Contexte de l’affaireMonsieur [E] [J] a été directeur général d’un organisme paritaire collecteur agréé et, après plusieurs fusions, a occupé le poste de directeur stratégie et actions territoriales au sein de l’association [13]. Demande de reconnaissance de maladie professionnelleLe 13 juillet 2021, Monsieur [M] [J], en tant qu’ayant-droit, a sollicité la CPAM des Hauts de Seine pour reconnaître le caractère professionnel du syndrome anxiodépressif dont souffrait Monsieur [E] [J], décédé par pendaison le 25 janvier 2021. Instruction et décisions des comitésLa CPAM a transmis le dossier au CRRMP d’Île de France, qui a rejeté le lien entre la pathologie et le travail de Monsieur [E] [J] par un avis du 2 février 2022. La CPAM a ensuite notifié à Monsieur [M] [J] son refus de reconnaissance le 14 mars 2022. Recours et contestationsMonsieur [M] [J] et Madame [K] [J] ont contesté cette décision devant la commission de recours amiable, puis saisi le tribunal judiciaire de Marseille. L’association [13] est intervenue dans la procédure. Intervention d’un second CRRMPLe tribunal a désigné un second CRRMP, celui de Bourgogne Franche Comté, pour examiner la situation. Ce comité a finalement établi un lien direct et essentiel entre la maladie de Monsieur [E] [J] et son travail par un avis rendu le 9 novembre 2023. Audience et demandes des partiesLors de l’audience du 4 juin 2024, les consorts [J] ont demandé l’infirmation des décisions précédentes et la reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie et du décès de Monsieur [E] [J]. La CPAM a demandé la désignation d’un troisième CRRMP ou la confirmation de son refus de reconnaissance. Arguments des partiesLes consorts [J] ont soutenu que les conditions de travail de Monsieur [E] [J] avaient été modifiées de manière brutale, entraînant des troubles psychologiques. La CPAM a fait valoir que les avis des CRRMP étaient contradictoires et a demandé un nouvel avis. Décision du tribunalLe tribunal a déclaré irrecevable l’intervention de l’association [13] et a reconnu le caractère professionnel du syndrome anxiodépressif de Monsieur [E] [J]. Il a renvoyé les consorts [J] devant la CPAM pour la liquidation de leurs droits. Demande de rente viagèreLa demande de rente viagère de Madame [K] [J] a été jugée irrecevable, car aucune décision préalable de la CPAM n’avait été prise à ce sujet. Condamnation aux dépensL’association [13] et la CPAM des Hauts de Seine ont été condamnées aux dépens et à verser une somme de 3.600 euros aux consorts [J] pour les frais de la procédure. Exécution provisoireLe tribunal a ordonné l’exécution provisoire de son jugement, remplaçant les décisions administratives antérieures. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
POLE SOCIAL
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 2]
JUGEMENT N°24/04250 du 31 Octobre 2024
Numéro de recours: N° RG 22/02264 – N° Portalis DBW3-W-B7G-2MXC
AFFAIRE :
DEMANDEURS
Madame [K] [J]
née le 06 Juin 1965 à [Localité 8]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
comparante en personne assistée de Me Mikaël KLEIN, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Alizée GILLAUX, avocat au barreau de PARIS
Monsieur [M] [J]
né le 02 Mars 1990 à [Localité 14] (ILLE-ET-VILAINE)
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
comparant en personne assisté de Me Mikaël KLEIN, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Alizée GILLAUX, avocat au barreau de PARIS
c/ DEFENDERESSE
Organisme CPAM DES HAUTS DE SEINE
[Adresse 5]
[Localité 7]
représentée par Mme [O] [H] (Inspecteur juridique), munie d’un pouvoir régulier
Appelé(s) en la cause:
Association [13]
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Me Joumana FRANGIE-MOUKANAS, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS : À l’audience publique du 04 Juin 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :
Président : DEPARIS Eric, Vice-Président
Assesseurs : JAUBERT Caroline
MURRU Jean-Philippe
Lors des débats : ELGUER Christine, Greffier
À l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 31 Octobre 2024
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
Monsieur [E] [J] a exercé les fonctions de directeur général de l’organisme paritaire collecteur agréé ([11]) [10] et, suite à deux fusions en date des 1er janvier 2012 et 1er janvier 2020, ainsi qu’au transfert de son contrat de travail en application de l’article L1224-1 du Code du travail, Monsieur [E] [J] a occupé, dans le dernier état de sa carrière, le poste de directeur stratégie et actions territoriales de l’association [13] (ci-après « l’association [13]»).
