Avis en ligne catastrophiques sur une société : dénigrement ou liberté d’expression du client ?

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Avis en ligne catastrophiques sur une société : dénigrement ou liberté d’expression du client ?
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Il est légal de publier sur les réseaux sociaux des avis négatifs virulents pour relater une expérience catastrophique en salon de coiffure (perte de cheveux suite à un lissage) et collecter d’autres avis sur le salon de coiffure visé.

Les excès de langage utilisés pour décrire les effets sur l’état de sa chevelure (« chauve », « trou dans la tête ») ou pour qualifier le produit auquel la cliente en impute la responsabilité (« daube » ou encore « foutaise ») doivent être ici appréciés et relativisés, en l’état de l’expression d’une opinion critique s’appuyant sur une expérience personnelle, nécessairement empreinte de subjectivité, ainsi qu’au regard de la finalité du discours qui est de mettre en garde son destinataire sur l’usage du produit.

Ces propos ne dépassent par conséquent pas les limites admissibles de la liberté d’expression.

A noter que dans cette affaire, le sujet d’intérêt général était certain (l’usage de produits toxiques pour la santé).

En la cause, en ce qu’ils constituent le partage d’une expérience personnelle, abondée par d’autres témoignages, même s’ils sont sélectionnés pour leur teneur critique, et ce dans l’optique d’alerter sur l’usage d’un produit estimé comme potentiellement dangereux pour les utilisateurs et leur santé, ces avis / propos ne se réduisent pas à l’évocation d’un litige purement personnel et privé mais s’inscrivent dans un sujet d’intérêt général.

De façon générale, il appartient aux juridictions d’analyser, afin de ne pas porter une atteinte excessive à la liberté d’expression de la défenderesse, si les propos litigieux se rapportent à un sujet d’intérêt général, reposent sur une base factuelle suffisante et ont été exprimés avec une certaine mesure afin de ne pas excéder les limites de cette liberté.

L’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur les produits, les services ou les prestations de l’autre peut constituer un acte de dénigrement, ouvrant droit à réparation sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

Cette divulgation n’entre pas dans les prévisions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dès lors qu’elle ne concerne pas la personne physique ou morale.

En application des règles régissant la responsabilité délictuelle de droit commun, il appartient toutefois au demandeur de prouver l’existence d’une faute commise par l’auteur des propos, un préjudice personnel et direct subi par lui et un lien de causalité entre cette faute et le préjudice.

En outre, s’agissant d’une restriction au principe fondamental de la liberté d’expression, la responsabilité civile de l’auteur des propos doit s’apprécier strictement.

Ainsi, lorsque l’information se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, elle relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait être regardée comme fautive, sous réserve que soient respectées les limites admissibles de la liberté d’expression et donc une certaine mesure.

Résumé de l’affaire :

Débats et Audience

L’audience s’est tenue le 11 septembre 2024 devant Jean-François Astruc, sans opposition des avocats. Après avoir entendu les parties, le juge a rendu compte au tribunal conformément à l’article 786 du code de procédure civile.

Jugement et Assignation

La société MK FRANCE a assigné [D] [R] le 20 octobre 2022, alléguant que des messages publiés par la défenderesse constituaient des actes de dénigrement, causant un préjudice financier. MK FRANCE a demandé diverses réparations, y compris la cessation des publications dénigrantes et des dommages-intérêts.

Conclusions de la Demanderesse

Dans ses conclusions du 22 mars 2024, MK FRANCE a demandé au tribunal de reconnaître la validité de ses demandes et de condamner [D] [R] à cesser ses actes de dénigrement, à supprimer ses publications, et à verser 10.000 euros en dommages-intérêts. Elle a également demandé la publication de la décision sur les réseaux sociaux de [D] [R].

Conclusions de la Défenderesse

Le 19 mars 2024, [D] [R] a demandé au tribunal de débouter MK FRANCE de toutes ses demandes et de lui accorder une indemnité pour procédure abusive, ainsi que des frais au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Contexte des Faits

MK FRANCE, sous l’enseigne « [X] K », vend des produits de beauté et exploite un salon de coiffure. [D] [R] a reçu un lissage français le 29 juin 2022, mais a été insatisfaite de la prestation, affirmant avoir subi une perte de cheveux. Elle a publié des messages sur les réseaux sociaux critiquant les produits de MK FRANCE entre août et septembre 2022.

