Engagement de caution : Évaluation de la disproportion et obligations du créancier

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Engagement de caution : Évaluation de la disproportion et obligations du créancier

Constitution du prêt

Le 10 janvier 2007, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] a accordé un prêt de 192 000 euros à la SCI BEC pour l’acquisition d’un appartement à [Localité 7], avec une durée de 300 mois et un taux d’intérêt de 4,300% par an. Mme [D], gérante de la SCI, et Mme [S] [J], associée, se sont portées cautions solidaires pour garantir le remboursement du prêt.

Désolidarisation de la caution

Suite à une cession de parts de la SCI BEC, la Caisse de Crédit Mutuel a accepté, le 21 avril 2007, de désolidariser Mme [J] de son engagement de caution. Cependant, à partir du 15 mai 2009, les échéances du prêt n’ont plus été réglées, entraînant la saisie de l’appartement, adjugé pour 120 200 euros le 22 mars 2012.

Action en paiement

La Caisse de Crédit Mutuel a assigné Mme [D] en paiement de 134 948,56 euros, soutenant qu’elle n’avait pas été intégralement remboursée après la vente de l’immeuble. Le tribunal judiciaire de Versailles a rendu un jugement le 24 janvier 2022, rejetant la demande de Mme [D] de se voir décharger de son obligation de caution en raison du caractère disproportionné de celle-ci.

Jugement du 23 juin 2023

Le 23 juin 2023, le tribunal a condamné Mme [D] à verser 86 049,43 euros à la Caisse de Crédit Mutuel, avec des intérêts légaux, et a rejeté sa demande de capitalisation des intérêts. Mme [D] a interjeté appel de ces décisions le 25 juillet 2023.

Arguments de l’appelante

Dans ses conclusions, Mme [D] a demandé à la cour d’infirmer les jugements précédents, arguant que son engagement de caution était disproportionné par rapport à ses biens et revenus au moment de sa signature. Elle a également soutenu que la Caisse de Crédit Mutuel n’avait pas établi la réalité de sa créance.

Arguments de l’intimée

La Caisse de Crédit Mutuel a contesté les arguments de Mme [D], affirmant qu’elle n’avait pas prouvé le caractère disproportionné de son engagement et que la banque avait respecté ses obligations. Elle a demandé la confirmation des décisions de première instance et la condamnation de Mme [D] aux dépens.

Décision de la cour

La cour a infirmé les jugements précédents, déclarant que l’engagement de caution de Mme [D] était manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Elle a débouté la Caisse de Crédit Mutuel de sa demande en paiement et a condamné la banque à verser 3 000 euros à Mme [D] au titre des frais irrépétibles, tout en rejetant sa demande de dommages et intérêts.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

7 novembre 2024
Cour d’appel de Versailles
RG
23/05066
COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 53L

Chambre civile 1-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 07 NOVEMBRE 2024

N° RG 23/05066 – N° Portalis DBV3-V-B7H-WAI4

AFFAIRE :

[E] [D]

C/

CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 10] ES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 Janvier 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de VERSAILLES

N° RG : 19/01947

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 07.11.2024

à :

Me Clémentine FORTIER, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Elisa GUEILHERS de la SELEURL ELISA GUEILHERS AVOCAT, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEPT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [E] [D]

née le [Date naissance 2] 1988 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Clémentine FORTIER, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 687 – N° du dossier 250723- Représentant : Me Xavier SAVIGNAT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 10]

N° Siret : 785 065 889 (RCS Versailles)

[Adresse 3]

[Localité 5]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Elisa GUEILHERS de la SELEURL ELISA GUEILHERS AVOCAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 129

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 Septembre 2024 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence MICHON, Conseillère chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Fabienne PAGES, Présidente,

Madame Caroline DERYCKERE, Conseillère,

Madame Florence MICHON, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO,

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant acte reçu par Maître [W] [T], Notaire à [Localité 6] ( 28), le 10 janvier 2007, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] a consenti à la SCI BEC un prêt d’un montant de 192 000 euros destiné à l’acquisition d’un appartement sis à [Localité 7], d’une durée de 300 mois, au taux d’intérêt de 4,300% l’an, hors assurances.

Afin de garantir le remboursement dudit prêt, Mme [D], gérante et associée de la SCI, et Mme [S] [J], associée, se sont l’une et l’autre constituées cautions solidaires.

