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En cas de refus de signer un CDD d’usage d’artiste, le risque de requalification en CDI pèse sur l’employeur. Il appartient à ce dernier de faire en sorte que le contrat signé corresponde aux prestations de travail de l’artiste (sur le volet du nombre de cachets).
Attention également à rémunérer les répétitions de l’artiste. Selon l’article 1.10 de la convention collective nationale des entreprises du secteur privé du spectacle vivant « Pour tout nouveau spectacle, deux répétitions rémunérées pourront être données par les artistes-interprètes en présence d’un public majoritairement invité ». Il en résulte que même si le tableau récapitulatif communiqué par l’employeur mentionne plusieurs spectacles auxquels a participé l’artiste, la qualification des activités mentionnées dans ce tableau n’est pas conforme à cet article puisque plus de deux répétitions ouvertes, accueillant donc du public, sont mentionnées à propos de certains spectacles, ce qui a eu pour effet de minorer le cachet de l’artiste pour les répétitions « ouvertes » excédant le nombre de deux, celles-ci devant être qualifiées, quant à la détermination du montant du cachet, de représentation au sens de la convention collective. L’article L.1242-12 du code du travail dispose notamment que « Le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée ». Il résulte de ce texte que la signature d’un contrat de travail à durée déterminée a le caractère d’une prescription d’ordre public dont l’omission entraîne, à la demande du salarié, la requalification en contrat à durée indéterminée, qu’il n’en va autrement que lorsque le salarié a délibérément refusé de signer le contrat de travail de mauvaise foi ou dans une intention frauduleuse Soc., 22 mai 2024, pourvoi n° 22-11.623, B). Selon l’article L.1245-2 du code du travail, lorsqu’il est fait droit à la demande du salarié de requalification du contrat du travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, il est accordé au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. |
Résumé de l’affaire :
Contexte de l’affaireMme [P], artiste professionnelle, a travaillé pour l’association Théâtre laboratoire de Paris sans contrat signé entre le 19 octobre 2016 et le 3 juin 2017. En décembre 2018, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour requalifier sa relation de travail en contrat à durée indéterminée et obtenir des indemnités suite à la rupture de son contrat. Décision du conseil de prud’hommesLe 10 novembre 2021, le conseil de prud’hommes a requalifié la relation de travail de Mme [P] en contrat à durée indéterminée, a déclaré la rupture comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et a condamné l’association à lui verser plusieurs sommes, incluant des rappels de salaire et des indemnités. Appels de Mme [P]Mme [P] a fait appel de cette décision à deux reprises, en décembre 2021 et mars 2022. Les deux procédures d’appel ont été jointes par ordonnance en juillet 2024. Demandes de Mme [P] en appelDans ses conclusions de septembre 2024, Mme [P] a demandé à la cour de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes sur plusieurs points, notamment la requalification de son contrat et les condamnations financières, tout en demandant l’infirmation pour le surplus. Arguments de l’association Théâtre LPL’association a contesté la requalification, affirmant que Mme [P] avait refusé de signer les contrats de travail. Elle a également soutenu avoir déjà payé une partie des sommes dues et a demandé le rejet des demandes de Mme [P] concernant les rappels de salaire et le travail dissimulé. Analyse de la requalificationLa cour a confirmé la requalification en contrat à durée indéterminée, notant que l’association n’avait pas prouvé que Mme [P] avait délibérément refusé de signer des contrats conformes à ses prestations. Rappel de salairesLa cour a retenu que Mme [P] n’avait pas été rémunérée pour toutes les heures travaillées, condamnant l’association à lui verser un montant total de 3 500 euros, incluant des rappels de salaire. Indemnité de requalificationL’indemnité de requalification a été fixée à 609 euros, conformément aux dispositions du Code du travail, en tenant compte de la durée de la relation de travail. Rupture du contrat de travailLa rupture de la relation de travail a été déclarée sans cause réelle et sérieuse, entraînant des indemnités pour Mme [P], y compris une indemnité compensatrice de préavis. Indemnité pour travail dissimuléLa demande d’indemnité pour travail dissimulé a été rejetée, la cour n’ayant pas établi le caractère intentionnel de la dissimulation. Délivrance de documentsL’association a été condamnée à remettre à Mme [P] les documents sociaux conformes, sans astreinte, car il n’y avait pas de présomption de résistance à la décision. Dommages-intérêts pour perte de chanceL’association a également été condamnée à verser 500 euros à Mme [P] pour perte de chance liée à l’absence de remise de documents sociaux. Conclusion de la décisionLa cour a infirmé partiellement le jugement initial, condamnant l’association à verser plusieurs sommes à Mme [P] et à remettre des documents conformes, tout en déboutant les parties de leurs autres demandes. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRET DU 06 NOVEMBRE 2024
(n°2024/ , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/10377 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE26C
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Novembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° 18/09506
APPELANTES
Madame [Z] [P]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Florent HENNEQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R222
INTIMEE
Association THEATRE LABORATOIRE DE PARIS
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Etienne PUJOL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0281
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Septembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Didier LE CORRE, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre et de la formation
Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Gisèle MBOLLO
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, initialement prévue le 23 octobre 2024 et prorogée au 06 novembre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre et par Gisèle MBOLLO, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme [P], artiste professionnelle du spectacle, a travaillé pour l’association Théâtre laboratoire de Paris (l’association Théâtre LP) pendant la période du 19 octobre 2016 au 3 juin 2017 sans contrat signé.
Elle a saisi le 14 décembre 2018 le conseil de prud’hommes de Paris de différentes demandes tendant notamment à voir requalifier sa relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée, à voir dire que la rupture de ce contrat constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse et à voir condamner l’association Théâtre LP à lui payer différentes sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.
Par jugement du 10 novembre 2021, rendu en sa formation de départage, le conseil de prud’hommes de Paris a rendu la décision suivante:
« REQUALIFIE les contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée.
DIT que la rupture de la relation contractuelle s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
FIXE le salaire moyen de Madame [Z] [P] à la somme de 329 euros.
CONDAMNE l’ASSOCIATION THEATRE LABORATOIRE DE PARIS à payer à Madame
[Z] [P] les sommes de :
– 1 259 euros au titre de rappel de salaire et ordonne le paiement des congés spectacles y afférent.
– 658 euros au titre de l’indemnité de préavis, et ordonne le paiement des congés spectacles y afférent.
– 329 euros au titre de l’indemnité de requalification
– 329 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
– 200 euros pour la perte d’une chance de faire valoir ses droits.
DIT que les condamnations à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation en bureau de conciliation et celles à caractère indemnitaire, à compter de la présente décision.
DIT que les intérêts dus pour une année entière se capitaliseront.
ORDONNE la remise d’une attestation pôle emploi, d’un certificat de travail, de fiches de payes et du solde de tout compte conformes à la présente décision
DEBOUTE Madame [Z] [P] du surplus de ses demandes.
ORDONNE l’exécution provisoire.
CONDAMNE l’ASSOCIATION THEATRE LABORATOIRE DE PARIS à payer à Madame
[Z] [P] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
CONDAMNE l’ASSOCIATION THEATRE LABORATOIRE DE PARIS aux entiers dépens. »
Mme [P] a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe le 22 décembre 2021, adressée par un défenseur syndical, et enregistrée sous le n° RG 21/10377.
Mme [P] a relevé appel du même jugement par déclaration transmise par voie électronique le 9 mars 2022 et enregistrée sous le n° RG 22/03857.
Par ordonnance du 3 juillet 2024, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la jonction de la procédure d’appel n° RG 22/03857 avec la procédure d’appel n° RG 21/10377.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 9 septembre 2024, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, Mme [P] demande à la cour de:
« CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de PARIS le 10 novembre 2021 en ce qu’il a :
– requalifié les contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée
– dit que la rupture de la relation contractuelle s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
– condamné l’association THEATRE LABORATOIRE DE PARIS à payer à Madame [Z] [P] des condamnations à titre de :
‘ rappel de salaire et ordonné le paiement des congés spectacles y afférent.
‘ indemnité de préavis, et ordonne Ie paiement des congés spectacles y afférent.
‘ indemnité de requalification
‘ dommages et intérêts pour licenciement abusif.
‘ Indemnité pour la perte d’une chance de faire valoir ses droits.
– dit que les condamnations à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation en bureau de conciliation et celles à caractère indemnitaire, à compter de la décision.
– dit que les intérêts dus pour une année entière se capitaliseront.
– ordonné la remise d’une attestation pole emploi, d’un certificat de travail, de fiches de payes et du solde de tout compte conformes à la présente décision
– condamné l’association THEATRE LABORATOIRE DE PARIS à payer à Madame [Z] [P] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
– condamné l’association THEATRE LABORATOIRE DE PARIS aux entiers dépens.
INFIRMER le jugement pour le surplus,
STATUER A NOUVEAU
1. CONFIRMER la requalification du le contrat de travail de Madame [P] avec l’association THEATRE LABORATOIRE DE PARIS en contrat à durée indéterminée à compter du 19 octobre 2016, en vertu de l’article L. 1245-1 du Code du travail,
EN CONSEQUENCE
PORTER le montant de l’indemnité de requalification que l’association THÉÂTRE LABORATOIRE DE PARIS sera condamnée à verser à Mme [P] à la une somme de 1 718 € (2 mois), en application de l’article L. 1245-2 du Code du Travail,
2. CONFIRMER l’existence de salaires non versés au préjudice de Madame [P]
EN CONSEQUENCE
PORTER le montant des rappels de salaire dû à Madame [P] à la somme de 5 047,58€, ainsi que 504,75 € de congés payés afférents,
FIXER le salaire de référence de Madame [P] la somme de 913,91 € bruts mensuels
3. PRONONCER l’existence d’un travail dissimulé, au sens de l’article L. 8221-5 du Code du travail
EN CONSEQUENCE
CONDAMNER l’association THEATRE LABORATOIRE DE PARIS à verser à Madame [P] une somme de 5 484 € (6 mois) à titre principal à titre d’indemnité pour travail dissimulé sur le fondement de l’article L. 8223-1 du Code du travail, à titre subsidiaire à titre d’indemnité pour non-respect par l’association de ses obligations en matière de paiement des salaires, sur le fondement des articles L.3242-1 et L. 1222-1 du Code du travail.
4. PRONONCER l’existence d’un licenciement sans procédure au préjudice de Madame [P] le 3 juin 2017,
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la rupture de la relation contractuelle s’analyse en un licenciement dépourvu de cause et sérieuse,
PRONONCER le caractère abusif de la rupture du contrat de travail,
EN CONSEQUENCE
PORTER le montant de l’indemnité compensatrice de préavis que l’association THEATRE LABORATOIRE DE PARIS est condamnée à verser à Madame [P] à la somme de 1 827,82 € bruts, ainsi que 182,78 € de congés payés afférents,
PORTER le montant de des dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail que l’association THEATRE LABORATOIRE DE PARIS est condamnée à verser à Madame [P] à la somme de 1 828 € (2 mois), sur le fondement de l’article L. 1235-5 du Code du travail
5. CONFIRMER le non-respect par l’employeur de ses obligations relatives à la remise des bulletins de paie et documents de fin de contrat,
EN CONSEQUENCE
PORTER le montant des dommages et intérêts pour non-respect par l’employeur de ses obligations en matière de remise de bulletin de paie et de documents de fin de contrat, sur le fondement des articles L.3243-1, R. 3246-1, L. 1234-19, R. 1238-3, R. 1234-9 du Code du travail, et la perte de chance de faire valoir ses droits en découlant, à la somme de 2 877,12 € nets
EN TOUT ETAT DE CAUSE
6. DEBOUTER l’association THEATRE LABORATOIRE DE PARIS de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
7. CONDAMNER l’association THEATRE LABORATOIRE DE PARIS à remettre à Madame [P] des bulletins de paie et documents sociaux conformes au jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 250 € par jour de retard et par document, astreinte dont la Cour se réserva le contentieux de la liquidation,
8. PRONONCER l’application aux condamnations des intérêts au taux légal, et de l’anatocisme, conformément à l’article 1343-2 du Code civil,
9. CONDAMNER l’association THEATRE LABORATOIRE DE PARIS à verser à Madame [P] une somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du CPC,
10. CONDAMNER l’association THEATRE LABORATOIRE DE PARIS aux entiers dépens, ainsi qu’aux éventuels frais d’exécution. »
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 2 août 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, l’association Théâtre LP demande à la cour de:
« – JUGER que Madame [P] a volontairement refusé de signer les contrats de travail à durée déterminée ;
– JUGER que Madame [P] ne peut se prévaloir de sa propre mauvaise foi pour solliciter la requalification de la relation contractuelle ;
Par conséquent :
– DEBOUTER Madame [P] de sa demande de requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée ;
– PRENDRE ACTE que l’Association a d’ores et déjà payé 1.259 € à Madame [P] au titre des rappels de salaire ;
– JUGER qu’à l’exception de cette erreur, l’ensemble des répétitions et des représentations ont été déclarées et payées à Madame [P] ;
Par conséquent :
– DEBOUTER Madame [P] de ses demandes au titre des rappels de salaire
– DEBOUTER Madame [P] de sa demande au titre du travail dissimulé ;
Si la Cour devait procéder à des rappels de salaire
– JUGER que Madame [P] ne démontre pas l’élément intentionnel du travail dissimulé;
Par conséquent :
– DEBOUTER Madame [P] de sa demande au titre du travail dissimulé ;
A titre subsidiaire, si la Cour devait retenir la qualification de travail dissimulé
– FIXER l’indemnité à hauteur de 1.974 €
– JUGER que la fin des relations contractuelles est intervenue conformément aux dispositions légales ;
Par conséquent :
– DEBOUTER Madame [P] de sa demande d’indemnités au titre de la rupture abusive;
A titre subsidiaire, si la Cour devait prononcer la requalification de la relation contractuelle et par voie de conséquence en déduire que la rupture était abusive ;
– FIXER le salaire de référence à la somme de 329 € bruts ;
Par conséquent :
– FIXER le préavis à la somme de 658 € bruts et 65,80 € au titre des congés payés y afférents;
– DEBOUTER Madame [P] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– JUGER que Madame [P] ne rapporte pas la preuve d’un quelconque préjudice compte tenu du retard de communication de ses bulletins de paie et documents afférents ;
Par conséquent :
– DEBOUTER Madame [P] de sa demande d’indemnité à ce titre ;
A titre subsidiaire, si la Cour devait faire droit à la demande de Madame [P], elle devra nécessairement prendre en compte dans le calcul effectué par cette dernière que les rappels de salaires sollicités sont erronés ;
– FIXER le montant des dommages et intérêts à hauteur de 717,63 € ;
– DEBOUTER Madame [P] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER Madame [P] au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER Madame [P] aux entiers dépens. »
L’ordonnance de clôture a été rendue le 10 septembre 2024.
Sur la requalification en contrat à durée indéterminée
L’article L.1242-12 du code du travail dispose notamment que « Le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée ». Il résulte de ce texte que la signature d’un contrat de travail à durée déterminée a le caractère d’une prescription d’ordre public dont l’omission entraîne, à la demande du salarié, la requalification en contrat à durée indéterminée, qu’il n’en va autrement que lorsque le salarié a délibérément refusé de signer le contrat de travail de mauvaise foi ou dans une intention frauduleuse Soc., 22 mai 2024, pourvoi n° 22-11.623, B).
En l’espèce, l’association Théâtre LP ne conteste pas que Mme [P] a réalisé des prestations de travail mais expose que des contrats à durée déterminée avaient bien été établis et soumis à la signature de la salariée et que celle-ci a fait preuve d’une mauvaise foi caractérisée en refusant catégoriquement de les signer au prétexte qu’elle n’avait pas suffisamment de cachets.
Il ressort des débats que des contrats à durée déterminée avaient été soumis à la signature de Mme [P].
L’appelante explique ne pas avoir signé ces contrats dans la mesure où leur contenu ne correspondait pas aux prestations de travail qu’elle réalisait.
L’association Théâtre LP communique sept attestations d’intermittents du spectacle ou artistes amateurs ayant participé au spectacle pour lequel Mme [P] avait travaillé et qui décrivent, avec des formulations différentes, Mme [P] comme étant une personne arrogante, caractérielle, pouvant hurler sans motif valable et dont le comportement était souvent perturbateur durant les répétitions et, plus généralement, en dehors de la scène.
Néanmoins, il ne résulte pas de ces attestations et des autres pièces versées aux débats la démonstration que l’association Théâtre LP avait proposé à Mme [P] des contrats conformes à ses prestations, portant la signature de l’employeur, et que celle-ci avait alors délibérément refusé de signer de mauvaise foi ou dans une intention frauduleuse. A cet égard, la mauvaise foi ou l’intention frauduleuse de Mme [P] sont d’autant moins établies que la période durant laquelle l’association Théâtre LP a continué à avoir recours à ses services a été assez longue, du 19 octobre 2016 au 3 juin 2017, soit pendant presque huit mois.
En conséquence, la relation de travail ayant existé entre Mme [P] et l’association Théâtre LP doit être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée pour cette période. Le jugement est confirmé sur ce chef.
Sur le rappel de salaires
Mme [P] soutient n’avoir pas été payée pour toutes les heures de travail qu’elle a réalisées et que sa rémunération n’a été versée que sur une « infime partie des dates réellement travaillées ». Elle sollicite un rappel de salaire « correspondant au nombre réel de répétitions et de représentations effectuées ».
L’association Théâtre LP expose que le théâtre était « un véritable lieu d’accueil où il fait bon vivre », que les temps durant lesquels les artistes étaient présents sur les lieux, pour profiter du confort et de l’ambiance du théâtre, correspondaient à des temps de détente au cours desquels ces mêmes artistes vaquaient à leurs occupations personnelles, sans se tenir à la disposition de leur employeur, et et ne s’apparentaient donc pas à du temps de travail. L’intimée ajoute que Mme [P] ne travaillait que ponctuellement, n’assistant pas à toutes les répétitions, que lorsqu’elle était présente elle n’effectuait pas l’intégralité de la plage horaire, que les « répétitions ouvertes » ne peuvent être assimilées à des représentations, et que « contrairement à ses collègues le nombre de répétitions était très limité et plus que secondaire compte tenu de sa faible participation dans le spectacle (se tenir debout quelques minutes avec un cageot de pommes de terre) ».
L’article L.2121-1 du code du travail dispose que « La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».
L’association Théâtre LP a élaboré un tableau récapitulant, selon elle, les dates, horaires et natures (répétition, répétition ouverte, représentation) des activités organisées par l’association (pièce n°18 de l’employeur) tandis que Mme [P] produit différentes pièces (notamment courriels, tableaux et décomptes multiples élaborés par ses soins, bulletins de paie, reproductions d’affiches, calendriers annotés par ses soins) au soutien de sa demande de rappel de salaire.
En outre, Mme [P] se réfère aux dispositions de la convention collective nationale des entreprises du secteur privé du spectacle vivant qui prévoit des cachets d’un montant différent selon qu’il s’appliquent à des répétitions, des répétitions publiques, des répétitions générales ou des représentations, et ce en articulation avec des critères complémentaires relatifs notamment à la jauge de la salle, au nombre de lignes de texte devant être dit par le comédien et au nombre de représentations par mois.
Selon l’article 1.10 de cette convention collective, « Pour tout nouveau spectacle, deux répétitions rémunérées pourront être données par les artistes-interprètes en présence d’un public majoritairement invité ». Il en résulte que même si le tableau récapitulatif communiqué par l’association Théâtre LP mentionne plusieurs spectacles auxquels a participé Mme [P], la qualification des activités mentionnées dans ce tableau n’est pas conforme à cet article puisque plus de deux répétitions ouvertes, accueillant donc du public, sont mentionnées à propos de certains spectacles, ainsi « Praecox » et « Dementia », ce qui a eu pour effet de minorer le cachet de Mme [P] pour les répétitions « ouvertes » excédant le nombre de deux, celles-ci devant être qualifiées, quant à la détermination du montant du cachet, de représentation au sens de la convention collective.
Par ailleurs, l’association Théâtre LP a reconnu dès la procédure devant le conseil de prud’hommes devoir la somme de 1 259 euros à Mme [P] à titre de rappel de salaire, cette somme lui ayant été payée postérieurement au jugement prud’homal.
Compte tenu de l’ensemble des éléments versés aux débats par chacune des parties et des dispositions de la convention collective précitée, la cour retient que Mme [P] a accompli des heures de travail pendant lesquelles elle était à la disposition de son employeur et se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles et qui ne lui ont pas été rémunérées, ces heures correspondant à la somme globale de 3 500 euros incluant la somme de 1 259 euros déjà versée. Par infirmation du jugement, l’association Théâtre LP est donc condamnée à payer à Mme [P] la somme de 3 500 euros à titre de rappel de salaire.
Sur la demande d’indemnité de requalification
Selon l’article L.1245-2 du code du travail, lorsqu’il est fait droit à la demande du salarié de requalification du contrat du travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, il est accordé au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.
Compte tenu des éléments produits par les parties, notamment des derniers bulletins de paie de Mme [P], et après intégration du rappel de salaire qui vient d’être retenu, le salaire mensuel moyen de Mme [P] est fixé à 609 euros.
En considération de la durée de la période pendant laquelle la relation contractuelle entre les parties est requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée, il convient de condamner l’association Théâtre LP à payer à Mme [P] la somme de 609 euros à titre d’indemnité de requalification. Le jugement est infirmé sur ce chef.
Sur la rupture du contrat de travail
La relation entre Mme [P] et l’association Théâtre LP s’est achevée le 3 juin 2017.
Cette fin de la relation de travail, requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée, n’ayant pas respecté les dispositions légales relatives au licenciement, elle est constitutive d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par confirmation du jugement, la cour déclare donc que la fin le 3 juin 2017 de la relation contractuelle entre Mme [P] et l’association Théâtre LP constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences financières de la rupture
a) Le début de la relation requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée ayant été le 19 octobre 2016 et son terme le 3 juin 2017, il est donc retenu une ancienneté de Mme [P] comprise entre six mois et moins de deux ans au moment de la rupture du contrat de travail, de sorte qu’en application de l’article L.1234-1 du code du travail, la salariée ayant une ancienneté comprise entre six mois et moins de deux ans ayant droit à un préavis d’un mois, elle a droit à une indemnité compensatrice de préavis de 609 euros outre la somme de 60,90 euros au titre des congés payés afférents.
Par infirmation du jugement, l’association Théâtre LP est dès lors condamnée à lui payer ces sommes.
b) La rupture du contrat de travail étant intervenue le 3 juin 2017, son indemnisation n’est pas soumise au barème issu de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017.
Mme [P] avait moins de deux années d’ancienneté à la date du rupture du contrat de travail. Dès lors, ce sont les dispositions de l’article L.1235-5 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à cette ordonnance, qui sont applicables, et dont il résulte que la salariée peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi.
Si Mme [P] produit des documents faisant état de difficultés financières, elle ne communique aucun document montrant de sa part une recherche active d’un emploi.
Par conséquent, en considération des circonstances de la rupture ainsi que de la situation particulière de Mme [P] tenant notamment à son âge et à sa capacité à retrouver un emploi, il convient de condamner l’association Théâtre LP à lui payer la somme de 609 euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif. Le jugement est infirmé sur ce chef.
Sur l’indemnité pour travail dissimulé
Il résulte des articles L.8221-5 et L.8223-1 du code du travail qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en se soustrayant intentionnellement à l’accomplissement de la déclaration préalable à l’embauche, à la délivrance d’un bulletin de paie ou en mentionnant sur celui-ci un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, ou en se soustrayant intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Cependant, en l’espèce, même si la relation de travail entre l’association Théâtre LP et Mme [P] n’a pas fait l’objet de contrats de travail signés entre les parties, l’employeur a bien délivré à la salariée des bulletins de paie dont il ressort que les cotisations sociales dues au titre de l’emploi de Mme [P] ont été versées par l’association Théâtre LP aux organismes de recouvrement.
Il ne résulte pas des éléments versés aux débats que le caractère intentionnel d’un travail dissimulé est établi. La demande d’indemnité pour travail dissimulé est donc rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.
Sur la délivrance de documents
Mme [P] sollicite la remise « des bulletins de paie et documents sociaux » conformes à la décision à intervenir.
Il est fait droit à cette demande.
En revanche, aucun élément ne permettant de présumer que l’association Théâtre LP va résister à la présente décision, il n’y a pas lieu d’ajouter une astreinte à cette obligation de remise. La demande d’astreinte est donc rejetée.
Sur la demande de dommages-intérêts de Mme [P] pour perte de chance de faire valoir ses droits découlant de cette absence de délivrance de documents
En considération des éléments versés aux débats quant à l’incidence de l’absence de délivrance des bulletins de paie et documents sociaux sur les droits à indemnisation de Mme [P] par Pôle Emploi, devenu France travail, mais aussi de la courte période d’emploi par l’association Théâtre LP, il convient, par infirmation du jugement, de condamner l’association Théâtre LP à payer à Mme [P] la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance.
Sur les autres demandes
Les intérêts au taux légal courent à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales échues à cette date et à compter de leur exigibilité pour les créances salariales dues postérieurement. Les intérêts au taux légal courent à compter de la présente décision pour les dommages-intérêts alloués.
En outre, il est précisé que les intérêts échus produisent eux-mêmes intérêts au taux légal en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
L’association Théâtre LP succombant, elle est condamnée aux dépens de la procédure d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile.
Il paraît équitable de condamner l’association Théâtre LP à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d’appel.
Infirme le jugement sauf en ce qu’il a requalifié la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée, a dit que la rupture de ce contrat constituait un licenciement sans cause réelle et sérieuse, a débouté Mme [P] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé, et a condamné l’association Théâtre laboratoire de Paris aux dépens et à la somme de 1 000 euros au titre frais irrépétibles pour la procédure de première instance.
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne l’association Théâtre laboratoire de Paris à payer à Mme [P] les sommes de:
– 3 500 euros à titre de rappel de salaire;
– 609 euros à titre d’indemnité de requalification;
– 609 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis;
– 60,90 euros au titre des congés payés afférents;
– 609 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
– 500 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance résultant de l’absence de remise de bulletins de paie et documents sociaux conformes.
Dit que les intérêts au taux légal courent à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales échues à cette date et à compter de leur exigibilité pour les créances salariales dues postérieurement.
Dit que les intérêts au taux légal courent à compter de la présente décision pour les dommages-intérêts alloués.
Dit que les intérêts échus produisent eux-mêmes intérêts au taux légal en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
Ordonne à l’association Théâtre laboratoire de Paris de remettre à Mme [P] des bulletins de paie rectifiés, une attestation France travail, un certificat de travail et un solde tout compte conformes à la présente décision.
Condamne l’association Théâtre laboratoire de Paris à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande à ce titre.
Déboute les parties de leurs autres demandes.
Condamne l’association Théâtre laboratoire de Paris aux dépens d’appel.
La Greffière Le Président