Contexte de l’AffaireLa société Berlin Packaging France a assigné la Banque Populaire Méditerranée en responsabilité contractuelle pour manquement à ses obligations de prudence, de renseignement et d’information. Elle réclame une indemnisation de 77.356,80 euros pour un virement frauduleux, ainsi que des dommages et intérêts pour résistance abusive et des frais irrépétibles. Réponse de la Banque Populaire MéditerranéeLa Banque Populaire Méditerranée conteste les demandes de Berlin Packaging France et demande à être déboutée. Elle sollicite également une condamnation de la société requérante à lui verser 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. La banque soutient que l’exécution de l’ordre de virement a été faite conformément aux termes convenus et qu’elle n’a pas manqué à son devoir de vigilance. Arguments de la BanqueLa banque affirme que le virement litigieux n’était pas inhabituel par rapport aux autres opérations effectuées par Berlin Packaging France. Elle rejette la responsabilité sur sa cliente, soulignant que cette dernière a donné l’ordre d’exécuter le virement malgré des indices de fraude. La banque a également lancé une procédure de rappel pour récupérer les fonds. Conclusions de Berlin Packaging FranceDans ses dernières conclusions, Berlin Packaging France demande à la cour de débouter la banque de toutes ses demandes et de reconnaître que celle-ci a manqué à ses obligations contractuelles. Elle réclame également des sommes pour le préjudice subi, des dommages et intérêts pour résistance abusive, ainsi que des frais irrépétibles. Éléments de la DécisionLe tribunal a examiné la responsabilité de la banque, notant qu’elle n’est pas exonérée de l’obligation de restitution si elle ne prouve pas que l’ordre de virement était valide. Il a été établi que le virement a été effectué selon un protocole sécurisé et que la société Berlin Packaging France a été victime d’une escroquerie. Analyse des AnomaliesLe tribunal a constaté que la société Berlin Packaging France a fait preuve de légèreté en donnant l’ordre de virement, malgré des anomalies dans les documents fournis. Les discordances dans les informations sur le bénéficiaire auraient dû alerter la société requérante avant l’exécution du virement. Décision du TribunalLe tribunal a débouté la société Berlin Packaging France de toutes ses demandes, la condamnant à payer 4.000 euros à la Banque Populaire Méditerranée en application de l’article 700 du Code de procédure civile. La société a également été condamnée aux dépens. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NICE
GREFFE
M I N U T E
(Décision Civile)
JUGEMENT : S.A.S. BERLIN PACKAGING FRANCE c/ S.A. LA BANQUE POPULAIRE MEDITERRANEE
N°
Du 06 Novembre 2024
4ème Chambre civile
N° RG 23/00781 – N° Portalis DBWR-W-B7H-OYMN
expédition délivrée à
la SELARL AH-TOY AVOCATS
la SELARL MAXIME ROUILLOT – FRANCK GAMBINI
le 06 Novembre 2024
Par jugement de la 4ème Chambre civile en date du six Novembre deux mil vingt quatre
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Isabelle DEMARBAIX, Présidente, assistée de Madame Taanlimi BENALI, Greffier
Vu les Articles 812 à 816 du Code de Procédure Civile sans demande de renvoi à la formation collégiale ;
DÉBATS
A l’audience publique du 26 Septembre 2024 le prononcé du jugement étant fixé au 06 Novembre 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction, les parties en ayant été préalablement avisées.
PRONONCÉ
Par mise à disposition au Greffe le 06 Novembre 2024, signé par Madame Isabelle DEMARBAIX Présidente, assistée de Madame Taanlimi BENALI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DE LA DÉCISION :
contradictoire, en premier ressort, au fond.
