En présence de propos diffamatoires publiés sur Wikipedia (accusations de viol sur une étudiante), le recours à l’article 145 du CPC ne se justifie pas si l’auteur des propos est déjà identifié.
Affaire WikipédiaEn la cause, la victime des propos diffamatoires (Avocat et Professeur) avait déjà identifié l’auteur des écrits (Professeur des universités à la retraite) et ce dernier a été mis en examen du chef de diffamation publique envers le demandeur en raison des propos cités dans sa plainte et dans la présente procédure (renvoi requis par le procureur de la République). Les articles 6.V.A et 6.V.B de la LCENEn application des articles 6.V.A et 6.V.B de la LCEN et L 34-1 du code des postes et des télécommunications, la fondation Wikimedia (hébergeur de Wikipedia) a le statut de personne fournissant un service d’hébergement tel que défini à l’article 6. I. 2 de la LCEN (“toute personne fournissant les services définis au iii du paragraphe g de l’article 3 du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques”, à savoir “un service consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service à sa demande”). Elle est par conséquent tenue, dans les limites fixées par ces textes et au regard de son activité, de détenir et de conserver les données permettant d’identifier le ou les auteurs des propos litigieux et de les transmettre à l’autorité judiciaire qui en fait la demande. La mesure de communication de données sollicitée par le demandeur est donc légalement admissible. L’article 145 du code de procédure civileL’article 145 du code de procédure civile dispose que, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Une demande de mesure d’instruction formulée en application de ce texte ne peut légitimement porter que sur des faits déterminés, d’une part, pertinents, d’autre part. Le juge doit ainsi caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction, non pas au regard de la loi susceptible d’être appliquée à l’action au fond qui sera éventuellement engagée, mais en considération de l’utilité de la mesure pour réunir des éléments susceptibles de commander la solution d’un litige potentiel. Sont légalement admissibles, au sens de ce même texte, des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge saisi d’une contestation à cet égard, de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec, la mesure devant être de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur. Il résulte par ailleurs de l’article 6.V.A de la LCEN, modifié par la loi n°2024-449 du 21 mai 2024, que, dans les conditions fixées aux II bis à III bis de l’article L 34-1 du code des postes et des communications électroniques, les personnes dont l’activité consiste à fournir des services d’accès à internet ou des services d’hébergement détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont ils sont prestataires. La conservation des données d’identificationIl est précisé par l’article L 34-1 sus-cité, dans son paragraphe II bis, que : “Les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver : 1° Pour les besoins des procédures pénales, de la prévention des menaces contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur, jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la fin de validité de son contrat ; 2° Pour les mêmes finalités que celles énoncées au 1° du présent II bis, les autres informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou de la création d’un compte ainsi que les informations relatives au paiement, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la fin de validité de son contrat ou de la clôture de son compte ; 3° Pour les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la connexion ou de l’utilisation des équipements terminaux”. La nature des données mentionnées ci-avant, ainsi que la durée et les modalités de leur conservation, avaient été précisées par le décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu mis en ligne, pris en application du II de l’article 6 de la LCEN. Ce décret n’a pas été modifié ou abrogé depuis l’adoption de la loi du 21 mai 2024 modifiant la numérotation de l’article 6 II, devenu l’article 6.V.A de cette même loi. Il sera néanmoins souligné que la teneur de ce dernier texte est inchangé, à l’exception de la dénomination des fournisseurs d’accès à internet devenus les services d’accès à internet, et que dans ses visas, le décret mentionne l’article 6 de la LCEN sans plus de précision |
Résumé de l’affaire : Le 29 mai 2024, [K] [M] a assigné la WIKIMEDIA FOUNDATION Inc devant le juge des référés pour obtenir des données d’identification et de connexion des utilisateurs ayant utilisé les pseudonymes “[E]” devenu “[P]”, “[D][R]” et “[L]”, en raison de faits de diffamation publique et de cyberharcèlement. Lors de l’audience du 10 septembre 2024, [K] [M] a demandé à être déclaré recevable et fondé dans ses demandes, et a requis la communication des données personnelles des utilisateurs concernés sous astreinte. En réponse, la WIKIMEDIA FOUNDATION Inc a demandé le rejet des demandes de [K] [M] et a sollicité des dommages-intérêts. À l’audience, [K] [M] a précisé que les messages incriminés étaient documentés dans ses écritures. Le 8 octobre 2024, le tribunal a débouté [K] [M] de ses demandes, l’a condamné à verser 1.000 euros à la WIKIMEDIA FOUNDATION Inc et a ordonné qu’il supporte les dépens.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS
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N° RG 24/55637 – N° Portalis 352J-W-B7I-C4Q7L
N° : 1/MM
Assignation du :
29 mai 2024
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 08 octobre 2024
par Sophie COMBES, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDEUR
Monsieur [K] [M]
[Adresse 2]
Chez Mme [O] [I]
[Adresse 2]
représenté par Me Cassandra PLASSE, avocat au barreau de PARIS – #E2058
DEFENDERESSE
WIKIMEDIA FOUNDATION, INC.
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1] / ETATS-UNIS
représentée par Maître Christine GATEAU du PARTNERSHIPS HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, avocats au barreau de PARIS – #J0033
DÉBATS
A l’audience du 10 Septembre 2024, tenue publiquement, présidée par Sophie COMBES, Vice-Présidente, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Vu l’assignation devant le juge des référés de ce tribunal délivrée le 29 mai 2024 à la WIKIMEDIA FOUNDATION Inc à la requête de [K] [M], au visa des articles 145 du code de procédure civile et L 34-1 du code des postes et des communications électroniques, afin d’obtenir les données d’identification et de connexion des utilisateurs “[E]” devenu “[P]”, “[D][R]” et “[L]”, en vue d’intenter des actions pour diffamation publique et cyberharcèlement,
Vu les dernières conclusions de [K] [M], déposées à l’audience du 10 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions, par lesquelles il demande au juge des référés :
– de le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes,
– d’ordonner à la défenderesse, dans un délai de huit jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, sous astreinte, passé ce délai, de 500 euros par jour de retard, pendant une durée de trois mois, qu’elle lui communique l’ensemble des données qu’elle détient de nature à permettre l’identification de la personne ayant utilisé le pseudonyme :
– “[E]” devenu “[P]” dont l’adresse Wikipedia est précisée,
– “[D][R]” dont l’adresse Wikipedia est précisée,
– “[L]” dont l’adresse Wikipedia est précisée,
et notamment, pour toutes ces personnes s’il y en a plusieurs d’identifier :
– les nom, prénom ou raison sociale,
– la date de naissance,
– les adresses postale et électronique associées,
– les numéros de téléphone,
– les données et identifiants de connexion, en particulier les adresses IP utilisées,
– les informations relatives au paiement en cas de contribution sur la plate-forme Wikipédia,
Vu les dernières conclusions de la WIKIMEDIA FOUNDATION Inc, déposées à l’audience du 10 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions, par lesquelles elle demande au juge des référés, au visa des articles 29, 32 et 65 de la loi du 29 juillet 1881, 222-33-2-2 du code pénal, 6.II de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) dans sa version applicable aux faits et du décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 :
– de dire n’y avoir lieu à référé sur les demandes de [K] [M],
– de rejeter ses demandes,
– de le condamner à lui verser la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Lors de l’audience du 10 septembre 2024, le conseil de [K] [M] a confirmé que les messages constituant, selon le demandeur, les faits de diffamation publique envers un particulier et de cyberharcèlement étaient reproduits aux pages 24 à 29 de ses écritures, ainsi que dans sa pièce 3.1, à savoir la plainte déposée du chef de diffamation publique contre [D] [R] et X les 24 mars et 15 avril 2023.
A l’issue de l’audience, il a été indiqué que la décision serait rendue le 8 octobre 2024, par mise à disposition au greffe.
Sur les faits
[K] [M] se présente comme avocat et universitaire.
La défenderesse se présente comme une fondation de droit américain ayant pour objet le partage du savoir au plus grand nombre en incitant des personnes du monde entier à réunir et développer du matériel éducatif à contenu libre ou dans le domaine public, et la diffusion de ce savoir à l’échelle mondial, gratuitement. Elle indique héberger dans ce cadre la plateforme Wikipédia, encyclopédie en ligne collective à laquelle chacun peut contribuer.
[K] [M] indique que depuis le 26 février 2020, la page Wikipédia le concernant fait l’objet de modifications malveillantes, principalement de la part de ou des utilisateurs “[E]” devenu “[P]”, “[D][R]” et “[L]”, [D] [R], professeur des universités à la retraite, étant peut-être le titulaire des trois pseudonymes. Il dénombre 150 publications entre le 26 février 2020 et le 3 décembre 2022.
Il explique avoir déposé, de ce fait, trois plaintes avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction de ce tribunal.
