Sommaire Engagement et évolution professionnelle de Mme [K]Mme [K] a été engagée par la société Erteco en tant que caissière à compter du 30 septembre 1991. En 2003, elle a été promue au poste d’adjoint au chef de magasin. La société, spécialisée dans l’exploitation d’une supérette, comptait moins de dix salariés et appliquait la convention collective nationale du commerce de détail. Transfert de contrat et changements de géranceLe 4 février 2016, la société Erteco a informé Mme [K] du transfert de son contrat de travail à la suite de la reprise du magasin par la société Marceau 9201. En novembre 2017, M. [A] a remplacé M. [R] en tant que gérant de la société Marceau 9201, entraînant des changements dans l’organisation de la supérette. Avertissement et arrêt maladieLe 16 janvier 2018, Mme [K] a reçu un avertissement qu’elle a contesté le 1er février 2018. Elle a été placée en arrêt maladie du 16 février au 18 mars 2018, période durant laquelle d’autres employés ont également été en arrêt de travail et déclarés inaptes. Inaptitude et procédures judiciairesLe 20 mars 2018, le médecin du travail a déclaré Mme [K] inapte à son poste, certifiant que son état de santé ne permettait pas de reclassement. En août 2018, elle a saisi le conseil de prud’hommes pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, l’annulation de l’avertissement et le paiement de diverses sommes. Décisions des prud’hommes et appelsLe conseil de prud’hommes a débouté la société Marceau 9201 de sa demande de réformation de l’avis d’inaptitude. Plusieurs décisions ont suivi, dont une ordonnance du 6 août 2019 et un arrêt du 27 février 2020, condamnant la société à verser des sommes à Mme [K] pour rappel de salaires. Licenciement et contestationsMme [K] a été licenciée le 17 avril 2020 pour inaptitude non professionnelle. La société a contesté l’avis d’inaptitude, mais celui-ci a été confirmé par une expertise. Mme [K] a ensuite saisi le conseil de prud’hommes pour contester la nullité de son licenciement. Résiliation judiciaire et harcèlement moralLa cour a examiné les allégations de harcèlement moral et de défaut de paiement des salaires. Elle a constaté que les manquements de l’employeur étaient suffisamment graves pour justifier une résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, entraînant des effets d’un licenciement nul. Indemnités et dommages-intérêtsLe jugement a ordonné le versement d’indemnités à Mme [K], y compris une indemnité pour licenciement nul, des dommages-intérêts pour harcèlement moral, ainsi que des rappels de salaires et d’autres sommes dues. La cour a également statué sur les conséquences pécuniaires du licenciement nul et a confirmé certaines condamnations. Appel et décisions finalesLa société Marceau 9201 a interjeté appel du jugement. La cour a confirmé certaines décisions tout en infirmant d’autres, notamment en ce qui concerne les indemnités et les dommages-intérêts. Elle a également ordonné le remboursement des indemnités chômage perçues par Mme [K] dans la limite de trois mois. |
Questions / Réponses juridiques :
Quelles sont les conditions de la résiliation judiciaire du contrat de travail ?La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée à l’initiative du salarié lorsque l’employeur a commis des manquements suffisamment graves à ses obligations contractuelles, rendant impossible la poursuite du contrat de travail. Selon l’article L. 1235-1 du Code du travail, « le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail lorsque l’employeur a manqué à ses obligations ». Ces manquements doivent être établis par le salarié et doivent être suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat. En cas de résiliation judiciaire, celle-ci produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui implique que le salarié peut prétendre à des indemnités. Il est également important de noter que si la résiliation est fondée sur des faits de harcèlement moral, elle sera considérée comme un licenciement nul, conformément à l’article L. 1152-3 du Code du travail. Quels sont les droits du salarié en cas de harcèlement moral ?Le harcèlement moral est défini par l’article L. 1152-1 du Code du travail, qui stipule qu’aucun salarié ne doit subir des agissements répétés ayant pour effet une dégradation de ses conditions de travail. Ces agissements peuvent porter atteinte à la dignité du salarié, altérer sa santé physique ou mentale, ou compromettre son avenir professionnel. En cas de harcèlement moral, le salarié a le droit de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail, et cette résiliation sera considérée comme un licenciement nul si les faits sont établis. L’article L. 1154-1 précise que, dans le cadre d’un litige relatif au harcèlement, il incombe à l’employeur de prouver que les agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement. Le salarié peut également demander des dommages-intérêts pour le préjudice subi, conformément à l’article L. 1152-3. Quelles sont les conséquences d’un licenciement déclaré nul ?Lorsqu’un licenciement est déclaré nul, le salarié a droit à une indemnité pour licenciement nul, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, selon l’article L. 1235-3-1 du Code du travail. De plus, le salarié peut également prétendre à une indemnité compensatrice de préavis, ainsi qu’à une indemnité de licenciement, conformément aux articles L. 1226-14 et L. 1234-5. Il est également prévu que l’employeur doit rembourser les indemnités chômage perçues par le salarié dans la limite de trois mois d’indemnités, comme stipulé par l’article L. 1235-4. En cas de licenciement nul, le salarié peut également demander des dommages-intérêts pour le préjudice moral ou matériel subi en raison de la rupture abusive de son contrat de travail. Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de paiement des salaires ?L’article L. 1226-4 du Code du travail impose à l’employeur de reprendre le paiement du salaire d’un salarié déclaré inapte dans un délai d’un mois suivant l’avis d’inaptitude. Si l’employeur ne reclassifie pas le salarié ou ne le licencie pas dans ce délai, il doit lui verser le salaire correspondant à l’emploi occupé avant la suspension du contrat. En cas de non-paiement des salaires, le salarié peut demander des rappels de salaires et des indemnités compensatrices. Le non-paiement des salaires pendant une période prolongée constitue un manquement grave de l’employeur, justifiant potentiellement une résiliation judiciaire du contrat de travail. Quels recours a le salarié en cas de sanction disciplinaire jugée injustifiée ?Le salarié peut contester une sanction disciplinaire en se fondant sur l’article L. 1333-1 du Code du travail, qui stipule que le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et la justification des faits reprochés. Si la sanction est jugée irrégulière, injustifiée ou disproportionnée, le conseil de prud’hommes peut l’annuler, conformément à l’article L. 1333-2. Le salarié peut également demander des dommages-intérêts pour le préjudice subi en raison de cette sanction, notamment si celle-ci a eu des conséquences sur sa santé ou sa carrière. Il est essentiel que le salarié présente des éléments de preuve pour étayer sa contestation, tels que des témoignages ou des documents médicaux. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE
VERSAILLES
Code nac : 80M
Chambre sociale 4-4
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 11 DÉCEMBRE 2024
N° RG 22/03395
N° Portalis DBV3-V-B7G-VQKV
AFFAIRE :
Société MARCEAU 9201
C/
[B] [K]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 octobre 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
Section : C
N° RG : F18/02091
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Sandra CARNEREAU
Me Olivier BONGRAND
Copie numérique adressée à:
FRANCE TRAVAIL
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE DÉCEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Société MARCEAU 9201
N° SIRET: 812 167 658
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Sandra CARNEREAU, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1981
APPELANTE
Madame [B] [K]
née le 24 octobre 1967 à [Localité 3] (Algérie)
de nationalité algérienne
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Olivier BONGRAND de la SELARL O.B.P. Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0136
INTIMÉE
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 17 octobre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
Mme [K] a été engagée par la société Erteco, en qualité de caissière, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 30 septembre 1991.
Cette société est spécialisée dans l’exploitation d’une supérette. L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de moins de dix salariés. Elle applique la convention collective nationale du commerce de détail de fruits et légumes, épicerie et produits laitiers.
En 2003, Mme [K] a été promue au poste d’adjoint au chef de magasin.
Par lettre du 4 février 2016, la société Erteco Carrefour France, qui exploitait le magasin de [Localité 4] a fait part à Mme [K] du transfert de son contrat de travail à la suite de la reprise le 8 janvier 2016 de ce magasin par la société Marceau 9201.
Le 1er novembre 2017, M. [A] a remplacé M. [R] dans ses fonctions, exercées depuis 2015, de gérant de la société Marceau 9201.
Lors de cette reprise de gérance, l’organisation de la supérette était la suivante :
– Mme [U], responsable de magasin,
– M. [L], adjoint à la responsable,
– Mme [K], adjoint à la responsable.
Par lettre du 16 janvier 2018, Mme [K] a reçu un avertissement qu’elle a contesté par lettre du 1er février 2018.
Mme [K] a été placée en arrêt maladie du 16 février 2018 au 18 mars 2018.
M. [L] a été en arrêt de travail le 7 février 2018 et Mme [U] du 18 janvier 2018 au 22 janvier 2018 puis sans interruption à compter du 6 février 2018, étant tous deux déclarés inaptes les 8 et 26 mars 2018.
Par avis du 20 mars 2018, le médecin du travail a déclaré Mme [K] inapte à son poste et a certifié que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans la société.
Par requête du 1er août 2018, Mme [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, d’annuler l’avertissement du 16 janvier 2018 et en paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Par ordonnance du 6 juillet 2018, le conseil de prud’hommes de Nanterre en sa formation de référé a débouté la société Marceau 9201 de sa demande tendant à la réformation de l’avis d’inaptitude de Mme [K].
Par arrêt de la cour d’appel de Versailles du 19 décembre 2019 ( RG n°18/03187), statuant en référé, la cour a confirmé l’ordonnance du 6 juillet 2018 portant sur la réformation de l’avis d’inaptitude.
Par ordonnance du 6 aout 2019, le conseil de prud’hommes de Nanterre, en sa formation de référé, a débouté la société Marceau 9201 et dit n’y avoir lieu à référé sur l’ensemble des demandes de Mme [K] aux fins de condamnation provisionnelle au paiement d’un rappel de salaires du 20 avril 2018 au 20 janvier 2020.
Par arrêt du 27 février 2020 ( RG n°19/03546), la 6ème chambre de la cour d’appel de Versailles, statuant en référé, a infirmé l’ordonnance du 6 août 2019, condamné à titre provisionnel la société Marceau 9201 à verser à Mme [K] la somme de 51 723 euros à titre de rappel de salaires du 20 avril 2018 au 20 janvier 2020.
Mme [K] a été licenciée par lettre du 17 avril 2020 pour inaptitude non professionnelle et impossibilité de reclassement dans les termes suivants :
‘ Après une période d’arrêt maladie d’origine non professionnelle, vous avez effectué une visite médicale de reprise en date du 20 mars 2018 avec le Docteur [D] [H].
A l’issue de cette visite médicale du 20 mars 2018, le Dr [D] [H], médecin du travail, vous a déclaré inapte en ces termes : ‘Inapte… L’état de santé fait obstacle à tout reclassement dans l’entrerpise. Au vu de son état de santé, le salarié ne peut pas suivre de formation dans l’entreprise’.
Conformément aux dispositions légales, notre société a contesté cet avis d’inaptitude, qui s’est soldé par une expertise prononcée par un arrêt de la Cour d’appel de Versailles en date du 17 janvier 2019. Aux termes de son rapport daté du 22 juillet 2018, le Dr [V] [P], médecin inspecteur désigné par la cour d’appel a validé l’avis d’inaptitude pronocné par le Docteur [D] [H].
