Présentation de la société et du litigeLa société Transdev [Localité 6], spécialisée dans les transports routiers réguliers de voyageurs, emploie plus de 10 salariés et est régie par la convention collective des réseaux de transports publics urbains de voyageurs. M. [N] [J] a été engagé par la société Keolis [Localité 6] en tant que conducteur receveur, d’abord par un contrat à durée déterminée, puis par un contrat à durée indéterminée. En mars 2020, il a été placé en arrêt de travail pour maladie. Transfert de contrat et demande de congés payésEn avril 2023, Keolis a informé M. [J] du transfert de son contrat de travail à Transdev à partir d’août 2023. En octobre 2023, M. [J] a demandé un rappel de congés payés sur trois années, se basant sur une jurisprudence récente de la Cour de cassation. Transdev a refusé cette demande en novembre 2023. Procédure devant le conseil de prud’hommesM. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles en janvier 2024, demandant des rappels de congés payés, des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, ainsi que d’autres demandes accessoires. Transdev a demandé le rejet des prétentions de M. [J] et a formulé une demande reconventionnelle. Ordonnance du conseil de prud’hommesLe 22 mars 2024, le conseil de prud’hommes a déclaré recevables les demandes de M. [J], a constaté la prescription des sommes antérieures à janvier 2021, et a ordonné à Transdev de verser à M. [J] des sommes pour rappel de salaire et frais. Transdev a interjeté appel de cette décision. Conclusions des parties en appelTransdev a demandé à la cour de confirmer certaines parties de l’ordonnance tout en infirmant d’autres, notamment en contestant l’existence d’un trouble manifestement illicite. M. [J] a, quant à lui, demandé la confirmation de l’ordonnance et l’octroi de congés payés supplémentaires. Analyse des droits aux congés payésLa cour a examiné le droit de M. [J] à des congés payés durant son arrêt maladie, en se basant sur la jurisprudence de la Cour de cassation et les modifications législatives récentes. Elle a noté que, bien que M. [J] puisse acquérir des congés, il ne pouvait pas demander leur paiement tant que son contrat de travail était en cours. Décision de la cour d’appelLa cour a confirmé l’ordonnance du conseil de prud’hommes, sauf en ce qui concerne le rappel de salaire et les dommages-intérêts. Elle a ordonné à Transdev d’octroyer à M. [J] un report de 53,12 jours de congés payés, tout en rejetant sa demande de bulletin de paie rectifié et sa demande de provision sur dommages et intérêts. Les dépens ont été laissés à la charge de chaque partie. |
Questions / Réponses juridiques :
Quelles sont les conséquences de la prescription des demandes de M. [J] antérieures au 19 janvier 2021 ?La prescription des demandes de M. [J] antérieures au 19 janvier 2021 est régie par les dispositions du Code civil, notamment l’article 2224 qui stipule que « la durée de la prescription est de cinq ans pour les actions en paiement ». Dans le cas présent, le conseil de prud’hommes a jugé que toutes les sommes dues avant cette date étaient prescrites, ce qui signifie que M. [J] ne peut plus revendiquer ces montants. Cette décision est conforme à l’article L. 1471-1 du Code du travail, qui précise que « les actions en justice relatives aux relations de travail se prescrivent par deux ans ». Ainsi, M. [J] ne peut obtenir réparation que pour les sommes dues à partir du 19 janvier 2021, ce qui limite considérablement ses droits à des rappels de salaire ou de congés payés. Quels sont les droits de M. [J] concernant les congés payés acquis durant son arrêt maladie ?Les droits de M. [J] concernant les congés payés acquis durant son arrêt maladie sont encadrés par le Code du travail, notamment les articles L. 3141-3 et L. 3141-5. L’article L. 3141-3 stipule que « le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur ». Cependant, l’article L. 3141-5 précise que « sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé : (…) 5° Les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle ». Avant la loi du 24 avril 2024, les salariés ne pouvaient pas acquérir de congés payés durant un arrêt de travail pour maladie non professionnelle. Cependant, la jurisprudence de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 a élargi ce droit, permettant aux salariés en arrêt maladie d’acquérir des congés payés. Ainsi, M. [J] peut revendiquer des congés payés pour la période de son arrêt maladie, mais uniquement sous forme de report, et non de paiement, tant que son contrat de travail est en cours. Quelles sont les implications de la demande de M. [J] pour un bulletin de paie rectifié ?La demande de M. [J] pour un bulletin de paie rectifié est fondée sur l’article L. 3141-19-3 du Code du travail, qui impose à l’employeur de fournir des informations sur les congés payés au salarié après un arrêt de travail. Cet article stipule que « au terme d’une période d’arrêt de travail pour