Conséquences d’un Manquement aux Obligations de Sécurité et de Respect des Droits des Salariés

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Conséquences d’un Manquement aux Obligations de Sécurité et de Respect des Droits des Salariés

Engagement et Contexte de l’Affaire

Monsieur [D] [I] a été engagé par la société Ingenico, aujourd’hui représentée par Wordline Business Support, en tant que manager IT France depuis le 31 juillet 2000. Sa relation de travail est régie par la convention collective « Syntec ».

Demande de Résiliation et Licenciement Contesté

Le 27 janvier 2020, Monsieur [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, invoquant un licenciement sans cause réelle et sérieuse et des faits de harcèlement moral. Le jugement du 9 décembre 2021 a reconnu le licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse, condamnant la société à verser plusieurs indemnités à Monsieur [I].

Appel de la Société Wordline Business Support

La société Wordline Business Support a interjeté appel le 8 mars 2022, contestant les décisions du jugement initial et demandant le remboursement d’une somme versée à titre d’exécution provisoire, ainsi qu’une indemnité pour frais de procédure.

Arguments de Monsieur [I]

Monsieur [I] a demandé la confirmation du jugement initial et a formulé des demandes supplémentaires, incluant des indemnités pour licenciement nul et des dommages et intérêts pour harcèlement moral. Il a exposé avoir subi des faits de harcèlement moral, tels qu’une mise à l’écart et une rétrogradation injustifiée, entraînant une dégradation de sa santé.

Éléments de Preuve et Réponse de l’Employeur

Monsieur [I] a présenté des éléments de preuve, notamment des courriels et un rapport d’audit, pour soutenir ses allégations de harcèlement moral. En réponse, la société a soutenu que les évaluations de Monsieur [I] étaient positives et a tenté de justifier les changements de poste comme étant à la demande de ce dernier.

Décision de la Cour

La cour a conclu que les faits de harcèlement moral étaient établis, causant un préjudice à Monsieur [I]. Elle a également reconnu un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur, entraînant des préjudices distincts. La résiliation judiciaire du contrat de travail a été prononcée, avec les effets d’un licenciement nul.

Indemnités Accordées

Monsieur [I] a été condamné à recevoir plusieurs indemnités, incluant une indemnité pour licenciement nul, des dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité, ainsi que des indemnités de licenciement et de préavis.

Conclusion et Remboursement des Indemnités de Chômage

La cour a ordonné le remboursement par la société des indemnités de chômage versées à Monsieur [I] dans la limite de six mois, tout en confirmant certaines décisions du jugement initial et en déboutant les demandes supplémentaires de la société Wordline Business Support.

Questions / Réponses juridiques :

 

Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de harcèlement moral selon le Code du travail ?

L’article L.1152-1 du Code du travail stipule qu’aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Conformément à l’article L.1154-1, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Il incombe ensuite à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge peut ordonner toutes les mesures d’instruction qu’il juge utiles pour établir la véracité des faits.

Quels sont les recours possibles pour un salarié victime de harcèlement moral ?

Un salarié victime de harcèlement moral peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, comme le prévoit l’article 1224 du Code civil, qui stipule qu’un contrat de travail peut être résilié aux torts de l’employeur en cas de manquement suffisamment grave de sa part à ses obligations contractuelles.

En cas de résiliation judiciaire prononcée pour harcèlement moral, les effets de cette résiliation sont ceux d’un licenciement nul, conformément aux articles L.1152-2 et L.1152-3 du Code du travail.

Le salarié peut également demander des indemnités pour licenciement nul, qui ne peuvent être inférieures aux six derniers mois de salaire, selon l’article L.1235-3-1 du Code du travail.

Quelles sont les conséquences d’un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur ?

L’article L.4121-1 du Code du travail impose à l’employeur l’obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés. L’article L.4121-2 précise que l’employeur doit mettre en œuvre des mesures de prévention, notamment en évitant les risques et en adaptant le travail à l’homme.

En cas de manquement à cette obligation, le salarié peut demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi.

Dans le cas présent, le manquement de la société Wordline Business Support à son obligation de sécurité a causé à Monsieur [I] un préjudice distinct de celui causé par le harcèlement moral, évalué à 5 000 euros.

