Accident de travail et incapacitéLe 31 janvier 2014, monsieur [S] [Z], contrôleur qualité au sein de la S.A.S. [6], a subi un accident entraînant une limitation fonctionnelle douloureuse de l’épaule droite. Cet accident a été déclaré le 3 février 2014 et a été pris en charge par la CPAM de Loire-Atlantique, qui a attribué à monsieur [Z] un taux d’incapacité permanente (IPP) de 27 %. Contestation de la décision de la CPAMLe 21 décembre 2018, la société [6] a contesté la décision de la CPAM devant le tribunal du contentieux de l’incapacité, arguant que le médecin conseil n’avait pas évalué correctement l’état antérieur de monsieur [Z]. Le contentieux a été transféré au tribunal judiciaire de Nantes en 2020. Audience et expertises médicalesUne audience a eu lieu le 14 février 2024, où le Docteur [T] a été désigné comme médecin expert pour évaluer le taux d’IPP de monsieur [Z]. L’affaire a été renvoyée à une nouvelle audience prévue pour le 18 septembre 2024. Demandes de la S.A.S. [6]La S.A.S. [6] a formulé plusieurs demandes, notamment la constatation d’une évaluation inexacte des séquelles par le médecin conseil et la demande de réduire le taux d’IPP à 3-5 % ou à 15 %, tout en soutenant que le taux professionnel devrait être ramené à 0 % ou à 4 %. Position de la CPAMLa CPAM a demandé la confirmation du taux de 27 % et a soutenu que l’état antérieur de monsieur [Z] n’était pas documenté avant l’accident. Elle a également affirmé que le taux professionnel de 7 % était justifié en raison de la modification de la situation professionnelle de monsieur [Z] après son licenciement pour inaptitude. Évaluation par le médecin-expertLe Docteur [T] a conclu que trois mouvements de l’épaule étaient limités et a proposé un taux d’IPP de 15 %. Cependant, il a été noté que les séquelles étaient davantage liées à une pathologie dégénérative qu’à l’accident initial. Décision du tribunalLe tribunal a débouté la S.A.S. [6] de sa demande d’inopposabilité et a fixé le taux d’incapacité permanente partielle de monsieur [Z] à 7 %. La CPAM a été condamnée aux dépens exposés après le 31 décembre 2018. Appel et notificationLes parties ont été informées qu’elles disposent d’un délai d’un mois pour interjeter appel de la décision rendue le 15 novembre 2024. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTES
POLE SOCIAL
Jugement du 15 Novembre 2024
N° RG 19/05800 – N° Portalis DBYS-W-B7C-KJAB
Code affaire : 89E
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :
Présidente : Frédérique PITEUX
Assesseur : Frédéric FLEURY
Assesseur : Alain LAVAUD
Greffière : Julie SOHIER
DEBATS
Le tribunal judiciaire de Nantes, pôle social, réuni en audience publique au palais de justice à Nantes le 18 Septembre 2024.
JUGEMENT
Prononcé par Frédérique PITEUX, par mise à disposition au Greffe le 15 Novembre 2024.
Demanderesse :
S.A.S [6]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Maître Laurent SAUTEREL, avocat au barreau de LYON, substitué lors de l’audience par Maître Emilie WILBERT, avocate au barreau de PARIS
Défenderesse :
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LOIRE-ATLANTIQUE
[Adresse 4]
[Localité 2]
Dispensée de comparution à l’audience
La Présidente et les assesseurs, après avoir entendu le DIX HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE la partie présente en ses observations, l’ont avisée, de la date à laquelle le jugement serait prononcé, ont délibéré conformément à la loi et ont statué le QUINZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE, dans les termes suivants :
Le 31 janvier 2014, monsieur [S] [Z], salarié de la S.A.S. [6] comme contrôleur qualité, a été victime d’un accident lui occasionnant une limitation fonctionnelle douloureuse de l’épaule droite.
Cet accident, déclaré le 3 février 2014, a été pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Loire-Atlantique qui a notifié à la société [6] par courrier du 13 novembre 2018, la décision attribuant à monsieur [Z] un taux d’incapacité permanente (IPP) de 27 %, dont 7 % pour le taux professionnel, la notification indiquant « raideur douloureuse de l’épaule droite dominante ».
Par courrier du 21 décembre 2018, la société [6] a saisi le tribunal du contentieux de l’incapacité des Pays de la Loire afin de contester la décision de la CPAM ayant attribué à monsieur [Z] un taux d’incapacité permanente partielle de 27 %, à compter du 18 août 2018.
En application des lois n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 et n° 2019-222 du 23 mars 2019, le contentieux relevant initialement du tribunal du contentieux de l’incapacité a été transféré au tribunal de grande instance de Nantes, devenu le 1er janvier 2020, le tribunal judiciaire, spécialement désigné aux termes de l’article L.211-16 du code de l’organisation judiciaire.