Le 13 juillet 2021, Monsieur [M] [J], en sa qualité d’ayant-droit, a demandé à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) des Hauts de Seine de reconnaître le caractère professionnel du syndrome anxiodépressif dont souffrait Monsieur [E] [J], et de son décès, survenu le 25 janvier 2021 par pendaison.
La CPAM des Hauts de Seine a diligenté une instruction et transmis le dossier de Monsieur [E] [J] au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de la région Île de France pour examen.
Par avis du 2 février 2022, le CRRMP Île de France a rejeté l’existence d’un lien direct et essentiel entre la pathologie de Monsieur [E] [J] et son travail habituel.
Par courrier du 14 mars 2022, la CPAM des Hauts de Seine a notifié à Monsieur [M] [J] sa décision de ne pas reconnaitre le caractère professionnel de la maladie dont était atteint feu Monsieur [E] [J].
Le 6 mai 2022, Monsieur [M] [J] et Madame [K] [J] veuve de Monsieur [E] [J] ont contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la CPAM des Hauts de Seine.
Par requête expédiée le 29 août 2022, Monsieur [M] [J] et Madame [K] [J] ont saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille en leur qualité d’ayant-droit de Monsieur [E] [J] aux fins de contestation de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable de la CPAM des Hauts de Seine.
Par courrier recommandé expédié le 4 octobre 2022, l’association [13] est intervenue volontairement à la présente procédure.
Suivant ordonnance du 18 octobre 2022, le président du pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a, dans le cadre de l’instruction de l’affaire, désigné un second CRRMP (région Bourgogne Franche Comté) avec pour mission de :
– dire si l’affection présentée par Monsieur [E] [J] a été essentiellement et directement causée par son travail habituel,
– dire si cette affection doit être prise en charge sur la base de la législation relative aux maladies professionnelles, hors tableau.
Constatant la carence du CRRMP de la région Bourgogne Franche Comté, le président du pôle social a, par ordonnance du 12 septembre 2023, procédé au remplacement de ce comité et désigné en ses lieu et place le CRRMP de la région Occitanie.
Le CRRMP de la région Bourgogne Franche Comté initialement désigné par le tribunal a finalement rendu son avis le 9 novembre 2023, lequel établit un lien direct et essentiel entre la maladie de Monsieur [E] [J] et son travail habituel.
Par ordonnance du 31 décembre 2023, le président du pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a en conséquence rétracté l’ordonnance du 12 décembre 2023 remplaçant le CRRMP de la région Bourgogne Franche Comté par le CRRMP de la région Occitanie, et constaté que le CRRMP de la région Bourgogne Franche Compté a rendu son avis motivé le 9 novembre 2023.
L’affaire a été appelée et retenue à l’audience de plaidoirie du 4 juin 2024.
Monsieur [M] [J] et Madame [K] [J] sont présents lors de l’audience en leur qualité d’ayant-droit de Monsieur [E] [J] et représentés par leur conseil. Aux termes de conclusions oralement soutenues, ils demandent au tribunal de :
– Infirmer la décision du 14 mars 2022 par laquelle la CPAM des Hauts de Seine a rejeté la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie et du décès de Monsieur [E] [J],
– Infirmer la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable née du silence gardé par celle-ci sur le recours formé à l’encontre de la décision du 14 mars 2022,
– Reconnaître l’origine professionnelle du syndrome anxiodépressif de Monsieur [E] [J] et de son suicide intervenu le 25 janvier 2021 à la suite de cette maladie,
– Juger que sa maladie et son décès doivent être prise en charge par la CPAM des Hauts de Seine au titre de la législation professionnelle,
– Condamner la CPAM de Hauts de Seine à leur verser les prestations correspondantes,
– Fixer la rente due à Madame [K] [J] en qualité de conjoint survivant à compter du 26 janvier 2021 au montant annuel de 44.715,07 euros,
– Juger que cette rente sera revalorisée au 1er avril de chaque année à compter du 26 janvier 2021, y compris rétroactivement, dans les conditions prévues aux articles L434-17 et L161-25 du Code de la sécurité sociale,
– Rappeler que l’exécution provisoire du présent jugement est de droit,
– Condamner solidairement la CPAM des Hauts de Seine et l’association [13] à leur verser, ensemble, la somme de 3.600 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Condamner la CPAM des Hauts de Seine aux entiers dépens,
– Rejeter les demandes de la CPAM des Hauts de Seine et de l’association [13].
