision du tribunal, rendue le 10 décembre 2024, met en lumière les enjeux de la filiation et les implications juridiques des reconnaissances de paternité dans le cadre de la législation sur l’immigration et la nationalité. |
Questions / Réponses juridiques :
Quelles sont les conditions de la reconnaissance de paternité en France ?La reconnaissance de paternité en France est régie par le Code civil, notamment par les articles 316 et suivants. Selon l’article 316 du Code civil, « la filiation paternelle peut être établie par la reconnaissance ». Cette reconnaissance peut être faite par l’homme qui prétend être le père de l’enfant, et elle doit être effectuée devant un officier de l’état civil. Il est important de noter que la reconnaissance de paternité peut être contestée si des éléments de fraude ou d’irrégularité sont établis. L’article 334 du Code civil stipule que « la filiation peut être contestée par toute personne ayant un intérêt légitime ». Dans le cas présent, le procureur de la République a soulevé des soupçons de fraude concernant la reconnaissance de M. [S] en raison de l’absence de communauté de vie et d’autres éléments indiquant que la reconnaissance avait été effectuée dans un but d’obtenir des droits administratifs. Quels sont les effets juridiques de l’annulation d’une reconnaissance de paternité ?L’annulation d’une reconnaissance de paternité a des conséquences juridiques significatives, tant sur le plan de la filiation que sur les droits et obligations qui en découlent. Selon l’article 331 du Code civil, « la reconnaissance de paternité emporte les mêmes effets que la filiation légitime ». Ainsi, lorsque la reconnaissance est annulée, les effets de cette reconnaissance sont également annulés. Cela signifie que l’enfant ne peut plus revendiquer des droits liés à la filiation paternelle, tels que le droit à l’héritage ou à une pension alimentaire. De plus, l’article 28 du Code civil prévoit que « la mention de la filiation est portée en marge de l’acte de naissance ». Par conséquent, l’annulation de la reconnaissance doit être mentionnée en marge des actes de naissance des enfants concernés, ce qui a été ordonné par le tribunal dans cette affaire. Comment la nationalité française est-elle déterminée par la filiation ?La nationalité française peut être acquise par filiation, conformément à l’article 18 du Code civil, qui stipule que « la nationalité française est attribuée aux enfants dont l’un des parents est français ». Dans le cas où la filiation paternelle est contestée et annulée, comme dans l’affaire en question, les enfants ne peuvent pas revendiquer la nationalité française par filiation paternelle. L’article 19 du Code civil précise également que « les enfants nés en France de parents étrangers n’acquièrent pas la nationalité française par la seule naissance ». Ainsi, l’annulation de la reconnaissance de paternité a conduit le tribunal à déclarer que les enfants [V] [F] et [V] [L] ne sont pas de nationalité française, car leur lien de filiation avec M. [S] a été invalidé. Quelles sont les implications de la fraude dans la reconnaissance de paternité ?La fraude dans la reconnaissance de paternité peut avoir des conséquences juridiques graves. L’article 334 du Code civil permet à toute personne ayant un intérêt légitime de contester la filiation établie par reconnaissance si celle-ci a été obtenue par fraude. Dans cette affaire, le procureur a mis en avant des éléments indiquant que la reconnaissance de M. [S] avait été effectuée dans le but d’obtenir des droits administratifs pour Mme [O]. Les déclarations de M. [S] concernant son doute sur sa paternité et l’absence de lien affectif avec les enfants renforcent l’idée d’une reconnaissance frauduleuse. En cas de fraude avérée, le tribunal peut annuler la reconnaissance et ordonner la mention de cette annulation en marge des actes de naissance, comme cela a été fait dans cette affaire. Cela souligne l’importance de la véracité des déclarations lors de la reconnaissance de paternité, car toute irrégularité peut entraîner des conséquences juridiques significatives. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
Pôle famille
Etat des personnes
N° RG 24/34364
N° Portalis 352J-W-B7I-C4U7X
SC
N° MINUTE :
[1]
[1]
JUGEMENT
rendu le 10 décembre 2024
DEMANDERESSE
LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE
PARQUET 02 ETAT DES PERSONNES
[Adresse 13]
[Localité 8]
en personne
DÉFENDEURS
Monsieur [Y], [X], [I] [S]
[Adresse 3]
[Localité 7]
non représenté
Madame [C] [O]
[Adresse 2]
[Localité 6]
non représentée
MINISTÈRE PUBLIC
Isabelle MULLER-HEYM, Substitut du Procureur de la République
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Nastasia DRAGIC, Vice-Présidente
Sabine CARRE, Vice-Présidente
Anne FREREJOUAN du SAINT, Juge
assistées de Karen VIEILLARD lors des débats et Emeline LEJUSTE
lors de la mise à disposition, Greffières
Décision du 10 décembre 2024
Pôle famille – Etat des personnes
N° RG 24/34364 – N° Portalis 352J-W-B7I-C4U7X
DÉBATS
A l’audience du 26 novembre 2024, tenue en chambre du conseil
Après clôture des débats, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 10 décembre 2024.
