Sommaire Engagement et Contexte de l’AffaireMadame [V] [C] a été engagée par la RATP en tant qu’opérateur le 9 janvier 2002, avec une rémunération mensuelle brute de 3 267 euros. Elle a été en arrêt de travail du 3 octobre au 13 décembre 2017 suite à une altercation avec un chef de gare. Le 15 janvier 2018, elle a reçu une sanction disciplinaire de disponibilité d’office avec sursis. Procédure JudiciaireLe 9 juillet 2018, Mme [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour contester la sanction et demander des dommages-intérêts pour sanction illicite et harcèlement moral. Le jugement du 30 septembre 2021 a débouté Mme [C] de toutes ses demandes. Elle a interjeté appel le 26 octobre 2021. Prétentions de Mme [C]Dans ses conclusions du 22 décembre 2023, Mme [C] demande à la Cour de reconnaître le harcèlement moral, d’annuler la sanction du 15 janvier 2018, de condamner la RATP pour manquement à son obligation de sécurité, et de lui verser des dommages-intérêts pour un total de 20 267 euros. Prétentions de la RATPLa RATP, dans ses conclusions du 8 août 2024, demande la confirmation du jugement de 2021, soutenant que Mme [C] n’a pas prouvé l’existence de harcèlement moral et que la sanction était justifiée. Elle demande également que Mme [C] soit condamnée à payer 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Motifs de la DécisionLa Cour a examiné la nullité de la sanction disciplinaire, notant que la RATP n’a pas respecté le délai de deux mois pour engager des poursuites disciplinaires. Elle a également constaté que la sanction était liée à la demande de signalement de harcèlement moral de Mme [C]. La Cour a annulé la sanction et ordonné son effacement du dossier de Mme [C], tout en lui accordant 1 000 euros de dommages-intérêts. Harcèlement MoralMme [C] a présenté des éléments de preuve de harcèlement moral, y compris des agressions verbales et un climat de travail hostile. La RATP a contesté ces allégations, mais la Cour a jugé que les éléments fournis par Mme [C] laissaient supposer l’existence de harcèlement moral. La Cour a accordé 5 000 euros de dommages-intérêts pour ce motif. Conclusion de la CourLa Cour a infirmé le jugement de 2021, déclarant que Mme [C] avait été victime de harcèlement moral et que la RATP avait manqué à son obligation de sécurité. Elle a annulé la sanction du 15 janvier 2018, condamné la RATP à verser des dommages-intérêts et à payer les dépens. |
Questions / Réponses juridiques :
Quelles sont les conséquences juridiques de la sanction disciplinaire notifiée à Mme [C] ?La sanction disciplinaire notifiée à Mme [C] le 15 janvier 2018, à savoir une mesure de disponibilité d’office avec sursis, a été déclarée nulle par la Cour. Cette décision repose sur plusieurs fondements juridiques. Selon l’article L 1152-2 du Code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné pour avoir subi ou dénoncé des agissements de harcèlement moral. En l’espèce, la Cour a constaté que la sanction était en lien direct avec la demande d’attention de Mme [C] concernant des faits de harcèlement moral, ce qui constitue une violation de ses droits. De plus, l’article L 1332-4 du même code stipule qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à des poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois, sauf si des poursuites pénales ont été engagées. Or, la sanction a été notifiée plus de deux mois après les faits, ce qui a conduit à son annulation. La Cour a également ordonné l’effacement de cette sanction du dossier administratif de Mme [C], soulignant que toute sanction inscrite au dossier peut influencer les décisions de promotion. Comment la Cour a-t-elle caractérisé le harcèlement moral subi par Mme [C] ?La Cour a caractérisé le harcèlement moral subi par Mme [C] en se fondant sur plusieurs éléments de preuve. L’article L 1152-1 du Code du travail définit le harcèlement moral comme des agissements répétés ayant pour effet de dégrader les conditions de travail d’un salarié, portant atteinte à sa dignité et altérant sa santé. Dans le cas de Mme [C], la Cour a relevé des agressions verbales répétées, des brimades, et un manque de soutien de la part de sa hiérarchie. Elle a également pris en compte les témoignages de collègues et les documents médicaux attestant des conséquences sur la santé de Mme [C], notamment des arrêts de travail pour stress post-traumatique et des crises de panique. La Cour a noté que les faits de harcèlement moral étaient corroborés par des signalements effectués par d’autres agents, ce qui a renforcé la crédibilité des allégations de Mme [C]. Ainsi, la Cour a conclu que les éléments présentés par Mme [C] laissaient supposer l’existence d’un harcèlement moral, ce qui a conduit à la condamnation de la RATP pour manquement à son obligation de sécurité. Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de prévention du harcèlement moral ?L’employeur a des obligations claires en matière de prévention du harcèlement moral, telles que stipulées dans le Code du travail. L’article L 1152-4 impose à l’employeur de prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir les agissements de harcèlement moral. Cela inclut l’information des salariés sur les textes législatifs relatifs au harcèlement, ainsi que la mise en place de procédures internes pour traiter les plaintes. Dans le cas de Mme [C], la Cour a constaté que la RATP n’avait pas respecté ces obligations, notamment en ne prenant pas en compte les signalements de harcèlement et en ne diligentant pas une enquête appropriée avant de sanctionner Mme [C]. La Cour a également relevé que l’enquête interne n’avait pas été menée de manière objective, ce qui a contribué à la reconnaissance du harcèlement moral. En conséquence, la RATP a été condamnée pour manquement à son obligation de sécurité, ce qui souligne l’importance pour les employeurs de prendre au sérieux les allégations de harcèlement et de mettre en place des mesures préventives adéquates. Quels sont les recours possibles pour un salarié victime de harcèlement moral ?Un salarié victime de harcèlement moral dispose de plusieurs recours juridiques pour faire valoir ses droits. Tout d’abord, il peut saisir le conseil de prud’hommes, comme l’a fait Mme [C], pour contester une sanction disciplinaire et demander des dommages-intérêts. L’article L 1154-1 du Code du travail précise que, lorsqu’un salarié présente des éléments laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement. Le salarié peut également alerter les représentants du personnel ou les syndicats, qui peuvent intervenir pour soutenir sa cause. En cas de manquement grave de l’employeur à ses obligations, le salarié peut envisager de porter l’affaire devant le tribunal judiciaire pour obtenir réparation du préjudice subi. Enfin, il est possible de déposer une plainte pénale si les faits de harcèlement sont suffisamment graves, notamment s’ils constituent une atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou mentale du salarié. Dans tous les cas, il est conseillé au salarié de conserver des preuves (témoignages, courriers, documents médicaux) pour étayer ses allégations et renforcer sa position lors des procédures judiciaires. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
délivrées le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 3
ARRET DU 11 DECEMBRE 2024
(n° , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/08837 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CERQZ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Septembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° F18/05136
APPELANTE
Madame [V] [C]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Claire DELAFONT, avocat au barreau de PARIS, toque : B1185
INTIMEE
E.P.I.C. REGIE AUTONOME DES TRANSPORTS PARISIENS, prise en la personne de son représentant légal
N° RCS : 775 663 438
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Thomas ANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0920
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 Octobre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Didier MALINOSKY, magistrat honoraire exerçant des fonctions judiciaires , chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Christophe BACONNIER, président de chambre
Marie-Lisette SAUTRON, présidente de chambre
Didier MALINOSKY, magistrat honoraire exerçant des fonctions judiciaires
Greffier, lors des débats : Madame Laetitia PRADIGNAC
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Laetitia PRADIGNAC, Greffière, présent lors de la mise à disposition.
Madame [V] [C] a été engagée par contrat à durée indéterminée le 9 janvier 2002 par la société Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP), en qualité ‘d’opérateur’, agent du cadre permanent, affectée à la conduite des trains RER.
Dans le dernier état de la relation contractuelle, qui se poursuit toujours actuellement, la rémunération mensuelle brute de Mme [C] s’élevait à 3 267 euros.
Les relations entre les parties sont soumises aux dispositions du statut RATP. L’entreprise compte plus de onze salariés.
Elle a été en arrêt de travail du 3 octobre au 13 décembre 2017, suite à une altercation avec un chef de gare.
Le 15 janvier 2018, Mme [C] s’est vue notifier une mesure disciplinaire de disponibilité d’office avec sursis.