Propos Dénigrants

MK FRANCE a identifié plusieurs propos de [D] [R] comme dénigrants, sans fournir de dates précises. Le tribunal a dû examiner un grand volume de messages pour établir la matérialité des propos incriminés.

Caractère Dénigrant des Propos

MK FRANCE a soutenu que les propos de [D] [R] constituaient une campagne de dénigrement, tandis que [D] [R] a affirmé qu’ils relevaient de son droit de critique. Le tribunal a examiné si les propos étaient fondés sur des faits suffisants et s’ils respectaient les limites de la liberté d’expression.

Éléments de Preuve

[D] [R] a produit divers éléments, y compris des constats d’huissier, des certificats médicaux et des témoignages, pour soutenir ses affirmations concernant les effets des produits de MK FRANCE sur sa santé capillaire.

Analyse des Propos

Le tribunal a considéré que les propos de [D] [R] étaient liés à une expérience personnelle et à un sujet d’intérêt général. Bien que certains termes aient été jugés excessifs, ils ont été interprétés dans le contexte de la souffrance vécue par [D] [R].

Décision du Tribunal

Le tribunal a conclu que les messages de [D] [R] ne constituaient pas des actes de dénigrement, rejetant ainsi la demande de MK FRANCE. La demande reconventionnelle de [D] [R] pour procédure abusive a également été déboutée.

Frais et Dépens

MK FRANCE a été condamnée à payer 2.000 euros à [D] [R] en application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de l’instance.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

6 novembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
23/02031
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS


MINUTE N°:
17ème Ch. Presse-civile

N° RG 23/02031 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZAVT

JFA

Assignation du :
20 octobre 2022
[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

République française
Au nom du Peuple français

JUGEMENT
rendu le 06 Novembre 2024

DEMANDERESSE

S.A.S. MK FRANCE immatriculée au RCS de [Localité 8], sous le numéro B 527 864 243, prise en la personne de son Président, [Y] [T] domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 9]

représentée par Maître Philippe LEPEK de l’ASSOCIATION L & P ASSOCIATION D’AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0241

DEFENDERESSE

[D] [R]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Me Corinne GABBAY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0646

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Magistrats ayant participé au délibéré :

Jean-François ASTRUC, Vice-président
Président de la formation

Anne-Sophie SIRINELLI, Vice-président
Gauthier DELATRON, Juge
Assesseurs

Greffier :
Viviane RABEYRIN, Greffier

DEBATS

A l’audience du 11 Septembre 2024 tenue publiquement devant Jean-François ASTRUC, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les parties, en a rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du code de procédure civile.

JUGEMENT

Mis à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Vu l’assignation en date du 20 octobre 2022, délivrée à [D] [R] à la requête de la société MK FRANCE qui demande au tribunal, au visa de l’article 1240 du code civil, de juger que des messages publiés par la défenderesse sont constitutifs d’actes de dénigrement à l’égard de ses produits et services lui causant un préjudice financier, poursuivant en conséquence sa condamnation à diverses mesures de réparation ;

Vu les dernières conclusions de la demanderesse, notifiées par voie électronique le 22 mars 2024, par lesquelles elle demande au tribunal de :

– juger la société MK FRANCE bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;

Et, conséquemment,

– juger que [D] [R] procède et continue de procéder à des actes de dénigrement à l’égard des produits et services de la société MK FRANCE ;

– juger que la société MK FRANCE subit un préjudice pour l’atteinte à son image et à sa réputation ;

Et, conséquemment,

– ordonner à [D] [R] qu’elle cesse ses dénigrements à l’encontre des produits et services de la société MK FRANCE, sous astreinte journalière de 100 euros ;

– ordonner à [D] [R] la suppression de l’ensemble de ses publications dénigrantes, qu’il s’agisse de ses comptes Instagram et Twitter, ou de tout autre site internet, sur lequel elle aurait procédé à des dénigrements à l’encontre de la société MK FRANCE;