cause de maladie ou d’accident, l’employeur porte à la connaissance du salarié, dans le mois qui suit la reprise du travail, les informations suivantes, par tout moyen conférant date certaine à leur réception, notamment au moyen du bulletin de paie : 1° Le nombre de jours de congé dont il dispose ; 2° La date jusqu’à laquelle ces jours de congé peuvent être pris ». Dans le cas présent, M. [J] n’ayant pas repris le travail, la société Transdev n’est pas tenue de lui remettre un bulletin de paie rectifié. La cour a donc débouté M. [J] de sa demande, soulignant que le nombre de jours de congés payés acquis évoluera tant que l’arrêt de travail se poursuivra. Ainsi, la demande de M. [J] pour un bulletin de paie rectifié est prématurée tant qu’il reste en arrêt maladie. Quels sont les critères pour établir un trouble manifestement illicite dans le cadre de la demande de M. [J] ?Le trouble manifestement illicite est défini par l’article R. 1455-6 du Code du travail, qui permet au juge des référés de prescrire des mesures conservatoires pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Pour établir un tel trouble, il faut démontrer que l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable et que le comportement de l’employeur cause un préjudice immédiat au salarié. Dans le cas de M. [J], le conseil de prud’hommes a considéré que l’absence de versement des salaires correspondant à ses congés payés durant son arrêt de maladie constituait un trouble manifestement illicite. Cependant, la cour a infirmé cette décision en précisant que, bien que M. [J] ait droit à des congés payés, le paiement de ceux-ci ne peut être exigé tant que son contrat de travail est en cours. Ainsi, le trouble manifestement illicite ne peut être retenu dans ce contexte, car la demande de M. [J] ne se heurte pas à une obligation sérieusement contestable. Quelles sont les conditions pour obtenir des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ?Pour obtenir des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, le salarié doit prouver que l’employeur a manqué à ses obligations contractuelles de manière fautive. L’article 1147 du Code civil stipule que « le débiteur est tenu de réparer le préjudice causé par son inexécution ». Dans le cas de M. [J], il a soutenu que la société Transdev avait fait preuve de mauvaise foi en le renvoyant vers la société Keolis pour des questions de paiement de congés payés. Cependant, la cour a jugé que l’existence d’une obligation à paiement de dommages et intérêts était sérieusement contestable, car la société Transdev respectait le Code du travail. De plus, M. [J] n’a pas établi de préjudice concret résultant de cette situation. Ainsi, pour obtenir des dommages et intérêts, il est essentiel de prouver la faute de l’employeur et le préjudice subi, ce qui n’a pas été le cas ici. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
Chambre sociale 4-2
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 12 DECEMBRE 2024
N° RG 24/01053 – N°��Portalis DBV3-V-B7I-WOKW
AFFAIRE :
S.N.C. TRANSDEV [Localité 6]
C/
[N] [J]
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 22 mars 2024 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES
N° Chambre :
N° Section : RE
N° RG : R24/00009
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Annie GULMEZ
Me William DE FREITAS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DOUZE DECEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
APPELANTE
S.N.C. TRANSDEV [Localité 6]
N° SIRET : 947 930 475
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Annie GULMEZ de la SELARL AAZ, avocat au barreau de MEAUX, vestiaire : 31
Substitué par : Me Nathalie KELYOR, avocat au barreau de MEAUX
INTIMÉ
Monsieur [N] [J]
né le 30 Août 1987 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me William DE FREITAS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 196
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 20 septembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés devant Madame Isabelle CHABAL, conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, présidente,
Madame Valérie DE LARMINAT, conseillère,
Madame Isabelle CHABAL, conseillère,
Greffière placée lors des débats : Madame Gaëlle RULLIER,
Greffière en préaffectation lors de la mise à disposition : Madame Victoria LE FLEM,
La société anonyme Transdev [Localité 6], dont le siège social est situé [Adresse 3], dans le département des [Localité 4], est spécialisée dans le secteur d’activité des transports routiers réguliers de voyageurs. Elle emploie plus de 10 salariés.
La convention collective applicable est celle des réseaux de transports publics urbains de voyageurs du 11 avril 1986.
M. [N] [J] a été engagé par la société Keolis [Localité 6] par contrat de travail à durée déterminée du 1er juin 2017 au 31 mars 2018, en qualité de conducteur receveur, avant que la relation se poursuive par la signature d’un contrat à durée indéterminée à compter du 1er avril 2018.
