Nullité des contrats de crédit et de travaux : responsabilité du prêteur et préjudice moral de l’emprunteur

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Nullité des contrats de crédit et de travaux : responsabilité du prêteur et préjudice moral de l’emprunteur

Procédure

La première évocation de l’affaire a eu lieu le 25 avril 2023, suivie des débats programmés pour le 3 septembre 2024. La mise à disposition du jugement est prévue pour le 5 novembre 2024.

Exposé du litige

La SA FRANFINANCE a accordé un prêt de 17.000 euros à Monsieur [F] pour des travaux hydrofuge réalisés par la société ACA, avec un taux d’intérêt de 4,85% et un remboursement en 120 mensualités. Les travaux ont été réceptionnés le 4 novembre 2019. Monsieur [F] est décédé le 24 octobre 2021. Suite à cela, la SA FRANFINANCE a mis en demeure Madame [Z], veuve [F], de payer 16.226,47 euros. Elle a ensuite assigné Madame [Z] devant le juge des contentieux de la protection pour obtenir la résolution du contrat de crédit et le paiement de diverses sommes.

Demandes de Madame [Z]

Madame [Z] a également assigné le liquidateur de la SAS ACA, demandant la jonction des instances, l’annulation des contrats, la reconnaissance d’une faute de la SA FRANFINANCE, et des indemnités pour préjudice moral. Elle a sollicité des délais de paiement et la condamnation solidaire de la SAS ACA et de la SA FRANFINANCE pour les frais de justice.

Comparution des parties

Maître [H], représentant la SAS ACA, n’a pas comparu malgré une assignation régulière. L’affaire a été mise en délibéré pour le 5 novembre 2024.

Motifs de la décision

Le juge a décidé de joindre les deux instances en raison de leur connexité. Il a examiné la recevabilité de la demande de la SA FRANFINANCE, concluant que celle-ci était recevable car l’assignation a été faite dans les délais légaux. Concernant la nullité des contrats, le juge a constaté que le contrat de travaux ne respectait pas les exigences du code de la consommation, entraînant sa nullité.

Conséquences de la nullité

La nullité du contrat de prêt a également été prononcée, car il était accessoire au contrat de travaux annulé. La SA FRANFINANCE a été déboutée de toutes ses demandes, et il a été reconnu qu’elle avait commis une faute en ne vérifiant pas la régularité du contrat principal.

Préjudice moral et frais de justice

Madame [Z] a été indemnisée pour le préjudice moral subi, recevant 800 euros de la SA FRANFINANCE. De plus, la SAS ACA et la SA FRANFINANCE ont été condamnées solidairement à payer 1.800 euros à Madame [Z] pour les frais de justice.

Conclusion

Le jugement a été rendu en audience publique, avec exécution provisoire de droit. Les parties ont été informées conformément aux procédures légales, et le jugement a été signé par le juge et le greffier.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

5 novembre 2024
Tribunal judiciaire de Caen
RG
23/00041
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CAEN
3ème chambre civile
11 rue Dumont d’Urville
CS 45257 –
14052 CAEN CEDEX 4
☎ :0250101300

N° RG 23/00041 – N° Portalis DBW5-W-B7G-IIA4

Minute : 2024/
Cabinet C

JUGEMENT

DU : 05 Novembre 2024

S.A. FRANFINANCE

C/

[G] [H]
[V] [Z] veuve [F]

Copie exécutoire délivrée le :

à : Me Thomas LECLERC – 31

Copie certifiée conforme délivrée le :

à :
Me [G] [H]
Me Alicia BALOCHE – 28,
Me Thomas LECLERC – 31

JUGEMENT

DEMANDEUR :

S.A. FRANFINANCE RCS Nanterre 719.807.406, dont le siège social est sis 53 Rue du Port, CS 90901 – 92724 NANTERRE

Représentée par Me Alicia BALOCHE, avocat au barreau de CAEN, vestiaire : 28 substitué par Me Camille GRUNEWALD, avocat au barreau de CAEN, vestiaire : 028

ET :

DÉFENDEUR :