– condamner [D] [R] à régler à la société MK FRANCE la somme de 10.000 euros, à titre de dommages-intérêts, pour dénigrement ;

– ordonner à [D] [R] de publier la décision à intervenir, sur ses comptes Instagram et Twitter, pendant une durée de quatorze (14) mois, en l’état, laquelle pourra être augmentée ;

– juger que la société MK FRANCE pourra publier, aux frais de [D] [R], dans la limite de 5.000 euros, la décision à intervenir, sur ses réseaux sociaux et sites internet ;

– débouter [D] [R] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

– condamner [D] [R] à régler à la société MK FRANCE la somme de 10.000 euros, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– condamner [D] [R] aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 mars 2024 par [D] [R], par lesquelles elle demande au tribunal :

– de la recevoir en ses demandes, fins et conclusions ;

– de débouter la société MK FRANCE de l’ensemble de ses demandes ;
– de condamner la société MK FRANCE à lui payer la somme de 4.000 euros à titre d’indemnité pour procédure abusive ;

– de condamner la société MK FRANCE à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux écritures des parties reprises à l’audience de plaidoirie pour un plus ample exposé des moyens développés à l’appui de leurs prétentions.

Vu l’ordonnance de clôture en date du 6 mars 2024 ;

À l’issue de l’audience du 11 septembre 2024, au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus en leurs observations, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 6 novembre 2024, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les faits

La société MK FRANCE exerce, sous l’enseigne « [X] K », une activité dans le domaine de la vente de produits de beauté et accessoires, visage, corps et cosmétiques capillaires / coiffure (v. extrait Kbis, pièce n°1).
Elle exploite également un salon de coiffure (« Showroom »), sis [Adresse 1], à [Localité 9] et dispose, en outre, d’un site internet marchand au moyen duquel, elle commercialise les produits de sa marque « [X] K »,

Il est constant que le 29 juin 2022, [D] [R] s’est rendue au salon de coiffure à l’enseigne « [X] K » pour y bénéficier d’une prestation dite de « lissage français » ainsi que d’un soin « immORtelle ».

Il ressort des pièces et des écritures des parties que [D] [R] n’étant pas satisfaite de cette prestation en raison, selon ses dires, de ce que « ses cheveux tombaient par poignée » et « d’une sensation constante de chaleur de son cuir chevelu », elle s’est rendue au salon « [X] K » le 3 août 2022, sans que les parties ne puissent s’accorder ni sur la responsabilité de l’exploitant, ni donc sur les modalités d’une possible réparation.

C’est dans ce contexte du différend qui l’a opposée au salon exploité par MK FRANCE que [D] [R] a publié sur ses réseaux sociaux Instragram puis Twitter les messages contenant les propos litigieux entre le 3 août 2022 et le 22 septembre 2022.

Par courrier du 11 août 2022, la conseil de la société MK FRANCE avisait [D] [R] de sa saisine en vue d’examiner toute voie de droit pour faire cesser les propos diffamatoires et la campagne de dénigrement menée (pièce n°2 demandeur).

A nouveau, le 18 août 2022, ce même conseil mettait [D] [R] en demeure de cesser ses publications à l’encontre des produits et services de la société [X] K, sous peine d’une action judiciaire (pièce n°3 demandeur). Il était répondu à cette mise en demeure le 18 septembre 2022 par un courrier du conseil de [D] [R], s’élevant contre la mauvaise foi du demandeur.

Parallèlement, [D] [R] a fait assigner la société MK FRANCE le 20 octobre 2022 devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, lequel a fait droit le 5 décembre 2022 à sa demande de réalisation d’une expertise médicale in futurum, confiée à un médecin dermatologue expert. Celui-ci a déposé son rapport le 21 juin 2023.

Sur le dénigrement

Sur les propos visés

Le demandeur vise dans ses dernières conclusions (pages n° 14 et 15) un certain nombre de propos, publiés sur différents comptes, sans préciser les dates des messages qui les contiennent, ni même la page du constat d’huissier (pièce n° 5) qui les constate.
Il a ainsi incombé au tribunal de retrouver les propos visés au gré de la masse des messages reproduits dans ce constat, qui restitue les opérations conduites par l’huissier jusqu’au 22 août 2022 et qui comporte pas moins de 248 pages, ainsi que dans de nouvelles captures d’écran de messages postés sur le compte Twitter de [D] [R] pour la période du 22 août 2022 au 22 septembre 2022 (pièce n° 6), qui sont venus s’ajouter à ce premier constat et qui contiennent également certains des propos querellés.

Les propos sont ici reproduits dans la mise en forme appliquée par le demandeur dans ses conclusions. Ils sont numérotés par le tribunal pour les besoins de la motivation et la page du constat à laquelle ils figurent est indiquée lorsque leur identification a été possible, certains n’ayant pas été retrouvés.

Sont en premier lieu visés des propos publiés sur le compte Instagram @[06], intitulé par [D] [R] « compte pour dénoncé (sic) les pratiques commerciales de [X] K. » (constat du 22 août 2022, page 18) et qui sont les suivants :

– « Pas de laboratoire, elle ne crée rien (…) » (1), constat page n°33.

– « @[05] C’est monnaie courante chez [X] k [2 émoji figure dépitée] » (2), constat page n°42.

– « les pdts [produits] [X] K (…) font bien perdre les cheveux » (3), non retrouvé.

– « Faites attention, les LISSAGES ? [X] font perdre les cheveux, avec des trous dans le crâne. Partagez au maximum » (4), constat page n°50.

– « C’est vraiment de la daube ce lissage français !!! Arrêtez de mettre n’importe quoi sur vos cheveux, vous valez mieux que ça ! » (5), constat page n°52.

– « beaucoup de témoignages sur les gélules et gummies qui ne fonctionnement pas, que de la foutaise !!! » ; (6), constat page n°74.

– « Si c’est pas du foutage de gueule ça !!! Merci les pdts [produits] [X] K » (7), constat page n°78.

– « La composition dangereuse pour la santé. LE FRIC AVANT L’HUMAIN » (8), constat page n°84

– « (…) Ses produits sont vraiment dangereux » (9), non retrouvé.

– « Moi j’ai perdu plus de la moitié de mes cheveux, suite à leur lissage, là c’est la vue » (10), constat page n°86.

– « BIG CIL [X] K, aucun scrupule, aucune honte, du fric au détriment de votre santé » (11), constat page n°90.

– « prise poids, normal c’est bourré de glucose !!! » (12), non retrouvé.

En ce qui concerne les messages mis en ligne sur le compte Twitter (constat page 147 et s.), sur le compte [O] [D] @[04], qui se présente ainsi « Influencée par [X] K sur les réseaux sociaux, j’ai fait un lissage brésilien sur son salon, et là descente aux enfers. Témoignage sur mon Insta [06] », il apparaît que le demandeur (conclusions page n°15), vise les propos suivants, les indications de la page du constat d’huissier ou des captures d’écran qui les constatent étant à nouveau le fait du tribunal, lorsqu’il est parvenu à l’établir.

– « (…) @[07] (…) sans compter les pdts [produits] chimiques et dangereux pour la santé qu’elle vend via les réseaux sociaux » (13), constat page n°234.

– « [X] K (…) produits pas CLEAN » (14), constat page n°235.

– « [X] [Localité 8] (…) mettre en péril la santé des gens au détriment de l’argent c’est une HONTE !!! (…) risquer de perdre la vue pour avoir de longs cils C’EST PAS SERIEUX !!! » (15, constat page n°232.

– « (…) @[X] j’ai été victime, j’ai perdu la moitié de mes cheveux !! J’ai utilisé mon compte INSTA @[06] pour recueillir des TEMOIGNAGES des pdts toxiques et chimiques (…) » (16), capture d’écran, pièce demandeur n°6/7.

– « J’ai été influencée par [X] K (…) résultat j’ai perdu plus de la moitié de mes cheveux. Mais qu’il y a-t-il dans ces produits ??? Certains disent que les produits [X] K viennent de Chine… » (17), non retrouvé.

Sont également visé deux « retweet » de posts :

– « Vous allez tous être chauves avec les produits [X] K » (18), constat page n° 197 et encore page 207.

– « [X] K va finir par sauter avec ses lissages toxiques à 500 € … » (19), non retrouvé.

En ce qui concerne l’existence de propos dénigrants dans les avis publiés sur la page Google de la société demanderesse, qu’elle évoque en page 15 et qu’elle semble imputer à [D] [R] à la page 21 de ses mêmes conclusions, il sera observé, d’une part que la teneur exacte de ces propos n’est pas précisée, d’autre part que les avis litigieux ne sont pas produits aux débats par la société demanderesse, et pour cause puisque les parties débattent longuement de la responsabilité du demandeur dans leur suppression, et, enfin, qu’il n’est pas discuté que [D] [R] n’en est pas l’auteur mais que sa publication doit être imputée à sa cousine [F] [R], qui la revendique et qui s’identifie dans le message (v. pièce n° 18, défendeur).
Dans ces circonstances, la société MK FRANCE ne saurait utilement arguer de propos dénigrants tenus par [D] [R] au titre d’avis publiés sur sa page Google.

Sur le caractère dénigrant des propos litigieux

La société MK FRANCE affirme que [D] [R] s’est livrée à une campagne de dénigrement de ses produits dès lors que les termes employés sont péjoratifs et qu’ils ont été publiquement tenus.
Elle estime que les propos publiés par [D] [R] sur ses réseaux sociaux ne constituent pas une information se rapportant à un sujet d’intérêt général, qu’ils ne reposent sur aucune base factuelle suffisante et ne sont pas plus exprimés avec la nécessaire mesure.
Elle rappelle sur ce point que le compte rendu de l’expertise médicale judiciaire réalisée par le professeur [V] écarte purement et simplement la responsabilité des produits de la société MK FRANCE dans la perte des cheveux de [D] [R].

Elle avance que l’expérience de [D] [R] avec les produits commercialisés par la société MK FRANCE a été limitée au seul usage du lissage et que s’agissant de ce produit, la capture d’écran de sa composition extraite du site « Que Choisir » et le constat d’huissier produits par la défenderesse ont porté sur l’ancienne composition du lissage français [X] K, modifiée depuis le 1er mars 2022 pour se conformer à la nouvelle réglementation ; qu’en tout état de cause, l’expertise a écarté toute causalité entre la perte de cheveux et chacun des ingrédients du soin.
Elle rappelle qu’en tout état de cause, la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit constitue un dénigrement, peu important qu’elle soit exacte.
Il ajoute enfin que le fait d’utiliser des comptes spécifiquement dédiés et créés démontre l’intention de nuire de la défenderesse.

[D] [R] soutient que les propos ne sont pas dénigrants et relèvent de son droit de critique en ce qu’ils abordent un sujet légitime d’information des consommateurs, permettant le partage d’expériences personnelles visant à les éclairer dans le choix d’utiliser les produits [X] K, pouvant être potentiellement dangereux pour les cheveux et la santé ; qu’elle s’est ainsi contentée de relayer des témoignages de simples consommateurs ayant fait personnellement l’expérience des pratiques critiquées dont les appréciations s’appuient sur des éléments tangibles et détaillés et qui sont constitutifs d’une base factuelle suffisante au soutien de ses propres commentaires.

*

L’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur les produits, les services ou les prestations de l’autre peut constituer un acte de dénigrement, ouvrant droit à réparation sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

Cette divulgation n’entre pas dans les prévisions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dès lors qu’elle ne concerne pas la personne physique ou morale.

En application des règles régissant la responsabilité délictuelle de droit commun, il appartient toutefois au demandeur de prouver l’existence d’une faute commise par l’auteur des propos, un préjudice personnel et direct subi par lui et un lien de causalité entre cette faute et le préjudice.

En outre, s’agissant d’une restriction au principe fondamental de la liberté d’expression, la responsabilité civile de l’auteur des propos doit s’apprécier strictement.

Ainsi, lorsque l’information se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, elle relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait être regardée comme fautive, sous réserve que soient respectées les limites admissibles de la liberté d’expression et donc une certaine mesure.

Il doit liminairement être relevé que les propos n° 3, 9, 12, 17 et 19, faute de toute indication quant à leur localisation dans le volumineux constat et les multiples captures d’écran versés aux débats, n’ont pu être retrouvés. Leur matérialité n’étant pas établie, la responsabilité de la défenderesse ne pourra être engagée à raison de leur publication.

Cela étant, les messages incriminés, pour ceux dont la matérialité a pu être établie, critiquent les produits [X] K, dénoncés comme contenant des « produits toxiques et chimiques » (messages 13,16), « pas clean » (message 14), à tel point qu’ils sont présentés comme étant « dangereux pour la santé des personnes » (messages 8,9, 15) et plus spécifiquement, pour le produit lissage français, de nature à « faire perdre les cheveux » (messages 4, 10, 16, 17) ou à « rendre chauve » (message 18), conduisant [D] [R] à les qualifier de « daube » (message 5) ou encore de « foutaise » et à inviter les internautes à cesser de les utiliser (« arrêter de mettre n’importe quoi sur leurs cheveux », message 5) et à « partager au maximum » ses mises en garde et alertes (message 4).
Ces commentaires rédigés en des termes négatifs sont de nature à jeter le discrédit sur les produits et les prestations de la société MK FRANCE et de l’enseigne [X] K, et sont par conséquent susceptibles de constituer des actes de dénigrement, à moins qu’ils ne relèvent du droit de critique de la défenderesse.

Il appartient désormais au tribunal d’analyser, afin de ne pas porter une atteinte excessive à la liberté d’expression de la défenderesse, si les propos litigieux se rapportent à un sujet d’intérêt général, reposent sur une base factuelle suffisante et ont été exprimés avec une certaine mesure afin de ne pas excéder les limites de cette liberté.

Les messages en cause ont été publiés d’une part sur le site Instagram de la défenderesse @[06], qu’elle a décidé de présenter comme « un compte pour dénoncer les pratiques commerciales de [X] K » et sur un compte Twitter, spécialement ouvert en août 2022 à l’effet de communiquer sur cette expérience, et qu’elle présente ainsi : « Influencée par [X] K sur les réseaux sociaux, j’ai fait un lissage brésilien sur son salon, et là descente aux enfers. Témoignage sur mon Insta [06] ».

Ces comptes, qui n’ouvrent pas un espace de discussion sur les produits et pratiques incriminés, servent à [D] [R] à agréger les avis et témoignages négatifs critiques qu’elle a recueillis et sélectionnés sur d’autres supports ou d’autres comptes, pour les republier et y ajouter ses commentaires.

En présence de sites sur lesquels les publications sont laissées à la seule initiative de [D] [R] et qu’elle seule commente, hors de tout échange avec les internautes, les propos incriminés ne participent pas d’un débat d’intérêt général. Pour autant, en ce qu’ils constituent le partage d’une expérience personnelle, abondée par d’autres témoignages, même s’ils sont sélectionnés pour leur teneur critique, et ce dans l’optique d’alerter sur l’usage d’un produit estimé comme potentiellement dangereux pour les utilisateurs et leur santé, ces propos ne se réduisent pas à l’évocation d’un litige purement personnel et privé mais s’inscrivent dans un sujet d’intérêt général.

Au titre de la base factuelle sur laquelle elle indique s’être appuyée, la défenderesse produit les éléments suivants :

– un constat d’huissier du 11 août 2022, lequel a constaté « une raie centrale élargie par l’absence de cheveux », des cheveux « fins et sans densité laissant apparaître le cuir chevelu », ainsi qu’une « chevelure clairsemée sur l’ensemble du crâne », qu’il accompagne de trois photographies (pièce n° 15) ;

– une photographie, insérée dans ses conclusions, prise par l’intéressée et datée du 15 août 2022, qui montre effectivement une raie au centre du crâne élargie par l’absence de cheveux ;

– des photographies de sa chevelure à différentes périodes au cours de l’année 2022 montrant le volume et la densité de ses cheveux avant l’intervention du lissage français réalisé le 29 juin 2022 (pièces n° 16), accompagnées d’une attestation de son coiffeur habituel datée du 8 septembre 2022, lequel indique que [D] [R] n’avait antérieurement au lissage, « aucun problème capillaire » et « que suite à cette prestation, elle a subi une importante chute de cheveux » (pièce n° 12)

– un certificat médical de son médecin généraliste du 3 août 2022, qui indique avoir « constaté une chute anormale de ses cheveux laissant carrément une allopécie (sic) apparente brutale et massive [illisible] au centre du crâne », « qu’il ne s’explique pas » (pièce n° 10)

– un certificat de [U] [J], psychologue clinicienne daté du 13 décembre 2022, dans lequel elle explique « soigner [D] [R] depuis le 16 août 2022 », par des rencontres hebdomadaires et avoir pu constater « un état dépressif sévère dont on peut trouver l’origine dans la perte de ses cheveux qui semble avoir été la conséquence d’un lissage en salon de coiffure » et qui la décrit comme « atteinte dans sa féminité et maintenant dépressive » (pièce n° 23) ;

– un certificat médical du 7 septembre 2022 du docteur [S] [W], dermatologue, qui suit [D] [R] depuis 2003 « pour des problèmes non capillaires », et qui indique « qu’elle a toujours eu une chevelure massive et abondante, que je lui enviais » ; qu’à la consultation de ce jour, elle constate « une perte de cheveux considérable, apparu immédiatement après un lissage de ses cheveux » (pièce n° 11) ;

– une capture d’écran du site internet « Que Choisir » du 8 septembre 2022 (pièce n° 13), à la rubrique « comparatif substances toxiques dans les cosmétiques », consacré au produit « [L] K Lissage français » dans une version mise à jour le 28 septembre 2019, et dont il ressort que le produit en cause contient différentes substances toxiques, et notamment des allergènes, avec un risque identifié comme « moyen » (C) pour la substance « Butylphénil methypropional », ainsi qu’un article du 6 avril 2022 émanant des « laboratoires Phytodia » (pièce n° 14), informant de l’interdiction par l’Union européenne depuis le 1er mars 2022 du Butylphénil methypropional ou Lilial, composant chimique utilisé dans de nombreux produits cosmétiques, considéré comme un allergène présentant un risque nocif et cancérigène. [D] [R] produit également un constat d’huissier du 20 octobre 2022, visant à faire constater l’acquisition, dans plusieurs magasins, d’un « masque capillaire lissage français [X] K » dont la composition mentionne la présence de « Butylphénil methypropional » (pièce n° 25) ;

– le commentaire posté par sa cousine [F] [R] sur le site Google [X] K quelques jours après les faits, depuis supprimé, dans lequel celle-ci relate « que sa meilleure amie et cousine a vécu le 29 juin 2022 avec la coiffeuse [M] la pire expérience de sa vie !! Je suis catastrophée par le résultat et par l’état psychologique dans lequel je l’ai trouvée !!! (…). Je suis profondément choquée et attristée du résultat ! Une chute inexpliquée et importante sur le dessus de son crâne qui laisse apparaître un trou. (…) Elle est depuis complètement déprimée car son intégrité physique a été touchée en plus de son moral !!! Je vous conseille d’éviter (…) Nous constatons après coup qu’elle n’est pas la seule à avoir vécu la pire expérience de sa vie et qu’elle aurait dû être plus vigilante en prenant connaissance des nombreux avis négatifs qui l’aurait tout de suite décourager (sic) de se rendre à l’abattoir ! », auquel il était ainsi répondu : « nous vous invitons à prendre connaissance de la lettre que notre avocat a adressée à Madame [D] [R] (« votre cousine »), dont les termes relativiseront, peut-être, votre message agressif et dénué de tout fondement ».

– des avis négatifs et attestations émanant d’autres clientes sur le compte Google de [X] K (pièces n°29)

Il ressort en premier lieu des pièces ainsi produites que [D] [R] a souscrit une prestation de lissage français au sein du showroom [X] K pour bénéficier des produits développés et commercialisés par cette entreprise ; que l’état de [D] [R] au cours du mois d’août 2022, soit peu de temps après cette prestation, s’est caractérisé par une perte importante de cheveux, largement constatée par ses proches et par l’ensemble des professionnels de santé qui la suivent.
Cette prestation, loin de lui donner satisfaction, a abouti à un résultat physique qu’elle était légitime à déplorer, et quelle qu’en soit la cause, dont elle était légitime à se plaindre en tant que consommatrice.

