Référé ou Fond : l’obligation de conseil de l’Avocat

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Référé ou Fond : l’obligation de conseil de l’Avocat

Un Avocat peut engager sa responsabilité s’il n’éclaire pas suffisamment son client sur les bénéfices / coûts de l’action au fond en lieu et place d’un référé.

En l’espèce, si la SELARLU conteste avoir commis toute faute, il ressort des échanges de mails versés aux débats que l’Avocat en charge a d’abord conseillé à son client d’initier un référé en lui demandant de régler un honoraire de base de 1 500 Euros HT, pour solliciter par mail un forfait complémentaire pour introduire une procédure au fond dès lors que le référé à introduire dans le cas de son client est  » bien distinct de celui auquel [elle] pensait  » en ce qu’il est nécessaire de saisir le juge administratif, et que la réparation des préjudices sollicités requiert la saisine, non pas du juge des référés, mais d’un juge du fond.

Or, dès son courriel de présentation, le client indiquait à son Avocat le souhait d’obtenir le paiement de congés non payés, la compensation d’une baisse de salaire non prévue, la réparation de la non perception d’éventuels droits au chômage et le cas échéant des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice moral ou pour tout autre motif.

Au regard des demandes ainsi formulées, son avocat aurait dû, au titre de son obligation de conseil, le mettre en garde sur l’absence de possibilité pour le juge des référés de statuer sur l’éventuelle réparation d’un préjudice moral et lui présenter ouvertement les deux options : saisir le juge des référés des rappels de congés payés et de salaires non versés, ou saisir le juge du fond d’une demande d’indemnisation de l’ensemble de ses préjudices.

Le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu.

Le préjudice susceptible d’engager la responsabilité de l’avocat fautif doit être certain. Il peut être constitué par une perte de chance, c’est-à-dire la disparition d’une éventualité favorable.

La réclamation du montant des honoraires versés en pure perte en raison des fautes imputées à l’avocat ne s’analyse pas en demande de taxation soumise aux dispositions des article 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 et peut représenter des dommages et intérêts complémentaires correspondant au montant des honoraires exposés en pure perte.

La charge de la preuve de l’existence d’une chance perdue incombe au demandeur, conformément aux dispositions de l’article 1353 du code civil.

Dans le cas de la perte de chance de soumettre son litige à une juridiction ou d’obtenir un avantage lié à une procédure judiciaire, la perte de chance se caractérise en fonction de la probabilité de succès de ladite procédure. Il faut donc démontrer que l’action avait une chance sérieuse de succès en reconstituant la discussion qui aurait eu lieu devant la juridiction si aucune faute n’avait été commise.

Dans le cas où l’existence d’une perte de chance est établie, le préjudice est calculé selon une quote-part de l’avantage qui était escompté, un pourcentage de chance que l’événement favorable se produise.

La faiblesse de la probabilité de la survenance de l’événement favorable affecte donc le quantum du préjudice retenu, et non le principe même de la réparation. Le montant de la réparation est limité à la chance perdue et ne peut être égal à l’avantage qui aurait été obtenu si la chance s’était pleinement réalisée.

Pour rappel, un avocat engage sa responsabilité en cas de défaillance au devoir de conseil inhérent à l’exercice de sa profession, étant précisé qu’il lui appartient de se renseigner auprès de ses clients et de les informer des éléments utiles à l’action en justice qu’ils entendent mener. Lui incombe également un devoir de mise en garde, voire de dissuasion en cas de procédure manifestement vouée à l’échec.

Un avocat engage également sa responsabilité lorsqu’il commet un certain nombre de manquements dans la conduite des procédures qui lui sont confiées, et notamment lorsqu’il omet de déposer des conclusions, lorsqu’il introduit tardivement une action ou un appel, lorsque l’irrecevabilité d’une action est encourue par sa négligence ou alors lorsqu’il développe une argumentation manifestement inadéquate.

En application de l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

Résumé de l’affaire :

Contexte de l’affaire

M. [M] [D] a engagé Maître [U] [W] par courriel le 1er octobre 2016 pour défendre ses intérêts contre l’Université [5].

Assignation de l’avocate

Estimant que son avocate avait commis des fautes professionnelles, M. [M] [D] a assigné la SELARLU [W] devant le tribunal judiciaire de Paris le 14 novembre 2022 pour engager sa responsabilité civile professionnelle.