JUGEMENT
Réputé contradictoire
En premier ressort
Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Sabine CARRE, Vice-Présidente pour la Présidente empêchée, et par Emeline LEJUSTE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 26 mai 2016 a été inscrit sur les registres de l’état civil de la mairie de [Localité 11] (Seine-Saint-Denis) l’enfant [V] [F] [O], né le [Date naissance 5] 2016 de [C] [O], née le [Date naissance 4] 1984 à [Localité 9] (Guinée).
Le 26 mai 2016 a été inscrite sur les registres de l’état civil de la mairie de [Localité 11] (Seine-Saint-Denis) l’enfant [V] [L] [O], née le [Date naissance 5] 2016 de [C] [O], née le [Date naissance 4] 1984 à [Localité 9] (Guinée).
Le 1er juin 2016, M. [Y] [S], né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 10] (Seine-Saint-Denis), a reconnu les deux enfants à la mairie de [Localité 11] (Seine-Saint-Denis). La mention de ces reconnaissances a été apposée sur les actes de naissance des enfants le même jour.
Par actes de commissaire de justice délivrés les 26 avril et 2 mai 2024, le procureur de la République a fait assigner devant le tribunal, Mme [O], de nationalité guinéenne, et M. [S], de nationalité française, aux fins de contestation de la paternité de ce dernier à l’égard des jumeaux et a demandé à la présente juridiction de :
– constater que les formalités de l’article 1040 du code de procédure civile ont été satisfaites ;
– annuler les reconnaissances de paternité souscrites par M. [S] le 1er juin 2016 en faveur des enfants [V] [F] et [V] [L] ;
– dire que M. [S] n’est pas le père de ces enfants ;
– ordonner la transcription du jugement en marge des actes de reconnaissance et des actes de naissance des enfants ;
– dire que les enfants [V] [F] et [V] [L] [O] ne sont pas français par filiation paternelle ;
– ordonner la mention prévue par l’article 28 du code civil ;
– statuer ce que de droit sur les dépens.
A l’appui de ses demandes, le procureur de la République expose que le 30 juillet 2019, la préfecture de police de [Localité 12] lui a signalé ses soupçons de reconnaissance frauduleuse de paternité des jumeaux [V] [F] et [V] [L] à la suite de la demande de titre de séjour formée par Mme [O] en qualité de parent d’enfants français ; qu’en effet, alors que seule la filiation établie entre ses enfants et M. [S] était susceptible de lui accorder un droit au séjour, elle n’avait justifié d’aucune communauté de vie avec ce dernier ; qu’elle était arrivée enceinte sur le territoire national et était hébergée par le [14] depuis le mois de novembre 2017 ; que par ailleurs le premier prénom de chacun des enfants reconnus était identique au patronyme de leurs aînés. Il ajoute que, entendu par les services de police le 22 mars 2023, M. [S] a énuméré les prénoms et noms de ses 4 enfants sans jamais évoquer les jumeaux [O] ; qu’il a déclaré avoir rencontré et entretenu une relation « charnelle et non officielle […] sans lendemain » entre 2012 et 2015 avec Mme [O], toujours à la demande de cette dernière ; qu’ils n’avaient jamais envisagé des perspectives de vie commune mais a affirmé avoir voulu « prendre ses responsabilités » lorsqu’il a appris sa paternité « un an après les faits » ; qu’il a indiqué avoir eu des doutes sur sa paternité dès la réception des photos des enfants qui ne lui ressemblaient pas et a déclaré avoir alors rompu et cessé toute contribution à l’entretien et a l’éducation de ces derniers lorsqu’il a réalisé avoir été instrumentalisé par la mère à des fins administratives ; qu’il ressort des déclarations de M. [S] que sa filiation est invraisemblable ; que par ailleurs, des incohérences dans ces déclarations révèlent des indices de fraude ; qu’ainsi, les défendeurs n’ont jamais eu de communauté de vie ni exercé en commun l’autorité parentale ; qu’il n’est justifié d’aucun contact entre le père déclaré et les enfants reconnus ; que M. [S], qui au demeurant est convaincu de ne pas être leur père, a spontanément oublié de nommer les enfants concernés comme étant les siens ; qu’il convient par ailleurs de relever que ce dernier a pris soin d’écarter toute responsabilité dans la reconnaissance de sa filiation ; que pourtant ses incohérences traduisent son implication dans une fraude évidente ; qu’il aurait ainsi reconnu deux enfants illégitimes, tout en doutant de sa paternité biologique et sans jamais avoir envisagé le moindre investissement affectif auprès d’eux ; qu’il indique avoir souhaité « assumer ses enfants » et contribuer à leur entretien tout en disant avoir découvert leur apparence sur photographie et ce, alors qu’ils habitaient près de chez lui ; qu’il est surprenant que M. [S] se soit abstenu de contester sa filiation alors même qu’il se déclare victime des manœuvres de la mère ; qu’enfin, Mme [O] était en situation irrégulière lorsque M. [S] a reconnu ses enfants et ne pouvait obtenir de droit au séjour que par la filiation française de ces derniers ; que le prénom des enfants correspond au patronyme des aînés, ce qui indique leur probable filiation commune avec un dénommé [V] ; qu’ainsi, l’absence de communauté de vie du couple, l’absence de lien entre M. [S] et les enfants, dont la filiation biologique est vraisemblablement la même que celle de leurs ainés, et l’intention de Mme [O] de faire valoir la nationalité française de ses enfants pour obtenir un titre de séjour indiquent que non seulement M. [S] n’est pas le père des enfants [V] [L] et [V] [F], mais que cette filiation a été établie par fraude afin de contourner les règles du droit au séjour et d’acquisition de la nationalité française.
Assignés respectivement à l’étude de commissaire de justice et par acte donnant lieu à l’établissement d’un procès-verbal de recherches infructueuses, ni M. [S], ni Mme [O] n’ont constitué avocat.
La clôture a été prononcée le 15 octobre 2024 et l’affaire a été examinée à l’audience du 26 novembre 2024, en chambre du conseil conformément aux dispositions de l’article 435 du code de procédure civile, puis mise en délibéré au 10 décembre 2024.
Le tribunal,
DIT la procédure régulière au regard des dispositions de l’article 1040 du code de procédure civile ;
DIT l’action du ministère public recevable sur le fondement de l’article 336 du code civil ;
DIT que M. [Y] [S], né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 10] (Seine-Saint-Denis), n’est pas le père de l’enfant [V] [F] [O], né le [Date naissance 5] 2016 de [C] [O], née le [Date naissance 4] 1984 à [Localité 9] (Guinée) ;
ANNULE en conséquence la reconnaissance souscrite par M. [Y] [S] le 1er juin 2016 devant l’officier de l’état civil de la mairie de [Localité 11] (Seine-Saint-Denis) sous le numéro 1976 à l’égard de l’enfant [V] [F] [O] ;
ORDONNE la mention de ces dispositions en marge de l’acte de naissance de l’enfant [V] [F] [O], né le [Date naissance 5] 2016, dressé le 26 mai 2016 sous le numéro 1909 sur les registres de l’état civil de la mairie de [Localité 11] (Seine-Saint-Denis), et de l’acte de reconnaissance de l’enfant dressé le 1er juin 2016 par l’officier de l’état civil de la mairie de [Localité 11] (Seine-Saint-Denis) sous le numéro 1976 ;
DIT que M. [Y] [S], né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 10] (Seine-Saint-Denis), n’est pas le père de l’enfant [V] [L] [O], née le [Date naissance 5] 2016 de [C] [O], née le [Date naissance 4] 1984 à [Localité 9] (Guinée) ;
ANNULE en conséquence la reconnaissance souscrite par M. [Y] [S] le 1er juin 2016 devant l’officier de l’état civil de la mairie de [Localité 11] (Seine-Saint-Denis) sous le numéro 1977 à l’égard de l’enfant [V] [L] [O] ;
ORDONNE la mention de ces dispositions en marge de l’acte de naissance de l’enfant [V] [L] [O], née le [Date naissance 5] 2016, dressé le 26 mai 2016 sous le numéro 1910 sur les registres de l’état civil de la mairie de [Localité 11] (Seine-Saint-Denis), et de l’acte de reconnaissance de l’enfant dressé le 1er juin 2016 par l’officier de l’état civil de la mairie de [Localité 11] (Seine-Saint-Denis) sous le numéro 1977 ;
DIT que les enfants [V] [F] [O] et [V] [L] [O] ne sont pas de nationalité française ;
ORDONNE la mention prévue à l’article 28 du code civil ;
CONDAMNE M. [Y] [S] et Mme [C] [O] in solidum aux dépens.
Fait et jugé à Paris le 10 décembre 2024.
La Greffière P/ La Présidente empêchée
Emeline LEJUSTE Sabine CARRE