En raison d’une cession de ses parts de la SCI BEC, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] a accepté la désolidarisation de Mme [J] de son cautionnement, selon attestation en date du 21 avril 2007.

Les échéances du prêt n’étant plus régulièrement réglées à compter du 15 mai 2009, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] a poursuivi la saisie du bien immobilier en cause, qui a été adjugé au prix de 120 200 euros, selon jugement du 22 mars 2012.

Soutenant ne pas avoir été intégralement remplie de ses droits après la distribution du prix de vente de l’immeuble, et après avoir l’avoir vainement mise en demeure de régler la somme de 134 948,56 euros restant selon elle due, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] a assigné Mme [D] en paiement devant le tribunal judiciaire de Versailles, selon acte du 20 mars 2019.

Par jugement contradictoire et mixte rendu le 24 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Versailles a :

rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10],

débouté Mme [D] de sa demande tendant à se voir déchargée de toute obligation au titre du contrat de caution signé par elle en raison du caractère disproportionné de celui-ci,

dit que la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] est déchue, en totalité, de son droit aux intérêts conventionnels,

Avant-dire droit sur les demandes des parties :

ordonné la réouverture des débats et la révocation de l’ordonnance de clôture en date du 6 septembre 2021,

renvoyé l’affaire et les parties à l’audience de mise en état du 21 mars 2022,

invité la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] à produire un décompte mentionnant l’ensemble des sommes qu’il (sic) a perçues au titre du prêt litigieux et portant intérêts des sommes dues au taux légal,

sursis, dans l’attente de cette réouverture, à statuer sur les demandes des parties,

réservé les dépens.

Puis, vidant sa saisine, par jugement contradictoire rendu le 23 juin 2023, il a :

condamné Mme [D] à verser à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] la somme de 86 049,43 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2022 sur la somme de 72 024,17 euros,

rejeté la demande de capitalisation des intérêts dus depuis au moins une année entière,

condamné Mme [D] aux dépens et dit que Maître [F] pourra directement recouvrer ceux des dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision,

condamné Mme [D] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

ordonné l’exécution provisoire du présent jugement,

rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Le 25 juillet 2023, Mme [D] a relevé appel de l’une et l’autre de ces décisions.

Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état du 12 septembre 2023.

Par ordonnance rendue le 4 juin 2024, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 19 septembre 2024.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 19 octobre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, Mme [D], appelante, demande à la cour de :

la recevoir en son appel,

infirmer le jugement du 24 janvier 2022 en ce qu’il l’a déboutée de sa demande tendant à se voir décharger de toute obligation au titre du contrat de caution signé par elle en raison du caractère disproportionné de celui-ci,

juger le caractère disproportionné de son engagement de caution lors de sa conclusion de ses biens et revenus (sic),

juger que son patrimoine ne lui permet pas de faire face à son obligation,

En conséquence,

débouter la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

juger en tout état de cause que la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] n’établit pas la réalité de sa créance,

En conséquence,

infirmer le jugement du 23 juin 2023 en ce qu’il l’a condamnée au paiement de la somme de 86 049,43 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2022 sur la somme de 72 024,17 euros,

juger que le tribunal judiciaire de Versailles n’a pas statué sur la demande de dommages et intérêts par elle formulée,

En conséquence,

condamner la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] à lui payer une somme de 15 000 euros au titre de l’engagement de sa responsabilité contractuelle,

Subsidiairement,

confirmer le jugement du 24 janvier 2022 en ce qu’il déclare déchue de la totalité de son droit aux intérêts conventionnels de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] (sic),

Subsidiairement,

ordonner la compensation entre le montant des dommages et intérêts à elle alloués et l’éventuelle créance de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10],

infirmer le jugement en ce qu’elle a été condamnée au paiement d’une somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