Le 9 juillet 2018, Mme [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris en contestation de cette sanction, ainsi qu’en paiement de dommages-intérêts pour sanction illicite et harcèlement moral, et au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par un jugement rendu le 30 septembre 2021, en formation de départage, le conseil de prud’hommes de Paris a :
– Débouté Mme [C] de l’intégralité de ses demandes ;
– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Laissé les dépens à la charge de Mme [C].
Mme [C] a interjeté appel de ce jugement le 26 octobre 2021.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par conclusions récapitulatives déposées par messagerie électronique le 22 décembre 2023 auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, Mme [C] demande à la Cour de :
– Juger qu’elle a été victime de harcèlement moral,
– Juger nulle la sanction notifiée le 15 janvier 2018,
– Juger que la RATP a manqué à son obligation de sécurité,
– Condamner la RATP au paiement des sommes suivantes :
‘ 3 267 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction illicite ;
‘ 12 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du harcèlement moral subi par Mme [C] ;
‘ 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions récapitulatives déposées par messagerie électronique le 8 août 2024 auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société RATP demande à la Cour de :
– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes du 30 septembre 2021, en ce qu’il a rejeté l’intégralité des demandes de Mme [C] ;
– Juger que Mme [C] n’apporte la preuve d’aucun élément susceptible de caractériser l’existence d’un harcèlement moral de la RATP à son encontre et, qu’en tout état de cause, les faits invoqués par l’appelante sont justifiés par des éléments objectifs et étrangers à tout harcèlement moral ;
– Juger que la RATP a parfaitement respecté son obligation de sécurité ;
– Juger que la sanction du 15 janvier 2018 est justifiée ;
En conséquence :
– Débouter Mme [C] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– Condamner Mme [C] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 17 septembre 2024 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 29 octobre 2024.
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
Sur la nullité de la sanction disciplinaire
Mme [C] soutient que sa sanction devrait être annulée en ce qu’elle est en lien direct avec les faits de harcèlement moral dénoncés. Elle explique qu’elle a été sanctionnée le 15 janvier 2018 d’une mesure disciplinaire de niveau ‘disponibilité d’office avec sursis’ en raison de l’incident survenu le 3 octobre 2017, alors qu’elle a dénoncé les agissements de harcèlement moral subis à cette date par courrier du 18 octobre 2017. Cette sanction, qu’elle qualifie de vexatoire, lui aurait occasionné des préjudices moral, matériel et de carrière.
A titre subsidiaire, elle soutient que cette sanction serait injustifiée, en ce qu’elle aurait toujours contesté avoir refusé de suivre une directive de sa hiérarchie le 3 octobre 2017 et qu’elle aurait elle-même été étonnée de voir que sa fiche de travail ne comportait aucune instruction sur cette journée. Elle soutient en revanche qu’elle a refusé de se faire hurler dessus par son supérieur hiérarchique, notamment en ce qu’elle aurait subi des agissements totalement anormaux depuis de nombreux mois, tels que des modifications arbitraires de sa fiche de travail par certains agents de maîtrise. Par la suite, elle aurait ainsi simplement usé de son droit de retrait, en ce que l’incident aurait déclenché une crise de panique l’empêchant de conduire et nécessitant une prise en charge aux urgences.
La société RATP soutient que la sanction de la salariée serait parfaitement justifiée et proportionnée, en raison de la faute professionnelle particulièrement grave de la salariée, et de son absence de lien avec un quelconque harcèlement moral.
La société précise que le fait de relever la salariée de son service, dans le but de l’informer de la réglementation relative à la conduite des RER, serait dans son intérêt et dans celui des voyageurs, ainsi que pour leur sécurité. Ainsi, il n’y aurait eu aucun élément légitime à ce qu’elle refuse de respecter cette consigne, notamment en ce qu’il serait courant que les plannings soient modifiés pour donner lieu à des instructions de ce type et qu’un conducteur aurait, dans tous les cas, été mobilisé pour la remplacer durant son absence. La société considère également qu’il n’y aurait pas eu de raison de hausser le ton, en ce que son supérieur aurait certes été ferme mais serait resté calme, et non à lui ‘hurler’ dessus comme invoqué par la salariée. Par ailleurs, la salariée aurait abandonné son poste suite à cet incident sans prévenir sa hiérarchie.
Dès lors, la société soutient que ces faits, dont auraient été témoins les agents présents, et qui ne pourraient être constitutifs de harcèlement moral, justifieraient la sanction disciplinaire de la salariée.
Sur ce,
Aux termes des dispositions de l’article L 1152-2 du code du travail, ‘aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionnée, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés’.
L’article L1332-4 du même code dispose que, ‘aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales’.
Or, la cour relève, d’une part, que les faits du 3 octobre 2017 se sont déroulés en présence de deux autres agents de maitrise que le chef de gare de [Localité 5], sans qu’aucune sanction ne soit demandée sur ces faits à l’encontre de Mme [C] avant le 21 décembre 2017 et, d’autre part, que la salariée a effectué, le 20 octobre 2017, une ‘demande d’attention’ (un signalement) sur un éventuel harcèlement moral.
Par ailleurs, la cour relève qu’un signalement à l’encontre deux autres agents de maîtrise du même secteur a été effectué le 6 novembre par M. [Z], conducteur comme Mme [C], sans que la RATP n’indique les suites qu’elle a données à ce signalement.
En outre, alors qu’une enquête interne a été diligentée entre le 6 novembre et le 6 décembre 2017, Mme [C] a été informée le 21 décembre 2017 qu’une sanction serait prise à son encontre sur les faits du 3 octobre, sanction qui lui a été notifiée le 15 janvier 2018.
Au regard de ces éléments, les faits retenus par la RATP pour sanctionner la salariée étant du 3 octobre soit plus de deux mois avant l’engagement des poursuites, la société, ne pouvant ignorer leurs commissions retenant elle-même la présence de trois agents de maîtrise, a épuisé son pouvoir disciplinaire et ne pouvait plus sanctionner la salariée.
Par ailleurs, la cour relève que c’est consécutivement à la demande d’attention (signalement d’une situation de harcèlement) que Mme [C] a été sanctionnée, alors que l’enquête interne, sur les faits ayant conduit à sa demande d’attention, n’était pas terminée.
En outre, si les conclusions de l’enquête sont défavorables à Mme [C], la cour relève que la RATP ne justifie pas du choix des vingt ‘témoins’ entendus, alors qu’un signalement de vingt huit autres agents était effectué en décembre 2017 sans qu’aucun membre de cette liste ne soit entendu dans le cadre de l’enquête.
Enfin, la cour relève que sur les vingt témoins entendus, hors Mme [C] et les agents de maitrise mis en cause sur les faits de harcèlement, cinq sont des agents de maîtrise qui n’étaient pas présents lors des faits mais qui ont, tous, attesté contre Mme [C] et que sur les quinze conducteurs entendus, sept indiquent qu’ils n’étaient pas présents, les huit agents présents soutenant que le chef de gare est à l’initiative de l’altercation, ce dernier interpellant violemment Mme [C] alors qu’elle était en pause.
Ainsi, la sanction est non seulement prescrite mais encourt l’annulation, la société ne justifiant pas d’un refus de service de Mme [C], la responsabilité du chef de gare étant parfaitement démontrée dans l’aggravation des rapports entre lui et la salariée.
La sanction étant annulée, la cour ordonne son effacement du dossier administratif et personnel de Mme [C], étant rappelé que le statut des personnels de la RATP prévoit que toute sanction, inscrite au dossier, peut servir à un refus de promotion.
Par ailleurs, les conditions de l’altercation du 3 octobre 2017 et de la sanction du 15 janvier 2018 ont créé un préjudice particulier à Mme [C] et la cour condamne la société à lui verser, à titre de dommages intérêts, la somme de 1 000 euros.
Sur le harcèlement moral
Mme [C] soutient qu’elle a subi des faits répétés de harcèlement moral durant plusieurs mois, notamment des agressions verbales répétées, des brimades et intimidations, des refus répétés de sa hiérarchie de lui faire passer des permutations de services, des ordres donnés à ses collègues de ne pas la relever de ses services, une absence de soutien de sa hiérarchie en dépit des alertes, une fermeture des issues de la gare alors qu’elle se serait trouvée dans le vestiaire, ainsi que la sanction notifiée le 15 janvier 2018 suite aux dénonciations de harcèlement moral. Elle explique par ailleurs qu’elle aurait toujours fait preuve d’un professionnalisme exemplaire et d’une loyauté sans faille depuis son embauche, comme en témoigneraient ses comptes-rendus d’entretiens d’évaluation.
La RATP soutient que l’enquête réalisée a exclu tout fait de harcèlement moral et toute discrimination à l’encontre de Mme [C], sachant qu’ont été auditionné vingt trois agents. La société considère que la salariée a été seule à l’origine, voire aurait sciemment provoqué, tous les faits qu’elle invoquerait à l’appui de ses accusations, qu’aucun des faits ne serait de nature à laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre, que ces faits s’expliqueraient par des éléments objectifs et étrangers à tout harcèlement moral, et que de nombreux collègues auraient attesté de la difficulté à gérer Mme [C].
Sur ce,
L’article L1152-1 du code du travail dispose que, ‘aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel’.
Aux termes des dispositions de l’article L1152-2 du code du travail, ‘aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionnée, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés’.
Aux termes de l’article L1152-4 du même code, ‘l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
Les personnes mentionnées à l’article L. 1152-2 sont informées par tout moyen du texte de l’article 222-33-2 du code pénal’.
L’article L 1154-1 du même code dispose que, ‘lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles’.
La salariée produit plusieurs attestations de collègues faisant état de plusieurs agressions verbales, en sus de celle du 3 octobre dont elle a été l’objet en 2017 dont une très violente le 31 mai 2017. Elle indique avoir informé à chaque fois sa hiérarchie ou les représentants du personnel.
Elle fait valoir, aussi, la demande d’attention provenant de vingt huit conducteurs du RER A à propos des faits du 3 octobre 2017 dont ils ont été témoins et qu’ils caractérisent comme des ‘comportements à tendance discriminatoire’.
Elle conteste les arguments de la société sur l’absence harcèlement moral, sur leur affirmation mensongère de sa tendance à la victimisation et à la manipulation et allègue d’un manquement d’objectivité de l’enquête et d’un dépôt de main courante le 2 mai 2018.
Elle expose que l’ensemble de ces faits aurait eu de graves conséquences sur sa santé, confirmées par les nombreux documents médicaux, tels qu’une prise en charge aux urgences le jour même de son agression du 3 octobre 2017, des arrêts de travail durant de longs mois (faisant état de souffrance au travail, attaques de panique, stress post-traumatique, troubles du sommeil), un suivi psychiatrique et des préconisations du médecin du travail de ne plus être en contact avec les agents concernés.
Elle précise que la cour d’appel, chambre de la sécurité sociale, par un arrêt du 15 octobre 2021 a conclu à la caractérisation des faits du 3 octobre 2017 comme ‘accident du travail’.
Dès lors, il apparaît que la salariée présente des éléments de fait qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.
La RATP soutient que la salariée se borne à faire état d’agressions verbales sans préciser le moindre propos déplacé, humiliant ou injurieux qui aurait été tenu, et en se gardant d’expliciter les contextes de ces incidents.
La société produit les vingt trois entretiens entre la responsable RH menant l’enquête interne, Mme [T], et les salariés interrogés sur les faits du 3 octobre 2017 et indique que ceux-ci n’ont constaté aucun comportement déplacé du supérieur hiérarchique, mais un refus de la salariée d’appliquer les directives données en haussant le ton tentant de manipuler les salariés présents.
La société fait valoir que Mme [C] a obtenu dans d’autres circonstances et avec d’autres responsables, en particulier le 25 septembre 2017, des permutations de service ou des relèves de service, sauf raisons valables de refus. La RATP soutient que de nombreux salariés dépeignent Mme [C] comme manipulatrice y compris pour obtenir leur soutien.
Or, la cour relève, d’une part, que si les faits du 3 octobre 2017 se sont déroulés en présence de nombreux salariés, la responsable RH n’a entendu que deux agents de maîtrise et huit conducteurs reconnaissant être présents lors de l’altercation sur la vingtaine de salariés entendus, les deux agents de maîtrise faisant porter la responsabilité sur Mme [C] et les salariés sur l’agent de maitrise comme les vingt huit autres salariés de la ligne A mentionnés dans le signalement du 21 décembre 2017.
Par ailleurs, la cour relève qu’un signalement à l’encontre deux autres agents de maîtrise du même secteur, attestant contre Mme [C], a été effectué le 6 novembre par M. [Z], conducteur, sans que la RATP n’indique les suites qu’elle a données à ce signalement.
