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Contexte de l’AffaireLa société BT LEC EST a embauché Madame [C] [L] en 2007 en tant qu’assistante administrative, évoluant ensuite vers le poste de contrôleur de gestion. Elle a été élue membre suppléante de la délégation unique du personnel en 2016, mandat qui a pris fin fin 2019. Signalement de HarcèlementLe 15 février 2021, Madame [C] [L] a dénoncé des faits de harcèlement moral au directeur de la société. Suite à cette dénonciation, une enquête interne a été menée, dont les résultats ont été communiqués à Madame [C] [L] le 22 mars 2021. Licenciement de Madame [C] [L]Le 21 avril 2021, Madame [C] [L] a été convoquée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, et le 6 mai 2021, elle a été licenciée pour faute. Contestant ce licenciement, elle a saisi le conseil de prud’hommes le 27 avril 2022. Décision du Conseil de Prud’hommesLe 19 juillet 2023, le conseil de prud’hommes a jugé que Madame [C] [L] n’avait pas été victime de harcèlement moral et a confirmé la légitimité de son licenciement. Elle a été déboutée de ses demandes de nullité du licenciement et de dommages-intérêts, mais a obtenu le paiement d’une prime de bilan et d’une indemnité de congés payés. Appel de Madame [C] [L]Le 3 août 2023, Madame [C] [L] a formé une déclaration d’appel, demandant l’infirmation du jugement sur plusieurs points, notamment la reconnaissance de harcèlement moral et la nullité de son licenciement. Réponse de la Société BT LEC ESTLe 18 janvier 2024, la société BT LEC EST a également demandé l’infirmation du jugement concernant le paiement de la prime de bilan et des congés payés, tout en contestant les demandes de Madame [C] [L]. Analyse des DemandesLa cour a examiné les demandes de Madame [C] [L] relatives au harcèlement moral, à l’obligation de sécurité, et à la bonne foi dans l’exécution du contrat de travail, concluant que les éléments présentés ne justifiaient pas les demandes de dommages-intérêts. Nullité du LicenciementLa cour a finalement jugé que le licenciement de Madame [C] [L] était nul, en raison de l’absence de cause réelle et sérieuse, et a ordonné à la société BT LEC EST de lui verser des dommages-intérêts. Condamnations et Obligations de la SociétéLa société BT LEC EST a été condamnée à remettre à Madame [C] [L] un bulletin de salaire et une attestation conforme, ainsi qu’à régulariser sa situation vis-à-vis des organismes sociaux. Elle a également été condamnée à rembourser les indemnités chômage versées à Madame [C] [L] depuis son licenciement. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
du 06/11/2024
N° RG 23/01312 – N° Portalis DBVQ-V-B7H-FL7I
MLB/ACH
Formule exécutoire le :
06 novembre 2024
à :
– GRMA
– MARTEAU
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 06 novembre 2024
APPELANTE :
d’une décision rendue le 19 juillet 2023 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de REIMS, section ENCADREMENT (n° F 22/00490)
Madame [C] [L]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par la SELARL G.R.M.A., avocats au barreau de REIMS
INTIMÉE :
S.A. SOCIÉTÉ BT LEC EST WITRY ST
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par la SCP MARTEAU-REGNIER-MERCIER-PONTON-BRACONNIER, avocats au barreau de REIMS et Représentée par la SELARL ORION AVOCATS & CONSEILS, avocats au barreau de STRASBOURG
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 septembre 2024, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseillère, chargée du rapport, qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 06 novembre 2024.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Monsieur François MÉLIN, président
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseillère
Madame Isabelle FALEUR, conseillère
GREFFIER lors des débats :
Madame Allison CORNU-HARROIS, greffière
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président, et Madame Allison CORNU-HARROIS, greffière , auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 29 octobre 2007, la société coopérative de commerçants détaillants à forme anonyme BT LEC EST (ci-après la société BT LEC EST) a embauché Madame [C] [L] en qualité d’assistante administrative, à mi-temps, puis à temps plein à compter du 1er décembre 2007.
Au dernier état de la relation contractuelle, Madame [C] [L] exerçait la fonction de contrôleur de gestion, statut cadre.
Madame [C] [L] a été élue le 3 novembre 2016 en qualité de membre suppléante de la délégation unique du personnel. Son mandat a pris fin vers la fin de l’année 2019.
Le 15 février 2021, Madame [C] [L] a dénoncé au directeur de la société BT LEC EST qu’elle subissait des faits condamnables d’après l’article L. 1152-1 du code du travail.
Par courrier du 22 mars 2021, le directeur de la société BT LEC EST a adressé à Madame [C] [L] les résultats de l’enquête interne suite à son signalement de harcèlement.
Le 21 avril 2021, la société BT LEC EST a convoqué Madame [C] [L] à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.
Le 6 mai 2021, elle lui a notifié son licenciement pour faute.
Contestant notamment le bien-fondé de son licenciement, Madame [C] [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Reims le 27 avril 2022 de différentes demandes.
Par jugement en date du 19 juillet 2023, le conseil de prud’hommes a :
– dit et jugé que Madame [C] [L] n’a pas été l’objet de harcèlement moral,
En conséquence,
– débouté Madame [C] [L] de ses demandes de nullité du licenciement,
– dit et jugé que le licenciement prononcé par la société BT LEC EST à l’encontre de Madame [C] [L] est pourvu de cause réelle et sérieuse qu’il qualifie de faute,
En conséquence,
– débouté Madame [C] [L] de ses demandes de dommages- intérêts,
– dit et jugé fondée la demande de paiement de la prime de bilan prorata temporis au titre de 2021 ainsi que l’indemnité de congés payés afférente,
En conséquence,
– condamné la société BT LEC EST à payer à Madame [C] [L] les sommes suivantes :
. 3333,33 euros au titre de la prime de bilan 2021 (période du 1er janvier 2021 au 31 août 2021),
. 333,33 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés,
– ordonné la remise à Madame [C] [L] d’un bulletin de paie et d’une attestation pôle emploi régularisés et conformes aux décisions intervenues dans le cadre du jugement,
– rappelé que les sommes de nature salariale porteront intérêt à compter de la réception, par la partie défenderesse, de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation le 28 novembre 2022,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement, en application de l’article R.1454-28 du code du travail,
– condamné pour moitié la société BT LEC EST et Madame [C] [L] aux dépens, y compris les éventuels frais d’exécution,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le 3 août 2023, Madame [C] [L] a formé une déclaration d’appel.
Dans ses écritures en date du 2 novembre 2023, elle demande à la cour :
* A titre principal, d’infirmer le jugement en ce qu’il :
– a dit et jugé qu’elle n’a pas été l’objet de harcèlement moral,
En conséquence,
– l’a déboutée de ses demandes de nullité du licenciement,
– l’a déboutée de sa demande de dommages-intérêts,
– a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– a ordonné la remise d’un bulletin de paie et d’une attestation pôle emploi régularisés et conformes aux décisions intervenues dans le cadre du jugement,
– l’a condamnée pour moitié ainsi que la société BT LEC EST aux dépens, y compris les éventuels frais d’exécution,
Et statuant à nouveau, de :
– juger nul son licenciement,
– condamner la société BT LEC EST à lui payer :
. 71095,51 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement entaché de nullité,
. 10000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de prévention du harcèlement moral,
. 10000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,
. 10000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et de protection de la santé physique et morale des salariés,
. 10000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail et attitude abusive,
. 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– d’ordonner la remise d’un bulletin de salaire rectifié et d’une attestation pôle emploi conforme sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter de l’arrêt à intervenir, la cour se réservant la faculté de liquider l’astreinte,
– d’ordonner la régularisation de sa situation vis-à-vis des organismes sociaux sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par organisme social à compter du ‘jugement à intervenir’, la cour se réservant la faculté de liquider l’astreinte,
– de condamner la société BT LEC EST aux dépens,
* A titre subsidiaire, d’infirmer le jugement en ce qu’il :
– a dit et jugé son licenciement pourvu de cause réelle et sérieuse qu’il qualifie de faute,
– en conséquence, l’a déboutée de sa demande de dommages-intérêts,
– a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– a ordonné la remise d’un bulletin de paie et d’une attestation pôle emploi régularisés et conformes au jugement,
– l’a condamnée pour moitié ainsi que la société BT LEC EST aux dépens y compris les éventuels frais d’exécution,
Et, statuant à nouveau, de :
– juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamner la société BT LEC EST à lui payer :
. 71095,51 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et à titre infiniment subsidiaire 41132,97 euros nets de toutes charges,
. 10000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité et de protection de la santé physique et morale des salariés,
. 10000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail et attitude abusive,
. 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– d’ordonner la remise d’un bulletin de salaire rectifié et d’une attestation pôle emploi conforme sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter de l’arrêt à intervenir, la cour se réservant la faculté de liquider l’astreinte,
– d’ordonner la régularisation de sa situation vis-à-vis des organismes sociaux sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par organisme social à compter du ‘jugement à intervenir’, la cour se réservant la faculté de liquider l’astreinte,
– de condamner la société BT LEC EST aux dépens.
Dans ses écritures en date du 18 janvier 2024, la société BT LEC EST demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il :
– a dit et jugé fondée la demande de paiement de la prime de bilan prorata temporis au titre de 2021 ainsi que l’indemnité de congés payés afférente,
– l’a condamnée à payer à Madame [C] [L] les sommes suivantes :
. 3333,33 euros au titre de la prime de bilan 2021 (période du 1er janvier 2021 au 31 août 2021),
. 333,33 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés,
– a ordonné la remise à Madame [C] [L] d’un bulletin de paie et d’une attestation pôle emploi régularisés et conformes aux décisions intervenues dans le cadre du jugement,
– a rappelé que les sommes de nature salariale porteront intérêt à compter de la réception, par la partie défenderesse, de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation le 28 novembre 2022,
– l’a condamnée pour moitié ainsi que Madame [C] [L] aux dépens, y compris les éventuels frais d’exécution,
– a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
et de le confirmer pour le surplus,
En conséquence,
– de débouter Madame [C] [L] de ses demandes,
– de condamner Madame [C] [L] au paiement de la somme de 3500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner Madame [C] [L] aux dépens de première instance et d’appel.
A titre liminaire, il convient de relever que si Madame [C] [L] a formé appel du jugement en ce qu’il a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires et demande l’infirmation de cette disposition dans ses écritures, elle ne forme toutefois aucune demande à hauteur d’appel relative à l’application de la convention collective nationale du commerce de gros, à un rappel de prime d’ancienneté et de reliquat d’indemnité de licenciement dont elle a été déboutée en première instance, de sorte que la cour ne peut que confirmer le rejet de ses demandes à ces titres.
1. Sur les demandes liées à l’exécution du contrat de travail :
– Sur le harcèlement moral :
Madame [C] [L] reproche aux premiers juges de l’avoir déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors qu’elle soutient qu’au vu des faits qu’elle établit, des agissements de harcèlement moral sont caractérisés à l’encontre de son employeur.
Celui-ci réplique qu’au regard de chacun des éléments qui sont avancés par Madame [C] [L] au soutien de sa demande, il démontre qu’il n’existe pas de harcèlement moral.
En application des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par la salariée en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-2 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au soutien de sa demande, Madame [C] [L] présente de nombreux faits qu’il convient d’examiner successivement.
Elle reproche en premier lieu au nouveau directeur de la société BT LEC EST d’avoir eu une attitude inadmissible à son égard en sa qualité de membre d’une institution représentative du personnel et avoir subi à cette occasion des menaces et des outrages publics. En premier lieu, il ne ressort nullement de la pièce n°14 produite par la salariée que Madame [N] [S] a assisté à des menaces dont Madame [C] [L] aurait été victime. En revanche la tenue de propos outrageants est établie, puisque dans le courrier du 20 novembre 2019 adressé par le directeur aux élus du CSE, dont Madame [C] [L], en copie au personnel, celui-ci les accuse de ne pas respecter leurs collègues dans la gestion des ‘cartes KDO’ de fin d’année, de passer leur temps à jouer aux jeux de la stratégie et leur dit d’arrêter de penser à leurs propres intérêts et d’assumer leur rôle.
Madame [C] [L] soutient ensuite, mais à tort, qu’après l’arrivée de Monsieur [U] en qualité de directeur à compter du 1er juillet 2017, elle n’a plus connu d’évolution professionnelle puisque sa nomination aux fonctions de contrôleur de gestion à compter du 2 juillet 2017 n’était que la régularisation d’une situation qui existait depuis le mois de février 2017. En effet, il ressort de la pièce n°32 de l’employeur que le nouveau directeur a pris ses fonctions le 1er janvier 2017 et de la pièce n°0 bis de la salariée que celle-ci n’a quitté son ancien service qu’en juin 2017.
Madame [C] [L] prétend encore avoir été victime d’une volonté de déstabilisation de la part de son employeur en étant affectée, à son retour de congé maternité au mois de juin 2020, dans un bureau partagé, alors qu’elle disposait auparavant d’un bureau privatif. Or, un tel changement s’inscrit dans le cadre d’une réorganisation des services, au vu des pièces produites par l’employeur, et l’exercice des fonctions de Madame [C] [L] n’est pas incompatible avec le partage d’un bureau.
Madame [C] [L] fait aussi état d’une surcharge de travail à son retour de congé maternité et d’une placardisation, qui ne sont pas établies. En effet, d’une part l’examen de l’enregistrement des cartes d’accès produit par l’employeur auquel se réfère la salariée, ne met pas en évidence de changement d’horaire entre les deux périodes séparant son congé maternité. D’autre part, l’affectation d’un collègue en partie au contrôle de gestion n’est pas suffisante à elle seule à caractériser une placardisation.
Madame [C] [L] invoque aussi un ‘véritable acharnement’ de sa supérieure hiérachique -Madame [W]- à son égard. Elle ne procède toutefois que par voie d’affirmations quant à des convocations incessantes au bureau de sa supérieure, des points de fin de journée alors qu’elle devait récupérer son enfant, une surveillance excessive et des vérifications incessantes. Il ne ressort par ailleurs des échanges de mail entre Madame [C] [L] et sa supérieure hiérarchique, aucune directive orale contradictoire, ni que la demande urgente de cette dernière le 16 juin 2020 aurait été sans fondement. Aucun acharnement n’est par ailleurs caractérisé aux motifs que :
– Madame [W] aurait continué à lui adresser des messages écrits nonobstant une demande du directeur en date du 16 juin 2020 relative à une communication orale, alors que dès le 3 août 2020, Madame [C] [L] lui disait préférer à l’avenir avoir les consignes importantes par écrit,
– Madame [W] lui aurait reproché de ne pas respecter ses consignes, en mettant en copie sa hiérarchie -ce qui n’est pas établi dans la pièce visée n°20- et aussi ses collègues, alors que cette situation ne s’est produite qu’à une reprise et qu’elle correspond à une erreur de bouton comme l’écrit l’employeur, puisque le mail en cause est un mail de réponse au message de la salariée qui avait mis en copie les deux collègues.
Madame [C] [L] reproche ensuite à la société BT LEC EST l’attitude qu’elle a eue à la suite de la dénonciation des faits de harcèlement moral, en tardant dans la réponse apportée, au regard du déroulement de l’enquête interne et au titre du refus injustifié de diligenter une enquête dans les conditions de l’article L.2312-59 du code du travail.
Les reproches ne sont pas fondés au titre du délai puisque par courrier du 17 février 2021, la salariée a été invitée à se présenter au siège social de la Société BT LEC EST pour être entendue sur les faits dénoncés le 15 février 2021. Madame [C] [L] n’établit pas que le refus de l’employeur à sa demande d’être accompagnée d’un délégué était infondé au vu des dispositions de l’ANI du 26 mars 2010, ni que l’enquête interne, au vu des questions posées à Madame [C] [L] et aux salariés du service, était une ‘pseudo enquête’. Elle établit en revanche que l’employeur s’est opposé de façon injustifiée à la mise en place d’une enquête avec un membre de la délégation du personnel, alors qu’il résulte des correspondances visées par la salariée que Madame [N] [S], membre de la délégation unique du personnel, avait exercé son droit d’alerte au titre des faits de harcèlement moral dénoncés par Madame [C] [L].
Il ressort donc de l’ensemble de ces éléments que :
– Madame [C] [L] a subi des propos outrageants de la part du directeur au mois de novembre 2019,
– l’employeur n’a pas diligenté d’enquête sur les faits dénoncés dans les conditions de l’article L.2312-59 du code du travail.
Or, il convient de souligner que dans son courrier de dénonciation de faits de harcèlement moral en date du 15 février 2021, Madame [C] [L] ne fait état que de faits qu’elle impute à sa supérieure hiérarchique Madame [W], ce qu’elle confirme encore par écrit le 22 février 2021 et par oral le 25 février 2021 dans le cadre de l’enquête interne. En effet, il ressort du compte rendu de son entretien qu’elle a signé que ‘Monsieur [U] indique que le but est de faire la lumière en toute impartialité, Madame [L] indique que tout a été dit dans son courrier’.
Dans ces conditions, des propos outrageants qui ne sont pas tenus par sa supérieure hiérarchique et la carence de l’employeur au titre de la mise en place de l’enquête, alors qu’aucun des faits dénoncés par Madame [C] [L] au soutien du harcèlement moral qu’elle a initialement dénoncé et de façon réitérée ne sont établis, ne laissent pas présumer des agissements de harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail.
En l’absence de harcèlement moral, le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a débouté Madame [C] [L] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.
– Sur les dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de prévention du harcèlement moral :
Madame [C] [L] sollicite à tort l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de prévention du harcèlement moral, alors qu’en toute hypothèse, dès lors que le harcèlement moral n’a pas été retenu, aucun préjudice en lien avec le manquement invoqué ne saurait être retenu.
Le jugement doit donc être confirmé du chef du rejet de la demande de dommages-intérêts.
– Sur le manquement à l’obligation de sécurité :
Madame [C] [L] demande à la cour d’infirmer le jugement du chef du rejet de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, dès lors que l’employeur a reconnu a minima un management inadapté et que celui-ci doit donc être condamné à lui payer la somme de 10000 euros en réparation de son préjudice à ce titre.
La société BT LEC EST conclut à la confirmation du jugement, en l’absence de violation de l’obligation de sécurité et de toute justification d’un préjudice.
Le 22 mars 2021, l’employeur a notifié à Madame [C] [L] les résultats de l’enquête interne à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement. S’il écrivait que les faits de harcèlement moral n’étaient pas établis -ce qui vient d’être précédemment retenu-, il indiquait toutefois qu’un management inapproprié et mal perçu avait été identifié et que les maladresses managériales de la part de Madame [W] étaient à l’origine de la dégradation des relations de la salariée avec elle. Il ajoutait que partant de ce constat de situation, il allait mettre en place un plan d’actions afin de reconstruire une communication de qualité entre elles et faire en sorte qu’elle retrouve la sérénité au travail et envisager toutes les solutions qui pourraient améliorer ses conditions de travail.
Or, entre cette date et le licenciement de Madame [C] [L] le 6 mai 2021, la société BT LEC EST n’a mis en place aucune des solutions qu’elle détaillait dans son courrier. Elle a dans ces conditions manqué à l’obligation de sécurité qui pèse sur elle en application des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.
Toutefois, c’est à raison que la société BT LEC EST soutient qu’en réclamant, tout au plus sa condamnation à lui payer la somme de 10000 euros, en réparation de son préjudice, Madame [C] [L] ne caractérise aucun préjudice, de sorte que le jugement doit être confirmé du chef du rejet de sa demande de dommages-intérêts.
– Sur les dommages-intérêts pour défaut d’exécution de bonne foi du contrat de travail et attitude abusive :
Madame [C] [L] demande encore vainement à la cour d’infirmer le jugement du chef du rejet de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail d’un montant de 10000 euros, en réparation d’un préjudice qu’elle ne caractérise pas.
Le jugement doit donc être confirmé du chef du rejet de sa demande.
– Sur la prime de bilan :
La société BT LEC EST demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer à Madame [C] [L] la somme de 3333,33 euros au titre de la prime de bilan 2021 prorata temporis et des congés payés y afférents, alors que cette dernière soutient sans preuve que lorsqu’un salarié sort des effectifs en cours d’année, il bénéficie du versement de la prime au prorata de son temps de présence.
Madame [C] [L] ne répond pas sur ce point.
C’est à raison que les premiers juges ont condamné l’employeur à payer à l’intimée la prime de bilan 2021 prorata temporis. En effet, celui-ci entend à tort subordonner le versement de ladite prime à la présence de la salariée au mois de février, date annuelle de versement, alors qu’une telle règle n’est prévue ni par le contrat de travail, ni par la convention collective.
Le jugement doit donc être confirmé du chef de la condamnation de l’employeur au paiement de la prime de bilan prorata temporis et des congés payés y afférents.
2. Sur les demandes liées à la rupture du contrat de travail :
– Sur la nullité du licenciement :
Madame [C] [L] demande à la cour d’infirmer le jugement du chef du rejet de sa demande tendant au prononcé de la nullité du licenciement, soutenant que son licenciement a été clairement pris en réaction à sa dénonciation du harcèlement moral.
La société BT LEC EST conclut à la confirmation du jugement qui a rejeté la demande de Madame [C] [L] à ce titre, au motif qu’il n’y a pas de harcèlement moral.
En application des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail, le licenciement d’un salarié est nul dès lors que ce licenciement présente un lien avec des faits de harcèlement moral.
Il résulte encore des articles L.1152-1, L.1152-3 et L.1154-1 du code du travail que, lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à la dénonciation antérieure de faits de harcèlement moral. Dans le cas contraire, il appartient à l’employeur de démontrer l’absence de lien entre la dénonciation par le salarié d’agissements de harcèlement moral et son licenciement.
Il convient dès lors de se prononcer en premier lieu sur la cause réelle et sérieuse du licenciement.
Aux termes de la lettre de licenciement en date du 6 mai 2021, il est reproché à Madame [C] [L] d’avoir procédé le 16 avril 2021 à un envoi fautif de résultats comptables au service informatique, en ce qu’il a été d’une part tardif et d’autre part mauvais, puisqu’il a entraîné la diffusion à chaque adhérent des données confidentielles d’un autre, qu’une telle faute est fortement préjudiciable et justifie son licenciement pour faute.
Madame [C] [L] réplique qu’elle a à tort été licenciée pour faute alors que le comportement en cause -une erreur qui ne serait au surplus pas la sienne- relève tout au plus de l’insuffisance professionnelle, laquelle n’est pas fautive et qu’en toute hypothèse il n’y a pas de faute.
Il convient en premier lieu de relever que l’envoi n’est pas tardif au vu des échanges de mails entre Madame [C] [L] et sa supérieure hiérarchique.
La mauvaise diffusion est liée à un tableau d’export envoyé par Madame [C] [L] au service informatique et qui comportait un décalage d’une ligne.
Il ne relevait pas des attributions de l’informaticien de contrôler l’envoi préalable de Madame [C] [L], au vu des pièces relatives à la procédure de dénouement financier produites par l’employeur et non discutées par la salariée.
Madame [C] [L] soutient par ailleurs -sans parvenir à le démontrer au vu de la pièce n°36 qu’elle produit- qu’elle a demandé à l’informaticien de procéder au contrôle de son envoi, ce qui caractérise le caractère volontaire de son abstention et la faute qui lui est reprochée.
Une telle faute ne constitue toutefois pas une cause réelle et sérieuse de licenciement d’une salariée qui avait une ancienneté de 14 ans, régulièrement promue en 2010, 2013, 2015 et 2017, sans aucun antécédent disciplinaire, qui n’a contrairement à ce qui est écrit dans la lettre de licenciement -et ce qu’admet au demeurant la société BT LEC EST dans ses écritures- communiqué à cette occasion des données qui étaient, non pas entièrement, mais partiellement confidentielles, puisqu’elles contenaient, outre le dénouement financier de l’adhérent, un tableau commun à tous les magasins. Enfin, cette faute n’a pas été à l’origine d’une ‘situation fortement préjudiciable’, puisque si la société BT LEC EST écrit dans la lettre de licenciement que les adhérents impactés ont fait part le jour même de leur indignation, il n’est produit que le mail d’un seul adhérent rédigé en ces termes : ‘merci pour l’info d’acheres mais moi c’est arcycom leclerc [Localité 5]’.
Dans ces conditions, le licenciement de Madame [C] [L] n’ayant pas de cause réelle et sérieuse, il appartient, au vu de ce qui a été énoncé précédemment, à la société BT LEC EST de démontrer l’absence de lien entre la dénonciation par la salariée d’agissements de harcèlement moral et son licenciement, qui a été engagé deux mois après une telle dénonciation, ce qu’elle ne fait pas dans ses écritures.
Dans ces conditions, le licenciement de Madame [C] [L] est nul.
Le jugement doit être infirmé en ce sens.
– Sur les dommages-intérêts pour licenciement nul :
Madame [C] [L] demande à la cour de condamner la société BT LEC EST à lui payer la somme de 71095,51 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.
En application de l’article L.1235-3-1 du code du travail, l’indemnité ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois, soit la somme de 18722 euros.
Madame [C] [L] était âgée de 42 ans lors de son licenciement et justifie de contrats précaires postérieurement à celui-ci.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la société BT LEC EST sera condamnée à lui payer la somme de 32000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.
Le jugement doit être infirmé en ce sens.
3. Sur les autres demandes :
Il doit être ordonné à la société BT LEC EST :
– de remettre à Madame [C] [L] un bulletin de salaire et une attestation France Travail conformes à la présente décision,
– de régulariser la situation de Madame [C] [L] vis-à-vis des organismes sociaux, sans qu’il soit toutefois nécessaire d’ordonner une astreinte.
Partie succombante, la société BT LEC EST doit être condamnée aux dépens de première instance et d’appel, déboutée de sa demande d’indemnité de procédure au titre des deux instances et condamnée en équité à payer à Madame [C] [L] la somme de 3500 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.
4. Sur l’article L.1235-4 du code du travail :
Les conditions s’avèrent réunies pour condamner l’employeur fautif, en application de l’article L.1235-4 du code du travail, à rembourser à l’organisme intéressé les indemnités chômage versées à la salariée, du jour de son licenciement au jour de la décision judiciaire, dans la limite de six mois.
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté Madame [C] [L] de ses demandes de nullité du licenciement, de dommages-intérêts pour nullité du licenciement, d’indemnité de procédure, sauf en ce qu’il a enjoint à la société BT LEC EST de remettre à Madame [C] [L] un bulletin de paie et une attestation Pôle Emploi régularisés et conformes aux décisions intervenues dans le cadre du jugement, sauf en ce qu’il a débouté Madame [C] [L] de sa demande de régularisation de sa situation vis-à-vis des organismes sociaux et sauf du chef de la condamnation des parties aux dépens par moitié y compris les éventuels frais d’exécution ;
L’infirme de ces chefs ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant :
Dit que le licenciement de Madame [C] [L] est nul ;
Condamne la société BT LEC EST à payer à Madame [C] [L] la somme de 32000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
Enjoint à la société BT LEC EST de :
– remettre à Madame [C] [L] un bulletin de salaire et une attestation France Travail conformes à la présente décision ;
– régulariser la situation de Madame [C] [L] vis-à-vis des organismes sociaux ;
Condamne la société BT LEC EST à rembourser à l’organisme intéressé, dans la limite de six mois, les indemnités chômage versées à la salariée, du jour de son licenciement à celui de la présente décision ;
Condamne la société BT LEC EST à payer à Madame [C] [L] la somme de 3500 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel ;
Déboute la société BT LEC Est de sa demande d’indemnité de procédure à hauteur d’appel ;
Condamne la société BT LEC EST aux dépens de première instance et d’appel.
La Greffière Le Président