Comment se calcule l’indemnité pour licenciement nul ?

L’indemnité pour licenciement nul est calculée en fonction des dispositions de l’article L.1235-3-1 du Code du travail, qui stipule que cette indemnité ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.

Dans le cas de Monsieur [I], son salaire brut moyen s’élevait à 6 294,09 euros.

Au vu de son âge, de son ancienneté de plus de 24 ans et de sa capacité à trouver un nouvel emploi, le préjudice a été évalué à 90 000 euros, ce qui est conforme aux dispositions légales.

Quelles sont les implications de la résiliation judiciaire du contrat de travail ?

La résiliation judiciaire du contrat de travail, prononcée pour des faits de harcèlement moral, produit les effets d’un licenciement nul. Cela signifie que le salarié a droit à des indemnités comme s’il avait été licencié sans cause réelle et sérieuse.

Les articles L.1152-2 et L.1152-3 du Code du travail précisent que cette résiliation doit être considérée comme un licenciement nul, entraînant des droits à indemnités pour le salarié.

Dans le cas de Monsieur [I], la cour a prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail, lui permettant de réclamer des indemnités conséquentes pour licenciement nul, ainsi que d’autres dommages et intérêts liés à son préjudice.

 

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

11 décembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
22/03626
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRET DU 11 DECEMBRE 2024

(n° , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/03626 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFNIG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Décembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F20/00681

APPELANTE

S.A.S.U. WORLDLINE BUSINESS SUPPORT

[Adresse 1]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Frédéric ZUNZ, avocat au barreau de PARIS, toque : J153

INTIME

Monsieur [D] [I]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Avi BITTON, avocat au barreau de PARIS, toque : P339

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Novembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre

Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller

Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Marika WOHLSCHIES

ARRET :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Madame Marika WOHLSCHIES, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [D] [I] a été engagé pour une durée indéterminée à compter du 31 juillet 2000, par la société Ingenico, aux droits de laquelle la société Wordline Business Support se trouve actuellement. Il exerce en dernier lieu les fonctions de « manager IT » France (responsable informatique), avec le statut de cadre.

La relation de travail est régie par la convention collective « Syntec ».

Le 27 janvier 2020, Monsieur [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris et formé une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et des demandes afférentes à un licenciement nul pour harcèlement moral ou sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’à l’exécution de son contrat de travail.

Par jugement du 9 décembre 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a « dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse », a condamné la société Wordline Business Support à payer à Monsieur [I] les sommes suivantes et a débouté ce dernier de ses autres demandes :

– indemnité de licenciement : 37 939,41 € ;

– indemnité compensatrice de préavis : 18 882 € ;

– indemnité de congés payés afférente : 1 888 € ;

– intéressement : 6 070 € ;

– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 97 558,39 €

– indemnité pour frais de procédure : 1 500 € ;

– les intérêts au taux légal ;

– les dépens.

La société Wordline Business Support a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 8 mars 2022, en visant expressément les dispositions critiquées.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 novembre 2024, la société Wordline Business Support demande l’infirmation du jugement, le rejet des demandes de Monsieur [I] et sa condamnation à lui rembourser la somme de 56 646,80 euros bruts, réglée au titre de l’exécution provisoire du jugement, ainsi qu’à lui verser une indemnité pour frais de procédure de 2 500 €.

Elle fait valoir que les griefs de Monsieur [I] sont injustifiés, alors qu’il n’a jamais fait l’objet d’arrêts de travail pour maladie professionnelle ou accident du travail, ni ne s’est plaint auprès de l’inspection du travail, du Défenseur des droits ou bien des institutions représentatives du personnel.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 octobre 2024 , Monsieur [I] demande la confirmation du jugement en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail, son infirmation partielle pour le surplus et demande, à titre principal, qu’il soit jugé que la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul et la condamnation de la société Wordline Business Support à lui payer les sommes suivantes :

– indemnité pour licenciement nul : 151 058 € ;

– dommages et intérêts pour harcèlement moral : 10 000 €.

A titre subsidiaire, il demande la confirmation du jugement en ce qu’il a jugé que la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de la société Wordline Business Support à lui payer les sommes suivantes :

– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 110 145 € ;

– dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 10 000 €.

Il forme également les demandes suivantes :

– indemnité de licenciement : 45 107 € ;

– dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité : 10 000 € ;

– indemnité compensatrice de préavis : 18 882 € ;

– indemnité de congés payés afférente : 1 888 € ;

– rappel de salaire au titre de l’intéressement : 6 070 € ;

– indemnité pour frais de procédure : 7 320 € ;

– les intérêts au taux légal avec capitalisation.

Au soutien de ses demandes, Monsieur [I] expose que :

– il a été victime de faits de harcèlement moral, caractérisés par une mise à l’écart, une rétrogradation injustifiée, puis par l’absence de fourniture de travail depuis 2022, faits ayant entraîné une altération de sa santé physique et mentale ;

– à titre subsidiaire, la société Wordline Business Support a exécuté son contrat de travail de façon déloyale ;

– la société Wordline Business Support a également manqué à son obligation de sécurité ;

– ces faits justifient que soit prononcée la résiliation judiciaire de son contrat de travail ;

– la prime d’intéressement n’étant soumise à aucune condition de temps de présence dans l’entreprise, il devait percevoir la totalité de cette prime en 2020.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 5 novembre 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

* * *

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’allégation de harcèlement moral

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Conformément aux dispositions de l’article L.1154-1 du même code, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il juge utiles.

En l’espèce, Monsieur [I] expose tout d’abord qu’il a fait l’objet d’une mise à l’écart injustifiée et brutale, lorsqu’en juillet 2018, la société a procédé, sans le consulter, à un audit de satisfaction sur le département IT France dont il était le manager, alors que tous les membres de son équipe ont été interrogés et qu’il disposait d’une grande connaissance de ses sujets depuis de nombreuses années. Il ajoute qu’il n’a reçu aucun retour sur cet audit, alors que ses évaluations démontrent qu’il donnait pleine satisfaction dans son travail. Il produit le rapport d’audit en question.

Il expose ensuite qu’en juillet 2018, il avait était convenu, avec son responsable hiérarchique de recruter un adjoint pour l’assister dans le cadre de la transformation de l’entreprise, notamment parce que cette transformation a engendré une surcharge importante de travail – et il produit en ce sens un courriel de ce responsable – mais qu’en septembre 2018, la Direction lui a annoncé qu’en réalité, il n’était plus question d’embaucher un adjoint, mais un nouveau responsable IT et que lui-même serait rétrogradé aux « intégrations », devenant le subordonné de Monsieur [T], lequel avait été son subordonné jusqu’en mars 2017. Il ajoute que lorsque son successeur à son poste de Responsable IT a quitté la société, l’employeur lui a demandé de former le nouveau responsable recruté, en plus de son travail aux « intégrations »

Par lettre recommandée du 27 aout 2019, il s’est plaint de ces faits qu’il qualifiait de dégradation de ses conditions de travail et de harcèlement moral, courrier demeuré sans réponse.

Il a fait l’objet d’arrêts de travail pour maladie à compter du 2 septembre 2019.

il a repris son travail le 31 mars 2022 et expose être alors resté sans poste de travail réellement défini jusqu’en septembre 2022, date à laquelle il s’est vu confier un poste de chef de projet, qui consistait en réalité à une  » mise au placard « , puisque la quasi-totalité des entreprises avaient déjà été intégrées dans le système informatique, et qu’il ne restait plus de travail effectif à faire. Il ajoute qu’il occupe depuis ces faits des postes ne l’occupant que 2 à 3 heures par semaine.

Il justifie suivre un traitement à base d’antidépresseurs.

Ces faits, pris dans leur ensemble, laissent supposer un harcèlement moral.

De son côté, la société Wordline Business Support fait valoir que les évaluations de Monsieur [I] étaient élogieuses, ce que ce dernier ne conteste pas et qui ne permet pas de contredire les éléments qu’il présente.

La société Wordline Business Support ajoute que le compte-rendu d’évaluation de Monsieur [I] du 7 février 2019 mentionnait qu’il demandait un changement de poste depuis plusieurs années et qu’il a donc évolué dans de nouvelles fonctions, conformément à sa propre demande. Cependant, aucun élément ne permet d’établir que Monsieur [I] aurait manifesté son accord pour être rétrogradé.