En tout état de cause,

condamner la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] au paiement d’une somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles,

condamner la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] aux dépens et autoriser Maître Fortier à en poursuivre le recouvrement en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, Mme [D] fait valoir :

qu’au moment de la conclusion de son engagement, elle était âgée de 18 ans, et elle ne disposait d’aucun revenus, en dehors de ceux procurés par un travail ponctuel d’étudiante ; qu’à la date de l’acte notarié, le 19 janvier 2007, elle n’avait plus aucune ressource, puisque son emploi saisonnier avait pris fin au mois d’octobre 2006 ; qu’elle ne disposait d’aucun patrimoine ; que son engagement de caution était donc totalement disproportionné ;

que l’immeuble dont le tribunal a retenu qu’elle était propriétaire a été acquis avec le concours de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10], qui est bénéficiaire d’une garantie réelle sur le bien ; qu’elle ne peut le réaliser sans désintéresser, au titre de cette garantie réelle, son prêteur de deniers ; d’autant plus qu’au -delà du prêt nécessaire à l’acquisition du bien, la banque a également prêté pour le financement de travaux ; que son endettement est donc substantiel ; qu’elle ne dispose d’aucune faculté pour honorer les conséquences de l’engagement de caution qu’elle a souscrit à l’âge de 18 ans ;

que par ailleurs, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10], qui a manqué à ses obligations, tant contractuelles que légales, a engagé sa responsabilité civile à son égard ;

qu’elle a agi avec une légèreté fautive, en méconnaissant volontairement le principe de proportionnalité et en s’abstenant de respecter son obligation de conseil et son devoir de mise en garde ; qu’elle a en effet exigé son cautionnement alors que ses revenus ne lui permettaient pas de faire face à ses engagements ; que pourtant, elle a le devoir de refuser aux emprunteurs, comme à leur caution, l’opération de financement s’il est acquis dès l’origine que l’opération est raisonnablement susceptible de ne pas aller à son terme ;

que la banque a encore manqué à son obligation de conseil et à son devoir de mise en garde, lequel inclut l’obligation de vérifier la solvabilité de l’emprunteur en s’assurant que le financement de l’opération n’est pas disproportionné à ses ressources ; qu’en l’occurrence, l’emprunteur principal paraissait lui-même fragile, la SCI venant d’être constituée et ses associés personnes physiques étant les deux cautions ; qu’elle peut dès lors engager à bon droit la responsabilité contractuelle de la banque sur le fondement de l’article 1147 du code civil alors applicable, dans la mesure où elle apparaît comme une caution non avertie et profane, cette réalité étant renforcée par son très jeune âge ;

que par ailleurs, la banque a encore agi avec une légèreté blâmable en acceptant de désolidariser Mme [J] de son engagement de caution ; qu’en effet, elle se trouve aujourd’hui seule engagée alors même qu’en acceptant cette désolidarisation la banque lui a fait perdre, en cas de condamnation, un recours contre son coobligé ; qu’elle n’aurait jamais accepté de se porter caution solidaire si elle avait pu se convaincre que la banque, par cette acceptation, lui ferait en réalité supporter seule l’ensemble des engagements du débiteur principal ;

que le dommage évident qui résulte de cette triple faute justifie la condamnation de la banque à lui payer une somme de 15 000 euros à titre d’indemnité ;

qu’enfin, alors qu’il appartient à la banque d’établir la réalité de la dette alléguée, la somme en principal de 86 049,43 euros qu’elle a été condamnée à payer ne correspond pas au montant de la créance de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10], de sorte que la créance de la banque ne peut être regardée comme certaine dans son quantum ;

qu’en tout état de cause, si la cour devait confirmer le principe d’une condamnation à son encontre, une compensation devrait nécessairement s’opérer entre le montant des dommages et intérêts à elle alloués et la créance résiduelle de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] si la Cour la considérait comme déterminable.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 12 janvier 2024 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10], intimée, demande à la cour de :

juger Mme [D] mal fondée en son appel,

En conséquence,

confirmer les décisions entreprises en toutes leurs dispositions,

débouter Mme [D] de sa demande tendant à la voir condamner au paiement d’une somme de 15 000 euros au titre de dommages et intérêts,

Y ajoutant,

condamner Mme [D] à lui payer une somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner Mme [D] aux entiers dépens.