Les parties ont été convoquées à l’audience qui s’est tenue le 14 février 2024 devant le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes au cours de laquelle le Docteur [T] a été désigné en qualité de médecin expert pour donner son avis sur le taux d’IPP de monsieur [Z].
L’affaire a fait l’objet d’un renvoi à l’audience du 18 septembre 2024.
La S.A.S. [6], aux termes de ses dernières conclusions du 13 septembre 2024 soutenues oralement à l’audience, demande au tribunal de :
A titre principal,
– Constater que le médecin conseil de la caisse n’a pas procédé à une évaluation précise des séquelles rattachables à l’état antérieur ;
– Dire et juger inopposable à la société [6] la décision d’attribuer un taux d’incapacité permanente partielle de 27 % ;
A titre subsidiaire,
– Retenir un taux d’IPP médical entre 3 et 5 % au regard de l’avis du Docteur [C] ;
A titre infiniment subsidiaire,
– Entériner l’avis du Docteur [T] et fixer le taux médical de l’IPP à 15 % ;
– Ramener le taux d’IPP professionnel à 0 % et à défaut, à 4 % ;
Elle soutient à titre principal que les éléments médicaux produits ont mis en évidence une atteinte dégénérative associée à un conflit sous-acromial et surtout, une arthropathie acromio-claviculaire.
En présence d’un état antérieur, il appartenait au médecin conseil de la CPAM de l’évaluer précisément et de fournir l’ensemble des documents lui ayant permis de reconnaître la réalité de cet état antérieur.
A défaut, la décision attributive de rente lui est inopposable.
A titre subsidiaire, s’appuyant sur la note médico-légale du Docteur [C], médecin conseil de la société, elle estime que les séquelles, constituées de douleurs résiduelles à l’épaule droite dans un contexte d’état antérieur majeur non pris en considération, et en l’absence de lésion traumatique tendineuse, justifie un taux d’IPP qui peut être évalué entre 3 et 5 %.
A défaut, elle sollicite que soit retenu le taux d’IPP tel qu’évalué par le médecin consultant, soit 15 %.
Elle soutient enfin que le taux socio-professionnel doit être ramené à 0 % car il n’existe pas de perte de salaire, ou réduit à de plus justes proportions, à savoir 4 %.
La caisse primaire d’assurance maladie de Loire-Atlantique, aux termes de ses conclusions du 16 septembre 2024, demande au tribunal de :
– Confirmer le bien-fondé du taux de 27% – toutes causes confondues – indemnisant les séquelles présentées par monsieur [Z] à la date du 17 août 2018 et notifié par décision du 13 novembre 2018 ;
– Déclarer opposable à l’employeur la décision attributive du taux d’incapacité permanente partielle ;
– Débouter la société [6] de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
– Condamner la partie adverse aux entiers dépens.
Elle soutient qu’il n’est nullement établi que le médecin conseil ait eu connaissance de l’existence d’un état antérieur.
En tout état de cause, pour que cet état antérieur soit retenu, il doit être connu avant le sinistre, c’est-à-dire objectivement identifiable et documenté pour être évalué.
Il n’y a pas lieu d’en tenir compte si l’état antérieur est resté muet jusqu’à l’accident.
Concernant le taux professionnel, elle rappelle qu’il convient de se placer au moment de la notification de la décision finale prise par la caisse.
En l’espèce, monsieur [Z] a été déclaré inapte à son poste de travail et a fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude le 6 novembre 2018.
Agé de 55 ans, l’intéressé a subi une modification dans sa situation professionnelle qui lui a occasionné un préjudice économique réel et certain. Le taux d’IPP de 7 % est donc justifié.
Le Docteur [T], médecin-expert désigné par le tribunal aux fins de consultation sur pièces, relève que trois mouvements seulement de l’épaule sont limités et est d’avis de fixer le taux d’IPP à 15 %, au regard du chapitre 1.1.2. du barème indicatif d’invalidité.
La décision a été mise en délibéré au 15 novembre 2024.
Sur l’opposabilité du taux d’incapacité permanente partielle de monsieur [S] [Z]
La société [6] reproche au médecin conseil de ne pas avoir évalué l’état antérieur, ni annexé les éléments permettant de reconnaître la réalité de cet état antérieur.
Cependant, cet argument, qui ne tend pas à considérer que la Procédure n’aurait pas été respectée, mais davantage à remettre en cause l’appréciation du médecin conseil sur le fond, ne peut conduire à l’inopposabilité de la décision.
La société [6] sera donc déboutée de sa demande à ce titre.
Sur l’évaluation du taux d’incapacité permanente partielle de monsieur [S] [Z]
Aux termes de l’article L. 434-2 1er alinéa du code de la sécurité sociale : « Le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime, ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité ».
L’article R. 434-32 du même code précise que « Au vu de tous les renseignements recueillis, la caisse primaire se prononce sur l’existence d’une incapacité permanente et, le cas échéant, sur le taux de celle-ci et sur le montant de la rente due à la victime ou à ses ayants droit.
Les barèmes indicatifs d’invalidité dont il est tenu compte pour la détermination du taux d’incapacité permanente d’une part en matière d’accidents du travail et d’autre part en matière de maladies professionnelles sont annexés au présent livre. Lorsque ce dernier barème ne comporte pas de référence à la lésion considérée, il est fait application du barème indicatif d’invalidité en matière d’accidents du travail. »
L’appréciation du taux d’incapacité permanente partielle relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
En l’espèce, le médecin conseil a retenu, à l’issue de son examen clinique du 12 juillet 2018, que les séquelles consistaient en une simple raideur douloureuse de l’épaule droite.
L’étude des amplitudes articulaires qu’il a effectuée a permis de retrouver :
– Abduction : 80° (contre 170° à gauche et la normale à 170°)
– Elévation antérieure : 110° (contre 170° à gauche et la normale à 180°)
– Main-nuque : non réalisé
– Main lombes : sacrum,
– la rétropulsion, l’adduction, et les rotations internes et externes étant complètes.
Il n’est pas contestable que le compte-rendu de consultation du 6 juillet 2015 avec le chirurgien indique que la rupture de la coiffe des rotateurs qui a été réparée en janvier 2015 était due à une atteinte dégénérative associée à un conflit sous-acromial et surtout, une arthropathie acromio-claviculaire.
Il est noté par ailleurs que monsieur [Z] a récupéré de bonnes amplitudes, même s’il persiste quelques douleurs. Les mobilités sont complètes, mais il est retrouvé des signes de conflit.
Le Docteur [T], médecin consultant, est d’avis de retenir un taux d’IPP de 15 % puisque la limitation ne touche pas tous les mouvements, auquel s’ajoute le taux professionnel de 7 %.
Comme l’indique le médecin conseil de la société demanderesse, il existe des incohérences entre la bonne récupération dont il est fait état après l’intervention de janvier 2015 et les séquelles retrouvées en 2018 qui semblent davantage liées à la pathologie dégénérative mise en évidence qu’au traumatisme initial.
Compte tenu de ce que le chapitre 1.1.2. du barème indicatif d’invalidité prévoit, pour une limitation moyenne de tous les mouvements de l’épaule dominante, un taux d’IPP de 20 %, il convient de fixer le taux médical de l’IPP à 5 %, deux mouvements sur six seulement étant limités.
Monsieur [Z] a fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude le 6 novembre 2018.
Au regard de son âge, 55 ans au moment de la consolidation, et même s’il n’existe pas de perte de salaire, la reconversion professionnelle est nécessairement plus difficile.
Il convient en conséquence de fixer le taux d’IPP professionnel à 2 %.
Le taux global d’incapacité permanente partielle de monsieur [Z], opposable à la société [6], dans ses rapports avec la CPAM de Loire-Atlantique, sera donc fixé à 7 %.
Sur les dépens
L’article R.144-10 du code de la sécurité sociale abrogé depuis le 1er janvier 2019 dispose que la Procédure est gratuite et sans frais. Cet article reste applicable pour les Procédures en cours jusqu’au 31 décembre 2018 et à partir du 1er janvier 2019, s’appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de Procédure civile relatives à la charge des dépens.
L’article L.142-11 du code de la sécurité sociale qui prévoit que les frais résultant des consultations et expertises ordonnées par les juridictions compétentes sont pris en charge par la [5], n’est applicable qu’aux recours introduits à compter du 1er janvier 2020.
Par conséquent, la CPAM de Loire-Atlantique qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens exposés postérieurement au 31 décembre 2018, y compris les frais de la consultation judiciaire.
Le tribunal judiciaire de Nantes, statuant par décision contradictoire, rendue en premier ressort,
DÉBOUTE la S.A.S. [6] de sa demande d’inopposabilité ;
DIT que le taux d’incapacité permanente partielle consécutif à l’accident du travail dont a été victime monsieur [S] [Z] le 31 janvier 2014, opposable à la S.A.S. [6] dans ses rapports avec la caisse primaire d’assurance maladie de Loire-Atlantique, est fixé à 7 % ;
CONDAMNE la caisse primaire d’assurance maladie de Loire-Atlantique aux dépens exposés postérieurement au 31 décembre 2018 et au paiement des frais de la consultation judiciaire ;
RAPPELLE que conformément aux dispositions des articles 34 et 538 du code de Procédure civile et R. 211-3 du code de l’organisation judiciaire, les parties disposent d’un délai d’UN MOIS à compter de la notification de la présente décision pour en INTERJETER APPEL ;
AINSI JUGÉ ET PRONONCÉ par mise à disposition du jugement au greffe du tribunal le 15 novembre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de Procédure civile, la minute étant signée par Frédérique PITEUX, Présidente, et par Julie SOHIER, Greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE