Contexte de l’affaireMadame [L], employée de la SAS [5] en tant que serveuse puis directrice de restaurant, a déclaré une maladie professionnelle le 11 décembre 2018, qualifiée de « syndrome dépressif sévère réactionnel aux conditions de travail », soutenue par un certificat médical du même jour. Reconnaissance de la maladie professionnelleLe dossier a été examiné par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de [Localité 6], qui a rendu un avis favorable le 17 février 2020, établissant un lien entre la pathologie et le travail de Madame [L]. La caisse primaire d’assurance maladie du Maine-et-Loire a ensuite pris en charge cette pathologie le même jour. Contestation par la SAS [5]Le 25 mai 2020, la SAS [5] a contesté la décision de prise en charge auprès de la commission de recours amiable, qui a rejeté le recours le 18 juin 2020. La société a alors saisi le tribunal judiciaire de Nanterre le 14 octobre 2020. Demandes de la SAS [5]Lors de l’audience du 23 septembre 2024, la SAS [5] a demandé l’annulation de la décision de la commission de recours amiable et la déclaration d’inopposabilité de la décision de prise en charge. Elle a également demandé des dommages-intérêts et la désignation d’un second CRRMP pour réévaluer la maladie. Position de la CPAMLa caisse primaire d’assurance maladie a demandé la confirmation du respect du principe du contradictoire dans l’instruction de la maladie de Madame [L] et, subsidiairement, la saisine d’un second CRRMP pour évaluer le lien de causalité entre l’activité professionnelle et la maladie. Délibération et décision du tribunalAprès les débats, l’affaire a été mise en délibéré pour décision le 31 octobre 2024. Le tribunal a statué sur les moyens soulevés, notamment sur l’absence d’information de l’employeur et le non-respect des délais d’instruction. Motifs de la décisionLe tribunal a constaté que la CPAM n’avait pas respecté son obligation d’informer la SAS [5] de la prolongation du délai d’instruction, ce qui a conduit à l’inopposabilité de la décision de prise en charge. En conséquence, la SAS [5] a été accueillie dans son recours. Conclusion du jugementLe tribunal a déclaré inopposable à la SAS [5] la décision de prise en charge de la maladie de Madame [L] et a condamné la CPAM du Maine-et-Loire aux dépens de l’instance. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE NANTERRE
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PÔLE SOCIAL
Affaires de sécurité sociale et aide sociale
JUGEMENT RENDU LE
31 Octobre 2024
N° RG 20/01612 – N° Portalis DB3R-W-B7E-WC4C
N° Minute : 24/01493
AFFAIRE
S.A.S. [5]
C/
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU MAINE ET LOIRE
Copies délivrées le :
DEMANDERESSE
S.A.S. [5]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Chloé BOUCHEZ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0168
substituée à l’audience par Me Cristina GOMES OLIVEIRA, avocate au barreau de PARIS
DEFENDERESSE
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU MAINE ET LOIRE
Service Juridique
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Mme [R] [T], munie d’un pouvoir régulier
***
L’affaire a été débattue le 23 Septembre 2024 en audience publique devant le tribunal composé de :
Matthieu DANGLA, Vice-Président
Jérôme DILLAT, Assesseur, représentant les travailleurs salariés
Karine RENAT, Assesseur, représentant les travailleurs non-salariés
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats et du prononcé : Stéphane DEMARI, Greffier.
JUGEMENT
Prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
Madame [L], salariée de la SAS [5] en qualité de serveuse, puis de directrice de restaurant, a déclaré une maladie professionnelle le 11 décembre 2018 au titre d’un » syndrome dépressif sévère réactionnel aux conditions de travail « , sur la base d’un certificat médical daté du même jour faisant état d’un » syndrome anxiodépressif sévère réactionnel en relation avec les conditions de travail « .
Après instruction, le dossier a été transmis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de [Localité 6] qui a rendu un avis favorable quant à l’existence d’un lien entre la pathologie déclarée et le travail du salarié le 17 février 2020.
La caisse primaire d’assurance maladie du Maine-et-Loire a pris en charge cette pathologie au titre de la législation sur les risques professionnels par décision du 17 février 2020.
Par courrier en date du 25 mai 2020, la SAS [5] a saisi la commission de recours amiable aux fins de contester le bien-fondé de la décision de prise en charge de la caisse.
Cette commission a rejeté le recours de la société lors de sa séance du 18 juin 2020.
La SAS [5] a alors saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre par requête reçue le 14 octobre 2020.
L’affaire a été appelée a l’audience du 23 septembre 2024, à laquelle les parties ont comparu et ont été entendues en leurs observations.