Il indique ainsi avoir déposé une plainte du chef de diffamation publique envers “[L]” le 1er mars 2023 à raison des propos suivants : “En avril 2021, une femme de 20 ans a accusé [M] de l’avoir violée. Elle a déclaré à la police qu’elle s’était sentie menacée et contrainte par [M] afin de mettre en oeuvre un rapport sexuel, alors qu’elle était sous l’influence d’une drogue qu’ils avaient pris ensemble”. Dans la plainte, communiquée en pièce n°2, [K] [M] précise suspecter [D] [R] d’être l’utilisateur de ce pseudonyme, en sus de “[E]” devenu “[P]” et de “[D][R]”. Il explique que le juge d’instruction n’a pu progresser dans ses investigations en raison du refus de la défenderesse de communiquer les données d’identification en sa possession et affirme que, bien qu’un réquisitoire aux fins de non lieu a été pris le 21 février 2024, le juge d’instruction serait dans l’attente du résultat de la présente procédure.
Il ajoute avoir déposé deux autres plaintes identiques, finalement jointes, les 24 mars et 15 avril 2023, à l’encontre de [D] [R] et de X, à raison des cinq passages suivants (pages 26 à 29 de ses écritures) :
– “Son ancien colistier a affirmé que [M] “voulait gagner un poste parlementaire et a abandonné le parti après son échec”. Après qu’il s’est vu refuser un poste suffisamment elevé sur les listes électorales de La France Insoumise lors des élections parlementaires de 2019 en France, son appui au parti a cessé et il a appelé à une abstention lors de l’élection”,
– “[M] a passé le barreau en 2017, et en 2019, avait eu trois clients en deux ans, en incluant son père, et recevant le RSA pendant cette période”,
– “Parce qu’il n’était pas admis au barreau et en conséquence pas autorisé à pratiquer le droit à l’époque, un des avocats représentant [N] a qualifié les actions de [M] de tentative de fraude”,
– “En 2018, l’Express a affirmé que [M] faisait de fausses déclarations sur son CV et ailleurs (…) [M] a prétendu être un lecteur à l’Ecole normal supérieure, mais l’école a affirmé à l’Express qu’il s’agissait d’un exercice pour des étudiants que tous avaient à faire”,
– “En avril 2021, une femme de 20 ans a accusé [M] de l’avoir violée. Elle a déclaré à la police qu’elle s’était sentie menacée et contrainte par [M] afin de mettre en oeuvre un rapport sexuel, alors qu’elle était sous l’influence d’une drogue qu’ils avaient pris ensemble”.
Il sera relevé que dans la plainte (pièce n°3.1 en demande ), six autres passages sont cités et que tous sont attribués à [D] [R], présenté comme le probable titulaire des trois pseudonymes.
[K] [M] indique que [D] [R] a été mis en examen dans le cadre de cette information judiciaire et que son renvoi devant le tribunal correctionnel est requis depuis le 14 mars 2024. Dans son assignation (pages 30 et suivantes), il précise quelques uns des passages pour lesquels le renvoi est requis, parmi lesquels figure celui attribué à [L], visé dans les deux plaintes sus-citées.
La plainte déposée du chef de cyberharcèlement, au visa de l’article 222-33-2-2 du code pénal, mentionne 150 publications émanant d’un ou des utilisateurs écrivant sous les trois pseudonymes déjà cités mais ne reproduit que les propos déjà poursuivis au sein de la deuxième plainte.
Il précise avoir été entendu comme partie civile mais que compte tenu des refus réguliers de la défenderesse de communiquer les données sollicitées, il convenait là aussi d’attendre les résultats de la présente procédure.
[K] [M] affirme que les mesures sollicitées poursuivent un objectif légitime en ce que la défenderesse refuse toute communication des données d’identification de ses utilisateurs alors que les informations judiciaires sont encore en cours et qu’il est nécessaire, avant tout procès, de confirmer que [D] [R] est bien l’utilisateur “[D][R]” et de déterminer s’il utilise les deux autres pseudonymes ou s’ils appartiennent à des tiers. Il soutient que ces mesures sont légalement admissibles puisque l’article L 34-1 du code des postes et communications électroniques prévoit que les données sont conservées par les opérateurs “pour le besoin des procédures pénales” et pas uniquement pour les procédures les plus graves, étant précisé que selon lui, le cyberhacèlement entre dans cette dernière catégorie.
La défenderesse conclut au rejet de ses demandes. Elle soutient en premier lieu que celle visant l’identification de l’utilisateur “[D][R]” est sans objet, le demandeur l’ayant identifié comme étant [D] [R], professeur retraité. Elle ajoute que les mesures sollicitées sont dépourvues de motif légitime dès lors que les actions envisagées sont manifestement vouées à l’échec comme étant prescrite, pour la diffamation, et infondées, pour les deux. Elle ajoute que les mesures ne sont pas légalement admissibles dès lors que les données d’identification et de connexion ne sont communiquées que pour les besoins des procédures pénales les plus graves, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, et qu’elle ne détient que les informations qu’elle recueille à titre habituel pour les besoins de son activité, à savoir les pseudonymes, une adresse électronique si celle-ci est communiquée et les adresses IP, notamment quand les utilisateurs ne créent pas de compte.
C’est dans ces conditions que se présente le litige.
Sur la demande de communication des données d’identification et de connexion du ou des utilisateurs “[E]” devenu “[P]”, “[D][R]” et “[L]”
L’article 145 du code de procédure civile dispose que, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Une demande de mesure d’instruction formulée en application de ce texte ne peut légitimement porter que sur des faits déterminés, d’une part, pertinents, d’autre part. Le juge doit ainsi caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction, non pas au regard de la loi susceptible d’être appliquée à l’action au fond qui sera éventuellement engagée, mais en considération de l’utilité de la mesure pour réunir des éléments susceptibles de commander la solution d’un litige potentiel.
Sont légalement admissibles, au sens de ce même texte, des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge saisi d’une contestation à cet égard, de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.
Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec, la mesure devant être de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.
Il résulte par ailleurs de l’article 6.V.A de la LCEN, modifié par la loi n°2024-449 du 21 mai 2024, que, dans les conditions fixées aux II bis à III bis de l’article L 34-1 du code des postes et des communications électroniques, les personnes dont l’activité consiste à fournir des services d’accès à internet ou des services d’hébergement détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont ils sont prestataires.
Il est précisé par l’article L 34-1 sus-cité, dans son paragraphe II bis, que :
“Les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver :
1° Pour les besoins des procédures pénales, de la prévention des menaces contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur, jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la fin de validité de son contrat ;
2° Pour les mêmes finalités que celles énoncées au 1° du présent II bis, les autres informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou de la création d’un compte ainsi que les informations relatives au paiement, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la fin de validité de son contrat ou de la clôture de son compte ;
3° Pour les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la connexion ou de l’utilisation des équipements terminaux”.
La nature des données mentionnées ci-avant, ainsi que la durée et les modalités de leur conservation, avaient été précisées par le décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu mis en ligne, pris en application du II de l’article 6 de la LCEN. Ce décret n’a pas été modifié ou abrogé depuis l’adoption de la loi du 21 mai 2024 modifiant la numérotation de l’article 6 II, devenu l’article 6.V.A de cette même loi. Il sera néanmoins souligné que la teneur de ce dernier texte est inchangé, à l’exception de la dénomination des fournisseurs d’accès à internet devenus les services d’accès à internet, et que dans ses visas, le décret mentionne l’article 6 de la LCEN sans plus de précision.
Sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et dans le respect des dispositions précitées prévues aux articles 6.V.A de la LCEN, L 34-1 du code des postes et des communications électroniques qui déterminent les cas dans lesquels peuvent être prescrites les mesures sollicitées, le juge saisi peut prescrire à l’hébergeur de comptes à partir desquels ont été diffusés les propos incriminés de communiquer les données d’identification des utilisateurs des dits comptes, à condition que les propos soient pénalement répréhensibles si les faits devaient être considérés comme constitués et qu’une telle mesure soit légitime et proportionnée au but poursuivi.
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Il découle des indications données par la défenderesse, sans que cela ne soit contesté de façon argumentée par le demandeur, qu’en application des articles 6.V.A et 6.V.B de la LCEN et L 34-1 du code des postes et des télécommunications, elle a le statut de personne fournissant un service d’hébergement tel que défini à l’article 6. I. 2 de la LCEN (“toute personne fournissant les services définis au iii du paragraphe g de l’article 3 du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques”, à savoir “un service consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service à sa demande”). Elle est par conséquent tenue, dans les limites fixées par ces textes et au regard de son activité, de détenir et de conserver les données permettant d’identifier le ou les auteurs des propos litigieux et de les transmettre à l’autorité judiciaire qui en fait la demande. La mesure de communication de données sollicitée par le demandeur est donc légalement admissible.
Il apparaît néanmoins que [K] [M] ne justifie pas d’un motif légitime conduisant à ordonner les mesures sollicitées.
S’agissant du pseudonyme “[D][R]”, il apparaît en effet que [K] [M] l’a déjà identifié comme [D] [R], professeur des universités à la retraite, et que ce dernier a été mis en examen du chef de diffamation publique envers le demandeur en raison des propos cités dans sa plainte et dans la présente procédure, et que son renvoi est requis par le procureur de la République. Il découle de ces éléments que tant le juge d’instruction que le procureur estiment que des indices graves et concordants conduisent à penser que [D] [R] est l’auteur des messages en question, de sorte que des mesures tendant à identifier “[D][R]” sont désormais inutiles.
S’agissant du pseudonyme “[P]”, il apparaît que le demandeur ne lui attribue aucune publication en particulier parmi celles citées, son conseil ayant indiqué à l’audience qu’il serait principalement l’auteur de suppressions sur la page Wikipédia de [K] [M], sans autres précisions. Dans ces conditions, comme tenu du caractère imprécis des informations communiquées au juge des référés, il sera considéré que l’intéressé ne justifie pas d’un motif légitime conduisant à ordonner la communication de données d’identification concernant cet utilisateur.
S’agissant de l’utilisateur “[L]”, [K] [M] invoque deux motifs établissant, selon lui, l’existence d’un motif légitime.
Le premier est lié à son souhait d’initier à son encontre une procédure pour diffamation publique à raison de certains des propos ci-dessus reproduits. Il sera en premier lieu relevé qu’à l’exception du propos faisant l’objet de la plainte du 1er mars 2023, par ailleurs repris dans la plainte des 24 mars 2023 et 5 avril 2023, [K] [M] ne précise pas quels sont ceux, parmi ces propos, qui émanent de l’utilisateur “[L]” et quels sont ceux qui émanent de “[D][R]”, cette confusion étant renforcée par le fait que dans la deuxième plainte, le demandeur indique estimer que les deux pseudonymes sont utilisés par [D] [R]. Si l’ouverture d’une information judiciaire n’exclut pas en soi le prononcé d’une mesure d’instruction par le juge des référés sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, il sera relevé que les deux actions tendent aux mêmes fins, à savoir l’identification des auteurs des messages, de sorte qu’il appartient au demandeur d’établir que la mesure sollicitée demeure utile. Tel n’est pas le cas ici compte tenu de la confusion ci-dessus soulignée et du fait que, selon le demandeur (page 31 de l’assignation), le renvoi devant le tribunal correctionnel de [D] [R] a été requis à raison du propos faisant l’objet de la plainte du 1er mars 2023 et repris dans la deuxième plainte. Dans ces conditions, [K] [M] ne démontre pas que la mesure sollicitée, tendant à identifier “[L]”, demeure utile au regard de l’action envisagée et de l’état d’avancement de la deuxième information judiciaire.
S’agissant de l’action en harcèlement initiée par le demandeur au visa de l’article 222-33-2-2 du code pénal, il sera rappelé que cette infraction suppose “des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale”.
Il sera de même rappelé que si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions.
Or en l’espèce, si le demandeur évoque 150 publications sur trois ans, il n’en cite que 11 dans sa plainte, qui sont ailleurs identiques à celles figurant dans les plaintes pour diffamation publique, et ne produit aucun élément relatif aux conséquences sur ses conditions de vie des publications en question. Il ne peut, dans ces conditions, être considéré que [K] [M] justifie d’éléments rendant crédibles ses suppositions.
Il apparaît dès lors, au vu de ces éléments, que le demandeur ne justifie pas non plus d’un motif légitime pour solliciter les données d’identification de l’utilisateur “[L]”.
Les demandes de communication de données formées par [K] [M] seront donc rejetées.
Sur les autres demandes
Il serait inéquitable de laisser à la WIKIMEDIA FOUNDATION Inc la charge des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer pour la défense de ses intérêts vis-à-vis de [K] [M]. Il y aura en conséquence lieu de condamner ce dernier à lui payer la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
[K] [M] sera condamné aux entiers dépens.
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort,
Déboutons [K] [M] de ses demandes de communication de données,
Condamnons [K] [M] à verser à la WIKIMEDIA FOUNDATION Inc la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamnons [K] [M] aux dépens.
Fait à Paris le 08 octobre 2024
Le Greffier, Le Président,
Minas MAKRIS Sophie COMBES