Conflit de garanties et obligations dans le cadre d’un prêt immobilier : enjeux de la subrogation et de la responsabilité des cautions

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Conflit de garanties et obligations dans le cadre d’un prêt immobilier : enjeux de la subrogation et de la responsabilité des cautions

Constitution de la SCI et Prêt Accordé

La société PS Concept a créé le 22 août 2017 une SCI Maison de Santé des spécialistes du Piémont pour construire une maison de santé en l’état futur d’achèvement. Le 9 juillet 2018, le Crédit Agricole a accordé un prêt de 5.540.535 euros à la SCI, remboursable sur 180 mois, avec un déblocage progressif des fonds. La société Interfimo a agi en tant que caution solidaire de la SCI.

Litiges et Échéances Impayées

Des avenants ont été demandés par la SCI en 2021 et 2022, mais un litige avec un prestataire a bloqué le chantier. La SCI n’a pas réglé les échéances de prêt depuis septembre 2022. Interfimo a mis en demeure la SCI le 2 février 2023 pour un montant de 151.691,40 euros, correspondant aux échéances impayées. Le 2 mars 2023, Interfimo a réglé 224.643,60 euros pour six échéances impayées.

Assignation et Saisie Conservatoire

Le 14 mars 2023, Interfimo a assigné la SAS PS Concept pour obtenir le paiement de 227.192,09 euros, ainsi que 1.000 euros pour les frais irrépétibles. Le 15 mars 2023, le juge a autorisé une saisie conservatoire de créance contre PS Concept, mais cette décision a été rétractée par un jugement du 14 mars 2024.

Procédure de Liquidation Judiciaire

Le 14 juin 2023, Interfimo a demandé l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire contre la SCI, mais cette demande a été déclarée irrecevable par jugement du 1er décembre 2023. Cependant, le 20 juin 2024, la cour d’appel de Dijon a infirmé ce jugement et a ordonné l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.

Créance Déclarée et Contestations

Interfimo a déclaré une créance de 5.534.135,18 euros le 30 juillet 2024. La société PS Concept a contesté la qualité et l’intérêt à agir d’Interfimo, demandant également des frais au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Interfimo a répliqué en demandant le rejet des demandes de PS Concept et des frais supplémentaires.

Examen de l’Incident et Décisions du Juge

L’incident a été examiné le 1er octobre 2024. Le juge a rappelé que la caution peut agir sur le fondement du recours subrogatoire pour les échéances échues impayées. La demande de PS Concept a été rejetée, et Interfimo a été déclarée recevable à agir.

Condamnation aux Dépens

La société PS Concept, ayant succombé dans ses demandes, a été condamnée aux dépens de l’incident et à verser 1.500 euros à Interfimo au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le dossier a été renvoyé à la mise en état électronique pour le 16 décembre 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

29 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Dijon
RG
23/00740
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE DIJON
——— ——–
1ère Chambre

N° RG 23/00740 – N° Portalis DBXJ-W-B7H-H3FU

NATURE AFFAIRE : Cautionnement – Recours de la caution contre le débiteur principal ou contre une autre caution

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
RENDUE LE 29 Octobre 2024

Dans l’affaire opposant :

S.A. INTERFIMO, immatriculée au RCS de Paris sous le n° B 702 010 513
dont le siège social est sis [Adresse 2] – [Localité 3]

représentée par Maître Delphine HERITIER de la SCP LDH AVOCATS, avocats au barreau de DIJON postulant,
Maître Denis LAURENT de la SCP TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON AZEROUAL & BAUCH-LABESSE ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS plaidant

DEMANDERESSE

ET :

S.A.S. PS CONCEPT prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social
dont le siège social est sis [Adresse 4] – [Localité 1]

représentée par Maître Vincent CUISINIER de la SELARL DU PARC – MONNET BOURGOGNE, avocats au barreau de DIJON plaidant

DEFENDERESSE

* * * *

Madame Chloé GARNIER, Juge de la mise en état, assistée de Madame Marine BERNARD, greffier,

Après avoir entendu les conseils des parties à notre audience du 01 Octobre 2024 et après avoir mis l’affaire en délibéré, avons rendu ce jour par mise à disposition au greffe, l’ordonnance contradictoire susceptible d’appel dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile, ci-après :

EXPOSE DU LITIGE

La société PS Concept, spécialiste en ingéniérie de maisons médicales, a constitué le 22 août 2017 une SCI Maison de Santé des spécialistes du Piémont pour la construction d’une maison de santé en l’état futur d’achèvement sur la commune de [Localité 5] et de [Localité 7] (67).
A ce titre, la société PS Concept a sollicité le financement du Crédit Agricole qui a donné son accord de principe pour un prêt de 5.540.535 euros le 9 juillet 2018 consenti à la SCI, remboursable en 180 mois à l’expiration de la période de franchise totale, avec déblocage progressif des fonds pendant 24 mois. La société Interfimo s’est portée garante, en qualité de caution solidaire, de la SCI Maison de Santé des spécialistes du Piémont.
L’acte de prêt notarié a été signé le 31 juillet 2018.

