Action en revendication et action de protection possessoire : ne pas les confondre

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Action en revendication et action de protection possessoire : ne pas les confondre

L’article 31 du Code de procédure civile dispose que l’action en justice est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas où la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever et combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

En l’espèce, la SAS VALOCIME s’appuie sur une convention de mise à disposition de la parcelle litigieuse qui lui attribue la jouissance de ladite parcelle.

Il en découle pour elle un droit personnel, de sorte que son action devant le juge des référés aux fins d’expulsion d’un occupant sans droit ni titre sur cette parcelle ne s’analyse pas en une action en revendication, laquelle ne peut effectivement être exercée que par le propriétaire, mais doit s’entendre comme une action de protection possessoire qui ne peut s’exercer que sur le fondement d’un trouble manifestement illicite et par la seule voie du référé.

L’absence de mandat opérateur est indifférente à cet égard, la seule qualité de cocontractant de la SAS VALOCIME avec les propriétaires de la parcelle lui donne qualité et intérêt à agir en expulsion d’un occupant sans droit ni titre sur le fondement d’un trouble manifestement illicite.

Résumé de l’affaire : Le litige concerne la gestion d’une parcelle de terrain utilisée pour des infrastructures de télécommunication. Les opérateurs de téléphonie mobile, après avoir construit leurs pylônes, ont cédé leurs droits à des sociétés financières. La société VALOCIME et la société HIVORY, spécialisées dans la gestion de ces infrastructures, sont impliquées dans une promesse de vente d’une parcelle entre les consorts [Y] et HIVORY. Bien que HIVORY ait commencé des travaux et occupé le site, les consorts [Y] ont déclaré la promesse caduque. VALOCIME a ensuite conclu une convention de mise à disposition avec les consorts [Y] et a demandé l’expulsion de HIVORY, qui occupait le terrain sans droit. HIVORY a contesté la légitimité de VALOCIME à agir, arguant qu’elle n’avait pas de mandat d’un opérateur de téléphonie. Le tribunal a finalement déclaré VALOCIME recevable dans son action, constaté que HIVORY était occupante sans droit, et ordonné son expulsion ainsi que la remise en état de la parcelle. HIVORY a été condamnée à verser des frais à VALOCIME et aux dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

8 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand
RG
24/00263
CG/LJ

Ordonnance N°
du 08 OCTOBRE 2024

Chambre 6

N° RG 24/00263 – N° Portalis DBZ5-W-B7I-JPMJ
du rôle général

S.A.S. VALOCIME

c/

S.A.S. HIVORY

l’AARPI ANTES AVOCATS
la SELARL DIAJURIS
Me Clémence POINAS-FREYDEFONT

GROSSES le

– l’AARPI ANTES AVOCATS
, la SELARL DIAJURIS
, Me Clémence POINAS-FREYDEFONT

Copies électroniques :

– l’AARPI ANTES AVOCATS
, la SELARL DIAJURIS
, Me Clémence POINAS-FREYDEFONT

Copies :

– Dossier

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE CLERMONT-FERRAND

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

rendue le HUIT OCTOBRE DEUX MIL VINGT QUATRE,

par Madame Catherine GROSJEAN, Présidente du Tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND

assistée de Madame Laetitia JOLY, greffier

dans le litige opposant :

DEMANDERESSE

S.A.S. VALOCIME
[Adresse 5]
[Localité 4]

représentée par l’AARPI ANTES AVOCATS, avocats au barreau de PARIS substituée par Me POINAS FREYDEFONT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

ET :

DEFENDERESSE

S.A.S. HIVORY La Société HIVORY, SAS immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NANTERRE sous le numéro 838 867 323, dont le siège social est [Adresse 1], agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par la SELARL DIAJURIS, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND

Après débats à l’audience publique du 10 Septembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré à ce jour, la décision étant rendue par mise à disposition au greffe.