Par un arrêt en date du 19 décembre 2019, la Cour d’appel de Versailles a donc confirmé cet avis d’inaptitude.
Dans le cadre de notre obligation légale, nous avons recherché sur l’ensemble des activités de l’entreprise, dans quelle mesure il aurait été possible d’envisager votre reclassement compte-tenu de votre état de santé, de la nature des constatations médicales, de vos compétences, ainsi que de la dimension et de la spécificité de l’activité de notre exploitation.
Cependant, compte tenu de la nature de votre avis d’inaptitude, nous n’avons pas été en mesure de vous proposer un poste correspondant à votre profil et en cohérence avec les préconisations de reclassement.
Par courrier en date du 24 janvier 2019, nous vous avons informée de l’impossibilité de procéder à votre reclassement au sein de notre entreprise.
Nous vous avons ensuite convoquée par courrier recommandé en date du 03 mars 2020 à un entretien préalable lequel devait se tenir le 11 mars 2020.
Ce courrier nous est revenu avec la mention ‘destinataire inconnu à l’adresse’.
Bien que nous ayons demandé à votre conseil votre nouvelle adresse, nous n’avons obtenu aucune réponse.
Nous vous informons que nous sommes, en conséquence, contraints de vous licencier pour impossibilité de vous reclasser suite à l’inaptitude définitive médicalement constatée par le médecin du travail, d’origine non professionnelle.
Votre inpatitude rendant impossible l’exécution de votre préavis, la rupture de votre contrat de travail prend effet à la date d’envoi de la présente lettre, et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date sans indemnité de préavis. (…)’.
Par saisie attribution du 17 juillet 2020 fructueuse, Mme [K] a souhaité recouvrer les condamnations mises à la charge de la société Marceau 9201 en exécution de l’arrêt du 27 février 2020, le solde de tout compte restant impayé.
Par ordonnance du 20 novembre 2020, le conseil de prud’hommes, statuant en référé, a ordonné le règlement du solde de tout compte selon l’échéancier suivant :
– Un rappel de salaire et indemnité compensatrice de congés payés de 11 795.50 euros en 3 versements de 3 919.83 euros chacun, le 15 décembre 2020, le 15 janvier 2021, 15 février 2021;
– Indemnité de licenciement de 16 300 euros en 24 versements à compter du 15 décembre 2020, les 23 premiers étant de 680 euros, le dernier de 660 euros.
Par arrêt du 2 septembre 2021 ( RG n°20/02888), la 6ème chambre cour d’appel de Versailles, statuant en référé, a infirmé l’ordonnance du conseil de prud’hommes de Nanterre, et condamné la SARL Marceau 9201 à payer à Mme [K] les sommes suivantes :
– 7 905 euros à titre de rappel de salaire,
– 16 300 euros d’indemnité de licenciement,
– 3 854 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés.
Sur requête en rectification d’erreur matérielle, par arrêt du 25 novembre 2021 ( RG n°21/02862), la 6ème chambre de la cour d’appel de Versailles, a rectifié la somme allouée à titre d’indemnité de licenciement à 21 346 euros d’indemnité de licenciement, avec intérêts de retard au taux légal à compte de la date de réception par l’employeur de la convocation devant la formation de référé s’agissant de la créance contractuelle et à compter de l’arrêt en ce qui concerne la créance indemnitaire et a ordonné la remise d’une attestation destinée à Pôle Emploi conforme.
Par jugement du 12 octobre 2022, le conseil de prud’hommes de Nanterre (section commerce) a:
– Ordonné la jonction des affaires enregistrées sur les numéros RG 18/02091 et 20/01386 sous le numéro unique RG 18/02091 ;
– Annulé l’avertissement du 16 janvier 2018;
– Prononcé la nullite du licenciement de Mme [K] le 24 avril 2020 ;
– Condamné la société Marceau 9201 à verser les sommes suivantes :
– 36 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,
– 5 200 euros d’indemnité de préavis et 520 euros de congés payés afférents,
– 926.46 euros à titre du solde du 13ème mois, outre 92.64 à titre de congés payés afférents,
– 750 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive de documents sociaux,
– 1 200 euros à titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné la Société Marceau 9201 en deniers ou quittance à verser à Mme [K] les sommes déjà allouées à titre provisionnel en référé :
– 21 346 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 3 854 euros d’indemnité compensatrice de congés payés,
– 59 628 euros de rappel de salaires et 5 962 euros de congés payés y afférents du 20 avril 2018 au 24 avril 2020 article L 1226 -4 du code du travail,
– Ordonné de remettre à Mme [K] une attestation Pôle Emploi conforme au jugement et un certificat de travail ;
– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire sous réserve des dispositions de l’article R 1454-28 du code du travail selon laquelle la condamnation de l’employeur au paiement des sommes visées par l’article R 1454-14 2° du code du travail est exécutoire de plein droit dans la limite de neuf mois de salaire ;
– Dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
– Rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties ;
Par déclaration adressée au greffe le 10 novembre 2022, la société a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 8 octobre 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 16 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Marceau 9201 demande à la cour de:
– Dire et juger la société Marceau recevable et bien fondée en ses écritures,
– Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nanterre en ce qu’il a annulé les avertissements et prononcé la nullité du licenciement de Mme [K]
Statuant de nouveau,
– Débouter Mme [K] de l’intégralité de ses demandes,
– Condamner Mme [K] au paiement de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner Mme [K] aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 30 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [K] demande à la cour de :
– Réparer l’omission de statuer et prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du licenciement (article 463 du code de procédure civile)
– Confirmer le jugement en ce qu’il a :
– Annulé l’avertissement du 16 janvier 2018
– Jugé le licenciement nul
– Condamné la société Marceau 9201 à verser à Mme [K] les sommes suivantes : – 5 200 euros d’indemnité de préavis outre 520 euros de congés payés y afférents
– 926,46 euros outre 92, 64 euros de congés payés à titre de solde de 13e mois décembre 2017
– 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné la société Marceau 9201 à verser en deniers ou quittance les sommes dallouées à titre provisionnel en référé (pièces 54 et 66 et 67) :
– 3 854 euros d’indemnité compensatrice de congés payés
– 59 628 euros de rappel de salaire outre 5 962 euros de congés payés y afférents du 20 avril 2018 au 24 avril 2020 article L1226-4 du code du travail
– Infirmer le jugement en ce qu’il a :
– Débouté Mme [K] de sa demande
– de dommages-intérêts pour harcèlement moral
– de tickets restaurant
– de dommages et intérêts pour sanction abusives
– Limité à 36 000 l’indemnité pour licenciement nul,
En conséquence,
– Condamner la Société Marceau 9201 à verser à Mme [K] :
– 78 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul et subsiairement sans cause réelle et sérieuse
– 42 692 euros à titre de d’indemnité de licenciement L 1226-4 du code du travail
– 15 000 euros de dommages pour harcèlement moral et abus de droit
– 10 000 euros de dommages et intérêts pour retard et défaut de remise des documents sociaux conformes
– 1 059, 44 euros congés 2016/2017 déduits à tort en juin 2018
– 2 046 euros à titre de tickets restaurant
– 5 000 euros de dommages et intérêts au titre de la nullité de l’avertissement du 16 janvier 2018
En tout état de cause
– Débouter les intimées de leurs demandes reconventionnelles
– Condamner la société appelante à hauteur de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– Condamner la Société Marceau 9201 aux dépens
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
La société Marceau 9201 fait valoir qu’elle démontre que toutes les violations d’obligations contractuelles alléguées par la salariée sont inventées et ne peuvent en aucun cas justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts. Elle précise que la salariée, ainsi que ses deux collègues, n’ont travaillé que quelques semaines en présence du nouveau gérant avant d’être placés en arrêt maladie puis déclarés inaptes, que les trois salariés ont manisfesté leur volonté de rompre le contrat de travail à l’arrivée du nouveau gérant, laquelle rupture leur a été refusée compte tenu de leur très grande ancienneté, et qu’ils ont ensuite agi de concert pour parvenir à une rupture ‘coûte que coûte’ de leur contrat. Elle ajoute que les salariés ont géré en totale liberté pendant deux années la supérette, l’ancien gérant n’y étant pas présent et qu’en l’absence totale de contrôle, les trois salariés ont organisé leur travail à leur rythme, les résultats ayant considérablement chuté, que le nouveau gérant a ‘ repris en main’ la gestion du magasin laissé à l’abandon et que sa présence quotidienne et son total investissement a bouleversé leurs habitudes et privilèges.
La salariée réplique que M. [A] a fait subir aux salariés une dégradation de leurs conditions de travail et qu’elle a été victime de pressions pour donner sa démission, d’agressions verbales, de dénigrement et de sanctions injustifiées, que son inaptitude à son poste de responsable de magasin est directement liée à la dégradation de ses conditions de travail en lien avec le changement dans la gérance de la supérette et l’arrivée de M. [A] et que sur les huit salariés présents au sein de la société le 1er novembre 2017, seuls deux sont restés en poste, l’un d’eux attestant du harcèlement moral subi.
La résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée à l’initiative du salarié et aux torts de l’employeur, lorsque sont établis des manquements par ce dernier à ses obligations suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. Dans ce cas, la résiliation produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur fondée sur des faits de harcèlement moral produit les effets d’un licenciement nul, conformément aux dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail (Soc. 20 février 2013, n° 11-26.560, Bull. V n° 47).
Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée ; que, si tel est le cas, il fixe la date de la rupture à la date d’envoi de la lettre de licenciement.
La juridiction, saisie d’une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail puis d’une contestation du licenciement prononcé ultérieurement et qui a caractérisé des manquements de l’employeur antérieurs à l’introduction de l’instance, peut tenir compte de leur persistance jusqu’au jour du licenciement pour en apprécier la gravité.
Au soutien de sa demande de résiliation de son contrat de travail, la salariée invoque le harcèlement moral de l’employeur et le défaut de paiement des salaires.
1- Sur le harcèlement moral
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il appartient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au cas présent, la salariée invoque des faits d’humiliation, des menaces proférées par M. [A], avoir été rabaissée, comme les autres salariés de la supérette, avoir été victime de pressions pour donner sa démission, de dénigrement et d’une sanction injustifiée.
Il ressort de la chronologie des faits que la reprise de la gérance de la société Marceau 9201 par M. [A] est intervenue le 1 er novembre 2017 et que la salariée a été déclarée inapte par avis du médecin du travail du 20 mars 2018, ayant été précédemment en arrêt de travail du 16 février 2018 au 18 mars 2018.
La salariée reproche le comportement de M. [A] à son égard sur la période travaillée du 1er novembre au 9 novembre 2017, du 24 novembre au 17 janvier 2017 puis du 23 janvier au 5 février 2018, soit presque trois mois.
Par lettre du 8 mars 2018, Mme [K] a informé son employeur de son incompréhension quant à son retrait de responsabilités, de ce que son état de santé s’est dégradé, de ne plus percevoir de salaire depuis le mois de février 2018 et ne plus supporter le harcèlement subi.
1-1 sur les pressions, les humiliations et les menaces
La salariée produit pour établir les faits allégués:
– le témoignage du 26 mars 2018 M. [M], client depuis 2016 de la supérette gérée par la société Marceau 9201, qui relate avoir constaté ‘un ensemble de stratégies’ mis en place par la nouvelle gérance pour que les salariés ‘ craquent’ par un changement réguliers de leurs tâches de travail, de leurs horaires de travail, des critiques ouvertes devant la clientèle, des insultes gratuites,
– le témoignage de Mme [S], caissière et encore salariée de la société Marceau 9201 quand elle atteste et , qui indique avoir constaté une dégradation des conditions de travail et un manque de considération en ce que M. [A] a laissé la porte du magasin ouverte toute la journée n’ayant pas de chauffage en caisse, ainsi que des pratiques de ‘harcèlement et d’intimidation du personnel pour inciter les anciens salariés à démissionner’, précisant que notamment Mme [U], M. [L] et la salariée ont ‘ particulièrement pris sur eux durant ces derniers mois en supportant ces conditions rythmées de cris et mots déplacés.’,
– les témoignages de Mme [J], salariée de février à décembre 2018 qui relate que M. [A] l’a contrainte à signer une rupture conventionnelle à son arrivée, de Mme [Z] qui indique avoir démissionné ‘ suite aux pressions du nouveau patron (…) Les conditions de travail sont insupportables’, et M. [X] qui après plus de trois ans d’ancienneté a été contraint d’accepter la rupture conventionnelle proposée par M. [A], et qui relate avoir constaté alors que ce dernier ‘ parlait mal aux employés’.
– M. [A] [C], ancien directeur du magasin puis client atteste avoir été témoin ‘ d’une engueulade qui ne laissait aucun doute sur le mépris que pouvait endurer l’équipe le directeur hurlant à peu de chose près ‘ de toute façon vous êtes nuls et ne me servez à rien!’ La mise en rayon était critiquée de façon ouverte et devant les clients.’.
La salariée établit également qu’entre le 2 novembre 2017 et le 19 février 2018, le nouveau gérant a recruté cinq nouveaux salariés sur un effectif de huit salariés à son arrivée.
Ainsi, la salariée relève à juste titre que sur les huit salariés qui travaillaient dans la supérette, quatre attestent pour décrire les difficultés vécues conduisant trois d’entre eux à quitter la société Marceau 9201, trois autres salariés, la salariée, Mme [U] et M. [L] ayant ensuite saisi le conseil de prud’hommes.
Enfin, par lettres du 5 et 8 mars 2018, Mme [K], en arrêt de travail depuis le 16 février 2018, a signalé à M. [A] qu’il n’avait pas transmis à la caisse primaire d’assurance maladie l’attestation de salaire et lui a réclamé sa fiche de paye et le paiement de son salaire.
Par lettre du 6 juillet 2018, le contrôleur du travail a rappelé à l’employeur qu’il avait l’obligation de faire parvenir à la salariée son bulletin de paye par tout moyen et d’effectuer les formalités nécessaires auprès de la caisse primaire d’assurance maladie pour la délivrance de l’attestation de salaires.
1-2 sur la sanction disciplinaire
L’article L. 1333-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
L’article L. 1333-2 poursuit en précisant que le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
Il résulte de ces textes que le juge du contrat de travail, saisi de la contestation du bien-fondé d’une sanction disciplinaire, tel qu’en l’espèce d’une mise à pied disciplinaire, peut l’annuler si elle apparaît irrégulière dans la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise
La salariée se prévaut d’une sanction notifiée par M. [A] pour pousser les salariés à la démission, ce que conteste l’employeur.
Par lettre du 16 janvier 2018, la société Marceau 9201 a notifé à la salariée un avertissement en ces termes : ‘ En effet, le 10 janvier 2018, j’ai constaté lors de l’inventaire du magasin que plusieurs produits périmés étaient dans les rayons et pour certains périmés depuis plusieurs mois. En tant qu’adjointe au responsable du magasin, vous êtes dans l’obligation de vérifier les rayons et plus particulièrement les dates de péremption.’
Par lettre du 1er février 2018, la salariée a sollicité l’annulation de cette sanction et a indiqué que: ‘ Malgré la vigilance de notre équipe etdu faite de l’absence de notre chef de magasin au mois de novembre pendant 2 semaines, l’organisation du magasin c’est trouvé perturbé dans la mesure où nous avons travaillés deux fois plus (du 10/11 au 23/11/2017), ce qui a entrainé une fatigue qui ne nous à pas permis de mettre en (sic) Ceci est déjà arrivé et n’a fait l’objet d’aucun avertissement étant donné les moyens humain mis en oeuvre. Pour ma part je m’engage à ce que cela ne puisse se renouveler dans des conditions normal de travail’.
Il ressort de la chronologie des faits que la salariée, qui reconnaît le manquement invoqué par l’employeur, indique à juste titre que les circonstances, l’arrivée du nouveau gérant, la surcharge de travail, expliquent cette situation.
La cour retient que la sanction pour cette salariée qui n’a jamais été précédemment sanctionnée, est disproportionnée et le jugement sera confirmé en ce qu’il a annulé l’avertissement prononcé le 16 janvier 2018 et en ce qu’il a débouté Mme [U] de sa demande de dommages-intérêts à ce titre, à défaut de justifier de l’existence d’un préjudice moral ou financier particulier.
La dégradation de l’état de santé de Mme [K] est établie par les arrêts de travail prescrits ainsi que les nombreux certificats médicaux qui évoquent le syndrome dépressif développé, dont l’un précise qu’il est en rapport avec un conflit au travail. L’avis d’inaptitude a été prononcé après une étude du poste de travail de la salariée et il est définitif, aucun pourvoi n’ayant été formé contre la décision de la cour d’appel rejetant la demande de l’employeur de réformation de cet avis médical. La cour d’appel, dans son arrêt du 1er décembre 2019, a indiqué que l’expertise du médecin inspecteur du travail valide et conforte la position du médecin psychiatre du travail et du médecin du travail confirmant l’inaptitude au poste de la salariée.
Il a été précédemment établi la pression exercée sur la salariée et la sanction injustifiée notifiée par M. [A].
Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral susceptibles d’avoir eu pour effet une dégradation de l’état de santé de la salariée.
Il revient dès lors à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral.
Les agressions verbales et la pression au travail consistant en un harcèlement organisationnel à l’encontre de Mme [K] ont été précédemment établies. L’employeur conteste le témoignage de Mme [S] et communique l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 23 juin 2022 qui confirme le jugement rendu le 30 avril 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre, la cour d’appel ayant notamment retenu que Mme [S], qui se prévaut d’un accident du travail, n’a pas été victime d’un malaise ou d’une chute mais qu’elle a exécuté un mouvement volontaire et maîtrisé exclusif de tout incident. Toutefois, dans le cadre du présent litige, l’attestation de Mme [S] vient en appui des autres témoignages qui sont tous concordants et précis pour dénoncer le management brutal de M. [A] à la reprise de la gérance du magasin.
L’employeur produit en outre le témoignage de M.[O], salarié de la supérette [Adresse 5] depuis 2014 qui conteste toute ‘différence de travail entre les salariés’, l’absence de gestes déplacés de M. [A] et la réorganisation mise en place dans de bonnes conditions.
M. [Y], employé depuis 2010, ajoute que M. [A] a procédé à des transformations pour améliorer la qualité du travail pour les salariés, tout en restant à l’écoute des salariés et en les respectant. M. [T] relate des faits qu’il a constaté en 2017 et confirme l’écoute du nouveau gérant les bonnes conditions de travail.
La cour relève que ces trois salariés présentaient une ancienneté bien moins importante de que celle de Mme [U], M. [L] et Mme [K] et M.[N], nouveau directeur adjoint n’indique pas dans son témoignage sa date de recrutement par M. [A].
Par ailleurs, si ces trois témoignages décrivent de bonnes conditions de travail, ils ne remettent pas en cause ceux produits par Mme [K] qui évoquent le comportement de M. [A] à l’égard des trois salariés responsables de la supérette de la [Adresse 5], qui avaient une ancienneté d’au moins vingt années et qui ont été confrontés à une situation soudaine et violente, la mauvaise gestion alléguée résultant des résultats financiers très dégradés, ne justifiant pas le management brutal du nouveau gérant.
En effet, si l’employeur soutient que la salariée, Mme [U] et M. [F] avaient toute liberté pour organiser leur temps de travail, et qu’il est établi que la société Marceau 9201 a adressé le 8 mars 2018 à la Direccte une lettre relatant une situation ‘extrêmement compliquée’, et ‘une désorganisation totale’ alors qu’elle doit faire face à quatre arrêts maladie d’une durée longue concernant la responsable de magasin, deux adjoints et une caissière, salariés bénéficiant d’une grande ancienneté et pour lesquels elles ont refusé leur demande de rupture conventionnelle, cette lettre intervient plusieurs mois après les faits dénoncés par Mme [K] et n’apportent pas d’élément sur les faits de harcèlement moral reprochés.
En outre, Mme [K] n’est pas contredite en ce qu’elle soutient que la plupart des salariés a quitté la société Marceau 9201 par contrainte après l’arrivée de M. [A], et les circonstances en sont décrites par les attestations qu’elle produit.
La dégradation de l’état de santé de Mme [K] a été précédemment établie et l’employeur ne justifie pas que ses décisions sont toutes justifiées par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral.
En conséquence, par voie d’infirmation du jugement qui a retenu l’existence du harcèlement moral mais a considéré que le préjudice était indemnisé par l’indemnité pour nullité du licenciement, il convient de dire que le harcèlement moral est établi et l’employeur sera condamné à verser à Mme [K] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement.
2- Sur le défaut de paiement des salaires
S’agissant du défaut de paiement de la salariée déclarée inapte le 20 mars 2018, selon l’article L.1226-4 du code du travail, lorsque, à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n’est pas reclassé dans l’entreprise ou s’il n’est pas licencié, l’employeur lui verse, dès l’expiration de ce délai, le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.
Ces dispositions s’appliquent également en cas d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise constatée par le médecin du travail. L’exercice du recours prévu à l’article L. 4624-7 du code du travail ne suspend pas le délai d’un mois imparti à l’employeur pour reprendre le versement du salaire tel que prévu à l’article L. 1226-4 du même code ( Soc., 10 janvier 2024, pourvoi n° 22-13.464, publié).
En l’espèce, il est établi que Mme [K] n’a été ni licenciée ni reclassée dans le mois suivant l’avis d’inaptitude, la reprise du paiement du salaire s’imposait à l’employeur à compter du 20 avril 2018 en application des dispositions de l’article L.1226-4 du code du travail, l’exercice d’un recours contre l’avis du médecin ne dispensant par l’employeur de ce paiement.
En effet, la cour d’appel par arrêt du 27 février 2020 a condamné l’employeur à titre provisionnel au paiement de la somme de 51 723 euros pour la période du 20 avril 2018 au 20 janvier 2020.
Puis arrêt du 2 septembre 2021 la cour d’appel a condamné l’employeur à titre provisionnel au paiement de la somme de 7 905 euros pour la période du 20 janvier 2020 au 24 avril 2020.
Il sera donc fait droit à cette demande, et le jugement du conseil de prud’hommes sera confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à verser à la salariée la somme totale de 59 628 euros outre celle de 5 962 euros à titre de rappel de salaire du 20 avril 2018 au 24 avril 2020.
Il convient également de retenir que le défaut de paiement spontané des salaires pendant deux années caractérise un manquement de l’employeur, la régularisation n’étant pas intervenue du fait de l’employeur et bien après le licenciement.
S’agissant du défaut de paiement du ’13ème mois’, la salariée sollicite le paiement de la somme de 926,46 euros correspondant au demi mois qu’elle devait percevoir en décembre 2017, ayant perçu l’autre moitié le mois précédent.
L’employeur ne conteste pas le versement d’une prime de fin d’année mais soutient qu’elle ne correspond qu’à un demi-mois de salaire en invoquant les bulletins de paye de la salariée de novembre 2016 et 2017.
Il se déduit des écritures des parties que cette prime est appelée ‘ 13ème mois’ par la salariée laquelle a perçu la somme de 926,46 euros à titre de ‘prime annuelle de 50%’ en novembre 2016 mais également la même somme en décembre 2016 intitulée ‘ prime annuelle solde’ sur le bulletin de paye.
Dès lors, l’employeur indique à tort que cette prime est calculée sur la base de 50 % du salaire.
La salariée peut donc prétendre au paiement d’un mois complet de salaire au titre de la prime conformément à l’usage en cours, le contrat de travail de la salariée n’ étant pas produit au dossier. L’employeur lui reste donc redevable d’un complément qui s’élève à 50 % du salaire mensuel brut.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur au paiement du solde de prime dit ’13ème mois’ qui s’élève à la somme de 926,46 euros, ce défaut de paiement constituant un manquement de l’employeur.
S’agissant des tickets restaurant, c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu que la salariée n’établit pas avoir bénéficié de tickets de restaurant préalablement au transfert de son contrat de travail le 4 février 2016 et elle ne peut donc pas s’en prévaloir pour réclamer un rappel à ce titre, le jugement étant confirmé de ce chef. Aucun manquement de l’employeur n’est donc établi à ce titre.
Dès lors, Mme [K] établit que l’employeur a manqué à son obligation de reprise du paiement des salaires un mois après l’avis d’inaptitude et de paiement du solde de la prime annuelle en 2017.
En définitive, la cour a retenu comme établis le harcèlement moral et le défaut de reprise de paiement des salaires, pendant deux années, et du solde de la prime 2017.
Ces manquements de l’employeur à ses obligations sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. L’un des manquements étant constitué du harcèlement moral à l’égard de la salariée, la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul, le jugement étant confirmé de ce chef.
Ajoutant au jugement, qui aseulement dit le licenciement nul, il convient de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail au 17 avril 2020, date de notitification à la salariée du licenciement pour inaptitude.
Sur les conséquences pécuniaires du licenciement nul
Sur l’indemnité compensatrice de préavis
Mme [K] a droit à une indemnité compensatrice de préavis, qui doit être fixée en considération des sommes qu’elle aurait perçues si elle avait travaillé durant le préavis.
D’ailleurs, dans son arrêt du 2 septembre 2021 la cour d’appel a retenu que la société Marceau 9201 a reconnu devoir la somme de 3 854 euros au titre des congés payés ainsi que la somme de 16 300 euros au titre de l’indemnité de licenciement.
Cette décision ayant condamné l’employeur à titre provisionnel, il convient donc de confirmer le jugement à ce titre.
Sur l’origine professionnelle de l’inaptitude et l’indemnité spéciale de licenciement
Mme [K], en cause d’appel, fait valoir que son inaptitude résulte du comportement de l’employeur compte tenu du harcèlement moral subi et dont il est à l’origine de sorte qu’elle peut prétendre au doublement de l’indemnité légale de licenciement.
L’employeur réplique que cette indemnité de licenciement a déjà été versée à la salariée et qu’elle n’a plus lieu d’être.
En application des dispositions de l’article L. 1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail ouvre droit pour le salarié à une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis prévue à l’article L.1234-5 ainsi qu’à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité prévue par l’article L. 1234-9.
Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement (Soc., 9 mai 1995, pourvoi n°91-44.918, Bulletin 1995 V No 148 ; Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n°17-21.654).
Il appartient au salarié d’établir que l’inaptitude a une origine partiellement professionnelle et que l’employeur en était informé à la date du licenciement (Soc., 30 novembre 2016, pourvoi n° 15-17.751, 15-16.752).
C’est à la date de la rupture du contrat de travail qu’il faut se placer pour savoir si l’employeur pouvait avoir connaissance de l’origine professionnelle de l’inaptitude au travail ( cf. Cass. soc., 23 nov. 2010, n° 09-42.364 -Cass. soc., 8 sept. 2021, n° 20-14.235).
Enfin, en l’absence de caractérisation d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, le salarié n’a pas droit aux indemnités prévues par les articles L.1226-14 et L.1226-15 du code du travail, même si l’inaptitude résulte d’un manquement à l’obligation de sécurité ou d’un harcèlement moral ( cf Soc., 14 septembre 2022, pourvoi n° 21-11.278).
Au cas particulier, le médecin du travail n’a pas indiqué si l’inaptitude avait une origine professionnelle dans son avis d’inaptitude du 20 mars 2018 et Mme [K] n’a pas saisi la caisse primaire d’assurance maladie d’une demande de reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
La salariée se contente d’invoquer le harcèlement moral comme élément permettant de reconnaître le caractère professionnel de la maladie sans développer davantage son argumentation et elle ne produit aucune pièce au dossier.
Il appartient à la salariée d’établir que l’inaptitude a une origine partiellement professionnelle et que l’employeur en était informé à la date du licenciement, ce qu’elle ne fait pas, de sorte qu’il ne sera pas fait droit à sa demande de reconnaissance de l’origine professionnelle de l’inaptitude.