Maître [G] [H] liquidateur SELAS .Partners ès la SAS ACA (RCS Bobigny 843.524.299) 37 B rue du Progrès 93200 Saint-Denis, demeurant 2 Ter Chemin de Lorraine – 93000 BOBIGNY

Non comparant, ni représenté

Madame [V] [Z] veuve [F] ; es qualité d’ayant droit de Monsieur [E] [F], né le 08.05.1951 et décédé le 24.10.2021,
Demeurant 36 rue Pierre de Coubertin – 14840 DEMOUVILLE

Représentée par Me Thomas LECLERC, avocat au barreau de CAEN, vestiaire : 31

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : Marie-Ange LE GALLO, Première vice-présidente, Juge des contentieux de la protection
Greffier : Olivier POIX, présent à l’audience et lors de la mise à disposition

PROCÉDURE :

Date de la première évocation : 25 Avril 2023
Date des débats : 03 Septembre 2024
Date de la mise à disposition : 05 Novembre 2024
EXPOSE DU LITIGE

Selon offre préalable acceptée le 21 octobre 2019, la SA FRANFINANCE a consenti à Monsieur [E] [F] un prêt accessoire à une prestation de travaux hydrofuge par la société ACA d’un montant de 17.000 euros, avec intérêts au taux débiteur de 4,85%, remboursable en 120 mensualités s’élevant à 179,06 euros, hors assurance.

La réception des travaux est intervenue le 4 novembre 2019.

Monsieur [F] est décédé le 24 octobre 2021.

La SA FRANFINANCE a adressé à Madame [V] [Z] veuve [F] une mise en demeure d’avoir à payer la somme de 16.226,47 euros au titre du contrat.

Par acte de commissaire de justice en date du 29 décembre 2022, la SA FRANFINANCE a fait assigner Madame [Z] veuve [F] devant le juge des contentieux de la protection afin de :
à titre principal, constater la résolution du contrat de crédit,à titre subsidiaire, prononcer la résiliation judiciaire du contrat de crédit ,en tout état de cause, condamner Madame [Z] veuve [F] au paiement des sommes suivantes :
14.795,86 euros, avec intérêts au taux contractuel à compter du 28 novembre 2022 jusqu’au jour du parfait paiement,➢1.147,66 euros au titre de l’indemnité légale de 8%, outre intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2022➢2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance
Par acte de commissaire de justice en date du 6 mars 2024, Madame [Z] veuve [F] a fait assigner Maître [G] [H], es qualité de liquidateur de la SAS ACA, afin de mise en cause.

A l’audience la SA FRANFINANCE, représentée, maintient ses demandes en paiement, et sollicite de débouter Madame [Z] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité des contrats. A titre subsidiaire, en cas de nullité des contrats, elle sollicite de condamner Madame [Z] à lui payer la somme de 17.000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement. Si il était estimé que la SA FRANFINANCE a commis une faute, elle demande de constater que Madame [Z] n’a subi aucun préjudice et de la condamner à lui verser cette même somme de 17.000 euros outre intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement. Elle porte sa demande au titre de l’article 700 du CPC à la somme de 3.000 euros.

Madame [Z] veuve [F], représentée, conclut à :

Ordonner la jonction des deux instancesPrononcer l’annulation des contrats conclus entre Monsieur [F] et la société ACA, et Monsieur [F] et la SA FRANFINANCE
Constater que la société FRANFINANCE a commis une faute engageant sa responsabilité au titre de son obligation de vérification de la validité du contrat principal et l’empêchant de prétendre à toute créance de restitutionDébouter la SA FRANFINANCE de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentionsCondamner la SA FRANFINANCE à lui payer la somme de 1.000 euros au titre du préjudice moral qu’elle a subiCondamner la SA FRANFINANCE à payer une somme équivalente au solde des sommes dues au titre du remboursement du prêtA titre subsidiaire, accorder à Madame [Z] veuve [F] des délais de paiement sur une durée de deux années pour s’acquitter des condamnations mises à sa charge, et ordonner que les échéances reportées porteront intérêts à un taux réduitEn tout état de cause, condamner solidairement la SAS ACA et la SA FRANFINANCE au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux dépens
Bien que régulièrement assigné à personne, Maître [H], es qualités de liquidateur de la SAS ACA, n’a pas comparu.

L’affaire a été mise en délibéré au 5 novembre 2024.

Il est fait référence aux dernières écritures des parties quant aux moyens à l’appui de leurs prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION

Conformément à l’article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ou l’un d’eux ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait alors droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.

Sur la jonction :

En raison de leur connexité, l’instance enregistrée sous le n°RG 24/1006, sera jointe à celle enregistrée sous le N°RG 23/41.

Sur la demande principale :

Sur l’office du juge

En application de l’article R632-1 du code de la consommation, le juge peut soulever d’office toutes les dispositions de ce code dans les litiges nés de son application.

L’article L314-26 du code de la consommation précise que les dispositions des chapitres II et III et des sections II à VII du chapitre IV du code de la consommation sont d’ordre public.

En l’espèce, la SA FRANFINANCE a évoqué la régularité de l’offre de prêt et a pu formuler ses observations quant au respect des dispositions d’ordre public des articles L312-1 et suivants du code de la consommation.

Sur la recevabilité de la demande :

En application de l’article R312-35 du code de la consommation, dans sa version applicable au contrat de prêt, les actions en paiement engagées devant le tribunal judiciaire à l’occasion de la défaillance de l’emprunteur doivent être formées dans les deux ans de l’événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion.

Cet événement est caractérisé par le non-paiement des sommes dues à la suite de la résiliation du contrat ou de son terme ou le premier incident de paiement non régularisé.

En l’espèce, il ressort de l’historique de compte que le premier impayé non régularisé est intervenu au 20 novembre 2021 et que l’assignation a été signifiée le 29 décembre 2022. Dès lors, la demande en paiement est recevable.

Sur la nullité des contrats :

La nullité du contrat de travaux :

Il résulte de l’article L 221-5 du code de la consommation, que :

« Préalablement à la conclusion d’un contrat de vente ou de fournitures de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes : …2° Lorsque le droit de rétractation existe, les conditions, le délai et les modalités d’exercice de ce droit ainsi que le formulaire type de rétractation …».

L’article L221-9 du code de la consommation précise que :

« Le contrat est accompagné du formulaire type de rétractation mentionné au 2° de l’article L 221-5 »

En vertu de l’article L 242-1 :

« Les dispositions des articles L 221-9 et L 221-10 sont prévues à peine de nullité du contrat conclu hors établissement »

Ces dispositions sont d’ordre public conformément à l’article L314-26 du même code.

La méconnaissance des dispositions d’ordre public du code de la consommation peut être relevée d’office par le juge.

En l’espèce, si Madame [Z] veuve [F] soutient que Monsieur [F] n’a jamais disposé d’un exemplaire du contrat de travaux, la SA FRANFINANCE produit ce contrat en pièce 12. Ce contrat en date du 21 octobre 2019 ne comporte aucun bordereau de rétractation, et ne fait état d’aucune des modalités de celle-ci. Il encourt donc la nullité relative, susceptible de confirmation.

En vertu de l’article 1182 du code civil, la confirmation d’un acte nul suppose que la victime du vice ait cumulativement connaissance de celui-ci et l’intention de le réparer.

En l’espèce, si Monsieur [F] a laissé s’effectuer les travaux, et a commencé à exécuter le contrat de prêt, il n’a pas été mis en mesure, en l’absence du bordereau de rétractation, des modalités de cette rétractation, et des textes légaux y afférents, d’exprimer un consentement éclairé au contrat principal et une absence de volonté de procéder à la rétractation. Il ne peut être considéré comme ayant confirmé le contrat encourant la nullité.

La nullité de ce contrat de travaux sera donc prononcée.

La nullité du contrat de prêt :

L’article L 312-55 du code de la consommation dispose que :
“Le contrat est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé.”

En l’espèce, il est constant que le contrat de prêt en date du 21 octobre 2019 consenti par la SA FRANFINANCE, est accessoire au contrat principal annulé.

Ce contrat de prêt est donc également nul, et cette nullité sera prononcée.

Sur les conséquences de la nullité des contrats :

Sur la responsabilité de la SA FRANFINANCE et le préjudice financier subi par Monsieur [F] :

Il est de droit constant que la résolution ou l’annulation d’un contrat de crédit affecté, en conséquence de celle du contrat constatant la vente ou la prestation de services qu’il finance, emporte pour l’emprunteur l’obligation de restituer au prêteur le capital prêté, et que le prêteur qui a versé les fonds sans s’être assuré, comme il y était tenu, de la régularité formelle du contrat principal ou de sa complète exécution, peut être privé de tout ou partie de sa créance de restitution, dès lors que l’emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien avec cette faute.

En l’espèce, la SA FRANFINANCE qui, disposant d’un exemplaire du contrat de travaux qui ne comportait pas de bordereau de rétractation, a tout de même accepté de contracter avec Monsieur [F], et a libéré les sommes empruntées au profit de la SAS ACA, dès le 4 novembre 2019, a commis une faute en ne procédant pas au contrôle qui lui incombait de l’irrégularité pourtant évidente du contrat principal.

Le préjudice subi par Monsieur [F] et Madame [Z] veuve [F] venant aux droits de celui-ci est constitué par l’obligation de remboursement du capital emprunté, et donc du paiement de mensualités pendant 12 ans.

Il est égal aux sommes actuellement dues à la SA FRANFINANCE.
En conséquence, la SA FRANFINANCE sera déboutée de toutes ses demandes à l’encontre de Madame [Z] veuve [F].

Sur la responsabilité de la SA FRANFINANCE et le préjudice moral de Madame [Z] veuve [F] :

En vertu de l’article 1240 du code civil :

« Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

La faute de la SA FRANFINANCE a conduit Madame [Z] veuve [F] à supporter la charge de la demande en paiement et de la présente procédure. Ce préjudice moral sera indemnisé par l’allocation à celle-ci d’une somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts que la SA FRANFINANCE sera condamnée à lui payer.

Sur les demandes accessoires :

En application des dispositions des articles 696 et suivants du code de procédure civile, il convient de condamner in solidum la SAS ACA représentée par son liquidateur, et la SA FRANFINANCE aux dépens de l’instance.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Madame [Z] veuve [F] les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés dans le cadre de la présente instance. Il convient de condamner in solidum la SAS ACA représentée par son liquidateur et la SA FRANFINANCE à lui payer la somme de 1.800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Conformément à l’article 514 du code de procédure civile, le présent jugement est assorti de l’exécution provisoire, de droit.

PAR CES MOTIFS

Le juge des contentieux de la protection, statuant en audience publique, par jugement réputé contradictoire, en premier ressort, rendu par mise à disposition au greffe le jour de son délibéré,

ORDONNE la jonction de l’instance enregistrée sous le n°RG 24/1006, à celle enregistrée sous le N°RG 23/41,

DECLARE recevable la demande en paiement,

PRONONCE la nullité du contrat de travaux principal liant Monsieur [E] [F] à la SAS ACA, et du contrat de prêt accessoire liant Monsieur [E] [F] à la SA FRANFINANCE,

DEBOUTE la SA FRANFINANCE de toutes ses demandes,

CONDAMNE la SA FRANFINANCE à payer à Madame [V] [Z] veuve [F] la somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral,

CONDAMNE in solidum la SAS ACA représentée par son liquidateur et la SA FRANFINANCE à payer à Madame [V] [Z] veuve [F] la somme de 1.800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum la SAS ACA représentée par son liquidateur et la SA FRANFINANCE aux dépens,

RAPPELLE que le présent jugement est assorti de l’exécution provisoire de droit.

Ainsi jugé et prononcé publiquement par mise à disposition de la décision au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l’alinéa 2 de l’article 450 du code de procédure civile et, après lecture, la minute a été signée par le juge et le greffier présent lors de la mise à disposition.

LE GREFFIER, LE JUGE DES CONTENTIEUX DE LA PROTECTION,


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