Responsabilité de l’employeur en matière de sécurité au travail : la reconnaissance d’une faute inexcusable suite à un accident de travail.

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Responsabilité de l’employeur en matière de sécurité au travail : la reconnaissance d’une faute inexcusable suite à un accident de travail.

Contexte de l’accident

Le 21 juillet 2020, Monsieur [V] [F], employé de la société [5], a subi un accident du travail lors de la fermeture d’un portail, qui est tombé sur son pied, entraînant un « arrachement osseux face sup cuboïde gauche ». La société a déclaré l’accident à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme, qui a reconnu son caractère professionnel.

Indemnisation et contestation du taux d’incapacité

Monsieur [V] [F] a été indemnisé jusqu’au 28 février 2022, date de la Jonction de son état, avec un taux d’incapacité permanente (IPP) initialement fixé à 20 %. Contestant ce taux, il a saisi la Commission Médicale de Recours Amiable, puis le Tribunal Judiciaire de Clermont-Ferrand, qui a finalement fixé son IPP à 30 %, dont 5 % à titre socio-professionnel.

Demande de reconnaissance de faute inexcusable

Le 24 mai 2023, Monsieur [V] [F] a demandé à la CPAM d’engager une procédure de conciliation pour faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, sans succès. Il a donc saisi le Tribunal le 13 février 2024 pour obtenir cette reconnaissance, ainsi que des demandes d’expertise médicale et de provision.

Arguments de Monsieur [V] [F]

Monsieur [V] [F] soutient que la société [5] a manqué à ses obligations de sécurité en ne maintenant pas le portail, ce qui a contribué à l’accident. Il cite des articles du Code du travail qui imposent à l’employeur d’évaluer les risques et d’assurer la sécurité des équipements. Une enquête de l’inspection du travail a révélé l’absence de maintenance sur le portail, renforçant son argumentation.

Réponse de la société [5]

La société [5] conteste la reconnaissance de la faute inexcusable, affirmant qu’elle n’avait pas conscience d’un danger lié au portail. Elle souligne qu’aucun procès-verbal d’infraction n’a été établi par l’inspection du travail et que les employés n’avaient signalé aucune défectuosité. Elle argue que l’accident a permis de prendre conscience des risques, entraînant des mesures correctives.

Décision du Tribunal

Le Tribunal a reconnu la faute inexcusable de la société [5], soulignant qu’elle avait conscience des risques liés à la manipulation du portail et n’avait pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses employés. Il a fixé la majoration de la rente à son maximum et ordonné une expertise médicale pour évaluer les préjudices subis par Monsieur [V] [F].

Conséquences financières et expertises

La CPAM du Puy-de-Dôme devra avancer les frais d’expertise et verser une provision de 3 000 € à Monsieur [V] [F]. La société [5] a été condamnée à payer 900 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Le Tribunal a réservé les dépens et a rappelé aux parties leur droit d’appel.

Questions / Réponses juridiques :

 

Quelle est la définition de la faute inexcusable de l’employeur en matière d’accident du travail ?

La faute inexcusable de l’employeur est définie par le Code du travail, notamment dans l’article L452-1, qui stipule que l’employeur est responsable des accidents du travail survenus à ses salariés lorsqu’il a commis une faute inexcusable.

Cette faute est caractérisée lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

La jurisprudence, notamment la décision de la 2ème chambre civile du 8 octobre 2020 (n°18-26.677), précise que le manquement à l’obligation de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu constitue une faute inexcusable.

Ainsi, pour établir la faute inexcusable, il faut prouver que l’employeur avait connaissance du risque et qu’il n’a pas agi en conséquence.

Quels sont les droits de la victime d’un accident du travail en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ?

En cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, la victime d’un accident du travail a droit à plusieurs compensations. Selon l’article L452-3 du Code de la sécurité sociale, la victime peut prétendre à une majoration de sa rente d’incapacité permanente.