EXPOSÉ DU LITIGE
Le contexte dans lequel s’inscrit le présent litige est celui des infrastructures d’hébergement des équipements de télécommunication pour les opérateurs de téléphonie mobile.
Depuis les années 1990, les opérateurs mobiles ont procédé au déploiement de leur réseau en prenant à bail des parcelles et en y faisant construire leurs propres pylônes pour y héberger leur propres antennes et équipement techniques d’émission-réception.
A la fin des années 2010, ces opérateurs ont cédé à des sociétés financières les droits au bail et la propriété des infrastructures passives moyennant des prestations rémunérées d’hébergement de leurs infrastructures actives pour l’exploitation de leur réseau.
La société VALOCIME et la société HIVORY sont des « TowerCo », consacrées à la gestion et à l’exploitation de pylônes et infrastructures passives.
Le 27 mai 2020, les consorts [Y] ont consenti à la société HIVORY une promesse unilatérale de vente portant sur une parcelle de terrain située lieudit « [Adresse 7] » à [Localité 6] (63), cadastrée section B [Cadastre 2].
Il a été prévu que la société HIVORY puisse bénéficier de la jouissance du site dès la signature de la promesse et faire réaliser les travaux de construction d’un site de téléphonie mobile.
Dans l’attente de la réitération de l’acte de vente, la société HIVORY a démarré son activité sur le site qui accueille des installations de SFR et de Bouygues Télécom, mises en service en 2021.
Par courrier du 24 mars 2022, les consorts [Y] ont informé la société HIVORY de la caducité de la promesse de vente consentie.
En réponse dans un mail du 29 mars 2022, la société HIVORY a indiqué aux consorts [Y] qu’elle était toujours intéressée par la vente et a précisé que la vente pouvait être réalisée au prix de 4000 euros.
Par un mail du 30 mars 2022, les consorts [Y] ont donné leur accord sur la chose et sur le prix, et ont accepté de signer un acte de vente dans un délai de trois mois.
La vente n’a finalement pas eu lieu.
Suivant acte sous seing privé en date des 02 et 20 juillet 2022, la société VALOCIME a conclu avec les consorts [Y] une convention de mise à disposition portant sur la parcelle précitée.
La société VALOCIME expose que la société HIVORY occupe ladite parcelle sans droit ni titre, la promesse de vente conclue entre les consorts [Y] et cette dernière étant devenue caduque.
Le 22 décembre 2022, la société VALOCIME a adressé une mise en demeure à la société HIVORY d’avoir à quitter les lieux sous huitaine.
Par acte en date du 02 avril 2024, la SAS VALOCIME a assigné la SAS HIVORY prise en la personne de son représentant légal devant la Présidente du tribunal statuant en référé aux fins suivantes :
déclarer la société VALOCIME recevable et bien fondée en son action, constater que la société HIVORY est occupante sans droit ni titre de la parcelle de terrain située à [Localité 6], lieudit « [Adresse 7] », cadastrée section B numéro [Cadastre 2], ordonner en conséquence l’expulsion de la société HIVORY, ainsi que celle de tout occupant de son chef, de la parcelle de terrain située à [Localité 6], lieudit « [Adresse 7] », cadastrée section B numéro [Cadastre 2], et ce avec l’assistance d’un serrurier, du commissaire de Police et de la Force Armée, si besoin sous astreinte définitive de 500 € par jour de retard à compter du 8e jour suivant la signification de l’ordonnance à intervenir, condamner la société HIVORY à enlever tous les biens, infrastructure et équipements de l’emplacement, et à le remettre en son état d’origine, sous la même astreinte de 500 € par jour de retard à compter du 8e jour suivant la signification de l’ordonnance à intervenir, condamner la société HIVORY à verser à la société VALOCIME une somme mensuelle de 333,33 € à titre de provision sur indemnité d’occupation à compter du 20 juillet 2022 et jusqu’à parfaite libération des lieux, débouter la société HIVORY de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, condamner la société HIVORY au paiement d’une somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, condamner la société HIVORY aux entiers dépens d’instance, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.L’affaire a été appelée à l’audience de référé du 15 mai 2024 puis elle a été renvoyée successivement à la demande des parties à celle du 10 septembre 2024 à laquelle les débats se sont tenus.
Par des conclusions en défense et récapitulatives n°2, la SAS HIVORY a sollicité de voir :
à titre principal,
déclarer la société Valocime irrecevable en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées contre de la société Hivory, à titre subsidiaire,
dire n’y avoir lieu à référé et renvoyer la société Valocime à mieux se pourvoir au fond, à titre infiniment subsidiaire,
octroyer à la société Hivory un délai de 6 mois à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir pour la remise en état de l’emplacement situé lieudit « [Adresse 7] » à [Localité 6],en tout état de cause,