Les consorts [J] considèrent que l’avis du CRRMP de la région Île de France est irrégulier pour avoir été rendu en présence de deux de ses membres seulement. Ils soutiennent que le tribunal doit en conséquence se prononcer sur le caractère professionnel de la maladie et du décès de Monsieur [E] [J] au regard du seul avis du CRRMP de la région Bourgogne Franche Comté, et ce sans qu’il soit nécessaire de solliciter l’avis d’un troisième CRRMP.
Sur le fond, les consorts [J] font essentiellement valoir que, suite à un changement de direction, Monsieur [E] [J] a vu ses condition de travail brutalement modifiées. Il a ensuite été victime d’une campagne de déstabilisation et de dénigrement, qui est directement et essentiellement à l’origine de ses troubles anxiodépressifs et de son décès.
La CPAM des Hauts de Seine est représentée par un inspecteur juridique muni d’un pouvoir régulier qui demande au tribunal, aux termes de conclusions oralement réitérées, de :
– A titre principal, ordonner la désignation d’un troisième CRRMP aux fins de dire si l’affection de son vivant par Monsieur [E] [J] a été essentiellement et directement causée par son travail habituel et dire si cette affection doit être prise en charge sur la base de la législation relative aux maladies professionnelles hors tableau,
– A titre subsidiaire, confirmer la décision du 14 mars 2022 portant refus de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie et du décès de Monsieur [E] [J],
– Débouter les ayants droit de Monsieur [E] [J] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
– Condamner Monsieur [M] [J] et Madame [K] [J] aux entiers dépens.
La CPAM des Hauts de Seine fait valoir que les avis des deux CRRMP sont parfaitement contradictoires et que, dans ces conditions, le tribunal ne peut trancher le litige sans solliciter l’avis d’un troisième CRRMP. Elle ajoute que les demandes relatives à la rente du conjoint survivant sont irrecevables puisque, en l’état de la procédure, aucune décision préalable de la caisse n’est intervenue sur ce point.
L’association [13] est représentée par son conseil. Par voie de conclusions oralement soutenues, elle demande au tribunal de :
– A titre principal confirmer la décision de refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie déclarée au titre d’un syndrome anxiodépressif réactionnel adoptée par la caisse primaire le 14 mars 2022 et qui se fonde sur l’avis du CRRMP d’Île de France,
– Débouter les consorts [J] de leur demande de reconnaissance de l’origine professionnelle des troubles anxieux réactionnels et troubles de panique du sommeil développés par Monsieur [E] [J],
– Juger que le tribunal est saisi de la seule question de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée au titre d’un syndrome anxiodépressif réactionnel,
– A titre subsidiaire, ordonner une mesure d’expertise sur pièces confiée à un expert judiciaire près la cour d’appel spécialisé en psychiatrie en application de l’article R142-16 du Code de la sécurité sociale,
– A défaut, désigner un troisième CRRMP composé d’un praticien spécialiste ou compétent en psychiatrie avec la mission précisée dans les conclusions,
– A titre subsidiaire, si le tribunal devait admettre la prise en charge du syndrome anxiodépressif de Monsieur [E] [J] en raison de l’irrégularité de l’avis du premier CRRMP, juger que le caractère professionnel de la maladie n’est pas établi entre l’employeur et les consorts [J],
– Juger la demande formulée par Madame [K] [J] au titre de la rente de conjoint survivant irrecevable,
– Débouter Madame [K] [J] de sa demande de rente de conjoint survivant,
– En tout cas, juger que la décision de refus de prise en charge du syndrome anxiodépressif au titre de la législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles en date du 14 mars 2022 est définitive à son égard.