A compter du 19 mars 2020, M. [J] a été placé en arrêt de travail pour maladie.
Par courrier en date du 21 avril 2023, la société Keolis [Localité 6] a informé M. [J] de la perte de l’exploitation des lignes de bus sur lesquelles il exerçait et du transfert de son contrat de travail, à compter du 1er août 2023, à la future société Transdev [Localité 6], nouvelle exploitante.
Par courrier du 25 octobre 2023, M. [J] a adressé à la société Transdev [Localité 6] une demande de rappel de congés payés, rétroactivement sur trois années, en application d’une jurisprudence de la Cour de cassation du 13 septembre 2023.
Par courrier du 27 novembre 2023, la société Transdev [Localité 6] a déclaré ne pas pouvoir donner une suite favorable à la demande.
Par acte du 19 janvier 2024, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles en sa formation des référés des demandes suivantes :
– 5 572,31 euros bruts à titre de rappel de congés payés pour la période allant d’octobre 2021 à octobre 2023,
– 2 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
– 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société aux entiers dépens,
– exécution provisoire (art. 515 du code de procédure civile) du jugement (sic) à intervenir.
La société Transdev [Localité 6] avait, quant à elle, demandé que M. [J] soit débouté de ses prétentions et sollicité sa condamnation à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue le 22 mars 2024, la formation de référé du conseil de prud’hommes de Versailles a :
– dit que les demandes de M. [J] sont recevables,
– dit que toutes les sommes antérieures au 19 janvier 2021 sont prescrites,
– dit qu’il existe un trouble manifestement illicite,
– dit qu’il y a lieu à référé,
– ordonné à la société Transdev [Localité 6], prise en la personne de son représentant légal, de verser à M. [J] les sommes suivantes :
. 3 543,37 euros à titre de rappel de salaire pour la période allant du 19 janvier 2021 au 19 janvier 2024,
. 1 000 euros à titre (sic) de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté M. [J] du surplus de ses demandes,
– entendu la partie défenderesse en ses demandes ‘reconventionnelles’ mais l’en a débouté,
– ordonné l’exécution provisoire (articles 514 et 515 du code de procédure civile),
– condamné la société Transdev [Localité 6] aux entiers dépens.
La société Transdev [Localité 6] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 3 avril 2024.
L’affaire a fait l’objet d’une fixation à bref délai.
Par conclusions adressées par voie électronique le 19 juin 2024, la société Transdev [Localité 6] demande à la cour de :
1/ confirmer l’ordonnance rendue par le conseil de prud’hommes de Versailles en date du 22 mars 2024 en ce qu’elle :
. juge que toute somme antérieure au 19 janvier 2021 est prescrite,
. juge qu’il existe une contestation sérieuse quant à l’exécution déloyale du contrat de travail et que la demande de dommages et intérêts ne relève pas des pouvoirs du juge des référés,
. déboute par conséquent M. [J] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre,
2/ infirmer l’ordonnance pour le surplus,
et statuant à nouveau,
à titre principal,
– juger qu’il n’existe aucun trouble manifestement illicite,
– juger que les demandes de M. [J] se heurtent à des contestations sérieuses,
– juger qu’il n’y avait pas lieu à référé,
par conséquent,
– juger M. [J] mal fondé en ses demandes,
en conséquence,
– renvoyer M. [J] à mieux se pourvoir,
à titre subsidiaire,
– juger que M. [J] n’a pas droit à une indemnité compensatrice de congés payés à défaut de rupture de son contrat,
– juger qu’il n’a pu acquérir que 50 jours de congés supplémentaires pour la période allant de janvier 2022 à ce jour,
dans tous les cas,
– renvoyer le salarié à se mieux pourvoir,
– le débouter de toutes ses demandes,
– le débouter de sa demande reconventionnelle visant à voir condamner la société Transdev [Localité 6] à lui fournir un bulletin de paie rectifié mentionnant 56 jours supplémentaires,
– condamner M. [J] à (payer à) la société Transdev [Localité 6] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [J] aux entiers dépens.
Par conclusions adressées par voie électronique le 20 mai 2024, M. [J] demande à la cour de :
à titre principal,
– dire que la société Transdev (sic) est redevable envers M. [J] des congés payés cumulés depuis son arrêt maladie du 19 mars 2020 et en conséquence,
– confirmer l’ordonnance du 22 mars 2024 du conseil de prud’hommes de Versailles en ce qu’elle a :
. condamné la société Transdev [Localité 6] au paiement d’un rappel de salaire au titre des congés payés dus,
. condamné la société Transdev [Localité 6] à payer à M. [J] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
y ajoutant,
– condamner la société Transdev [Localité 6] à payer à M. [J] la somme actualisée de 6 807,36 euros bruts à titre de rappel de congés payés pour la période allant de janvier 2022 à mai 2024,
mais,
– infirmer l’ordonnance du 22 mars 2024 du conseil de prud’hommes de Versailles en ce qu’elle
a débouté M. [J] de sa demande tendant à la condamnation de la société Transdev (sic) à lui payer la somme de 2 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat,
statuant à nouveau,
– condamner la société Transdev (sic) à verser à M. [J] la somme de 2 000 euros net à titre de provision sur dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
à titre subsidiaire,
– dire que la société Transdev [Localité 6] doit octroyer à M. [J] 56 jours de congés payés pour la période allant de janvier 2022 à mai 2024,
– condamner la société Transdev [Localité 6] à remettre à M. [J] un bulletin de paie rectifié incluant les 56 jours de congés payés dus,
en tout état de cause,
– débouter la société Transdev [Localité 6] de l’intégralité de ses demandes,
– condamner la société Transdev [Localité 6] à payer à M. [J] la somme de 2 000 euros net au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
– condamner la société Transdev [Localité 6] aux entiers dépens.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
Par ordonnance rendue le 4 septembre 2024, le magistrat de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au vendredi 20 septembre 2024.
La cour relève qu’elle n’est pas saisie d’une demande d’infirmation de l’ordonnance rendue le 22 mars 2024 en ce qu’elle a déclaré prescrites les demandes portant sur des sommes dues antérieurement au 19 janvier 2021.
Il est rappelé, s’agissant des pouvoirs de la formation de référé :
– qu’en application des dispositions de l’article R. 1455-5 du code du travail, ‘dans tous les cas d’urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud’hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend’,
– qu’en application des dispositions de l’article R. 1455-6 du même code, ‘la formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite’,
– qu’en application des dispositions de l’article R. 1455-7 du même code, ‘dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire’.
Sur le rappel de congés payés
M. [J] expose qu’au jour où le conseil de prud’hommes a statué, le principe du cumul des congés payés par un salarié en arrêt maladie d’origine non professionnelle était acquis en vertu de la directive européenne de 2003 sur le temps de travail et des arrêts rendus par la Cour de cassation le 13 septembre 2023 mais que les modalités de ce droit n’étaient pas prévues par le législateur national, ce qui a été fait par la loi du 24 avril 2024. Il demande le bénéfice de 2 jours de congés payés par mois de maladie et, à titre principal confirmation de l’ordonnance de référé qui a condamné son employeur en paiement, en actualisant sa demande au mois de mai 2024, et à titre subsidiaire l’octroi de 56 jours de congés payés pour la période de référence.
La société Transdev [Localité 6] répond qu’au jour où l’ordonnance de référé a été rendue, les articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail ne prévoyaient l’acquisition de congés payés que durant les seules périodes d’arrêt du travail pour accident du travail ou maladie professionnelle ; que l’application du droit en vigueur ne pouvait être qualifiée de trouble manifestement illicite, d’autant que les dispositions susvisées du code du travail ont été déclarées conformes à la Constitution. Elle considère que la question de l’effet direct de la directive européenne de 2003 invoquée par M. [J] ne relève pas de l’évidence. Elle estime que M. [J] étant toujours en poste, il ne peut obtenir le paiement de ses jours de congés mais uniquement l’octroi de jours de congés supplémentaires. Elle calcule que, compte tenu de 6 jours de congés payés pris en janvier 2022, M. [J] ne peut obtenir que le report de 50 jours de congés payés.
Sur le principe du bénéfice de jours de congés payés
Dans leurs versions en vigueur au moment où le conseil de prud’hommes a été saisi et a statué, le code du travail disposait :
– en son article L. 3141-3 que ‘Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur’,
– en son article L. 3141-5 que ‘Sont considérés comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé : (…) 5° Les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle’.
Selon le droit français, les salariés ne pouvaient donc acquérir des congés payés pendant leurs arrêts de travail pour maladie non professionnelle et seuls les salariés dont le contrat de travail était suspendu en raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pouvaient acquérir des congés payés.