La SAS [5], modifiant l’ordre de présentation de ses demandes mentionnées dans ses conclusions, demande au tribunal, au visa des articles L461-1 et R441-27 du code de la sécurité sociale, de :
– annuler la décision implicite de rejet de la CRA et la décision expresse de la CRA datée du 18 juin 2020 et portée à la connaissance de la société le 20 décembre 2023 ;
– déclarer inopposable à la SAS [5] la décision de prise en charge en date du 17 février 2020 ;
– condamner la CPAM du Maine-et-Loire à payer à la SAS [5] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
subsidiairement,
avant dire droit sur la reconnaissance de la maladie professionnelle, désigner un deuxième comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ;
– surseoir à statuer dans l’attente de l’avis du nouveau CRRMP sur le caractère ou non professionnel de la maladie de Madame [L].
La caisse primaire d’assurance-maladie du Maine-et-Loire, demande au tribunal de :
à titre principal,
– confirmer le respect du principe du contradictoire dans le cadre de l’instruction de la maladie professionnelle du 6 août 2018 de Madame [L] ;
à titre subsidiaire,
– ordonner la saisine d’un second CRRMP afin qu’il donne un avis sur l’existence d’un lien de causalité direct et essentiel entre l’activité professionnelle de l’intéressée et la maladie en cause, syndrome dépressif.
A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré au 31 octobre 2024 par mise à disposition au greffe.
Sur le moyen tiré de l’absence d’information de l’employeur et de l’absence de respect des délais impératifs d’instruction lors de la saisine du CRRMP
L’article L461-1 du code de la sécurité sociale prévoit que » peut être également reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L’avis du comité s’impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l’article L315-1 « .
Selon l’article R441-10 du code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur à la date du litige, » la caisse dispose d’un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration d’accident et le certificat médical initial ou de trois mois à compter de la date à laquelle elle a reçu le dossier complet comprenant la déclaration de la maladie professionnelle intégrant le certificat médical initial et le résultat des examens médicaux complémentaires le cas échéant prescrits par les tableaux de maladies professionnelles pour statuer sur le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie « .
L’article R441-14 du code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur à la date du litige ajoute : » lorsqu’il y a nécessité d’examen ou d’enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l’employeur avant l’expiration du délai prévu au premier alinéa de l’article R441-10 par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. A l’expiration d’un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d’accidents du travail ou trois mois en matière de maladies professionnelles à compter de la date de cette notification et en l’absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie est reconnu « .
En l’espèce, la SAS [5] reproche à la CPAM du Maine-et-Loire de ne pas l’avoir informée avant la fin du délai initial d’instruction de la prolongation de ce délai, en violation de ce dernier texte, et également d’avoir pris une décision alors que l’avis du CRRMP a été rendu postérieurement à l’expiration du délai complémentaire d’instruction.
La CPAM du Maine-et-Loire considère pour sa part que le dépassement allégué des délais d’instruction n’est édicté qu’au bénéfice des assurés sociaux et que ce dépassement ne peut donc entraîner l’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie de Madame [L].
Il est effectivement de principe que la violation des délais d’instruction, si elle peut entraîner une décision implicite de reconnaissance d’une maladie professionnelle dans le cadre des rapport entre un organisme social et un assuré social, est en revanche sans effet dans le cadre des rapports entre un organisme social et un employeur[1].
[1] Voir en ce sens : cour de cassation, 9 juillet 2020, pourvoi n°19-11.400.
Il s’en déduit que, dans le cas présent, la SAS [5] ne peut tirer aucune conséquence du fait que le CRRMP se serait prononcé après l’expiration du délai complémentaire d’instruction.
Toutefois, l’article R441-14 du code de la sécurité sociale met expressément à la charge de la caisse une obligation de notifier par courrier recommandé avec demande d’avis de réception la prolongation du délai d’instruction en cas de nécessité d’examen complémentaire, ce qui en l’espèce n’a pas été fait par la CPAM du Maine-et-Loire.
Il sera relevé que ce moyen est distinct de celui du respect des délais d’instruction et que cette omission de la CPAM traduit un manquement à l’obligation d’information dont elle est tenue, ce qui ne peut qu’entraîner l’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie de Madame [L] au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par suite, la SAS [5] sera accueillie en son recours.
Sur les demandes accessoires
En application de l’article 696 du code de procédure civile, il conviendra de condamner la CPAM du Maine-et-Loire aux dépens de l’instance, dès lors qu’elle succombe.
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, mis à disposition au greffe,
DÉCLARE inopposable à la SAS [5] la décision prise par la caisse primaire d’assurance maladie du Maine-et-Loire en date du 17 février 2020 tendant à la prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de la maladie professionnelle de Madame [L] du 6 août 2018 ;
DÉBOUTE les parties de toutes demandes plus amples ou contraires ;
CONDAMNE la CPAM du Maine-et-Loire aux entiers dépens.
Et le présent jugement est signé par Matthieu DANGLA, Vice-Président et par Stéphane DEMARI, Greffier, présents lors du prononcé.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,