En application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé plus ample de leurs prétentions et leurs moyens.
L’affaire est mise en délibéré au 31 octobre 2024.
Sur la recevabilité de l’intervention volontaire de l’association [13]
Aux termes de l’article 330 du Code de procédure civile, l’intervention volontaire est accessoire lorsqu’elle appuie les prétentions d’une partie. Elle est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
En l’espèce, les consorts [J] ont saisi le tribunal de céans aux fins de réformation de la décision de la CPAM des Hauts de Seine ayant refusé la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie et du décès de Monsieur [E] [J].
Ce litige s’inscrit donc dans les rapports salarié / caisse, lesquels sont indépendants de ceux existant entre l’employeur et la caisse, et entre le salarié et l’employeur.
L’association [13] est intervenue volontairement dans la présente procédure afin que le tribunal confirme la décision de refus de prise en charge de la maladie et du décès de Monsieur [E] [J] et la dise définitive à son égard.
Cette intervention ne présente cependant aucun intérêt pour l’association [13], s’agissant d’un litige qui ne concerne pas les rapports employeur / caisse ou employeur / salarié.
Elle sera par conséquent déclarée irrecevable.
Sur le caractère professionnel de la maladie et du décès de Monsieur [E] [J]
Aux termes de l’article L461-1 du Code de la sécurité sociale, une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans ce cas, la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un CRRMP. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L’avis du comité s’impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l’article L315-1.
Les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d’origine professionnelle, dans les conditions prévues aux septième et avant-dernier alinéa du présent article. Les modalités spécifiques de traitement de ces dossiers sont fixées par voie réglementaire.
Par avis du 2 février 2022, le CRRMP Île de France a rejeté le lien de causalité direct et essentiel entre la pathologie et le travail habituel de Monsieur [E] [J].
Les consorts [J] estiment que le tribunal ne peut se fonder sur cet avis puisque le CRRMP Île de France n’était pas régulièrement composé.
L’article D461-27 du Code de la sécurité sociale dispose en effet, dans sa version applicable au litige, que le comité régional comprend :
1° Le médecin-conseil régional mentionné à l’article R315-3 du Code de la sécurité sociale ou un médecin-conseil de l’échelon régional qu’il désigne pour le représenter ;
2° Le médecin inspecteur régional du travail mentionné à l’article L8123-1 du Code du travail ou le médecin inspecteur qu’il désigne pour le représenter ;
3° Un professeur des universités-praticien hospitalier ou un praticien hospitalier, particulièrement qualifié en matière de pathologie professionnelle nommé pour quatre ans et inscrit sur une liste établie par arrêté du directeur général de l’agence régionale de santé.
La cour de cassation a précisé que le CRRMP ne peut régulièrement émettre un avis que lorsqu’il est composé conformément aux dispositions de l’article D461-27 du Code de la sécurité sociale (Civ. 2è 9 fev. 2017, n° 15-21.986).
Or l’avis rendu le 2 février 2022 par le CRRMP de la région Île de France sur le fondement du septième alinéa de l’article L461-1 du Code de la sécurité sociale mentionne que le comité était composé d’un médecin conseil régional ou son représentant ou médecin compétent du régime de sécurité sociale concerné et d’un professeur des universités, le médecin inspecteur régional du travail ou son représentant étant absent.
Le CRRMP Île de France n’était donc pas régulièrement composé et ne pouvait dès lors émettre valablement son avis.
Il conviendra en conséquence d’écarter l’avis rendu le 2 février 2022 en violation des dispositions de l’article D461-27.
Par avis du 9 novembre 2023, le CRRMP Bourgogne Franche Comté régulièrement composé a établi l’existence d’un lien de causalité direct et essentiel entre la pathologie et le travail habituel de Monsieur [E] [J] aux motifs que :
« Il s’agit d’un homme de 58 ans.
La date de première constatation médicale a été fixée au 28/04/2020.
La profession est : directeur de collecte de fond.
L’avis du médecin du travail ne figure pas au dossier.
Après refus du CRRMP d’Île de France en date du 02/02/2022, le tribunal judiciaire de Marseille dans son ordonnance du 24/10/2022 désigne le CRRMP de Bourgogne Franche Comté avec pour mission de dire si l’affection présentée de son vivant par la victime a été essentiellement et directement causée par son travail habituel ; de dire si cette affection doit être prise en charge sur la base de la législation relative aux maladies professionnelles hors tableau.