Différents avenants ont été sollicités par la SCI Maison de Santé en 2021 et 2022. Suite à un litige avec un prestataire, le chantier s’est trouvé bloqué. Le dernier appel de fonds de 260.098,80 euros n’aurait pas été réglé.

La SCI n’a toutefois pas réglé les échéances de prêt à compter de septembre 2022.

La société Interfimo a mis en demeure la SCI, par courrier du 2 février 2023, de lui régler la somme de 151.691,40 euros correspondant aux échéances impayées depuis le 30 septembre 2022.
Selon quittance subrogative du Crédit Lyonnais signée le 2 mars 2023, la société Interfimo a réglé une somme de 224.643,60 euros au titre de six échéances impayées.

Par acte du 14 mars 2023, la SA Interfimo a fait assigner la SAS PS Concept aux fins de la voir condamner, en qualité d’associée de la SCI Maison de santé des spécialistes du Piémont, sur le fondement de l’article 1857 du code civil, à lui régler la somme de 227.192,09 euros, ainsi que la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.

La société Interfimo a obtenu par ordonnance du 15 mars 2023 du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Dijon l’autorisation de pratiquer une saisie conservatoire de créance à l’encontre de la société PS Concept, à effectuer entre les mains de la SCI Maison de Santé de [Localité 6]. Cette décision a été rétractée par jugement du 14 mars 2024, la mainlevée ayant été ordonnée.

Par acte du 14 juin 2023, la société Interfimo a saisi le tribunal aux fins d’ouvrir une procédure de liquidation judiciaire ou subsidiairement de redressement judiciaire à l’encontre de la SCI Maison de santé des spécialistes du Piémont.
Par jugement du 1er décembre 2023, le tribunal a déclaré irrecevable cette demande faute de créance exigible.
Par arrêt du 20 juin 2024, la cour d’appel de Dijon a infirmé le jugement et déclaré recevable la demande d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la SCI Maison de santé des spécialistes du Piémont, ordonnant l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire et désignant Me [I] en qualité de mandataire liquidateur.
La société Interfimo a déclaré le 30 juillet 2024 une créance de 5.534.135,18 euros.

Selon conclusion d’incident du 5 juillet 2024, la société PS Concept a saisi le juge de la mise en état aux fins de juger irrecevable la société Interfimo faute de qualité et d’intérêt à agir et aux fins de la voir condamner à lui verser la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Selon conclusions en réponse sur incident du 16 août 2024, la société Interfimo souhaite que la société PS Concept soit déclarée mal fondée en ses demandes, propose de renvoyer l’affaire au fond et sollicite la condamnation de la société PS Concept à lui régler la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L’affaire a été examinée à l’audience d’incident du 1er octobre 2024 et mise en délibéré au 29 octobre 2024.

SUR CE,

Sur la fin de non recevoir tirée du défaut d’intérêt et de qualité à agir du demandeur

L’article 789 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur à compter du 1er septembre 2024, tel que modifié par décret n°2024-673 du 3 juillet 2024 et applicable aux instances en cours, dispose :
« Le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : (…)
6° Statuer sur les fins de non-recevoir.(…) ».

Constitue une fin de non recevoir, au sens de l’article 122 du code de procédure civile, tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L’article 32 du code de procédure civile rappelle qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.

La société PS Concept soutient que la caution, pour pouvoir invoquer son recours personnel ou subrogatoire, doit avoir payé, dans les limites de son engagement, une dette exigible et non éteinte. Or seule la déchéance du terme rend exigible la créance au titre du capital restant dû, ce que le Crédit Lyonnais n’a pas prononcé et ce que le tribunal des procédures collectives a constaté. De même l’obligation de la caution est exigible lorsque celle du débiteur l’est également, puisque la caution ne peut être tenue plus sévèrement que le débiteur. La faute du prêteur peut être utilement opposée à la caution qui s’est acquittée d’une dette qui n’était pas exigible.
Ainsi, Interfimo n’aurait pas dû régler les échéances du prêt, d’autant que les avenants n’ont pas été acceptés et signés par la société caution. Il n’est pas plus démontré que la société Interfimo a perçu la commission de caution de 125.255 euros ni que le Crédit Lyonnais l’a actionnée en paiement.

La société Interfimo considère que le débat porte sur une contestation au fond et non sur la qualité ou l’intérêt à agir. Elle rappelle l’arrêt de la cour d’appel de Dijon qui précise que le recours subrogatoire n’est pas subordonné au paiement total de la créance. Or elle exerce son recours subrogatoire sur une partie de la dette correspondant aux échéances échues précises et exigibles qu’elle a réglé au créancier.

Elle reprend les termes de l’arrêt qui a constaté que la SCI a bien consenti à l’intervention de la caution, qu’elle a bien réglé les charges mutuelles permettant l’acquisition de la garantie, et que la caution a bien adhéré aux avenants.