Cette majoration peut atteindre le taux maximum prévu par la loi. De plus, la victime peut demander la réparation de l’ensemble de ses préjudices, y compris les préjudices extra-patrimoniaux tels que les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique, et les frais d’aménagement de son logement ou de son véhicule.

Il est également prévu que les frais d’expertise pour évaluer ces préjudices soient avancés par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM), qui pourra ensuite récupérer ces montants auprès de l’employeur.

Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de sécurité au travail ?

Les obligations de l’employeur en matière de sécurité au travail sont clairement définies dans le Code du travail. L’article L4121-1 impose à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Cela inclut l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, ainsi que la mise en place de mesures de prévention adaptées.

L’article R4224-12 précise que les portes et portails doivent être entretenus et contrôlés régulièrement, et que des systèmes de sécurité doivent être installés pour prévenir les accidents.

En cas de manquement à ces obligations, l’employeur peut être tenu responsable en cas d’accident du travail, ce qui peut conduire à la reconnaissance d’une faute inexcusable.

Comment se déroule la procédure d’expertise médicale dans le cadre d’un accident du travail ?

La procédure d’expertise médicale dans le cadre d’un accident du travail est encadrée par le Code de la sécurité sociale. Lorsqu’une expertise est ordonnée, l’expert doit examiner la victime et évaluer les différents préjudices subis.

L’article R433-17 précise que la date de guérison ou de Jonction de l’accident est fixée par le médecin conseil de la CPAM, et cette date peut être contestée par l’assuré.

L’expert doit se prononcer sur plusieurs postes de préjudice, tels que le déficit fonctionnel temporaire et permanent, les souffrances endurées, le préjudice esthétique, et d’autres préjudices spécifiques.

Il est également prévu que les frais d’expertise soient avancés par la CPAM, qui pourra récupérer ces montants auprès de l’employeur.

L’expert doit remettre un rapport détaillé de ses constatations et conclusions, qui sera utilisé pour déterminer les indemnités dues à la victime.

 

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 décembre 2024
Tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand
RG n° 24/00106
Jugement du : 12/12/2024

N° RG 24/00106 –
N° Portalis DBZ5-W-B7I-JND2

CPS

MINUTE N° :

M. [V] [F]

CONTRE

S.A. [5]

CPAM DU PUY-DE-DOME

Copies :

Dossier
[V] [F]
S.A. [5]
la SCP BORIE & ASSOCIES
la SELARL CABINET ABDOU
CPAM DU PUY-DE-DOME

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CLERMONT-FERRAND
Pôle Social
Contentieux Général

LE DOUZE DECEMBRE DEUX MIL VINGT QUATRE

dans le litige opposant :

Monsieur [V] [F]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Julie-Eléna NIELS de la SCP BORIE & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND,

DEMANDEUR

ET :

S.A. [5]
[Adresse 2]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Me Valéry ABDOU de la SELARL CABINET ABDOU, avocats au barreau de LYON, suppléé par Me Fabienne SERILLANGE de la SCP TREINS-POULET-VIAN & ASSOCIES, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND,

DEFENDERESSE

CPAM DU PUY-DE-DOME
63031 CLERMONT FERRAND CEDEX 9
représentée par Mme [U] [G], munie d’un pouvoir,

PARTIE INTERVENANTE

LE TRIBUNAL,

composé de :

Cécile CHERRIOT, Vice-Présidente près le Tribunal judiciaire de CLERMONT- FERRAND, chargée du Pôle Social,
Sandrine OLIVIER, Assesseur représentant les employeurs,
Anthony GOYOT, Assesseur représentant les salariés,

assistés de Marie-Lynda KELLER, greffière, lors des débats et lors de la mise à disposition de la présente décision.

*

Après avoir entendu les conseils des parties à l’audience publique du 17 octobre 2024 et les avoir avisés que le jugement serait rendu ce jour par mise à disposition au greffe, le tribunal prononce le jugement suivant :

EXPOSE DU LITIGE

Le 22 juillet 2020, la société [5], employeur de Monsieur [V] [F], a souscrit une déclaration d’accident du travail qui a eu lieu le 21 juillet 2020, assortie d’un certificat médical initial daté du même jour faisant état d’un “arrachement osseux face sup cuboïde gauche”.

La Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme a reconnu d’emblée le caractère professionnel de l’accident ainsi déclaré le 15 septembre 2020.

Monsieur [V] [F] a été indemnisé jusqu’au 28 février 2022, date de la Jonction de son état de santé. Une rente lui a alors été allouée sur la base d’un taux d’incapacité permanente de 20 %.

Monsieur [V] [F] a contesté ce taux devant la Commission Médicale de Recours Amiable (CMRA) puis devant le Pôle social du Tribunal Judiciaire de Clermont-Ferrand. Par jugement du 6 février 2024, cette juridiction a finalement fixé le taux d’IPP de Monsieur [V] [F] à 30 % dont 5 % à titre socio-professionnel.

En parallèle, Monsieur [V] [F] a, par courrier daté du 24 mai 2023, demandé à la CPAM du Puy-de-Dôme de diligenter, à l’encontre de son employeur, la procédure de conciliation en vue de faire reconnaître la faute inexcusable de celui-ci : en vain.

Par requête adressée le 13 février 2024, Monsieur [V] [F] a donc saisi le présent Tribunal d’une action tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Monsieur [V] [F] demande au Tribunal :
– de dire et juger que l’accident du travail dont il a été victime le 21 juillet 2020 procède de la faute inexcusable de la société [5],
– de faire droit à sa demande de majoration au taux maximum de la rente qui lui est servie,
– d’ordonner, avant dire droit, une expertise médicale, afin, notamment, de fixer sa date de Jonction et de déterminer ses préjudices (préjudice d’agrément, souffrances physiques et morales endurées avant et après Jonction, préjudice esthétique temporaire et/ou définitif, frais de logement et/ou de véhicule adaptés, préjudice professionnel, assistance par tierce personne avant Jonction, préjudice sexuel, déficit fonctionnel permanent),
– de lui allouer une provision de 5 000 €,
– de dire que la caisse fera l’avance des fonds,
– de déclarer le jugement à intervenir commun à la CPAM du Puy-de-Dôme,
– de condamner la société [5] au paiement d’une somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Il expose qu’il a été engagé comme chef de secteur dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à compter du 7 janvier 2002 et, qu’au dernier état de sa relation de travail, il était chef du secteur jardinerie. Il a été victime d’un accident du travail le 21 juillet 2020 dans les circonstances suivantes : alors qu’il procédait à la fermeture du portail du bâtiment de l’entreprise, il a vu son pied écrasé par la chute de ce portail. Le médecin du travail l’a déclaré inapte le 2 mars 2022 et il a fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude le 23 mai 2022.
Il rappelle alors qu’aux termes de l’article R4224-12 du code du travail, les portes et portails doivent être entretenus et contrôlés régulièrement et qu’aux termes de l’article L4121-3 du même code, l’employeur doit évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations. Il relève que, suite à son accident du travail, une enquête a été diligentée par l’inspection du travail, laquelle a mis en exergue l’absence de toute maintenance sur les portails ; ce qui, selon lui, a contribué à la survenance de l’accident. Il précise que l’inspectrice du travail a également relevé l’absence, dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), de mention quant à la manipulation et à l’entretien des portails. Il estime donc qu’en raison de cette omission, toute mesure permettant de prévenir le risque (qui s’est finalement réalisé) était absente ; ce qui, d’après lui, matérialise la conscience du danger qu’aurait dû avoir l’employeur puisque le recours à un contrôle et à une maintenance réguliers constituaient un moyen efficace de prévenir le risque de chute ou d’effondrement du portail. Il constate d’ailleurs que, suite à son accident, le DUERP a été modifié et prévoit, désormais, la mise en place d’un contrat de maintenance sur les portails. Il affirme, en outre, que la société [5] s’est volontairement soustraite aux obligations légales qui étaient les siennes quant à l’entretien du portail dans la mesure où l’article R4224-12 du code du travail prévoit que toutes les portes et les portails doivent être entretenus et contrôlés régulièrement et relève que les vérifications apportées sur le matériel dont se prévaut son employeur ne sont intervenues, pour la première fois, que deux ans après son accident. Il considère, par conséquent, qu’il est établi que son employeur aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