débouter la société Valocime de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes, condamner la société Valocime à payer à la société Hivory la somme de 3 000 euros (trois mille euros) sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, condamner la société Valocime aux entiers dépens de l’instance.La SAS HIVORY fait notamment valoir que la SAS VALOCIME n’a pas qualité à agir dès lors qu’elle ne justifie pas d’un mandat avec un opérateur de téléphonie mobile, élément imposé par l’article L.34-9-1-1 du Code des postes et des communications électroniques. Elle soutient que la SAS VALOCIME n’a pas davantage d’intérêt à agir dès lors qu’elle ne dispose pas d’un tel mandat et ne peut donc actuellement jouir de manière licite du bien loué.
Au terme de ses dernières prétentions, la SAS VALOCIME a maintenu ses demandes initiales et a sollicité du juge des référés qu’il se réserve le pouvoir de liquider l’astreinte et qu’il déboute la société HIVORY de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
La SAS VALOCIME soutient que la loi ne réserve pas l’action en expulsion au propriétaire du bien. Elle fait notamment valoir que son action est recevable sans que puisse lui être opposé l’article L.34-9-1-1 du Code des postes et télécommunications qui s’applique à l’édification d’un nouveau pylône et non à une conservation ou reconstruction sur un site existant. En outre, elle explique que sa demande provisionnelle est fondée dans la mesure où elle s’acquitte de loyers sans contrepartie et subit une importante perte d’exploitation.
Pour un plus ample exposé des moyens, il est renvoyé aux dernières conclusions régulièrement déposées par les parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il convient de rappeler qu’en application des dispositions de l’article 768 du Code de procédure civile, le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Sur la qualité et l’intérêt à agir
L’article 31 du Code de procédure civile dispose que l’action en justice est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas où la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever et combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
En l’espèce, la SAS VALOCIME s’appuie sur une convention de mise à disposition de la parcelle litigieuse qui lui attribue la jouissance de ladite parcelle. Il en découle pour elle un droit personnel, de sorte que son action devant le juge des référés aux fins d’expulsion d’un occupant sans droit ni titre sur cette parcelle ne s’analyse pas en une action en revendication, laquelle ne peut effectivement être exercée que par le propriétaire, mais doit s’entendre comme une action de protection possessoire qui ne peut s’exercer que sur le fondement d’un trouble manifestement illicite et par la seule voie du référé.
L’absence de mandat opérateur est indifférente à cet égard, la seule qualité de cocontractant de la SAS VALOCIME avec les propriétaires de la parcelle lui donne qualité et intérêt à agir en expulsion d’un occupant sans droit ni titre sur le fondement d’un trouble manifestement illicite.
Les moyens tirés du défaut de qualité et d’intérêt à agir ne sont ainsi pas fondés.
La SAS VALOCIME sera déclarée recevable en ses demandes.
Sur le trouble manifestement illicite
Aux termes de l’article 835 du Code de procédure civile, « Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».
L’occupation sans droit ni titre d’un terrain est de nature à constituer un trouble manifestement illicite qu’il appartient au Juge des référés de faire cesser.
En l’espèce, il n’est pas contesté que la SAS HIVORY n’a pas quitté la parcelle cadastrée section B [Cadastre 2] située lieudit « [Adresse 7] » à [Localité 6] (63), malgré la mise en demeure délivrée par la SAS VALOCIME.
La SAS HIVORY bénéficiait d’un droit d’occupation de la parcelle B [Cadastre 2] en vertu de la seule promesse de vente signée le 27 mai 2020, dont la caducité n’est pas contestable en l’espèce. Le moyen soulevé par la défenderesse tiré du défaut d’envoi de congé par le preneur est inopérant dès lors qu’elle ne justifie pas avoir bénéficié d’un commodat.
De même, si par mail du 30 mars 2022, les consorts [Y] ont effectivement donné leur accord sur la chose et sur le prix et ont accepté de signer un acte de vente avec la SAS HIVORY dans un délai de trois mois, il appartenait à cette dernière de tirer toutes conséquences de droit de la non réalisation de la vente.
Ainsi, la SAS HIVORY ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, qu’elle disposerait d’un droit d’usage sur cette parcelle.
Par ailleurs, les allégations de la défenderesse relatives à l’inertie de la SAS VALOCIME dans la recherche d’un mandat opérateur et dans l’obtention d’une décision d’urbanisme et celles tenant à l’éventuel risque de revenir à une zone non couverte par les réseaux de téléphonie mobile n’ont aucun effet sur l’illicéité de son occupation.
En conséquence, il sera fait droit à la demande d’expulsion et de remise en état du terrain dans les conditions précisées au dispositif de la présente décision.
En revanche, il n’y a pas lieu de se réserver la liquidation de l’astreinte qui relève de la compétence du juge de l’exécution.

Sur la demande de provision à titre d’indemnité d’occupation
Aux termes de l’article 835 du Code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier.
Dès lors, la provision accordée et son montant trouve pour limite l’étendue non sérieusement contestable de la dette alléguée.
La SAS VALOCIME sollicite la condamnation de la SAS HIVORY à lui payer une indemnité d’occupation à titre provisionnel correspondant au loyer dont elle s’acquitte pour la parcelle considérée.
Or, force est de constater qu’une telle indemnité n’est due qu’à l’égard du propriétaire faisant l’objet de l’occupation sans droit ni titre si, et seulement si, cette dernière est prévue par une clause non équivoque. En cela le locataire, même dans le cadre de la protection possessoire, ne peut y prétendre.
La provision demandée trouve en réalité son fondement dans la réparation du préjudice résultant de la parte de chance d’exploitation de la parcelle litigieuse, dont l’appréciation excède les pouvoirs du juge de l’évidence et se heurte à une contestation sérieuse.
Par conséquent, il n’y a lieu à référé sur cette demande.
Sur les frais et dépens
La SAS HIVORY, partie perdante, sera condamnée à verser la somme de 1000 euros à la SAS VALOCIME en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, outre aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS
Le juge des référés statuant publiquement et en premier ressort, par ordonnance contradictoire, prononcée par mise à disposition au greffe,
AU PRINCIPAL renvoie les parties à se pourvoir ainsi qu’elles en aviseront,
AU PROVISOIRE,
DÉCLARE la SAS VALOCIME recevable en son action,
CONSTATE que la SAS HIVORY est occupante sans droit ni titre de la parcelle de terrain située à [Localité 6], lieudit « [Adresse 7] », cadastrée section B numéro [Cadastre 2],
ORDONNE en conséquence à la SAS HIVORY de rendre libre de toute occupation ladite parcelle et de procéder à sa remise en état par l’enlèvement de tout équipement et installation dans un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, sous astreinte provisoire de 250 euros par jour de retard passé ce délai,
DIT que l’astreinte courra sur un délai de trois mois maximum,
DIT qu’à défaut de libération et de remise en état volontaire des lieux dans le délai prescrit, il pourra être procédé à l’expulsion de la SASHIVORY et de tout occupant de son chef, au besoin avec le concours de la force publique,
DIT n’y avoir lieu à référé sur toute autre demande,
CONDAMNE la SAS HIVORY à payer à la SAS VALOCIME la somme de MILLE EUROS (1000 €) en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile
CONDAMNE la SAS HIVORY aux entiers dépens,
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.
La Greffière, La Présidente,

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