La cour relève, aussi, que l’ensemble des agents de maîtrise avait affublé Mme [C] du sobriquet de ‘Princesse’, lui reprochant de ‘partager ses pâtisseries avec les autres conducteurs pour les manipuler’.
En outre, nonobstant l’enquête interne diligentée entre le 6 novembre et le 6 décembre 2017, Mme [C] a été informée le 21 décembre 2017 qu’une sanction serait prise à son encontre sur les faits du 3 octobre, sanction qui lui a été notifiée le 15 janvier 2018 avant la remise des conclusions de l’enquête.
Au surplus, la cour relève que des circonstances similaires se sont produites le 27 mai 2017, conduisant Mme [C] à intervenir auprès de la direction de la société et des représentants du personnel sans qu’aucune procédure ne soit diligentée.
Par ailleurs, tant les attestations des agents de maîtrise que celles des conducteurs montrent un climat social dégradé entre les agents de maîtrise et les conducteurs, les premiers faisant valoir leur seule responsabilité dans le choix des permutations et des relèves sans qu’ils aient à motiver leurs décisions et les seconds soutenant des comportements agressifs de certains agents de maîtrise dès qu’un conducteur sollicitait des explications sur un refus de permutation ou de relève.
De la même manière, les agents de conduites allèguent que certains agents de maîtrise, voulant démontrer que le pouvoir de décision leur appartenait, imposaient de manière agressive une demande d’instruction telle que cela avait été fait au détriment de Mme [C] à plusieurs reprises et en particulier le 3 octobre 2017, étant rappeler que, si n’importe quel agent de maîtrise présent pouvaient exiger une instruction, celle-ci était le plus souvent effectuée par l’agent de maîtrise référent du conducteur.
En l’espèce, pour le 3 octobre 2017 le chef de gare de [Localité 5] n’était pas le référent de Mme [C] et avait déjà provoqué plusieurs incidents à l’égard de la salariée.
Il sera par ailleurs observé, s’agissant de l’attitude, du comportement et des propos tenus à l’encontre de la salariée, que ceux-ci dépassaient manifestement le cadre du simple reproche concernant la qualité de son travail et excédaient dès lors l’exercice normal du pouvoir de direction, surtout en caractérisant Mme [C] de manipulatrice ‘ usant de sa condition de femme’.
Enfin, il sera relevé que la salariée a communiqué dans les délais l’ensemble de ses arrêts et prolongations de travail entre le 3 octobre et le 13 décembre 2017 et que lors de visites de pré-reprise le médecin du travail a recommandé que Mme [C] ‘ ne soit plus en contact avec sa hiérarchie’ puis sa ‘mutation impérative sur la Ligne B du RER’.
En outre, si la caisse de coordination aux assurances sociales de la RATP n’avait pas reconnu le caractère d’accident du travail de Mme [C] des faits du 3 octobre 2017, la cour d’appel de Paris a, par un arrêt du 15 décembre 2021, reconnu le caractère d’accident du travail.
Par conséquent, l’existence de faits de harcèlement moral et d’absence de respect de son obligation de sécurité, étant caractérisée et la salariée justifiant d’un préjudice spécifique résultant des agissements dont elle a fait l’objet de la part de certains de ses supérieurs hiérarchiques durant plusieurs mois ainsi que cela résulte des nombreux éléments, y compris médicaux, versés aux débats, la cour lui accorde une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts de ce chef, et ce par infirmation du jugement.
Sur les autres demandes
La société RATP qui succombe à l’instance sera condamnée aux dépens et à payer à Mme [V] [C] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile toutes causes confondues.
La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du 30 septembre 2021 en toutes ses dispositions ;
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que Mme [V] [C] a été victime de harcèlement moral ;
Dit que la RATP a manqué à son obligation de sécurité, ;
Déclare nulle la sanction notifiée le 15 janvier 2018 et dit qu’elle sera retirée du dossier personnel de Mme [V] [C] ;
Condamne la RATP au paiement des sommes suivantes :
‘ 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour la nullité de la sanction du 15 janvier 2018,
‘ 5 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du harcèlement moral subi par Mme [C],
‘ 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile toutes causes confondues ;
Déboute Mme [V] [C] du surplus de ses demandes ;
Déboute la RATP de ses demandes ;
Condamne la RATP aux dépens, toutes causes confondues.
Le greffier Le président