Après avoir étudié les pièces du dossier communiqué, le CRRMP constate, des éléments objectifs de contraintes psycho organisationnelles suffisantes pour expliquer le développement de la pathologie déclarée. Le délai écoulé entre la fin de l’exposition directe au risque et le suicide de l’assuré peut être expliqué par des éléments d’histoire médicale cohérents.
C’est pourquoi, en l’absence de facteurs de risque extra professionnels identifiés, il convient de retenir un lien direct et essentiel entre l’affection présentée et l’exposition professionnelle ».
Cet avis est clair, précis et dénué de toute forme d’ambiguïté.
Il est constant que le juge n’est pas lié par l’avis du CRRMP, dont il apprécie souverainement la valeur et la portée.
Le lien direct s’entend de l’exposition constante et habituelle au risque qui a causé la maladie.
Le lien essentiel correspond quant à lui au caractère prépondérant d’un facteur. Ainsi le travail habituel de la victime doit-il être la cause principale de l’apparition de la maladie.
Les consorts [J] soutiennent que le syndrome anxiodépressif dont Monsieur [E] [J] a souffert de son vivant, ainsi que son décès, sont essentiellement et directement liés à ses conditions de travail. Ils dressent un exposé détaillé de ces dernières depuis la désignation de Madame [B] [R] en qualité de directrice générale de l’association [13].
Ils produisent des échanges de courriels et de nombreuses attestations concordantes de collègues de travail faisant état d’un changement brutal de comportement de la directrice générale à l’égard de Monsieur [E] [J], et de l’exercice pathogène de son pouvoir de direction.
Il ressort en particulier de l’attestation de Monsieur [U] [G] qui occupe le poste de directeur de réseau régional à l’[13] sous la responsabilité hiérarchique directe de Madame [B] [R] et du procès-verbal d’audition de Madame [N] [Z] assistante de direction à l’[13] que Monsieur [E] [J] avait apporté son soutien à la candidature de Madame [B] [R] au poste de directrice générale de l’[13] et que, suite à sa désignation, elle a brutalement changé de comportement à son égard, en le dévalorisant, l’ostracisant et en lui faisant notamment supporter les responsabilités de ses propres décisions.
Madame [N] [Z] atteste également de ce que la dégradation des conditions de travail de Monsieur [E] [J] a eu des conséquences sur son comportement et son état de santé psychique.
Les consorts [J] démontrent par ailleurs que, dans le cadre des opérations de fusion et de transfert des contrats, l’association [13], dirigée par Madame [B] [R], a proposé un nouveau contrat de travail à Monsieur [E] [J] qui lui faisait perdre un certain nombre d’avantages.
Il ressort en effet de la lecture de son contrat de travail du 23 décembre 2010 conjuguée à celle du contrat proposé le 30 décembre 2019 que Monsieur [E] [J] allait perdre, notamment, le bénéfice de jours de RTT et d’une indemnité conventionnelle de licenciement (pièces 2 et 4 du demandeur).
Les consorts [J] font valoir que c’est dans ce contexte que l’association [13] a souhaité congédier Monsieur [E] [J].
Ils produisent le courrier du 23 avril 2020 notifiant à Monsieur [E] [J] la tenue d’un entretien préalable à un éventuel licenciement pour faute grave et une mise à pied conservatoire, et deux attestations d’ouvriers présents à son domicile lors d’une réunion de chantier s’étant tenue le 24 avril 2020, rapportant les circonstances dans lesquelles Monsieur [E] [J] a appris cette mesure, son malaise, et son changement de comportement à compter de cette date.
Dans un courriel de condoléances adressé à Madame [K] [J], Monsieur [C] [W], administrateur de l’association [13] et ancien président de l’[12], a reconnu que la procédure de licenciement engagée à l’encontre de Monsieur [E] [J] était « inutile et humiliante ». Il a ajouté : « je ne peux m’empêcher de penser que les circonstances de son départ d’[13] ont dû peser dans sa décision, même s’il avait demandé à partir ».
Les consorts [J] justifient enfin de la dégradation corrélative de l’état de santé de Monsieur [E] [J].