DEMANDERESSE:
S.A.S. BERLIN PACKAGING FRANCE
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 1]
représentée par Me Sylvia AH-TOY de la SELARL AH-TOY AVOCATS, avocats au barreau de NICE, avocats plaidant
DÉFENDERESSE:
S.A. LA BANQUE POPULAIRE MEDITERRANEE
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Maxime ROUILLOT de la SELARL MAXIME ROUILLOT – FRANCK GAMBINI, avocats au barreau de NICE, avocats plaidant
Par acte du 8 février 2023, la société Berlin Packaging France a assigné en responsabilité contractuelle la Banque Populaire Méditerranée devant la juridiction de céans pour manquement à ses obligations de prudence, de renseignement et d’information, et indemnisation de son préjudice évalué à hauteur de 77.356,80 euros correspondant au montant de son ordre de virement qui s’est avéré frauduleux au visa des articles 1104, 1194 et 1231-1 du Code civil, outre la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 15 décembre 2023, la Banque Populaire Méditerranée conclut au débouté, et sollicite, à titre reconventionnel, la condamnation de la société requérante à lui payer la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens. Elle demande que soit écartée l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
La banque soutient qu’il convient de faire application des dispositions du code monétaire et financier relatives à l’opération de paiement, rappelant que l’obligation de vigilance est régie par les dispositions de l’article L. 561-2 du même code.
Elle souligne que l’exécution de l’ordre de virement a été faite selon la forme convenue entre les parties (contrat EBICS).
Elle relève que la société requérante a dénoncé l’ordre de virement près d’un mois après son exécution et revendique l’application des articles L. 133-21 du du code monétaire et financier.
Elle exclut toute responsabilité dans l’exécution de l’ordre de virement.
S’agissant du prétendu manquement à son devoir de vigilance, elle réplique que le virement litigieux n’était pas un mouvement de compte inhabituel au vu des autres virements opérés à la même période, pour des montants supérieurs.
Elle rejette la responsabilité sur sa cliente, après avoir souligné que malgré des indices graves et concordants attestant d’une fraude en cours, dont elle avait seule connaissance, elle a donné l’ordre d’exécuter le virement querellé.
Elle exclut tout manquement de sa part, après avoir rappelé qu’elle avait lancé une procédure de rappel avec relance pour récupérer les fonds, de sorte que sa cliente ne peut légitimement lui reprocher un manque de coopération.
Elle souligne que la plainte pénale est toujours en cours d’examen.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 18 mars 2024, la société Berlin Packaging France sollicite voir :
– débouter la banque de toutes ses demandes ;
– lui allouer de plus fort le bénéfice de ses précédentes écritures ;
– juger son action recevable et bien fondée ;
– juger que la banque a manqué à ses obligations contractuelles de prudence, se renseigner, informer, rendre compte en vertu du mandat qui la liant à elle ;
– juger que les agissements de la banque sont constitutifs de fautes, lesquelles, engagent sa responsabilité contractuelle, sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil ;
– condamner la banque à lui payer la somme de 77.356,80 euros) en réparation du préjudice résultant de sa faute (non-respect de ses obligations d’information, prudence, de se renseigner etc…) ;
– condamner la banque à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et celle de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
La société défenderesse reproche à la banque d’avoir exécuté l’ordre de virement d’un montant de 77.356,80 euros alors qu’elle avait nécessairement eu connaissance de ce que la société Prepaid Financial Services Limited, bénéficiaire de cette opération, avait fait l’objet d’un blâme et d’une sanction financière dans le cadre d’une procédure de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Elle en déduit que la banque aurait dû l’informer de cette situation en exécution de son mandat et bloquer le virement querellé.
Elle répond que les dispositions spéciales prévues par le code monétaire et financier n’exonère pas le banquier de ses obligations de droit commun comme l’obligation de vigilance.
La procédure a été clôturée au 12 septembre 2024.
L’affaire a été plaidée à l’audience du 26 septembre 2024 et mise en délibéré au 6 novembre suivant.
Sur la responsabilité de la banque
Attendu qu’il est constant que la banque dépositaire n’est pas libérée de l’obligation de restitution pesant sur elle en application de l’article 1937 du Code civil si elle ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que l’ordre de virement en vertu duquel elle s’est défaite des fonds émanait bien de son client, qu’elle ne peut s’exonérer de la responsabilité de plein droit qu’elle encourt pour avoir exécuté un faux ordre de virement qu’en démontrant que l’établissement de celui-ci n’a été rendu possible que par la faute du client titulaire du compte ou de l’un de ses préposés et qu’en cas de concours de fautes, la banque ne répond que de sa propre négligence, à proportion de la part de responsabilité en découlant.
Qu’en l’espèce, la société Bruni Glass France devenue la société Berlin Packaging France, spécialisée dans les emballages et fermetures en verre, plastique et autres matériaux, est titulaire d’un compte professionnel ouvert dans les livres de la Banque Populaire Méditerranée.
Que le 11 septembre 2019, cette société a signé un contrat d’échange de données informatisques par protocole EBICS (Electronic Banking Internet Communication Standard) qui est un protocole de communication bancaire standardisé et sécurisé permettant les échanges de données en ligne entre les entreprises et les établissements bancaires :
réception de relevés de comptes ou d’avis de bonne fin de traitement ;envoi d’ordres de paiement ou d’encaissement.Que mise en relation avec M. [Y] [H], se présentant comme chargé de compte au sein de la société CDGE, centrale de destockage, par le truchement de M. [M] [P] de la société Verrerie-Flory, elle a passé commande de plusieurs bouteilles de verre auprès de la société CDGE pour un montant de 77.356,80 euros TTC (pièce n°3).
Que cette somme a été réglée par virement du 13 octobre 2022, mais la marchandise n’a jamais été livrée.
Qu’il est acquis que la société Berlin Packaging France a été trompée par des tiers qui ont utilisé l’identité de la société CDGE pour négocier cette vente, faits pour lesquels elle a déposé plainte au parquet du tribunal judiciaire de Nice pour escroquerie en bande organisée le 29 novembre 2022.
Qu’il n’est pas contesté que l’ordre de virement litigieux a été exécuté selon le protocole de communication sécurisée du dispositif précité, forme convenue entre les parties, qu’il est authentique et émane d’une personne habilitée en vertu du contrat, de sorte que la responsabilité de la banque ne peut être retenue qu’à la condition qu’une faute ou une négligence de sa part soit démontrée en regard de la connaissance de la fraude dont a été victime sa cliente ou encore dans l’exécution du virement.
Que cet ordre de virement est une opération de paiement au sens de l’article L. 133-3 du code monétaire et financier dans sa version en vigueur à la date des faits, à savoir une action consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire, ordonnée par le payeur ou le bénéficiaire, et soumise comme telle aux dispositions des articles L. 133-1 et suivants du même code.
Que l’article L. 133-6 I dudit code dispose qu’une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.
Que l’article L. 133-7 du même code précise, en son alinéa 1er, que le consentement est donné sous la forme convenue entre le payeur et son prestataire de services de paiement et, dispose en son alinéa 2, qu’en l’absence d’un tel consentement, l’opération ou la série d’opérations de paiement est réputée non autorisée.
Qu’en vertu du principe de non-ingérence, le prestataire de services de paiement ne doit pas intervenir dans les affaires de son client ; que toutefois, en présence d’une anomalie matérielle, se manifestant principalement dans le titre, ou intellectuelle appréciable au vu des circonstances de l’opération, le prestataire de services de paiement qui exécute l’opération de paiement peut engager sa responsabilité.
Qu’en premier lieu, s’agissant du bénéficiaire du virement querellé, il résulte de l’anayse de l’IBAN que le bénéficiaire du virement était la société CDGE Distribution et la banque réceptionnaire des fonds litigieux, la société PFS Card Services Ireland Limited immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le n° 877 780 197, dont le siège social est situé en Irlande, et qui dispose de deux établissements à Paris notamment un [Adresse 3] dans le XIIème arrondissement, toujours actifs sur le territoire français.
Qu’il s’agit d’un établissement de paiement agréé par la banque centrale d’Irlande et cette société est enregistrée au titre des schémas SEPA qui est un outil mis à disposition des consommateurs, des entreprises, des commerçants et administrations, pour effectuer des paiements dans les mêmes conditions dans l’espace européen.