Sur ce, il convient de constater que l’incident présenté par la société PS Concept reprend le moyen soulevé par la SCI Maison de santé des spécialistes du Piémont lors du débat l’opposant à la société Interfimo tendant à l’ouverture d’une procédure collective.
A ce titre, la cour d’appel de Dijon dans son arrêt du 20 juin 2024 a rappelé :
– que la procédure de liquidation judiciaire n’exige pas que la créance soit constatée dans un titre exécutoire ;
– que chaque échéance réglée par la caution à la banque est exigible à son terme ;
– qu’aucun texte n’exige que le recours subrogatoire de la caution soit subordonné au paiement total de la créance ;
– que le moyen tiré de l’absence de déchéance du terme ne peut être opposé à la caution ;
– que les conditions d’intervention de la caution étaient réunies puisque la SCI a signé l’acte notarié qui reprend le protocole d’accord, que la société Interfimo a justifié du règlement de ses charges au titre de la commission de caution (125.255 euros) et de la cotisation au fonds de garantie (85.280 euros) ; et que la société Interfimo justifie avoir donné son accord sur la prorogation de la durée d’utilisation progressive aux trois avenants.
La cour en a déduit que le moyen tiré du défaut d’intérêt à payer la dette par la caution est inopérant.

De fait, il est acquis que :
– la société Interfimo justifie que sa garantie et son intervention résultent du contrat de prêt notarié du 31 juillet 2018 accepté par la SCI Maison de santé des spécialistes du Piémont, rappelant que le prêt est garanti pour son cautionnement solidiaire à hauteur de 100 % ;
– la société PS Concept ne démontre pas que la SCI Maison de santé des spécialistes du Piémont n’a pas accepté cette intervention ni n’a réglé les charges mutuelles dues (relevé de compte confirmant que le 31 juillet 2018, la SCI a réglé la somme de 210.535 euros) ;
– par ailleurs, la société Interfimo communique les trois avenants au prêt signés par l’emprunteur, qu’elle a acceptés préalablement selon courrier du 21 janvier 2021, mail du 7 juillet 2021, et mail du 18 février 2022 (le fait que la banque ait indiqué par courrier du 5 décembre 2022 avoir omis de rectifier le tableau d’amortissement pour mentionner le montant effectivement utilisé suite aux déblocages des fonds et non le montant initial du prêt ayant peu d’incidence dès lors que la caution ne sollicite pas la condamnation du défendeur à régler le capital restant dû mais les échéances échues impayées) ;
– elle justifie des règlements réalisés au profit du LCL selon quittances subrogatives des :
2 mars 2023 correspondant à 6 échéances impayées pour 224.643,60 euros,5 juin 2023 correspondant à 9 échéances impayées pour 336.965,40 euros,31 août 2023 correspondant à 12 échéances impayées pour 449.287,20 euros,8 novembre 2023 correspondant à 14 échéances impayées pour 524.168,40 euros14 mars 2024 correspondant à 17 échéances impayées pour 636.490,20 euros, étant précisé que l’ensemble des quittances reprennent le total des échéances impayées depuis le 30 septembre 2024 (de sorte qu’il n’y a pas lieu d’additionner les montants de chaque quittance subrogatoire).
– la société PS Concept ne démontre pas que la SCI a réglé les échéances du prêt depuis septembre 2022 aux lieu et place de la caution.

En conséquence, et dès lors qu’il n’est nullement exigé le fait que le recours subrogatoire soit subordonné au paiement total de la créance après déchéance du terme, la caution Interfimo est bien recevable à agir sur le fondement du recours subrogatoire pour les échéances échues impayées qu’elle a réglées au lieu et place de l’emprunteur principal. La demande présentée par la société PS Concept sera donc rejetée.

La question pourra par contre se poser au fond des conditions d’application des dispositions des articles 1857 et 1858 du code civil pour exiger de l’associé du débiteur principal le paiement des sommes réglées par la caution.

Sur les dépens et frais de procédure

La société PS Concept qui succombe, doit être condamnée aux dépens de l’incident et à verser une somme de 1.500 euros à la SA Interfimo au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état,

Rejette la demande de la SAS PS Concept tendant à voir déclarer l’action de la société Interfimo irrecevable faute de qualité et d’intérêt à agir ;

Déclare recevable la SA Interfimo à agir sur le fondement du recours subrogatoire pour les échéances échues impayées qu’elle a réglées au lieu et place de l’emprunteur principal ;

Condamne la SAS PS Concept aux dépens de l’incident ;

Condamne la SAS PS Concept à verser une somme de 1.500 euros à la SA Interfimo au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Renvoie le dossier à la mise en état électronique du 16 décembre 2024 et invite Me Cuisinier à conclure au fond pour cette date.

LE GREFFIER LE JUGE DE LA MISE EN ETAT

Copie délivrée le
à Maître Vincent CUISINIER de la SELARL DU PARC – MONNET BOURGOGNE
Maître Delphine HERITIER de la SCP LDH AVOCATS

La Greffière


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