Ajoutant au jugement, il conviendra en conséquence de débouter la salariée de sa demande de condamnation de l’employeur au paiement de l’indemnité spéciale de licenciement.
Sur l’indemnité légale de licenciement
La salariée est fondée à solliciter une indemnité légale de licenciement, ce qui n’est pas contesté comme indiqué précédemment en ce que la société Marceau 9201 a reconnu devant la cour d’appel être redevable de cette somme.
Il conviendra donc de confirmer le jugement qui a condamné l’employeur de Mme [K] à lui verser la somme de 21 346 euros de ce chef.
Sur l’indemnité pour licenciement nul
La salariée peut prétendre à une indemnité pour licenciement nul en application des dispositions de l’article L. 1235-3-1 du code du travail selon lequel cette indemnité ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Eu égard à l’ancienneté de la salariée ( 28 ans), à son niveau de rémunération ( 2 463 euros bruts), de son âge au jour du présent arrêt ( 57 ans), de son état de santé, des conditions de la rupture et de ce qu’elle ne justifie pas de sa situation professionnelle et financière depuis 17 avril 2020, date du licenciement, il y a lieu de condamner l’employeur à payer à Mme [K] la somme de 22 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul, et d’infirmer le jugement de ce chef.
Les dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail permettent, dans le cas d’espèce, le licenciement de Mme [K] étant nul, d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur des indemnités chômage qui seront éventuellement perçues par l’intéressée, dans la limite de trois mois d’indemnités.
Sur les congés payés déduits en juin 2018
Les premiers juges ont retenu à juste titre à la lecture du bulletin de paye du mois de juin 2018 de la salariée que l’employeur n’a pas opéré une déduction au titre des congés payés et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les dommages-intérêts pour remise tardive des documents sociaux
Il est établi que la société Alma 9201 a renseigné le 24 avril 2020, quelques jours après le licenciement, la fiche destinée à France Travail, alors encore dénommée Pôle Emploi ET les documents de fin de contrat sont quérables.
La cour relève que la salariée a ensuite disposé de titres exécutoires résultant des condamnation de l’employeur au paiement des indemnités de rupture, décisions rendues à titre provisoire de sorte que la présente décision sera déterminante pour établir le solde de tout compte.
Enfin, la cour relève que Mme [K] s’estime désormais remplie de ses droits au titre de la remise des documents sociaux n’ayant pas sollicité la confirmation de la décision du conseil de prud’hommes qui a ordonné la remise d’une attestation Pôle Emploi conforme au jugement et un certificat de travail.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Marceau 9201 à payer la somme de 750 euros à Mme [K] au titre de sa demande de dommages-intérêts pour remise tardive des documents sociaux.
Sur les condamnations en deniers ou quittances
Les premiers juges ont condamné la société Marceau 9201à verser à Mme [K] les indemnités de rupture déjà allouées à titre provisionnel en deniers et quittances et qui ont été précédemment confirmées par la présente décision.
Par note en cours de délibéré autorisée lors de l’audience, le conseil de la salariée a communiqué les chefs de demandes qui peuvent être prononcés en deniers ou quittances, l’employeur l’invoquant uniquement lors de sa plaidoirie mais ne l’ayant pas indiqué dans le dispositif de ses conclusions, ce qui n’est pas le cas de Mme [K] qui l’a précisé dans le dispositif de ses conclusions.
La cour n’est donc pas saisie d’une demande de confirmation du jugement par l’employeur de la décision qui a prononcé une partie des condamnations en deniers et quittances.
En outre, en raison du nombre de décisions rendues et pour éviter toute erreur, sachant que les comptes seront effectués par lecture de toutes les décisions précédemment rendues et en fonction des sommes déjà versées par la société à Mme [K], les présentes condamnations ne seront pas prononcées en deniers et quittances, la société ne l’ayant pas sollicité à titre subsidiaire.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et condamner la société Marceau 9201 aux dépens d’appel.
Il paraît inéquitable de laisser à la charge de Mme [K] l’intégralité des sommes avancées par elle et non comprises dans les dépens. Il lui sera alloué la somme de 2 800 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel et l’employeur sera débouté de sa demande à ce titre.
La cour, statuant par arrêt contradictoire dans les limites de sa saisine, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu’il annule l’avertissement du 16 janvier 2018, dit le licenciement nul, condamne la société Marceau 9201 à verser à Mme [K] les sommes de 5 200 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 520 euros de congés payés afférents, 21 346 euros à titre d’indemnité légale de licenciement, 3 854euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés, 59 628 euros de rappel de salaires et 5 962 euros de congés payés afférents, 926,46 euros à titre du solde du 13ème mois outre 92,64 euros de congés payés, en ce qu’il déboute Mme [K] de ses demande de dommages-intérêts au titre des tickets restaurant, au titre de la sanction injustifiée, de rappel de salaire au titre des congés payés déduits en juin 2018, en ce qu’il condamne la société Marceau 9201 à verser à Mme [K] 1 200 euros à titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et l’a déboutée de sa demande à ce titre,
L’INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [K] avec la société Marceau 9201 à la date du 17 avril 2020,
CONDAMNE la société Marceau 9201 à verser à Mme [K] les sommes suivantes :
– 22 000 euros d’indemnité pour licenciement nul,
– 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
ORDONNE d’office par la société Marceau 9201 le remboursement aux organismes concernés des indemnités chômage qui seront éventuellement perçues par Mme [K] dans la limite de trois mois d’indemnités,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la société Marceau 9201 à verser à Mme [K] la somme de 2 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Marceau 9201 aux dépens de première instance et d’appel.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Aurélie Prache, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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La Greffière La Présidente