L’intimée fait valoir :

que les premiers juges ont fait une exacte appréciation des faits et du droit en considérant que Mme [D] n’établissait pas le caractère manifestement disproportionné de son engagement de caution ;

que Mme [D] ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de la disproportion manifeste de son engagement de caution à la date où il a été souscrit ;

qu’à titre surabondant, au moment où la banque a appelé la caution, Mme [D] était propriétaires d’un immeuble acquis au prix de 155 000 euros en juin 2017, évalué au 3ème trimestre 2018 en valeur brute à 250 510 euros ; que même en ne tenant compte que de la valeur brute au 3ème trimestre 2018, de 250 510 euros, et après déduction de la charge d’emprunt alléguée dont il n’est pas donné d’autres informations que des tableaux d’amortissement, le montant de la dette de Mme [D] n’est pas disproportionné au regard de son patrimoine ;

que le reproche que lui fait Mme [D] d’avoir exigé sa caution alors que ses revenus ne lui permettaient pas de faire face à ses engagements est sanctionné par l’article L.341-4 du code de la consommation qu’elle invoque par ailleurs ;

que la violation de l’obligation de mise en garde de la caution constitue un moyen de mise en cause de la responsabilité de la banque en réparation du préjudice matérialisé par la perte de chance de ne pas conclure le cautionnement ; que cependant, Mme [D] ne rapporte pas la preuve du préjudice qu’elle prétend voir fixer à la somme de 15 000 euros ;

que s’agissant de la désolidarisation de Mme [J], elle résulte de la cession des parts que cette dernière détenait dans la SCI BEC, ce que Mme [D] ne peut ignorer ;

que contrairement à ce que soutient Mme [D], elle justifie parfaitement du montant de sa créance.

A l’issue de l’audience, l’affaire a été mise en délibéré au 7 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION 

Sur l’étendue de la saisine de la cour

A titre liminaire la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions, pour autant qu’elles sont soutenues par des moyens développés dans la discussion, et qu’elle ne répond aux moyens que pour autant qu’ils donnent lieu à une prétention correspondante figurant au dispositif des conclusions.

C’est ainsi que la cour ne peut que constater que bien qu’ayant visé dans sa déclaration d’appel le chef du jugement qui a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10], Mme [D] ne reprend pas cette fin de non recevoir dans le dispositif de ses conclusions, dont la cour n’est en conséquence pas saisie.

Sur l’opposabilité de l’engagement de la caution

Comme l’a rappelé le tribunal, l’article L. 341-4, dans sa rédaction alors applicable, du code de la consommation, énonce qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

La proportionnalité de l’engagement d’une caution s’apprécie soit au moment de sa conclusion, soit, le cas échéant, lorsque la caution est appelée à exécuter son engagement, c’est à dire au jour où elle est assignée par le créancier.

Il appartient à la caution qui l’invoque de démontrer l’existence de la disproportion manifeste de son engagement, au moment de la conclusion de celui-ci, et au créancier professionnel, s’il entend se prévaloir néanmoins de ce cautionnement disproportionné, d’établir qu’au moment où il a appelé la caution, le patrimoine de cette dernière lui permet de faire face à son engagement.

Lorsque la caution a, lors de son engagement, déclaré des éléments sur sa situation financière et patrimoniale à la banque qui l’a interrogée, la banque peut en principe, en l’absence d’anomalies apparentes, se fier à de tels éléments dont elle n’a pas à vérifier l’exactitude.

Si la caution n’a déclaré aucun élément sur sa situation patrimoniale à la banque lors de son engagement, la caution est libre de démontrer, devant le juge, quelle était sa situation financière réelle lors de son engagement.

Etant précisé que l’article L. 341-4 du code de la consommation, s’il interdit à un créancier professionnel de se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation, n’impose pas au créancier de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement, et que l’existence d’une fiche de renseignement n’est pas jugée obligatoire par la jurisprudence, en sorte que Mme [D] est mal fondée à reprocher à la banque d’avoir fait preuve de légèreté blâmable en ne lui faisant pas remplir un questionnaire propre à déterminer la réalité de ses revenus et de son patrimoine.

Ce reproche étant en toute hypothèse sans emport, dès lors que les dispositions du texte susvisé sont applicables alors même que l’établissement prêteur n’a pas commis de faute.

Mme [D] justifie qu’elle était étudiante, en première année de médecine, durant l’année 2006-2007.

Il est établi qu’elle a remis à la banque, lors de la souscription de son engagement, 4 bulletins de salaire, portant sur la période du 15 juillet 2006 au 31 octobre 2006, qui effectivement témoignent, comme le souligne l’intimée, qu’elle percevait des revenus en dépit de son statut d’étudiante.

Les parts sociales dont elle était titulaire au sein de la société cautionnée, qui doivent être prises en considération pour l’appréciation des biens et revenus de la caution, soit 600 parts sur les 1 000 représentatives du capital social de la SCI BEC, étaient sans valeur patrimoniale, le capital social de cette SCI, qui venait d’être constituée, étant de 1 000 euros, et le bien acquis au prix de 180 000 euros étant financé par un emprunt de 192 000 euros.

Pour le surplus, il n’est pas utilement contesté par l’intimée que Mme [D] n’était titulaire d’aucun autre patrimoine.

Le tribunal a relevé que le salaire net imposable moyen de Mme [D] de 2 485 euros par mois, alors que les échéances de remboursement du prêt s’élevaient à 1 045,52 euros, représentait un peu plus de 42% de ses ressources.

Il a toutefois considéré que dans la mesure où Mme [D] ne faisait pas état des charges qu’elle devait assumer au moment de la signature de son engagement de caution, il n’était pas établi que la cautionnement consenti était manifestement disproportionné à la date de sa conclusion.

Cependant, lorsqu’elle s’est engagée en sa qualité de caution, à garantir le remboursement d’un prêt d’un montant en principal de 192 000 euros, dont la dernière échéance de remboursement était fixée au 10 février 2032, Mme [D] était âgée de 18 ans, était étudiante, et n’avait travaillé que 4 mois.

Le montant de ses revenus ne lui permettait manifestement pas de faire face au remboursement d’échéances qui représentaient plus de 42% de ceux-ci, selon le calcul non contesté du tribunal, alors au surplus que le prêt, aux termes de l’acte produit aux débats, était susceptible de devenir exigible par anticipation en cas de défaillance de l’emprunteur, ce qui s’est d’ailleurs produit, Mme [D] ayant été mise en demeure, dès le 18 décembre 2009, de régler une somme de 187 953,86 euros.

Contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, l’engagement de Mme [D] était donc manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à la date où elle l’a souscrit.

Pour pouvoir s’en prévaloir, il appartient à la banque de faire la démonstration que, au moment où elle a appelé la caution, le patrimoine de celle-ci lui permettait de faire face à son engagement.

Il est rappelé que l’assignation en paiement ayant été délivrée le 20 mars 2019, c’est à cette date qu’il convient de se placer.

La banque établit que le 20 mars 2019, Mme [D] était propriétaire d’un bien immobilier acquis en vertu d’un acte publié le 30 juin 2017, au prix de 155 000 euros, valorisé, au 3ème trimestre 2018, à une valeur brute de 250 510 euros.

Il ressort de la fiche de synthèse produite que ce bien immobilier est affecté de 3 inscriptions au profit de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 9] ( et non de celle de [Localité 10] comme indiqué par l’appelante) :

un privilège de prêteur de deniers, pour un principal à hauteur de 54 000, sans intérêts, exigible jusqu’au 5 mai 2037,

une hypothèque conventionnelle, pour un principal à hauteur de 85 876,50 euros, avec un taux d’intérêts de 2,05%, exigible jusqu’au 5 octobre 2042,

un privilège de prêteur de deniers, pour un principal à hauteur de 101 000 euros, avec un taux d’intérêts de 2,05%, exigible jusqu’au 5 octobre 2042.

Ces inscriptions sont en concordance avec les tableaux d’amortissement que produit Mme [D] en pièces n°5 et 6, dont il ressort que, à la date où elle a été assignée, il restait dû, sur le prêt de 54 000 euros, un capital de 54 000 euros et sur le prêt de 186 875,50 euros ( 85 876,50 + 101 000) un capital de 177 587,50 euros.

Ainsi, en retenant pour valeur celle de 250 510 euros figurant sur la fiche de synthèse fournie par la banque, qui ne produit pas d’autre évaluation du bien, le patrimoine immobilier de Mme [D], après déduction des sommes encore dues au titre des emprunts afférents à ce bien ( 54 000 +177 587,50 = 231 587,50 euros) ne lui permettait pas de s’acquitter des sommes réclamées par la banque. Ni même de celle retenue par le tribunal.