La société Wordline Business Support expose ensuite que le recrutement d’un adjoint, auquel Monsieur [I] a participé activement, avait pour objet de faciliter une transition à sa demande vers les projets d’intégration de filiales et ajoute que le « changement de rôle » est donc intervenu à sa demande et qu’il s’est ainsi vu  » donner l’opportunité de mettre en ‘uvre des compétences nouvelles sur des enjeux importants et différents ». Cependant, cette pétition de principe, en forme de slogan publicitaire et dépourvue de toute précision, ne constitue pas un élément objectif permettant de contester utilement ceux présentés par Monsieur [I].

La société Wordline Business Support fait ensuite valoir qu’aux termes de courriels de 2017 et 2018 qu’elle produit, Monsieur [I] a poursuivi une formation en anglais et n’a sollicité aucune autre formation. Cet élément est totalement hors sujet.

La société Wordline Business Support fait également valoir que, par courriel du 9 octobre 2018, Monsieur [I] a écrit : « Voilà pour un premier jet sur ces différents sujets, je pense que le fait d’avoir un nouveau Manager change les choses sur le long terme, à voir comment tout ceci évolue « . Cette phrase ne manifeste pas l’accord du salarié pour une rétrogradation.

En revanche, la société Wordline Business Support s’abstient de tout commentaire sur la mise à l’écart de Monsieur [I] lors l’audit concernant le service dont il avait la charge en juillet 2018, ainsi que sur son l’absence de réponse à la lettre du salarié d’août 2019.

La société Wordline Business Support expose ensuite qu’au retour d’arrêt de travail pour maladie de Monsieur [I] en avril 2022, la société avait évolué et qu’un temps d’adaptation a donc été nécessaire pour lui trouver un poste, ce qui a finalement été le cas et elle produit en ce sens des comptes-rendus d’évaluation et un organigramme, tout en expliquant que Monsieur [I] occupe désormais au sein de l’entreprise, un poste similaire à celui qu’il occupait avant 2019, ajoutant toutefois qu’il n’est plus à la tête du département compte tenu du périmètre plus large des enjeux plus nombreux du Groupe Wordline ayant acquis Ingenico. Elle ne contredit toutefois pas de façon objective les explications de Monsieur [I] selon lesquelles il n’a en réalité presque aucune tâche à accomplir depuis 2022, alors qu’il appartient à l’employeur, d’une part de fournir du travail à son salarié et d’autre part de justifier du temps de travail de ce dernier.

Enfin, ni le fait que les arrêts de travail de Monsieur [I] ne mentionnent pas une origine professionnelle, ni le fait qu’il a été déclaré apte à son retour d’arrêt maladie le 6 avril 2022, ni enfin, le fait qu’il n’a pas saisi l’inspection du travail, le Défenseur des droits, ou encore les institutions représentatives du personnel, ne constituent des éléments objectifs établissant l’absence de harcèlement moral.

Contrairement à ce qu’a estimé le conseil de prud’hommes, les faits de harcèlement moral sont donc établis.

Ils ont causé à Monsieur [I] un préjudice qu’il convient d’évaluer à 5 000 euros.

Sur le manquement allégué à l’obligation de sécurité

Aux termes de l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur a l’obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés et aux termes de l’article L.4121-2, il met en ‘uvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L.1152-1 et L.1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.

Aux termes de l’article L.1152-4 du même code, l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En l’espèce, alors que Monsieur [I] s’est expressément plaint de faits de harcèlement moral aux termes de la lettre précitée du 27 aout 2019, la société Wordline Business Support ne justifie avoir pris aucune mesure de nature à faire cesser ces faits et à prévenir leur réitération.

Ce manquement a causé à Monsieur [I] un préjudice distinct de celui causé par le harcèlement moral, qu’il convient de fixer à 5 000 euros.

Sur la demande de résiliation judiciaire et ses conséquences

Il résulte des dispositions des articles 1224 et 1228 du code civil qu’un contrat de travail peut être résilié aux torts de l’employeur en cas de manquement suffisamment grave de sa part à ses obligations contractuelles.

En l’espèce, la mise à l’écart de Monsieur [I], puis sa rétrogradation, l’absence de réponse à sa réclamation et enfin le manquement à l’obligation de fournir du travail, faits constitutifs de harcèlement moral et de manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur, constituent des manquements de la part de l’employeur d’une gravité telle qu’ils justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts.

