Requalification d’une convention d’occupation temporaire : enjeux de compétence entre juridictions publiques et privées

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Requalification d’une convention d’occupation temporaire : enjeux de compétence entre juridictions publiques et privées
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Contexte de la convention d’occupation

Le 21 juin 2007, la commune de [Localité 5] a signé une convention d’occupation temporaire du domaine public aéronautique avec l’EARL Le Clos Saint Denis, permettant à cette dernière d’occuper une superficie de 5,7 hectares pour une durée de 15 ans, renouvelable par tacite reconduction.

Dénonciation de la convention

Le 19 octobre 2019, la commune a notifié la dénonciation de la convention, mettant fin à l’occupation à compter du 31 décembre 2022.

Demande de requalification en bail rural

Le 4 janvier 2022, l’EARL Le Clos Saint Denis a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Châlons-en-Champagne pour demander la requalification de la convention en bail rural, tandis que la commune a soulevé une exception d’incompétence en faveur de la juridiction administrative.

Jugement du tribunal paritaire

Le 15 janvier 2024, le tribunal a statué en faveur de l’EARL Le Clos Saint Denis, déclarant la convention requalifiée en bail rural et rejetant l’exception d’incompétence de la commune. Le tribunal a également précisé que le bail avait commencé le 1er janvier 2007 et s’était renouvelé pour neuf années supplémentaires.

Appel de la commune

Le 8 février 2024, la commune de [Localité 5] a interjeté appel du jugement, demandant la réformation de la décision et soulevant plusieurs points, notamment l’irrecevabilité des prétentions de l’EARL et la compétence du juge administratif.

Arguments de l’EARL Le Clos Saint Denis

Dans ses écritures du 18 septembre 2024, l’EARL a demandé à la cour de déclarer irrecevables les demandes de la commune, de confirmer le jugement initial et de considérer la dénonciation de la convention comme tardive.

Examen de l’incompétence

La cour a examiné la recevabilité de l’exception d’incompétence soulevée par la commune, en rappelant que les exceptions doivent être soulevées avant toute défense au fond. Elle a également soulevé d’office l’incompétence de la juridiction judiciaire, en raison de la nature du bien concerné.

Décision de la cour d’appel

La cour a ordonné la réouverture des débats pour recueillir les observations des parties sur l’exception d’incompétence et a fixé des délais pour les conclusions de la commune et de l’EARL, renvoyant l’affaire à une audience ultérieure.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

6 novembre 2024
Cour d’appel de Reims
RG n°
24/00189
Arrêt n° 606

du 06/11/2024

N° RG 24/00189 – N° Portalis DBVQ-V-B7I-FOH2

MLB/ACH

Formule exécutoire le :

06 / 11 /24

à :

– SAS DROUOT

– SCP BADRE

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 06 novembre 2024

APPELANTE :

d’une décision rendue le 15 janvier 2024 par le Tribunal paritaire des baux ruraux de CHALONS-EN-CHAMPAGNE (n° 22/00119)

COMMUNE DE [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par la SAS DROUOT AVOCATS, avocats au barreau de BOURGES

INTIMÉE :

E.A.R.L. LE CLOS SAINT DENIS

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT, avocats au barreau de REIMS

DÉBATS :

A l’audience publique du 18 septembre 2024 Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseillère, chargée d’instruire l’affaire, a entendu les plaidoiries en application de l’article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées, et en a rendu compte à la cour dans son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Monsieur François MÉLIN, président

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseillère

Madame Isabelle FALEUR, conseillère

GREFFIER lors des débats :

Madame Allison CORNU-HARROIS, greffière

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président, et Madame Allison CORNU-HARROIS, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Aux termes d’une convention dite d’occupation temporaire du domaine public aéronautique non constitutive de droit réel, en date du 21 juin 2007, la commune de [Localité 5] a autorisé l’EARL Le Clos Saint Denis à ‘occuper les terrains d’une superficie de 5,7 ha dépendant du domaine public aéroportuaire tels qu’ils sont délimités dans le plan joint’ à l’autorisation et ce pour une durée de 15 ans, renouvelable par tacite reconduction pour une durée identique si l’autorisation d’occupation temporaire n’a pas été dénoncée par lettre recommandée 3 ans avant la date d’expiration.

Par courrier du 19 octobre 2019, la commune de [Localité 5] a dénoncé la convention pour y mettre un terme à la date du 31 décembre 2022.

Le 4 janvier 2022, l’EARL Le Clos Saint Denis a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Châlons-en-Champagne d’une demande de requalification de la convention en bail rural.

La commune de [Localité 5] a notamment soulevé une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative.

Par jugement en date du 15 janvier 2024, la présidente du tribunal paritaire des baux ruraux, statuant seule, après avoir pris l’avis des assesseurs présents :

– s’est déclarée compétente pour statuer sur la demande formée par l’EARL Le Clos Saint Denis tendant à la requalification de la convention en date du 21 juin 2007 en bail rural ;

– a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la Commune de [Localité 5] ;

– a dit que la convention en date du 21 juin 2007 intitulée ‘d’occupation temporaire du domaine public aéronautique non constitutive de droit réel’ doit être requalifiée en un bail rural consenti par la commune de [Localité 5] à l’EARL Le Clos Saint Denis et portant sur la parcelle sise à [Localité 5], cadastrée X n°[Cadastre 1], appartenant au domaine privé de la commune, d’une superficie totale de 5 ha 70 a pour une durée de 15 ans à compter du 1er janvier 2007 ;

– a dit que le bail rural administratif sera soumis aux dispositions de l’article L. 415-11 du code rural et de la pêche maritime ;

– a dit que le bail rural a commencé à courir le 1er janvier 2007 et s’est renouvelé le 1er janvier 2022 pour une durée de neuf années expirant le 31 décembre 2030;

– a débouté la commune de [Localité 5] de l’ensemble de ses prétentions ;

– a débouté l’EARL Le Clos Saint Denis de sa demande tendant à la condamnation de la commune de [Localité 5] aux frais de médiation ;

– a condamné la commune de [Localité 5] à payer à l’EARL Le Clos Saint Denis la somme de 750 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– a condamné la commune de [Localité 5] aux dépens,

– a rappelé que la décision est revêtue d’une exécution de droit à titre provisoire.

La commune de [Localité 5] a formé une déclaration d’appel le 8 février 2024.

Dans ses dernières écritures en date du 18 septembre 2024 soutenues oralement lors de l’audience, la commune de [Localité 5] demande à la cour :

– de réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 janvier 2024 ;

* à titre principal :

– de déclarer irrecevables les prétentions nouvelles en cause d’appel de l’EARL Le Clos Saint Denis tendant à la voir déclarer irrecevable en ses prétentions ;

– de se déclarer incompétente au profit du juge administratif ;

* à titre subsidiaire :

– de déclarer prescrite l’action en requalification de bail ;

– de débouter l’EARL Le Clos Saint Denis de toutes ses demandes ;

* en toute hypothèse :

– d’ordonner l’expulsion de l’EARL Le Clos Saint Denis dans un délai de 15 jours suivant l’arrêt, sous astreinte ;

– de condamner l’EARL Le Clos Saint Denis à lui payer la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Dans ses dernières écritures en date du 18 septembre 2024 soutenues oralement lors de l’audience, l’EARL Le Clos Saint Denis demande à la cour, de :

– juger irrecevable la commune de [Localité 5] en toutes ses demandes comme étant des prétentions nouvelles ;

* subsidiairement :

– débouter la commune de [Localité 5] de toutes ses demandes ;

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

* à titre infiniment subsidiaire :

– juger la dénonciation de la convention d’occupation tardive ;

– juger que la convention d’occupation s’est renouvelée pour une durée de 15 années commençant à courir le 1er janvier 2022 ;

* dans tous les cas :

– condamner la commune de [Localité 5] à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

MOTIFS

– Sur la recevabilité de l’exception d’incompétence soulevée par la Commune de [Localité 5] :

Aux termes de l’article 74 du code de procédure civile, ‘les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre public’.

Il ressort des écritures de la commune de [Localité 5] que celle-ci, qui soulève l’incompétence de la juridiction judiciaire au profit du juge administratif, demande au préalable de déclarer irrecevables les prétentions nouvelles en cause d’appel de l’EARL Le Clos Saint Denis tendant à la voir déclarer irrecevable en ses prétentions.

Dans ces conditions, il convient de recueillir les observations des parties sur le moyen soulevé d’office tiré de l’éventuelle irrecevabilité de l’exception d’incompétence soulevée par la commune de [Localité 5] au regard de sa tardiveté.

– Sur l’incompétence soulevée d’office au profit de la juridiction administrative :

En application de l’article 76 du code de procédure civile, l’incompétence de la juridiction judiciaire peut être soulevée d’office à hauteur d’appel si l’affaire relève de la juridiction administrative.

La compétence de la cour d’appel est subordonnée à l’appartenance de la parcelle objet de la convention au domaine privé de la commune, puisque les personnes publiques ne peuvent pas consentir de baux ruraux sur des biens de leur domaine public.

Lorsqu’un bien appartient à une personne publique, le juge administratif peut seul apprécier s’il relève de son domaine public ou de son domaine privé, sauf en l’absence de contestation sérieuse.

Aux termes de l’article L.2111-16 du code général de la propriété des personnes publiques ‘Le domaine public aéronautique est constitué des biens immobiliers appartenant à une personne publique mentionnée à l’article L. 1 et affectés aux besoins de la circulation aérienne publique. Il comprend notamment les emprises des aérodromes et les installations nécessaires pour les besoins de la sécurité de la circulation aérienne situées en dehors de ces emprises’.

Il est constant que la parcelle de 5 ha 70 a objet de la convention est incluse dans la parcelle X n°[Cadastre 1], propriété de la commune de [Localité 5].

Il ressort de la pièce n°7 produite par chacune des parties, qui correspond au plan de zonage n°1 de la commune de [Localité 5], que la parcelle X n°[Cadastre 1] est classée en zone AI correspondant à une ‘zone agricole couvrant le terrain d’aviation hors zone urbanisée et l’aire de grands passages’.

Il convient donc d’inviter les parties à présenter leurs observations sur l’exception d’incompétence soulevée d’office par la cour d’appel pour connaître des demandes de l’EARL Le Clos Saint Denis, lesquelles relèveraient de la juridiction administrative, en application de l’article susvisé, au regard de la localisation de la parcelle en cause.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Ordonne une réouverture des débats afin de recueillir les observations des parties sur :

– le moyen tiré de l’éventuelle irrecevabilité de l’exception d’incompétence soulevée par la commune de [Localité 5] ;

– l’exception d’incompétence soulevée d’office de la juridiction judiciaire pour connaître des demandes de l’EARL Le Clos Saint Denis ;

Dit que :

– la commune de [Localité 5] doit conclure pour le 15 décembre 2024 ;

– l’EARL Le Clos Saint Denis doit conclure pour le 25 janvier 2025 ;

Renvoie l’affaire à l’audience du 12 février 2025 à 9 heures pour être plaidée ;

Dit que la notification du présent arrêt vaut convocation des parties et de leur conseil pour cette date ;

Réserve les demandes et les dépens.

La Greffière Le Président


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