Demandes de M. [M] [D]

Dans ses conclusions du 21 septembre 2023, M. [M] [D] demande plusieurs sommes à titre de dommages et intérêts, incluant 1 549,40 euros pour des honoraires versés en pure perte, 15 000 euros pour la perte de chance de réclamer des sommes dues par l’Université [5], 5 000 euros pour préjudice moral et financier, ainsi que 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Fautes reprochées à l’avocate

M. [M] [D] reproche à Me [W] d’avoir manqué à son devoir d’assistance et d’information, notamment en affirmant à tort qu’il n’était pas éligible à l’aide juridictionnelle, en commettant des erreurs dans le traitement de son dossier, et en ne l’alertant pas sur le risque de prescription de son action.

Réponse de la SELARLU [W]

Dans ses conclusions du 9 juin 2023, la SELARLU [W] conteste avoir commis des fautes et demande le débouté de M. [M] [D]. Elle soutient que ce dernier ne prouve pas le lien de causalité entre ses fautes et les préjudices allégués.

Motivation du tribunal sur la faute de l’avocat

Le tribunal rappelle que la responsabilité d’un avocat peut être engagée en cas de manquement à son devoir de conseil et d’information. Il constate que Me [W] a effectivement manqué à ses obligations en ne mettant pas en garde son client sur le risque de prescription et en ne lui présentant pas les options juridiques adéquates.

Réparation des préjudices

M. [M] [D] demande la réparation de plusieurs préjudices, dont le remboursement des honoraires versés, la réparation de la perte de chance de réclamer des indemnités, et des dommages pour préjudice moral. Le tribunal examine chacune de ces demandes.

Décisions du tribunal

Le tribunal condamne la SELARLU [W] à verser à M. [M] [D] 1 200 euros pour les honoraires, 1 800 euros pour la perte de chance, et 1 500 euros pour le préjudice moral, ainsi qu’à payer les dépens et 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Conclusion

Le jugement est rendu le 30 octobre 2024, confirmant la responsabilité de la SELARLU [W] et ordonnant le paiement des sommes dues à M. [M] [D].

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

30 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
22/15110
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/2 resp profess du drt

N° RG 22/15110 – N° Portalis 352J-W-B7G-CYKAZ

N° MINUTE :

Assignation du :
14 Novembre 2022

JUGEMENT
rendu le 30 Octobre 2024
DEMANDEUR

Monsieur [M] [D]
[Adresse 4]
[Localité 3]

Représenté par Me Dimitri TRAUTMANN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0061

DÉFENDERESSE

S.E.L.A.R.L. [W]
[Adresse 1]
[Localité 2]

Représentée par Me Michel LEVY, avocat plaidant au barreau de PARIS, vestiaire #A0058, et par Me Alexandre BLONDIEAU, avocat postulant au barreau de PARIS, vestiaire #D1517

Décision du 30 Octobre 2024
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 22/15110 – N° Portalis 352J-W-B7G-CYKAZ

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame VITON, Première vice-présidente adjointe
Présidente de formation,

Madame GUIBERT, Vice-présidente
Madame MESSAS, Vice-présidente
Assesseurs,

assistées de Marion CHARRIER, Greffier lors des débats et de Gilles ARCAS, Greffier lors du prononcé

DÉBATS

A l’audience du 25 Septembre 2024
tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

M. [M] [D] a mandaté Maître [U] [W] par courriel du 1er octobre 2016 pour défendre ses intérêts contre son ancien employeur, l’Université [5].

Considérant que son avocate avait commis des fautes professionnelles à son égard, M. [M] [D] a, par acte extrajudiciaire du 14 novembre 2022, fait assigner la SELARLU [W] devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d’engager sa responsabilité civile professionnelle.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 21 septembre 2023, M. [M] [D] demande au tribunal de condamner la SELARLU [W] à lui payer :
– la somme de 1 549,40 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à des honoraires versés en pure perte ;
-la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de chance de réclamer les sommes demandées dans le litige l’opposant à l’Université [5], et subsidiairement la condamner à lui verser la somme de 3 551,51 euros correspondant à la perte de chance de réclamer les salaires et congés payés dans le litige l’opposant à l’Université de [5] ;
– la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et financier ;
– la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Il demande en outre que ces sommes portent intérêts au taux légal et que la SELARLU [W] soit condamnée aux dépens.
Il soutient que Me [W], pleinement informée de l’ensemble des éléments du litige par courriel du 1er octobre 2016 a manqué à son devoir d’assistance, d’information, de conseil et de compétence à son égard à plusieurs titres :
– en affirmant à tort qu’il n’était pas éligible à l’aide juridictionnelle et en sollicitant le paiement de la somme de 1 935,60 euros à titre d’honoraires ;
– en commettant de nombreuses erreurs, notamment comptables, dans le traitement du dossier ;
– en ne mettant pas son client en garde contre le risque de prescription de son action au 21 juillet 2017 et en ne lui conseillant pas d’exercer une procédure au fond ;
– en sollicitant le paiement d’honoraires supplémentaires non contractuellement convenus pour assigner l’université devant le tribunal administratif ;
– en mettant fin à son mandat le 15 novembre 2017 sans autre justification que le refus de paiement d’honoraires supplémentaires, en ne l’informant pas sur les suites à donner à son dossier et en ne lui conseillant aucun confrère.
S’agissant de la réparation de ses préjudices, il sollicite le remboursement du paiement des honoraires réglés à hauteur de 1 549,40 euros, précisant s’être vu restituer la somme de 386,20 euros par Me [W] après saisine du Bâtonnier d’une contestation des honoraires litigieux et rappelle qu’un client est fondé à réclamer à titre de préjudice les sommes correspondant aux honoraires versés en pure perte.
Il ajoute avoir, du fait de l’acquisition de la prescription deux mois après décision implicite de rejet du courrier de demande préalable du 21 mars 2017, soit au 21 juillet 2017, perdu une chance de réclamer les sommes demandées dans le litige l’opposant à son ancien employeur et considère que ces sommes étaient susceptibles de s’élever à titre principal à 15 000 euros au titre des salaires et congés payés dus par l’université, de l’allocation d’aide au retour à l’emploi qu’il aurait pu percevoir et des dommages et intérêts dus par l’université. Il rappelle que Me [W] évaluait d’ailleurs ces sommes à plus de 8 000 euros en novembre 2016. Subsidiairement, il sollicite le paiement de la somme de 3 551,51 euros bruts correspondant à la seule perte des salaires et congés payés.
Il évalue enfin à 5 000 euros le préjudice moral subi du fait de l’attitude dolosive de son avocate.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 9 juin 2023, la SELARLU [W] demande au tribunal de débouter M. [M] [D] de ses prétentions. Subsidiairement, si le tribunal devait considérer qu’une faute était établie, elle lui demande de dire que la perte de chance alléguée est inexistante et qu’il octroie à M. [M] [D] la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts. Elle sollicite en outre la condamnation de ce dernier à lui payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens, avec recouvrement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

La SELARLU [W] conteste avoir commis toute faute.
Elle déclare ne pas avoir eu pour instruction de réclamer des dommages et intérêts au moment de son courrier de mise en demeure, M. [D] souhaitant uniquement le paiement de salaires et congés payés qu’il considérait dus par l’université, ne pas avoir tardé dans son traitement du dossier de M. [D], lui avoir proposé d’agir au fond dès le 10 avril 2017, sous réserve d’un complément d’honoraires, et ne plus avoir eu de nouvelles de son client jusqu’à l’instance en contestation d’honoraires formée devant le bâtonnier.
Subsidiairement, si le tribunal retenait sa faute, elle soutient que M. [D] ne démontre pas le lien de causalité entre la faute reprochée et les préjudices allégués.
Elle ajoute que, si le tribunal retient que M. [D] a décidé de ne pas engager d’action au fond, les honoraires, in fine versés à hauteur de 1 000 euros HT à la suite de la décision rendue par M. le bâtonnier, correspondent à des prestations effectivement retenues par celui-ci et réalisées par Me [W] et n’ont pas été réglés en pure perte.
S’agissant du préjudice invoqué au titre de la perte de chance de réclamer des sommes à l’université, elle précise qu’aucune pièce n’apporte la preuve de la matérialité de ce préjudice, que M. [D] ne démontre aucune chance raisonnable de succès et que ce préjudice ne pourrait en tout état de cause être supérieur à la somme de 3 551,51 euros bruts au titre des salaires et congés payées et 667,80 euros au titre des frais de transport.
Elle soutient enfin que le préjudice moral n’est pas démontré et fait double emploi avec les demandes précédentes.
Elle conclut en considérant que, si une faute devait être considérée comme établie, le tribunal ne pourra octroyer plus qu’un euro à titre de dommages et intérêts.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à son assignation, dans les conditions de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 septembre 2023.

MOTIVATION

Sur la faute de l’avocat

En application de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

Un avocat engage sa responsabilité en cas de défaillance au devoir de conseil inhérent à l’exercice de sa profession, étant précisé qu’il lui appartient de se renseigner auprès de ses clients et de les informer des éléments utiles à l’action en justice qu’ils entendent mener. Lui incombe également un devoir de mise en garde, voire de dissuasion en cas de procédure manifestement vouée à l’échec.

Un avocat engage également sa responsabilité lorsqu’il commet un certain nombre de manquements dans la conduite des procédures qui lui sont confiées, et notamment lorsqu’il omet de déposer des conclusions, lorsqu’il introduit tardivement une action ou un appel, lorsque l’irrecevabilité d’une action est encourue par sa négligence ou alors lorsqu’il développe une argumentation manifestement inadéquate.

En application de l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

M. [D] reproche d’abord à la SELARLU [W] de lui avoir dit qu’il n’était pas éligible à l’aide juridictionnelle et de lui avoir demandé le paiement d’honoraires pour assurer la défense de ses intérêts alors même qu’il aurait en réalité dû bénéficier de l’aide juridictionnelle.

S’il expose ne pas avoir d’assurance juridique couvrant ses frais de justice et n’avoir eu que de faibles ressources pour les années 2016 et 2017 au vu des avis de situation déclaratives à l’impôt sur les revenues des années 2016 et 2017 communiqués (pièces en demande n° 25 et 26), M. [D] ne justifie cependant au tribunal ni de la valeur de son patrimoine mobilier ni de la valeur de son patrimoine immobilier à l’époque, éléments correspondant cependant à deux des critères d’éligibilité à l’aide juridictionnelle.
Dans ces conditions, M. [D] ne démontre pas la faute qu’aurait commise la SELARLU [W] en évoquant sa non éligibilité à cette aide et ce grief, non démontré, est rejeté.

M. [D] reproche encore à la SELARLU [W] d’avoir manqué de diligences dans le traitement de son dossier, ainsi qu’à son obligation d’information et de conseil, notamment en ne l’ayant pas alerté sur le risque de prescription de son action, en ne lui conseillant pas immédiatement une action au fond et en lui ayant demandé le paiement d’un forfait complémentaire pour assigner au fond son ancien employeur, alors qu’il avait déjà effectué un premier versement à cette fin.

Si la SELARLU [W] conteste avoir commis toute faute, il ressort des échanges de mails versés aux débats entre le 20 octobre 2016 et le 15 novembre 2017 que Me [W] a d’abord conseillé à son client d’initier un référé en lui demandant de régler un honoraire de base de 1 500 Euros HT (courriel du 20 octobre 2016, pièce en demande n° 1), pour solliciter par mail du 7 juin 2017 un forfait complémentaire pour introduire une procédure au fond dès lors que le référé à introduire dans le cas de son client est  » bien distinct de celui auquel [elle] pensait  » en ce qu’il est nécessaire de saisir le juge administratif, et que la réparation des préjudices sollicités par M. [D] requiert la saisine, non pas du juge des référés, mais d’un juge du fond.

Or, dès son courriel de présentation du 1er octobre 2016, M. [D] indiquait à Me [W] son souhait d’obtenir de l’Université [5] le paiement de congés non payés, la compensation d’une baisse de salaire non prévue, la réparation de la non perception d’éventuels droits au chômage et le cas échéant des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice moral ou pour tout autre motif.

Au regard des demandes ainsi formulées par M. [D], son avocate aurait dû, au titre de son obligation de conseil, le mettre en garde sur l’absence de possibilité pour le juge des référés de statuer sur l’éventuelle réparation d’un préjudice moral de M. [D] et lui présenter ouvertement les deux options : saisir le juge des référés des rappels de congés payés et de salaires non versés, ou saisir le juge du fond d’une demande d’indemnisation de l’ensemble de ses préjudices.

Il est par ailleurs constant que Me [W] a envoyé un courrier de mise en demeure préalable à l’Université [5] le 21 mars 2017, et que celle-ci n’y a pas répondu.
Or, aucun des échanges produits par les parties ne démontre que Me [W] aurait informé son client du risque de prescription de son action à l’issue d’un délai de deux mois après refus implicite d’indemnisation par l’université, soit en l’espèce à compter du 21 juillet 2017.

En acceptant son dossier pour saisir le juge des référés et en le facturant à ce titre sans lui indiquer clairement qu’il ne pourrait alors obtenir l’entière indemnisation des préjudices qu’il entendait solliciter, puis en l’informant de la difficulté avant de lui réclamer des honoraires complémentaires en vue d’assigner l’université au fond et en n’alertant pas son client sur le risque de prescription de son action, Me [W] a manqué à son obligation d’information, de conseil et de diligences et a à ce titre commis une faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle.

Sur la réparation des préjudices

Le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu.

Le préjudice susceptible d’engager la responsabilité de l’avocat fautif doit être certain. Il peut être constitué par une perte de chance, c’est-à-dire la disparition d’une éventualité favorable.

En réparation de ses préjudices, M. [D] sollicite la condamnation de son avocate à :

– Lui rembourser les honoraires qu’il lui a versés, qu’il chiffre à la somme de 1 549,40 euros :

La réclamation du montant des honoraires versés en pure perte en raison des fautes imputées à l’avocat ne s’analyse pas en demande de taxation soumise aux dispositions des article 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 et peut représenter des dommages et intérêts complémentaires correspondant au montant des honoraires exposés en pure perte.

Les diligences de la défenderesse apparaissent en l’espèce largement inutiles pour son client, dès lors qu’eu égard aux fautes par elle commises M. [D] est prescrit en ses prétentions.

Il ressort de la décision rendue par le Bâtonnier le 21 décembre 2020 que, si M. [D] a bien originellement payé à son avocate la somme de 1 935,60 euros selon facture du 22 novembre 2016, celle-ci lui a restitué la somme de 349,40 euros compte-tenu de la volonté de M. [D] de ne pas engager de procédure contentieuse, de sorte que la SELARLU [W] a finalement perçu la somme de 1 586,20 euros TTC à titre d’honoraires payés par M. [D].
Le Bâtonnier évaluant à 1 200 euros TTC le montant réel des honoraires dus au regard des diligences effectivement réalisées, il a condamné la SELARLU, par décision du 21 décembre 2020, à rembourser à M. [D] la somme de 386,20 euros TTC, de sorte qu’il doit être considéré que la SELARLU [W] a finalement perçu la somme de 1 200 euros de M. [D].

Dans ces conditions, il convient de condamner la SELARLU [W] à lui payer la somme de 1 200 TTC en remboursement des honoraires qu’il a versés à la SELARLU [W], assortie des intérêts au taux légal à compter du présent jugement et jusqu’à complet paiement en application de l’article 1231-7 du code civil.
M. [D] est débouté du surplus de sa demande à ce titre.

– Lui payer à titre principal la somme de 15 000 euros en réparation de la perte de chance de réclamer une indemnisation devant le tribunal administratif ;

La charge de la preuve de l’existence d’une chance perdue incombe au demandeur, conformément aux dispositions de l’article 1353 du code civil.

Dans le cas de la perte de chance de soumettre son litige à une juridiction ou d’obtenir un avantage lié à une procédure judiciaire, la perte de chance se caractérise en fonction de la probabilité de succès de ladite procédure. Il faut donc démontrer que l’action avait une chance sérieuse de succès en reconstituant la discussion qui aurait eu lieu devant la juridiction si aucune faute n’avait été commise.
Dans le cas où l’existence d’une perte de chance est établie, le préjudice est calculé selon une quote-part de l’avantage qui était escompté, un pourcentage de chance que l’événement favorable se produise. La faiblesse de la probabilité de la survenance de l’événement favorable affecte donc le quantum du préjudice retenu, et non le principe même de la réparation. Le montant de la réparation est limité à la chance perdue et ne peut être égal à l’avantage qui aurait été obtenu si la chance s’était pleinement réalisée.

En l’espèce, M. [D] se contente de chiffrer le préjudice réclamé à titre principal de manière forfaitaire, sans aucunement démontrer qu’il aurait effectivement eu des chances d’obtenir une indemnisation d’un tel montant devant les juridictions administratives. Il ne caractérise dès lors pas la réalité de ce préjudice et doit être débouté de cette demande.

– Lui payer à titre subsidiaire la somme de 3 551,51 euros en réparation de la perte de chance de réclamer les salaires et congés payés originellement demandés ;

M. [D] sollicite subsidiairement le paiement de la somme de 3 551,51 euros et verse en sa pièce n° 26 divers documents sur lesquels il fonde ses chances de succès devant la juridiction administrative, sans cependant prendre le soin de les analyser juridiquement.

En comparant les montants qu’il chiffrait dans les courriels versés aux débats, il apparaît que cette somme se décompose en 1 906,62 euros au titre des congés payés et 1 644,89 euros au titre des salaires (courriel du 22 mars 2017, pièce en demande n° 14).

S’il produit bien des pièces au soutien de cette demande, il ne reconstitue cependant aucunement la discussion juridique qui aurait eu lieu devant la juridiction administrative si aucune faute n’avait été commise.

Eu égard aux pièces ainsi versées, à la courte prescription prévue par les articles L. 1471-1 et L. 3245-1 du code du travail que l’Université n’aurait pas manqué d’évoquer au regard du courriel de M. [O] [S] du 4 février 2015, et à la saisine de Me [W] en fin d’année 2016, la perte de chance de M. [D] causée par les manquements de son avocate doit être évaluée à 1 800 euros.

La SELARLU [W] est dès lors condamnée à payer à M. [M] [D] la somme de 1 800 euros, outre intérêts au taux légal à compter du présent jugement et jusqu’à complet paiement en application de l’article 1231-7 du code civil, en réparation de la perte de chance d’obtenir le paiement en justice des congés payés et salaires.

– Lui régler la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et financier ;

M. [D] est, au terme du présent jugement, intégralement remboursé des frais d’avocats exposés au profit de la société défenderesse et ne justifie pas d’un préjudice financier supplémentaire. Il est donc débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre d’un préjudice financier.

Il n’en reste pas moins qu’il a effectivement subi un préjudice moral, correspondant au sentiment de ne pas avoir vu ses intérêts correctement défendus par un professionnel du droit ainsi qu’aux tracas générés par la présente procédure, qu’il est légitime d’évaluer à la somme de 1 500 euros.

La SELARLU [W] est dès lors condamnée à lui payer la somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent jugement et jusqu’à complet paiement en application de l’article 1231-7 du code civil.

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

La SELARLU [W], partie perdante, est condamnée aux dépens.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

Il est équitable de condamner la SELARLU [W] à payer à M. [D] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de rejeter la demande de la société défenderesse fondée sur cet article.

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal, statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe,

CONDAMNE la SELARLU [W] à payer à M. [M] [D] la somme de 1 200 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent jugement et jusqu’à complet paiement, en réparation des honoraires versés ;

CONDAMNE la SELARLU [W] à payer à M. [M] [D] la somme de 1 800 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent jugement et jusqu’à complet paiement, en réparation de la perte de chance d’obtenir le paiement en justice des congés payés et salaires ;

CONDAMNE la SELARLU [W] à payer à M. [M] [D] la somme de 1 500 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent jugement et jusqu’à complet paiement, en réparation du préjudice moral causé ;

CONDAMNE la SELARLU [W] aux entiers dépens ;

CONDAMNE la SELARLU [W] à payer à M. [M] [D] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE la demande de la SELARLU [W] fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 30 Octobre 2024

Le Greffier Le Président
Gilles ARCAS Cécile VITON


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