Il convient d’infirmer le jugement sur ce point, dès lors que son dispositif ne prononce pas la résiliation judiciaire.

Cette résiliation étant motivée par des faits de harcèlement moral, doit produire les effets d’un licenciement nul, conformément aux dispositions des articles des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail.

Monsieur [I] est donc fondé à obtenir paiement d’une indemnité pour licenciement nul, prévue par les dispositions de l’article L.1235-3-1 du code du travail et qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.

Monsieur [I] est âgé de 58 ans et compte plus de 24 ans d’ancienneté. Son salaire brut moyen s’élève à 6 294,09 €.

Au vu de cette situation, et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle il convient d’évaluer son préjudice à 90 000 euros.

Monsieur [I] est également fondé à percevoir une indemnité compensatrice de préavis égale à trois mois de salaire sur le fondement des dispositions de la convention collective applicable, soit la somme de 18 882 euros, ainsi que l’indemnité de congés payés afférente, soit 1 888 euros. Il convient donc de confirmer le jugement sur ces points.

Monsieur [I] est également fondé à percevoir une indemnité de licenciement sur le fondement des dispositions des articles L.1234-9 et R.1234-2 du code du travail, à hauteur de sa demande, soit 45 107 euros, au vu de ses calculs exacts.

Enfin, sur le fondement de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l’employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de six mois.

Sur la demande de rappel de salaire au titre de l’intéressement

Au soutien de cette demande, Monsieur [I] expose que son contrat de travail prévoyait une prime d’intéressement, qui n’était soumise à aucune condition de temps de présence dans l’entreprise. Il apparaît que cette prime est prévue par l’avenant n°3 à ce contrat.

Il ajoute que cette prime n’étant soumise à aucune condition de temps de présence dans l’entreprise, c’est à tort que la société Wordline Business Support a retenu sur la prime versée au titre de l’année 2020 la partie correspondante à ses absences pour maladie.

De son côté, la société Wordline Business Support ne formule aucune explication de nature à contredire cette argumentation ou à critiquer le jugement sur ce point.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il a fait droit à cette demande.

Sur les autres demandes

Sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Wordline Business Support à payer à Monsieur [I] une indemnité de 1 500 euros destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu’il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et y ajoutant, de la condamner au paiement d’une indemnité de 2 500 euros en cause d’appel.

Il convient de dire, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil, que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 4 février 2020, date de convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, conformément aux dispositions de l’article 1231-6 du même code et de faire application de celles de l’article 1343-2.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société Wordline Business Support à payer à Monsieur [D] [I] les sommes suivantes :

– indemnité compensatrice de préavis : 18 882 € ;

– indemnité de congés payés afférente : 1 888 € ;

– intéressement : 6 070 € ;

– indemnité pour frais de procédure : 1 500 € ;

– les dépens.

Infirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur les points infirmés ;

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [D] [I], à effet au jours du présent arrêt et avec les effets d’un licenciement nul ;

Condamne la société Wordline Business Support à payer à Monsieur [D] [I] les sommes suivantes :

– indemnité pour licenciement nul : 90 000 € ;

– dommages et intérêts pour harcèlement moral : 5 000 € ;

– dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité : 5 000 € ;

– indemnité légale de licenciement : 45 107 € ;

Y ajoutant ;

Condamne la société Wordline Business Support à payer à Monsieur [D] [I] une indemnité pour frais de procédure de 2 500 €.

Dit que les condamnations au paiement, de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages et intérêts et de l’indemnité pour frais de procédure porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 4 février 2020 et dit que les intérêts seront capitalisés conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;

Ordonne le remboursement par la société Wordline Business Support des indemnités de chômage versées à Monsieur [D] [I] dans la limite de six mois d’indemnités ;

Rappelle qu’une copie du présent arrêt est adressée par le greffe à France Travail ;

Déboute Monsieur [D] [I] du surplus de ses demandes ;

Déboute la société Wordline Business Support de sa demande d’indemnité pour frais de procédure formée en cause d’appel ;

Condamne la société Wordline Business Support aux dépens d’appel.

Le greffier, Le président,


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