La banque ne rapportant pas la preuve, qui lui incombe, d’un patrimoine permettant à la caution de faire face à son engagement, elle ne peut se prévaloir du contrat de cautionnement souscrit par Mme [D].

La décision du tribunal qui a condamné Mme [D] au paiement de la somme de 86 049,43 euros après avoir écarté sa demande tendant à se voir déchargée de toute obligation au titre du contrat de caution signé par elle en raison du caractère disproportionné de celui-ci, est donc infirmé, et la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] déboutée de sa demande en paiement.

Sur la demande de dommages et intérêts

Mme [D], dont le cautionnement est reconnu comme étant disproportionné, ne fait pas, en premier lieu, la preuve que ceci procède d’une faute de la banque.

En deuxième lieu, elle ne fait pas non plus la preuve d’un manquement de la banque à une obligation de conseil, faute de justifier que l’établissement prêteur de deniers, qui n’est pas tenu d’un devoir général de conseil, avait en l’espèce contracté à son égard une telle obligation.

En troisième lieu, elle ne démontre pas que la banque aurait commis une faute en acceptant de désolidariser Mme [J] de son cautionnement du prêt consenti à la SCI BEC. D’une part, comme le fait valoir l’intimée, ceci fait suite à la cession de ses parts de la SCI BEC par Mme [J], à Mme [D] et à Mme [Z], sa mère, et figure dans l’acte authentique de cession de parts établi le 11 mai 2007 devant notaire, auquel Mme [D] était partie, et d’autre part, la cour relève que dans l’acte du 10 janvier 2007, il était stipulé que la caution ne faisait pas de la situation du cautionné ainsi que de l’existence et du maintien d’autres cautions la condition déterminante de son cautionnement.

Aucune demande de dommages et intérêts ne peut prospérer, par conséquent, sur les fondements susvisés.

En application de l’article 1147 du code civil, la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l’égard de la caution non avertie si, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté à ses capacités financières ou s’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, résultant de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur. Ces deux conditions étant alternatives.

Mme [D], étudiante en médecine, âgée de 18 ans, et qui avait travaillé comme secrétaire commerciale ainsi qu’il ressort de ses bulletins de paie, était une caution non avertie lorsqu’elle s’est engagée, et il découle de ce qui précède que son engagement, disproportionné au regard de ses biens et revenus, n’était pas adapté à ses capacités financières.

Cependant, il est rappelé que le préjudice consécutif à un manquement de la banque à son devoir de mise en garde s’analyse en la perte d’une chance de ne pas contracter, et Mme [D], qui est finalement déchargée de son engagement de caution, ne justifie pas de la réalité d’un préjudice découlant de l’inexécution de son obligation par la banque.

L’absence de preuve de la réalité d’un préjudice subi est, à titre surabondant, également la cause du rejet de sa demande de dommages et intérêts au titre des autres manquements qu’elle reproche à la banque.

Ajoutant au jugement qui n’a pas statué sur cette prétention, la cour déboute Mme [D] de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] qui perd son procès doit supporter les dépens de première instance et d’appel.

Elle sera également condamnée à régler à Mme [D] une somme que l’équité commande de fixer à 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par cette dernière, tandis que la condamnation prononcée en première instance à son profit sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile est infirmée, et sa demande à ce titre devant la cour d’appel rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,

Et dans les limites de sa saisine,

INFIRME le jugement rendu le 24 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Versailles en ce qu’il a débouté Mme [D] de sa demande tendant à se voir déchargée de toute obligation au titre du contrat de caution signé par elle en raison du caractère disproportionné de celui-ci, et le jugement rendu le23 juin 2023 par le même tribunal en ce qu’il a condamné Mme [D] à verser à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] la somme de 86 049,43 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2022 sur la somme de 72 024,17 euros, condamné Mme [D] aux dépens et dit que Maître [F] pourra directement recouvrer ceux des dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision, condamné Mme [D] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

Dit que le cautionnement consenti par Mme [D] en garantie du prêt octroyé le 10 janvier 2007 par la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] à la SCI BEC est disproportionné ;

Déboute la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] de sa demande en paiement et de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Mme [D] de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] à régler à Mme [D] une somme de 3000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 10] aux dépens et autorise le conseil de Mme [D] à en poursuivre le recouvrement selon les modalités prévues par l’article 699 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Fabienne PAGES, Présidente et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


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