Cependant, la chambre sociale de la Cour de cassation, dans une série d’arrêts rendus le 13 septembre 2023, au regard de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne relative à la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail et en application de la protection juridique découlant de l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, a consacré le droit de tous les salariés en arrêt de travail pour maladie à acquérir des congés payés durant leur période d’absence.
Sur les modalités du bénéfice de jours de congés payés
La Cour de justice de l’Union européenne et la Cour de cassation retiennent que, pour assurer au salarié le bénéfice d’un repos effectif dans un souci de protection efficace de sécurité et de sa santé, la période minimale de congé annuel payé ne peut pas être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail (Cass. Soc., 22 septembre 2021, n°19-17.046).
Par ailleurs, la loi n°2024-364 du 22 avril 2024 a instauré :
– à l’article L. 3141-5 du code du travail un 7° aux termes duquel ‘Les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n’ayant pas un caractère professionnel’ sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé,
– l’article L. 3141-5-1 du même code qui dispose que ‘Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 3141-3, la durée du congé auquel le salarié a droit au titre des périodes mentionnées au 7° de l’article L. 3141-5 est de deux jours ouvrables par mois, dans la limite d’une attribution, à ce titre, de vingt-quatre jours ouvrables par période de référence mentionnée à l’article L. 3141-10.’,
– l’article L. 3141-19-1 du même code lequel dispose que ‘Lorsqu’un salarié est dans l’impossibilité, pour cause de maladie ou d’accident, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu’il a acquis, il bénéficie d’une période de report de quinze mois afin de pouvoir les utiliser.
Cette période débute à la date à laquelle le salarié reçoit, après sa reprise du travail, les informations prévues à l’article L. 3141-19-3.’,
– l’article L. 3141-19-2 du même code qui prévoit que ‘Par dérogation au second alinéa de l’article L. 3141-19-1, lorsque les congés ont été acquis au cours des périodes mentionnées aux 5° ou 7° de l’article L. 3141-5, la période de report débute à la date à laquelle s’achève la période de référence au titre de laquelle ces congés ont été acquis si, à cette date, le contrat de travail est suspendu depuis au moins un an en raison de la maladie ou de l’accident.
Dans ce cas, lors de la reprise du travail, la période de report, si elle n’a pas expiré, est suspendue jusqu’à ce que le salarié ait reçu les informations prévues à l’article L. 3141-19-3.’
L’article 37 II de ladite loi a prévu que : ‘II. – Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée ou de stipulations conventionnelles plus favorables en vigueur à la date d’acquisition des droits à congés, le 7° de l’article L. 3141-5, les articles L. 3141-5-1 et L. 3141-19-1 à L. 3141-19-3 et le 4° de l’article L. 3141-24 du code du travail sont applicables pour la période courant du 1er décembre 2009 à la date d’entrée en vigueur de la présente loi.
Toutefois, pour la même période, les congés supplémentaires acquis en application des dispositions mentionnées au premier alinéa du présent II ne peuvent, pour chaque période de référence mentionnée à l’article L. 3141-10 du code du travail, excéder le nombre de jours permettant au salarié de bénéficier de vingt-quatre jours ouvrables de congé, après prise en compte des jours déjà acquis, pour la même période, en application des dispositions du même code dans leur rédaction antérieure à la présente loi.
Toute action en exécution du contrat de travail ayant pour objet l’octroi de jours de congé en application du présent II doit être introduite, à peine de forclusion, dans un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.’
Il s’en déduit que si M. [J] peut obtenir le bénéfice du report des jours de congés payés acquis pendant sa période d’arrêt de travail pour maladie non professionnelle, dans la limite de 2 jours ouvrables par mois et de 24 jours par an, après prise en compte des jours déjà acquis pour la même période, il ne peut se voir payer lesdits jours de congés dès lors que son contrat de travail n’est pas rompu.
Le conseil de prud’hommes a retenu que l’absence de versement à [J] des salaires correspondant à ses congés payés pendant son arrêt de maladie constitue un trouble manifestement illicite et a condamné la société Transdev [Localité 6] à verser à M. [J] une somme de 3 543,37 euros à titre de rappel de salaire pour les congés payés acquis durant la période allant du 19 janvier 2021 au 19 janvier 2024.
Or, si la demande d’acquisition de congés payés par M. [J] durant son arrêt de maladie ne se heurte à aucune contestation sérieuse, de sorte que le juge des référés peut statuer sur la demande, elle ne peut donner lieu au paiement d’un rappel de salaire.
M. [J] sera donc débouté de sa demande de rappel de salaire pour cette période et pour la période supplémentaire courant jusqu’au mois de mai 2024, par infirmation de la décision entreprise.
Sur la période réclamée, il sera ordonné à la société Transdev [Localité 6] d’octroyer à M. [J] un report de 53,12 jours de congés payés, soit :
– au titre de l’année 2022 : 24 jours déduction faite de 2,88 jours acquis au titre de l’année en cause (solde 2021 : 3,62 jours ; 6 jours pris en janvier 2022, laissant un solde de 0,5 jour au titre de ce mois) = 21,12 jours,
– au titre de l’année 2023 : 24 jours,
– de janvier à mai 2024 : 8 jours conformément à la demande.
Sur la remise d’un bulletin de paie rectifié
M. [J] demande que son employeur soit condamné à lui remettre un bulletin de paie rectifié incluant les jours de congés payés dus.
La société conclut au débouté de la demande en faisant valoir qu’elle n’est pas tenue à une obligation d’information tant que M. [J] n’a pas repris le travail.
L’article L. 3141-19-3 du code du travail, dans sa version issue de la loi du 22 avril 2024, dispose que ‘Au terme d’une période d’arrêt de travail pour cause de maladie ou d’accident, l’employeur porte à la connaissance du salarié, dans le mois qui suit la reprise du travail, les informations suivantes, par tout moyen conférant date certaine à leur réception, notamment au moyen du bulletin de paie :
1° Le nombre de jours de congé dont il dispose ;
2° La date jusqu’à laquelle ces jours de congé peuvent être pris.’
Dès lors que M. [J], toujours en arrêt, n’a pas repris le travail, il n’y a pas lieu de condamner la société Transdev [Localité 6] à lui remettre un bulletin de paie rectifié mentionnant les jours de congés payés acquis à la date du présent arrêt, étant souligné que leur nombre va évoluer tant que l’arrêt de travail durera.
M. [J] sera en conséquence débouté de sa demande, par ajout à la décision entreprise.
Sur les dommages et intérêts
M. [J] sollicite une provision de 2 000 euros à valoir sur dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail en faisant valoir que la société Transdev [Localité 6] a fait preuve de mauvaise foi en lui demandant de se tourner vers la société Keolis [Localité 6] pour la période antérieure à son transfert et en considérant que la jurisprudence actuelle ne lui était pas opposable pour la période postérieure au transfert.
La société Transdev [Localité 6] répond que l’obligation à paiement de dommages et intérêts est sérieusement contestable dès lors d’une part qu’en respectant le code du travail, elle n’a commis aucune faute et que d’autre part M. [J] n’établit pas le préjudice qu’il a subi.
Si l’existence d’une obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut allouer au créancier une provision à valoir sur des dommages et intérêts mais non des dommages et intérêts.
En première instance, M. [J] a formé une demande de dommages et intérêts et non de provision. Il convient d’infirmer l’ordonnance querellée en ce qu’elle l’a débouté de sa demande au lieu de dire qu’il n’y avait lieu à référé sur sa demande.
La détermination de la bonne ou mauvaise foi de l’employeur dans l’exécution de ses obligations contractuelles relevant de l’appréciation du juge du fond, il convient de débouter M. [J] de sa demande de provision sur dommages et intérêts.
Sur les demandes accessoires
L’ordonnance entreprise sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.
Compte tenu du sens de la décision, les dépens et frais irrépétibles exposés en cause d’appel par les parties seront laissés à la charge de chacune d’elles.
La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
Confirme l’ordonnance rendue le 22 mars 2024 par la formation des référés du conseil de prud’hommes de Versailles excepté en ce qu’elle a :
– ordonné à la société Transdev [Localité 6] prise en la personne de son représentant légal de verser à M. [J] la somme de 3 543,37 euros à titre de rappel de salaire pour la période allant du 19 janvier 2021 au 19 janvier 2024,
– débouté M. [J] de sa demande de dommages et intérêts,
Statuant de nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Ordonne à la société Transdev [Localité 6] d’octroyer à M. [N] [J] un report de 53, 12 jours de congés payés pour la période allant du mois de janvier 2022 au mois de mai 2024,
Rejette la demande de M. [N] [J] tendant à se voir remettre un bulletin de paie rectifié incluant lesdits jours de congés payés,
Rejette la demande de provision sur dommages et intérêts formée par M. [N] [J],
Laisse à chacune des parties la charge des dépens et frais irrépétibles qu’elle a exposés en cause d’appel.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Victoria Le Flem, greffière en préaffectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La greffière en préaffectation, La présidente,