Contexte de l’affaireLe 16 décembre 2020, la SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack a engagé une procédure devant le conseil des prud’hommes de Nanterre pour obtenir la nullité d’une transaction avec un ancien salarié, enregistrée sous le numéro F 20/02753. En réponse, l’ancien salarié a contesté son licenciement et a formulé des demandes financières le 7 mai 2021, sous le numéro F 21/00957. La SAS a ensuite décidé de se désister de sa première instance et a intégré ses demandes dans celle de l’ancien salarié. Déroulement des audiencesLes parties ont été convoquées à une audience de conciliation le 16 septembre 2021, suivie d’une audience devant le bureau de jugement le 29 novembre 2022. Le 24 février 2023, le conseil des prud’hommes a déclaré un partage de voix et a renvoyé l’affaire à une audience de départage prévue pour le 11 mars 2024. Cette audience a eu lieu, et l’affaire a été mise en délibéré. Assignation de l’Agent judiciaire de l’ÉtatLe 2 août 2023, la SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack a assigné l’Agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris, invoquant l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire. Elle a demandé des dommages et intérêts pour préjudice moral et financier, ainsi qu’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, arguant d’une durée excessive de la procédure. Réponse de l’Agent judiciaire de l’ÉtatDans ses conclusions du 24 janvier 2024, l’Agent judiciaire de l’État a demandé le rejet des demandes de la SAS, soulignant l’absence de preuves concernant les étapes de la procédure et contestant la notion de préjudice moral pour une personne morale. Il a également noté qu’aucun élément n’étayait la demande de préjudice financier. Évaluation de la responsabilité de l’ÉtatLe tribunal a examiné la responsabilité de l’État en cas de déni de justice, qui nécessite une faute lourde ou un manquement à la diligence. Il a constaté des délais excessifs dans la procédure, notamment entre la saisine et l’audience de conciliation, ainsi qu’entre l’audience de conciliation et celle du bureau de jugement, engageant ainsi la responsabilité de l’État pour un total de 12 mois de délais excessifs. Décision du tribunalLe tribunal a accordé à la SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack une indemnité de 1.800,00 € pour préjudice moral, tout en rejetant sa demande de préjudice financier. L’Agent judiciaire de l’État a été condamné aux dépens et à verser 900,00 € à la SAS sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. La décision a été déclarée exécutoire de droit à titre provisoire. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
■
1/1/1 resp profess du drt
N° RG 23/10433 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2IUE
N° MINUTE :
Assignation du :
02 Août 2023
JUGEMENT
rendu le 30 Octobre 2024
DEMANDERESSE
S.A.S. SILENCE BUSINESS SOLUTIONS BY STUDIO-PACK, société par actions simplifiée, dont le siège social est situé [Adresse 2], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 481 491 306, représentée par son Président domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Natacha FELIX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0866
DÉFENDEUR
Etablissement public AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance
Direction Des Affaires Juridiques – Sous-Direction du Droit Privé
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représenté par Me Fabienne DELECROIX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0229
Décision du 30 Octobre 2024
[Adresse 1]
N° RG 23/10433 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2IUE
MINISTÈRE PUBLIC
Monsieur Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS,
Premier Vice-Procureur
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint
Président de formation,
Madame Cécile VITON, Première vice-présidente adjointe
Madame Marjolaine GUIBERT, Vice-présidente
Assesseurs,
assistés de Monsieur Gilles ARCAS, Greffier
DÉBATS
A l’audience du 02 Octobre 2024
tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort
Le 16 décembre 2020, la SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack a saisi le conseil des prud’hommes de Nanterre aux fins de voir prononcer la nullité d’une transaction conclue avec un ancien salarié. Cette procédure a été enregistrée sous le numéro de répertoire général F 20/02753.
Par requête du 7 mai 2021, cet ancien salarié a saisi le conseil des prud’hommes de Nanterre, à l’encontre de la SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack, en contestation de son licenciement et en demandes financières. Cette procédure a été enregistrée sous le numéro de répertoire général F 21/00957.
La SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack s’est désistée de son instance et a formé des demandes similaires dans le cadre de l’instance introduite par son ancien salarié le 7 mai 2021.
Dans le cadre de l’instance enregistrée sous le numéro de répertoire général F 21/00957, les parties ont été convoquées à l’audience de conciliation et d’orientation du 16 septembre 2021 puis à l’audience devant le bureau de jugement du 29 novembre 2022.
Suivant procès-verbal du 24 février 2023, notifié aux parties le 27 février 2023, le conseil des prud’hommes s’est déclaré en partage de voix et a renvoyé l’affaire à l’audience de départage du 11 mars 2024, date à laquelle l’affaire a été plaidée et mise en délibéré.
Le jugement de départage a été rendu le 22 mai 2024, et notifié aux parties le 23 mai 2024.
C’est dans ce contexte que, par acte du 2 août 2023, la SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack a fait assigner l’Agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris, sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.
Aux termes de cette assignation, la SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack demande la condamnation de l’Agent judiciaire de l’État à lui payer, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– la somme de 3.800,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
– la somme de 8.000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier ;
– la somme de 2.500,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ;
La SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack estime que la durée de la procédure est excessive et engage la responsabilité de l’État pour déni de justice.
Suivant conclusions signifiées le 24 janvier 2024, l’Agent judiciaire de l’État sollicite le rejet des demandes de la SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack.
Il expose que la demanderesse ne fournit pas aux débats l’intégralité des étapes de la procédure déjà écoulée, et notamment la date de l’audience de conciliation intervenue entre la saisine du conseil des prudhommes et l’audience de plaidoirie devant le bureau de jugement. Il soutient que seul un délai excessif de 1 mois entre l’audience de plaidoirie et le procès-verbal de partage de voix est susceptible d’être caractérisé. Il estime cependant que la demanderesse, personne morale dépourvue de ressentis, ne peut se prévaloir d’un préjudice moral résultant d’une situation d’attente et d’une inquiétude quant à la réussite d’une procédure, qui induit une souffrance morale propre aux personnes physiques. Enfin, sur le préjudice matériel, l’Agent judiciaire de l’Etat relève que la demanderesse ne verse aucun élément à l’appui de sa demande.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l’article 455 du code de procédure civile.
La clôture de la mise en état a été prononcée le 6 mai 2024 par ordonnance rendue le même jour par le juge de la mise en état.
Sur la demande principale :
Aux termes de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.
Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
Un déni de justice correspond à un refus d’une juridiction de statuer sur un litige qui lui est présenté ou au fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires.
Il constitue une atteinte à un droit fondamental et, s’appréciant sous l’angle d’un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle, il englobe, par extension, tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu, qui comprend celui de répondre sans délai anormalement long aux requêtes des justiciables, conformément aux dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’appréciation d’un allongement excessif du délai de réponse judiciaire, susceptible d’être assimilé à un refus de juger et, partant, à un déni de justice engageant la responsabilité de l’État sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, s’effectue de manière concrète, au regard des circonstances propres à chaque procédure, en prenant en considération les conditions de déroulement de la procédure, la nature de l’affaire, son degré de complexité, le comportement des parties en cause, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre des parties, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige, et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu’il soit tranché rapidement.
Le seul non-respect d’un délai légal n’est pas suffisant pour caractériser un déni de justice mettant en jeu la responsabilité de l’État.
Par ailleurs, en l’absence de preuve que les renvois critiqués ont été ordonnés exclusivement pour répondre à des contraintes d’organisation de la juridiction, extérieures aux parties, il n’appartient pas au présent tribunal d’apprécier l’opportunité des renvois accordés par le conseil de prud’hommes, ou celle d’un incident soulevé d’office par le juge de la mise en état, s’agissant de décisions juridictionnelles qui ne peuvent être remises en question dans le cadre d’une action fondée sur l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire. En effet, hors le cas de dommages causés aux particuliers du fait d’une violation manifeste du droit de l’Union européenne par une décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort, l’action en responsabilité de l’État ne saurait avoir pour effet de remettre en cause une décision judiciaire, en dehors de l’exercice des voies de recours (Civ. 1ère, 18 novembre 2020, pourvoi n° 19-19.517).
Enfin, la suspension de la majeure partie des activités juridictionnelles du 16 mars 2020 au 11 mai 2020, en raison de la crise sanitaire liée à l’épidémie de la covid-19, n’est pas imputable à l’Etat, dès lors qu’elle résulte des circonstances insurmontables inhérentes à la situation générale de confinement du pays et du déclenchement des plans de continuité d’activités des juridictions. Il en résulte que les délais supplémentaires résultant de cette période spécifique ne sont pas imputables au service public de la justice et ne peuvent contribuer à un déni de justice.
Les procédures en matière de litiges du travail appellent par nature une décision rapide (CEDH Frydlender c. France [GC], 2000, § 45 ; Vocaturo c. Italie, 1991, § 17 ; Ruoto-lo c. Italie, 1992, § 17).
En l’espèce, il y a lieu d’évaluer le caractère excessif de la procédure prud’homale litigieuse en considération, non de sa durée globale, mais du temps séparant chaque étape de la procédure.
Ainsi, à l’aune de ces critères, il convient de relever :
A titre liminaire, que s’agissant de l’instance enregistrée sous le numéro de répertoire F20/02753, aucun acte ni calendrier de procédure n’est versé aux débats, pièces pourtant nécessaires pour évaluer les éventuels délais excessifs séparant la saisine du conseil de prud’hommes par la SAS Silence Business Solutions By Studio le 16 décembre 2020 et son désistement d’instance.
S’agissant de la procédure enregistrée sous le numéro de répertoire général F 21/00957 :
– le délai de 4 mois entre la saisine du conseil de prud’hommes et l’audience de conciliation est excessif, et engage la responsabilité de l’Etat, à hauteur de 1 mois;
– le délai de 14 mois entre l’audience de conciliation et l’audience devant le bureau de jugement du 29 novembre 2022 est excessif, et engage la responsabilité de l’Etat, à hauteur de 5 mois ;
– le délai de 2 mois entre cette audience et le délibéré de partage de voix n’est pas excessif ;
– le délai de moins de 1 mois séparant le procès-verbal de partage de voix de sa notification n’est pas excessif ;
– le délai de 12 mois entre le procès-verbal de partage de voix et l’audience de départage est excessif, et engage la responsabilité de l’Etat, à hauteur de 6 mois;
– le délai de 2 mois entre l’audience de départage et le jugement de départage n’est pas excessif ;
– le délai de moins de 1 mois séparant la date de la décision de sa notification n’est pas excessif.
La responsabilité de l’État est en conséquence engagée pour un délai excessif global de 12 mois.
S’agissant du préjudice, la demande formée au titre du préjudice moral est justifiée en son principe, dès lors qu’un procès est nécessairement source d’incertitude pour une personne morale et qu’une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d’incertitude supplémentaire.
La SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack ne justifie cependant pas d’un préjudice à hauteur de la somme demandée.
Il s’ensuit que l’indemnité allouée en réparation de son préjudice moral ne saurait excéder l’indemnisation du préjudice que le dépassement excessif du délai raisonnable de jugement cause nécessairement.
Le préjudice moral de la SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack est en conséquence entièrement réparé par l’allocation de la somme de 1.800,00 €.
En application des dispositions de l’article 1231-7 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision et jusqu’à complet paiement.
S’agissant du préjudice financier, il convient de relever que la SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack n’explique pas sa nature, ni ne justifie son montant qu’elle fixe de façon forfaitaire.
Elle sera en conséquence déboutée de cette demande.
Sur les demandes accessoires :
L’Agent judiciaire de l’État, partie perdante, est condamné aux dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
Enfin, compte tenu des situations économiques respectives des parties, de la durée de l’instance et des démarches judiciaires qu’a dû accomplir la partie demanderesse, l’Agent judiciaire de l’État est condamné à verser à la SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack la somme de 900,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dis-pose autrement.
En l’espèce, aucune circonstance ne justifie d’écarter l’exécution provisoire de droit.
Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe à la date indiquée à l’issue des débats en audience publique en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, contradictoirement et en premier ressort,
CONDAMNE l’Agent judiciaire de l’État à payer à la SAS Silence Business Solutions By Studio-Pack:
– la somme de 1.800,00 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
– la somme de 900,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement et jusqu’à complet paiement ;
CONDAMNE l’Agent judiciaire de l’État aux dépens ;
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Fait et jugé à Paris le 30 Octobre 2024
Le Greffier Le Président
Gilles ARCAS Benoit CHAMOUARD