Que la sanction évoquée par la société demanderesse prononcée en 2019 ne s’appliquait pas à cette société, mais à la société Prepaid Financial Services Limited, dont le siège social était à Londres, et qui avait été radiée au RNE (INPI) le 13 octobre 2021.
Qu’en deuxième lieu, le virement d’un montant de 77.356,80 euros ne constitue pas un mouvement de compte inhabituel au regard des autres virements réalisés à la même période (octobre 2022), dont les listes mentionnent huit virements supérieurs à 100.000 euros, et s’accordent avec l’activité de la société Berlin Packaging France.
Qu’au vu des relevés de comptes, ni le montant du virement opéré qui était comparable à d’autres et même inférieur, et en tout cas, couvert par le solde créditeur, ni leur destination vers un compte détenu dans les livres d’une banque étrangère dûment agréée, qui n’attire pas spécialement l’attention en terme de sécurité, ne constituent des anomalies qui auraient dû alerter la vigilance de la Banque Populaire Méditerranée d’autant que le devoir de non-ingérence interdit à la banque de s’immiscer dans les affaires de son client.
Que la banque défenderesse n’avait aucune raison de bloquer l’ordre de virement donné par sa cliente le 13 octobre 2022 dans les formes contractuellement prévues.
Qu’en troisième lieu, s’il est acquis que la société Berlin Packaging France a été trompée par des tiers qui ont utilisé l’identité de la société CDGE pour négocier la vente d’un lot de bouteilles en verre, elle a fait preuve de légereté en donnant à sa banque l’ordre de virement querellé.
Qu’il ressort de ses propres écritures que M. [H] avec lequel elle a été mis en relation lui a fourni un extrait INPI, dont les mentions ne correspondaient pas aux données figurant sur l’extrait K-Bis émanant du greffe du tribunal de commerce de Marseille : dénomination CDGE Gonefine sur l’extrait INPI au lieu de CDGE sur le K-Bis et capital d’un montant de 50.000 euros sur l’extrait INPI au lieu de 500 euros sur le K-Bis.
Que confrontée au refus de M. [H] d’acheminer un camion test ainsi qu’elle le demandait par courriel du 3 octobre 2022, la société Berlin Packaging France ne s’est pas méfiée et n’en a tiré aucune conséquence.
Qu’en outre, la facture proforma du 7 octobre 2022 d’un montant de 64.464 euros hors taxes, adressée à la société Berlin Packaging France, comportait des discordances concernant le changement de nom du bénéficiaire de l’opération de paiement (dénommé CDGE Distribution au lieu de CDGE K.Bis ou CDGE Gonefine (INPI), et le numéro d’IBAN (chiffres manquants).
Qu’en dépit de ces anomalies apparentes que seule la société demanderesse était en mesure de déceler avant toute opération de paiement, celle-ci a, selon le protocole de communication sécurisée du dispositif précité, forme au demeurant convenue entre les parties (protocole EBICS), donné l’ordre à sa banque de virer la somme de 77.356,80 euros TTC au profit de la société CDGE Distribution au lieu de la société CDGE (Cf. K.Bis) ou CDGE Gonefine (Cf. extrait Infogreffe).
Qu’au regard de ces éléments, aucun manquement ne peut être reproché à la SA Banque Pouplaire Méditerranée et il échet de débouter la société Berlin Packaging France de l’intégralité de ses demandes.
Les demandes accessoires
Attendu que partie perdante, la société Berlin Packaging France sera condamnée aux dépens.
Qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la Banque Populaire Méditerranée le montant des frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer.
Qu’il échet de condamner la société Berlin Packaging France à lui payer la somme de 4.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal, statuant après débats publics, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
DEBOUTE la société Berlin Packaging France de ses demandes ;
LA CONDAMNE à payer à la Banque Populaire Méditerranée la somme de 4.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE toute partie de ses autres demandes plus amples ou contraires ;
CONDAMNE la société Berlin Packaging France aux dépens.
Et le présent jugement a été signé par le président et le greffier
LE GREFFIER LE PRESIDENT