Il convient, pour apprécier les modalités employées par [D] [R] pour s’exprimer sur cet évènement, de replacer ses propos au regard des connaissances et des convictions qui étaient les siennes au moment où elle les a tenus entre le 3 août 2022 et le 30 septembre 2022.
Il s’ensuit que les avis négatifs sur les prestations ou les produit [X] K postérieurs aux messages (pièces n° 30 et suivantes, défendeur) ne sauraient être pris en compte.
Pour les mêmes raisons, l’expression de [D] [R] ne saurait être discréditée au seul motif que les conclusions de l’expertise judiciaire, qui ont été rendues le 21 juin 2023, indiquent que « [D] [R] est victime d’une alopécie androgénétique péri-ménopausique au stade II de Ludwig, non liée au lissage des cheveux effectué le 29 juin 2022 », ces conclusions étant par définition ignorées de [D] [R] lors de ses publications, et encore contestées aujourd’hui.

Il doit en outre être rappelé, pour l’examen des propos, que [D] [R] a créé et alimenté ses comptes pour y ébruiter une expérience personnelle qu’elle vivait douloureusement et qui, au regard de la chronologie des évènements, lui est apparue non seulement comme compatible avec la prestation réalisée mais, plus encore, comme ne pouvant relever d’une autre cause.
L’important retentissement psychologique de cette dégradation physique, qu’elle pouvait croire irrémédiable, a été rapportée par ses proches et son entourage médical.
Dans ce contexte, l’application des qualificatifs de « toxique », de « dangereux » ou encore de « chimique » aux produits critiqués, pour lesquels [D] [R] s’est livré à des recherches concernant leur composition, participent de la nécessité pour elle de formuler une explication rationnelle à la dégradation de son état physique, quand bien ses conclusions seraient scientifiquement erronées.
Également, les excès de langage utilisés pour décrire les effets sur l’état de sa chevelure (« chauve », « trou dans la tête ») ou pour qualifier le produit auquel elle en impute la responsabilité (« daube » ou encore « foutaise ») doivent être ici appréciés et relativisés, en l’état de l’expression d’une opinion critique s’appuyant sur une expérience personnelle, nécessairement empreinte de subjectivité, ainsi qu’au regard de la finalité du discours qui est de mettre en garde son destinataire sur l’usage du produit.

Dans les circonstances ainsi évoquées, ces propos ne dépassent par conséquent pas les limites admissibles de la liberté d’expression.

Dans ces conditions, et alors que la société MK FRANCE ne démontre pas qu’au moment où les commentaires défavorables de la défenderesse étaient émis, l’aspect physique de cette dernière ne pouvait résulter que d’un comportement qui lui était imputable ou de causes totalement externes, et alors que les messages sont intervenus bien avant les conclusions aujourd’hui avancées par l’expertise judiciaire, qui reste contestées, il sera considéré que les messages reprochés à la défenderesse ne sont pas constitutifs d’actes de dénigrement.

La demande indemnitaire présentée de ce chef par la société MK FRANCE sera par conséquent rejetée.

Sur la demande reconventionnelle au titre du caractère abusif de la procédure

La mauvaise foi de la société MK FRANCE à l’occasion de la présente instance, que [D] [R] fait reposer sur une note technique du 24 novembre 2023 qu’elle produit et qui établirait la causalité entre le soin reçu et le dommage dont elle a été victime, n’est pas caractérisée.
Pas plus n’est établi le lien de causalité entre la présente procédure judiciaire et les préjudices allégués.

[D] [R] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.

La société MK FRANCE, qui succombe, supportera la charge des dépens de l’instance.

Il n’est pas inéquitable de condamner la société MK FRANCE à payer à [D] [R] la somme de 2.000€ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant, après débats publics, par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort :

Déboute les parties de l’intégralité de leurs demandes,

Condamne la société MK FRANCE à payer à [D] [R] la somme de 2.000€ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société MK FRANCE aux dépens.

Fait et jugé à Paris le 06 Novembre 2024

Le Greffier Le Président


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