La société [5] demande au Tribunal :
– A titre principal,
* de dire et juger qu’elle ne pouvait avoir conscience d’un quelconque danger,
* en conséquence, de débouter Monsieur [V] [F] de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable,
– A titre subsidiaire,
* de dire et juger que le taux d’IPP qui lui est opposable sera le taux initialement notifié, soit 20 % ou le taux revu à la baisse en cas de contestation par elle,
* de débouter Monsieur [V] [F] de sa demande d’indemnité provisionnelle et, subsidiairement, de la ramener à de plus justes proportions,
* de réduire à de plus justes proportions la somme accordée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait, tout d’abord, remarquer que l’inspectrice du travail, qui s’est pourtant déplacée sur les lieux, n’a établi aucun procès-verbal d’infraction à son encontre ; ce qui permet de considérer que sa responsabilité ne peut être automatiquement engagée puisqu’aucun manquement grave n’a été relevé. Elle en déduit que Monsieur [V] [F] n’est pas fondé à se prévaloir du courrier de cette inspectrice du travail pour tenter de caractériser une conscience du danger. Elle précise, en outre, que malgré la manipulation quotidienne du portail par ses salariés, aucune information n’a été portée à sa connaissance sur les défectuosités qui auraient pu exister sur la structure. Elle en déduit qu’elle ne pouvait avoir conscience du risque que ce portail puisse se dégonder lors de sa manipulation.
Elle considère, par ailleurs, que Monsieur [V] [F] est mal fondé à invoquer l’absence de matérialisation du risque dans le DUERP puisque, selon elle, l’absence de mention relative aux risques liés à la manipulation du portail permettent justement de démontrer que l’employeur n’avait pas et ne pouvait pas avoir conscience d’un quelconque danger. Elle affirme ainsi que l’accident lui a permis de prendre connaissance des risques liés à cette manutention puisqu’elle a, par la suite, procédé aux réparations d’usage, mis en place un contrat de maintenance sur tous les portails et mis à jour le DUERP en intégrant la manutention manuelle du “portail bâti/jardin”.
Elle relève enfin que c’est la conscience du danger qui motive les mesures de sécurité. Or, dans la mesure où elle ne pouvait pas avoir conscience du risque concernant ce portail, il ne peut lui être reproché d’avoir manqué à son obligation de mettre en place des mesures de prévention autres que celles applicables par ailleurs. Elle déduit de l’ensemble de ces éléments qu’elle n’a commis aucune faute inexcusable.

La CPAM du Puy-de-Dôme s’en remet à droit quant au fond et quant aux quantum. Elle sollicite la condamnation de l’employeur à régler le montant des préjudices extra-patrimoniaux. Elle demande également qu’il soit précisé que, conformément à l’article L452-3 3ème alinéa, elle procédera à l’avance de ces derniers sur demande et en récupérera le montant auprès de l’employeur.

Il est fait référence aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens ; celles-ci les ayant reprises oralement lors de l’audience du 17 octobre 2024.

MOTIFS

Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur en vertu des articles L4121-1 et L 4121-2 du Code du travail a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (2ème chambre civile 08 octobre 2020 n°18-26.677).

En l’espèce, Monsieur [V] [F] a été victime d’un accident du travail le 21 juillet 2020 dans les circonstances suivantes : “il fermait le portail du bâti. Le portail est tombé” sur son pied. Le certificat médical initial établi le jour même par le service des urgences du Pôle Santé République fait état d’un “arrachement osseux face sup cuboïde gauche” ; ce qui est tout à fait compatible avec les circonstances de l’accident telles que décrites dans la déclaration d’accident du travail.

Il convient alors de noter que la société [5] ne remet en cause ni les circonstances de cet accident ni la matérialité de celui-ci. Il ressort même du courrier de Madame [Y], inspectrice du travail (pièce 9 du demandeur), que l’employeur lui a expliqué que l’accident du 21 juillet 2020 : “était dû à la chute du portail côté livraisons, qui s’est dégondé et est tombé sur la cheville du salarié”.

Or, l’article L4321-1 du code du travail, qui se situe dans la quatrième partie législative du code du travail relative à la santé et à la sécurité au travail, dispose que : “Les équipements de travail et les moyens de protection mis en service ou utilisés dans les établissements destinés à recevoir des travailleurs sont équipés, installés, utilisés, réglés et maintenus de manière à préserver la santé et la sécurité des travailleurs, y compris en cas de modification de ces équipements de travail et de ces moyens de protection”.

De même, l’article R4224-11 du code du travail, qui se situe dans la quatrième partie règlementaire du code du travail relative à la santé et à la sécurité au travail, prévoit que “les portes et les portails coulissants sont munis d’un système de sécurité les empêchant de sortir de leur rail et de tomber”. L’article R4224-12 du même code précise, quant à lui, que “Les portes et portails sont entretenus et contrôlés régulièrement” et que “Lorsque leur chute peut présenter un danger pour les travailleurs, notamment en raison de leurs dimensions, de leur poids ou de leur mode de fixation, la périodicité des contrôles et les interventions sont consignées dans le dossier prévu à l’article R4224-17″.

Il est alors indéniable qu’en sa qualité d’employeur et que, compte tenu, de l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle elle est tenue, la société [5] ne pouvait ignorer l’existence de ces diverses dispositions, et, plus particulièrement, les dispositions relatives aux portes et portails. Elle avait donc conscience que la manipulation des portails, et notamment du portail litigieux, constituait un risque pour la santé et la sécurité de ses salariés. Dès lors, il lui appartenait, conformément aux obligations mises à sa charge par le code du travail, de veiller à ce que ces portails soient munis d’un système de sécurité les empêchant de sortir de leur rail et de tomber et de veiller à ce qu’ils soient entretenus et contrôlés régulièrement ; d’autant que le portail litigieux était situé “côté livraisons” et était donc manipulé quotidiennement.

Or, il ressort du contrôle opéré par l’inspection du travail (pièce 9 du demandeur), et notamment de l’analyse du DUERP, qu’en 2019, le risque lié à la manipulation des portails n’était pas évalué et que la mise en place d’un contrat de maintenance sur les portails, et, par conséquent, la mise en place d’un entretien et d’un contrôle réguliers, n’a été envisagée qu’à compter de 2022, soit deux ans après l’accident de Monsieur [V] [F]. En outre, il s’avère que ces éléments sont confirmés par l’analyse même des pièces de la défenderesse.

Il est donc démontré que, malgré sa connaissance du risque lié à la manipulation du portail litigieux, la société [5] n’a pris aucune mesure pour préserver la santé et la sécurité de son salarié.

Une faute inexcusable à la charge de la société [5] se trouve ainsi caractérisée. Monsieur [V] [F] est donc en droit de prétendre à la majoration maximale de la rente prévue par la loi. La CPAM du Puy-de-Dôme devra alors régler cette majoration à Monsieur [V] [F] mais ne pourra récupérer le montant de celle-ci auprès de la société [5] qu’à hauteur du taux définitivement opposable à cette dernière, soit le taux de 20 % notifié le 10 mai 2022 ; aucune pièce de la procédure ne permettant de démontrer que l’employeur a également contesté ce taux devant la juridiction de sécurité sociale.

Monsieur [V] [F] est également fondé à solliciter la réparation des différents préjudices envisagés par l’article L452-3 du code de la sécurité sociale. Il conviendra, pour ce faire, d’ordonner, avant dire droit, une expertise médicale.

Il est alors de jurisprudence constante en la matière que, dès lors qu’un préjudice est déjà couvert par le livre IV du Code de la sécurité sociale, même forfaitairement, il ne peut plus faire l’objet d’une réparation complémentaire. Il conviendra par conséquent d’inviter l’expert à se prononcer sur les seuls postes de préjudice suivants : déficit fonctionnel temporaire partiel et total, souffrances endurées pendant la maladie traumatique, préjudice esthétique temporaire et/ou permanent, préjudice d’agrément, préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle, assistance tierce personne avant Jonction, préjudice sexuel et éventuels frais d’aménagement du logement et du véhicule, préjudice d’établissement, préjudice permanent exceptionnel et déficit fonctionnel permanent (Assemblée Plénière de la Cour de cassation du 20 janvier 2023 – pourvois n° 20-23.673 et 21-23.947).

En revanche, il ne sera pas demandé à l’expert de se prononcer sur la date de Jonction. En effet, il résulte des dispositions de l’article R433-17 du code de la sécurité sociale qu’il appartient au médecin conseil de la caisse primaire de fixer la date de guérison ou de Jonction de l’accident ; cette date pouvant être contestée par l’assuré dans le cadre d’une procédure spécifique. Or, en l’occurrence, le médecin conseil de la CPAM du Puy-de-Dôme a fixé la date de Jonction de l’accident au 28 février 2022 et Monsieur [V] [F] n’a pas contesté cette décision. Cette date de Jonction est donc définitive.

Il est par ailleurs de jurisprudence constante en la matière qu’aux termes de l’article L452-3 du code de la sécurité sociale, les frais de l’expertise ordonnée en vue de l’évaluation des chefs de préjudice subis par la victime d’un accident du travail dû à la faute inexcusable de l’employeur, sont avancés par la caisse qui en récupère le montant auprès de celui-ci.

Il conviendra, par conséquent, de dire que la CPAM du Puy-de-Dôme fera l’avance des frais d’expertise et devra consigner à la Régie du Tribunal une provision de 900 € T.T.C avant le 31 janvier 2025. Elle pourra alors récupérer le montant de cette avance auprès de l’employeur, la société [5].

Au regard des séquelles que présente Monsieur [V] [F] une provision de 3 000 € lui sera allouée.

La CPAM du Puy-de-Dôme fera également l’avance du paiement de cette provision et des préjudices complémentaires à Monsieur [V] [F] et en récupérera le montant auprès de l’employeur, la société [5].

L’action de Monsieur [V] [F] est fondée et il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’il a dû exposer. Il conviendra, par conséquent, de condamner la société [5] à lui payer la somme de 900 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de la mesure d’expertise, les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant après débats publics, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au greffe,

DIT que l’accident du travail dont Monsieur [V] [F] a été victime le 21 juillet 2020 procède de la faute inexcusable de son employeur la société [5],

FIXE au maximum la majoration de rente à laquelle peut prétendre Monsieur [V] [F],

DIT que la CPAM du Puy-de-Dôme réglera la majoration à Monsieur [V] [F] et ne pourra récupérer le montant de celle-ci auprès de l’employeur, la société [5], qu’à hauteur du taux définitivement opposable à cet employeur, soit 20 %,

AVANT DIRE DROIT sur les préjudices envisagés par l’article L452-3 du code de la sécurité sociale et par la jurisprudence, ordonne une expertise médicale ;

COMMET pour y procéder le Docteur [Z] [X] (à défaut le Docteur [T] [W]), expert inscrit sur la liste de la Cour d’Appel de Riom lequel aura pour mission :

* d’examiner Monsieur [V] [F], victime d’un accident du travail le 21 juillet 2020, et ce, dans le respect des textes en vigueur,

* se prononcer sur :
– le déficit fonctionnel temporaire total et partiel,
– les souffrances physiques et morales endurées par la victime pendant la maladie traumatique,
– le préjudice esthétique temporaire et/ou permanent,
– le préjudice d’agrément,
– le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle,
– le déficit fonctionnel permanent (celui-ci devant être chiffré, par référence au “Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaire en droit commun” et correspondant au taux imputable à l’accident, résultant de l’atteinte permanente d’une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la Jonction/guérison ; ce taux de déficit fonctionnel devant prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu’elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien après Jonction/guérison ; dans l’hypothèse d’un état antérieur préciser en quoi l’accident a eu une incidence sur celui-ci et décrire les conséquences de cette situation),
– l’assistance tierce personne avant Jonction,
– le préjudice sexuel,
– la nécessité d’aménager ou d’adapter le logement ou le véhicule,
– le préjudice d’établissement,
– le préjudice permanent exceptionnel,

AUTORISE l’expert à s’adjoindre tout technicien de son choix dans une spécialité autre que la sienne, sous réserve toutefois, que ce technicien fasse l’objet d’une désignation spéciale par ordonnance du Président de la formation de jugement,

DIT que l’expert commis pourra sur simple présentation de la présente décision requérir la communication, soit par les parties, soit par des tiers de tous documents relatifs à cette affaire,

DIT que l’expert commis, saisi par le greffe, devra accomplir sa mission en présence des parties ou elles dûment convoquées, les entendre en leurs dires et explications, en leur impartissant un délai de rigueur pour déposer leurs dires écrits et fournir leurs pièces justificatives,

DIT que l’expert rédigera, au terme de ses opérations un pré-rapport qu’il communiquera aux parties en les invitant à présenter leurs observations dans un délai maximum d’un mois ;

DIT que l’expert commis devra déposer rapport de ses opérations avant le 15 mai 2025, date de rigueur, sauf prorogation de ses opérations dûment autorisée par le Président de la formation de jugement,

DIT que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Puy-de-Dôme fera l’avance des frais d’expertise et devra consigner à la Régie du Tribunal une provision de 900 € T.T.C avant le 31 janvier 2025,

DIT qu’à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités imparties, la désignation de l’expert sera CADUQUE à moins que le juge, à la demande d’une des parties se prévalant d’un motif légitime, ne décide une prorogation du délai ou un relevé de la caducité,

DIT que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Puy-de-Dôme pourra récupérer le montant de cette consignation auprès de l’employeur, la société [5],

DIT qu’en cas de demande de consignation complémentaire, l’expert devra en aviser les parties dans les meilleurs délais dans la mesure du possible dès la première réunion d’expertise et sur la base d’un devis estimatif et chiffré, et qu’il devra par ailleurs nous justifier avoir lui-même préalablement circularisé cette demande de provision supplémentaire auprès des parties et de leurs conseils. Dit qu’il appartiendra à l’expert de suspendre ses opérations tant qu’il n’aura pas été avisé du versement effectif de ce complément,

ALLOUE à Monsieur [V] [F] une provision de 3 000 € (trois mille euros),

DIT que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Puy-de-Dôme réglera la provision et la réparation des préjudices complémentaires à Monsieur [V] [F] et en récupérera le montant auprès de l’employeur, la société [5],

CONDAMNE la société [5] à payer à Monsieur [V] [F] une somme de 900 € (neuf cents euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

RÉSERVE les dépens,

RAPPELLE que dans le mois de réception de la notification, chacune des parties intéressées peut interjeter appel par déclaration faite au greffe de la Cour d’Appel de RIOM, ou adressée par pli recommandé à ce même greffe. La déclaration d’appel doit être accompagnée de la copie de la décision.

En foi de quoi le présent jugement a été signé par la Présidente et la Greffière,

La Greffière La Présidente


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