Ils produisent des pièces de nature médicale constatant que Monsieur [E] [J] souffrait d’un syndrome anxiodépressif réactionnel à ses conditions de travail (notamment pièce 24 des demandeurs).
Les attestations de ses proches, notamment celles de Madame [X] [S], de Monsieur [L] [F] et de Madame [A] [F], établissent que les conditions de travail de Monsieur [E] [J] sont la principale cause, si ce n’est la cause exclusive, de son syndrome anxiodépressif, duquel s’en est suivi son décès par pendaison.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, et de l’avis favorable du CRRMP de la région Bourgogne Franche Comté en date du 9 novembre 2023, il y a lieu de retenir l’existence d’un lien direct et essentiel entre le syndrome anxiodépressif dont souffrait Monsieur [E] [J] de son vivant, son décès et son activité professionnelle.
Le tribunal reconnaît en conséquence, et sans qu’il y ait lieu de solliciter l’avis d’un troisième CRRMP, l’origine professionnelle du syndrome anxiodépressif de Monsieur [E] [J] et de son suicide intervenu le 25 janvier 2021 à la suite de cette maladie, qui seront pris en charge par la CPAM des Hauts de Seine au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par suite, Monsieur [M] [J] et Madame [K] [J] seront renvoyés devant la CPAM des Hauts de Seine pour la liquidation de leurs droits.
Il n’y a pas lieu en revanche d’infirmer la décision du 14 mars 2022 ni la décision de la commission de recours amiable, s’agissant de décisions administratives auxquelles le présent jugement a vocation à se substituer.
Sur la demande de rente de Madame [K] [J]
Madame [K] [J] sollicite la condamnation de la CPAM des Hauts de Seine à lui verser la rente viagère prévue par les articles R434-7 et suivants du Code de la sécurité sociale à compter du 26 janvier 2021 au montant annuel de 44.715,07 euros.
Ces dispositions prévoient cependant qu’une rente viagère ne peut être servie au conjoint survivant que lorsque le décès de la victime a été pris en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels.
En l’état de la procédure, la CPAM des Hauts de Seine n’a pu se prononcer préalablement sur l’attribution et le montant de cette rente.
Or le tribunal ne peut, en application des articles R142-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, se prononcer en l’absence de décision préalable de l’organisme.
Les demandes formées par les consorts [J] au titre de la rente viagère sont par conséquent irrecevables.
Sur les demandes accessoires
L’association [13] et la CPAM des Hauts de Seine, qui succombent à leurs prétentions, seront solidairement condamnées aux dépens de l’instance en application des dispositions de l’article 696 du Code de procédure civile.
Il serait par ailleurs inéquitable que les consorts [J] supportent les frais irrépétibles qu’ils ont été contraints d’exposer dans le cadre de la présente procédure. L’association [13] et la CPAM des Hauts de Seine seront condamnés in solidum à leur verser la somme de 3.600 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
La nature et l’ancienneté du litige justifient par ailleurs d’ordonner l’exécution provisoire du présent jugement.
Le tribunal, statuant en audience publique par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
DÉCLARE irrecevable l’intervention volontaire de l’association [13] formée par courrier du 4 octobre 2022,
DÉCLARE irrecevables les demandes de Monsieur [M] [J] et Madame [K] [J] relatives à la rente viagère de conjoint survivant,
RECONNAIT le caractère professionnel du syndrome anxiodépressif dont souffrait Monsieur [E] [J], et de son décès, survenu le 25 janvier 2021 par pendaison,
RENVOIE en conséquence Monsieur [M] [J] et Madame [K] [J] devant la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts de Seine afin qu’ils soient remplis de leurs droits,
RAPPELLE que le présent jugement se substitue aux décisions de l’organisme,
CONDAMNE in solidum la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts de Seine et l’association [13] à verser à Monsieur [M] [J] et Madame [K] [J] la somme de 3.600 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNE solidairement la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts de Seine et l’association [13] aux entiers dépens,
ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
RAPPELLE que tout appel de la présente décision doit être formé, sous peine de forclusion, dans le délai d’un mois à compter de la réception de sa notification, conformément aux dispositions de l’article 538 du code de procédure civile.
Notifié le :
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT