Sanctions Disciplinaires et Droit de Grève : Équilibre entre Règlementation et Liberté d’Action des Agents

·

·

Sanctions Disciplinaires et Droit de Grève : Équilibre entre Règlementation et Liberté d’Action des Agents

Engagement de M. [O] à la RATP

M. [O] a été engagé par la Régie autonome des transports parisiens (RATP) en tant qu’agent le 18 février 1987. Il a occupé le poste d’ouvrier qualifié mécanicien d’entretien au département Matériel roulant ferroviaire (MRF), affecté à l’atelier RER de [Localité 4].

Rappels à l’ordre et sanctions disciplinaires

La RATP a rappelé à M. [O] les règles de participation à un mouvement de grève par une lettre du 24 mai 2016. Il a été sanctionné pour non-respect de l’instruction générale (IG) 542 après avoir déclaré sa grève après le début de son service les 7, 8 et 9 juin 2016. D’autres sanctions ont suivi pour des infractions similaires, notamment le 10 août 2016, le 28 novembre 2017 et le 23 juillet 2018.

Demande d’annulation des sanctions

M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Lonjumeau le 16 juillet 2019 pour demander l’annulation des sanctions et des dommages-intérêts. Le jugement du 17 novembre 2021 a débouté M. [O] de ses demandes, déclarant certaines demandes prescrites et condamnant M. [O] aux dépens.

Appel de M. [O]

M. [O] a interjeté appel le 17 décembre 2021, demandant l’infirmation du jugement et l’annulation des sanctions. Il a également demandé des compensations financières pour les retenues sur salaire et des dommages-intérêts.

Réponse de la RATP à l’appel

La RATP a demandé la confirmation du jugement de première instance et a sollicité des condamnations financières à l’encontre de M. [O] pour les frais de justice.

Motifs de la décision

La cour a examiné la légalité des sanctions disciplinaires en lien avec le droit de grève, précisant que les règles de participation à la grève s’appliquent à tous les agents de la RATP. Les sanctions étaient justifiées par le non-respect des règles établies par l’IG 542, qui impose de rejoindre un mouvement de grève au début de la prise de service.

Absence de discrimination

M. [O] a également soutenu que les sanctions étaient appliquées de manière discriminatoire. Cependant, la cour a constaté que la RATP avait agi de manière objective et que les décisions étaient justifiées par des éléments étrangers à toute discrimination.

Proportionnalité des sanctions

La cour a jugé que les sanctions infligées à M. [O] n’étaient pas disproportionnées, tenant compte de la réponse graduée de la RATP face aux manquements de l’appelant.

Conclusion de la cour

La cour a confirmé le jugement de première instance, déboutant M. [O] de toutes ses demandes et le condamnant aux dépens de la procédure d’appel. Les frais irrépétibles ont été laissés à la charge de chaque partie.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

23 octobre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
21/10446
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRET DU 23 OCTOBRE 2024

(n°2024/ , 2 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/10446 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3FQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Novembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LONGJUMEAU – RG n° 19/00444

APPELANT

Monsieur [U] [O]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Elise TAULET, avocat au barreau de PARIS, toque : R028

INTIMEE

E.P.I.C. REGIE AUTONOME DES TRANSPORTS PARISIENS Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Thomas ANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0920

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Septembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Didier LE CORRE, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre et de la formation

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Gisèle MBOLLO

ARRET :

– Conradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre et par Gisèle MBOLLO, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Selon contrat de travail à durée indéterminée, M. [O] a été engagé en qualité d’agent le 18 février1987 par la Régie autonome des transports parisiens (RATP).

Il occupait en dernier lieu les fonctions d’ouvrier qualifié mécanicien d’entretien au département Matériel roulant ferroviaire (MRF) et était affecté à l’atelier RER de [Localité 4].

Par lettre du 24 mai 2016, la RATP a rappelé à M. [O] les dispositions à respecter quant à la participation à un mouvement de grève.

Par procès-verbal du 10 juin 2016, M. [O] a été rappelé à l’ordre pour non-respect de l’instruction générale (IG) 542 relative aux modalités de participation à la grève après s’être déclaré gréviste postérieurement à sa prise de service les 7, 8 et 9 juin 2016.

Le 23 juin 2016, M. [O] a pointé pour sa prise de service à 7h51 puis s’est déclaré gréviste à 11h10.

Par lettre du 10 août 2016, la RATP a notifié à M. [O] une sanction disciplinaire « du 1er degré A » pour non-respect de l’instruction générale (IG) 542 relative aux modalités de participation à la grève.

Le 12 septembre 2017, M. [O] a pointé pour sa prise de service à 8h02 puis s’est déclaré gréviste à 11h16.

Par lettre du 28 novembre 2017, la RATP a notifié à M. [O] une sanction disciplinaire « du 1er degré A », consistant en un jour de disponibilité d’office avec sursis, pour non-respect de l’instruction générale (IG) 542 relative aux modalités de participation à la grève.

Le 20 avril 2018, M. [O] a pointé pour sa prise de service à 7h43 puis s’est déclaré gréviste de 9h40 à 10h40.

Par lettre du 23 juillet 2018, la RATP a notifié à M. [O] une sanction disciplinaire « du 1er degré B », consistant en un jour de disponibilité d’office sans traitement, pour non-respect de l’instruction générale (IG) 542 relative aux modalités de participation à la grève.

M. [O] a saisi le 16 juillet 2019 le conseil de prud’hommes de Lonjumeau en demandant l’annulation de ces sanctions disciplinaires et la condamnation de la RATP à lui payer un rappel de salaire et des dommages-intérêts au titre du préjudice moral subi.

Par jugement du 17 novembre 2021, auquel il est renvoyé pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes de Lonjumeau a rendu la décision suivante:

« DIT que la demande d’annulation des sanctions des 22 juin 2016 et 10 août 2016 est prescrite.

DEBOUTE Monsieur [U] [O] de sa demande d’annulation des sanctions qui ont été notifiées le 28 novembre 2017 et le 23 juillet 2018.

DEBOUTE Monsieur [U] [O] sur l’ensemble de ses demandes.

DEBOUTE la société EPIC REGIE AUTONOME DES TRANSPORTS PARISIENS (RATP) de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE Monsieur [U] [O] aux entiers dépens. »

M. [O] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 17 décembre 2021.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 17 mars 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [O] demande à la cour de:

« DECLARER M. [O] recevable en son appel ;

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il:

« – Déboute Monsieur [U] [O] de sa demande d’annulation des sanctions

qui ont été notifiées le 28 novembre 2017 et le 23 juillet 2018 ;

– Déboute Monsieur [U] [O] sur l’ensemble de ses demandes ;

– Condamne Monsieur [U] [O] aux entiers dépens ».

Et statuant à nouveau,

ANNULER les sanctions qui lui ont été notifiées les 28 novembre 2017 et 23 juillet 2018;

ORDONNER la suppression de son dossier de tout document relatif à ces sanctions ;

CONDAMNER la RATP à lui payer la somme de 157,99 € bruts au titre du prélèvement

sur salaire effectué en août 2018 ;

CONDAMNER la RATP à lui payer la somme de 2000 € nets à titre de dommages intérêts;

CONDAMNER la RATP à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel ;

FIXER le point de départ des intérêts légaux à la saisine du Conseil et prononcer la capitalisation annuelle des intérêts. »

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 3 juin 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, la RATP demande à la cour de:

« CONFIRMER le jugement du Conseil de Prud’hommes du 17 novembre 2021 en ce qu’il a débouté Monsieur [O] de sa demande d’annulation des sanctions des 28 novembre 2017 et 23 juillet 2018, débouté Monsieur [O] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux dépens.

INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de LONGJUMEAU en date du 17 novembre 2021 en ce qu’il a débouté la RATP de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

CONDAMNER Monsieur [O] à payer à la RATP la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance ;

Y ajoutant,

CONDAMNER Monsieur [O] à payer à la RATP la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,

CONDAMNER Monsieur [O] aux entiers dépens de l’instance. »

L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 juin 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’annulation des sanctions disciplinaires

L’exercice du droit de grève est un droit fondamental qui a été reconnu par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 énonçant que ‘Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent’.

Il est de jurisprudence constante que lorsque le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, aucun salarié ne peut être sanctionné en raison de l’exercice normal de ce droit.

Dans le cadre de son pouvoir de réglementation de la grève, le législateur a pris des dispositions particulières dans les services publics. Ainsi, en application des articles L.2512-1 et L.2512-2 du code du travail, quand le droit de grève est exercé par les personnels des entreprises, des organismes et des établissements publics ou privés lorsque ces entreprises, organismes et établissements sont chargés de la gestion d’un service public, la cessation concertée du travail doit être précédée d’un préavis.

L’article L.2512-4 du code du travail dispose que:

« En cas de cessation concertée de travail des personnels mentionnés à l’article L. 2512-1, l’heure de cessation et celle de reprise du travail ne peuvent être différentes pour les diverses catégories ou pour les divers membres du personnel intéressé.

Sont interdits les arrêts de travail affectant par échelonnement successif ou par roulement concerté les divers secteurs ou catégories professionnelles d’un même établissement ou service ou les différents établissements ou services d’une même entreprise ou d’un même organisme. »

Dans le cadre de l’organisation du service public de transport, la RATP a édicté dans des instructions générales un certain nombre de règles fixant les modalités de participation à la grève.

Ainsi, la RATP a pris en mars 2005 l’IG 507 qui précise les règles en matière de respect du préavis de grève.

L’IG 529 de mars 2009, qui concerne les modalités de participation à la grève, énonce que:

« Les salariés sont libres de rejoindre un mouvement de grève postérieurement à la grève et l’heure fixée par le préavis pour le début de la grève.

Conformément à la loi du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics, les salariés souhaitant rejoindre un mouvement de grève doivent le faire à l’intérieur du préavis, à n’importe quelle prise de service mais exclusivement au début de la prise de service, tout en respectant, pour les personnels concernés, les modalités de déclaration préalable tels que fixées par l’IG 519.

Le non-respect de ces obligations est passible de sanction disciplinaire. »

Le Conseil d’Etat, qui avait déjà validé par un arrêt du 29 décembre 2006 les dispositions prises par une autre entreprise de transports publics, la SNCF, restreignant la participation d’un agent à un mouvement de grève postérieurement à la date et l’heure fixées par le préavis pour le début de la grève à la condition que cet agent rejoigne le mouvement de grève dès l’heure de la prise de service fixée pour lui par l’horaire qui le concerne, a, par arrêt du 11 juin 2010, retenu la légalité de l’IG 529 imposant aux agents de la RATP qui souhaiteraient rejoindre un mouvement de grève de le faire à l’intérieur du préavis, à n’importe quelle prise de service mais exclusivement au début de la prise de service, le Conseil d’Etat précisant que la limitation apportée à l’exercice du droit de grève qui en résulte est justifiée par les nécessités du fonctionnement du service public de transport assumé par la RATP et vise à prévenir un usage abusif du droit de grève (CE, 11 juin 2010, n°333262).

La RATP a ensuite pris l’IG 542 en septembre 2012 qui a notamment « pour objet de rassembler les dispositions relatives aux modalités de participation à la grève issues des IG n°507 de mars 2005, n°519 de mars 2008 et n°529 d’octobre 2009 auxquelles la présente instruction se substitue de plein droit ».

L’IG 542 énonce en son paragraphe 3, intitulé « Modalités de participation à la grève », que:

« Le salarié est libre de rejoindre un mouvement de grève postérieurement à la date et à l’heure fixée par le préavis pour le début de la grève.

Conformément à la loi du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics, le salarié souhaitant rejoindre un mouvement de grève doit le faire à l’intérieur du préavis, à n’importe quelle prise de service mais exclusivement au début de la prise de service. En toute hypothèse les personnels concernés doivent respecter les modalités de déclaration préalable visées au paragraphe 2 de la présente Instruction et, notamment, la date et l’heure d’entrée dans la grève prévues par leur déclaration préalable.

Le non-respect de ces obligations est passible de sanction disciplinaire. »

Il en résulte que la règle édictée par ce paragraphe de l’IG 542 est identique à celle qui avait été instaurée par l’IG 529 et validée par le Conseil d’Etat.

C’est en application de cette IG 542 que M. [O] s’est vu notifier les sanctions disciplinaires dont il demande l’annulation, étant ajouté que n’est pas contesté que pour chaque fait en cause, l’appelant a rejoint le mouvement de grève, qui était en cours, non pas à sa prise de service mais bien postérieurement au début de celle-ci.

‘ Pour contester les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre et en solliciter l’annulation, M. [O] fait d’abord valoir que « l’IG 542 n’est pas applicable à l’appelant et à ses collègues lesquels ne participent pas directement au service public de transport et ne sont pas astreints à assurer un service minimum ». En effet, en l’espèce, les agents de l’atelier de [Localité 4] concernés par les sanctions sont tous affectés aux réparations préventives du RER B et non à la réparation corrective ou au dépannage. Ils sont chargés d’effectuer la révision des rames de la ligne du RER B qui est prévue toutes les 4 à 5 semaines. En revanche, les agents du centre de dépannage des trains situé à 500 mètres de l’atelier de [Localité 4] sont quant à eux soumis aux obligations de déclarations préalables contrairement aux agents de l’atelier car leurs activités sont considérées comme étant en tension avec l’exploitation. Ils sont donc considérés comme participant directement au service public de transport ». Il ajoute que « l’appelant ne participant pas directement au service public de transport et se trouvant au sein d’un service ayant des prises de service tout à fait aléatoires, il ne peut lui être reproché une violation de l’IG 542 », que « Dans ces conditions, seul un abus du droit de grève pourrait être reproché à l’appelant » mais « faute de toute désorganisation du service, l’appelant n’a nullement abusé du droit de grève ».

Toutefois, ainsi qu’il l’a déjà été mentionné, la règle subordonnant la licéité de la participation de l’agent de la RATP à un mouvement de grève à ce qu’il rejoigne ce mouvement au début de sa prise de service a été validée par le Conseil d’Etat. La Cour de cassation a en outre jugé, en application d’une règle identique concernant les agents de la SNCF, qu’un juge ne pouvait annuler la sanction disciplinaire prononcée à l’encontre d’un agent dont il avait été constaté qu’il s’était mis en grève postérieurement à sa prise de service (Soc., 13 mai 2009, pourvoi n° 07-44.852).

L’IG 519 de mars 2008, relative aux modalités de déclaration préalable de grève, indiquait expressément dans son introduction que le recueil par la RATP des déclarations préalables concernait les « salariés, indispensables à la réalisation du plan de transport, ayant l’intention de participer à une grève », de sorte que tous les agents de la RATP n’étaient pas concernés. Cependant, cette IG ne constituait que la mise en oeuvre de la loi du 21 août 2007 instaurant notamment un service minimum dans les services de transport et n’imposant à ce titre des obligations qu’à certaines catégories d’agents. M. [O] expose lui-même dans ses conclusions qu’en raison de ses fonctions les dispositions de cette loi relatives aux déclarations préalables ne le concernaient pas. Il ne ressort pas des éléments versés aux débats que les sanctions disciplinaires dont a fait l’objet l’appelant étaient fondées sur une absence de déclaration préalable ou une déclaration défectueuse. Par conséquent, il est indifférent que M. [O] appartienne ou non à la catégorie des salariés indispensables à la réalisation du plan de transport, étant ajouté que l’appelant ne communique aucun élément sur le fondement juridique et la définition de la notion de salarié participant directement au service public de transport, notion qu’il invoque pourtant sans donc en établir l’existence juridique.

L’IG 542 de septembre 2012, sur le fondement de laquelle les sanctions disciplinaires litigieuses ont été prononcées, s’est substituée notamment aux IG 519 et 529. Son introduction ne distingue pas, pour son application générale, les agents de la RATP selon de quelconques catégories, en sorte qu’elle concerne l’ensemble des agents.

Ce n’est que dans ses dispositions spécifiques relatives aux « modalités de déclaration préalable », figurant au paragraphe 2, que l’IG 542 précise que « Les dispositions relatives aux modalités de déclaration préalable concernent les salariés dont la présence est directement indispensable à la réalisation de l’offre de transport telle que prévu par le plan de prévisibilité élaboré dans le cadre de la loi du 21 août 2007 ».

En revanche, aucune restriction à une partie seulement des agents de la RATP n’est mentionnée dans les autres paragraphes de l’IG 542, et notamment le paragraphe 3 consacré aux « Modalités de participation à la grève ». Il s’en déduit que ce paragraphe 3 s’applique à l’ensemble des agents de la RATP.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, M. [O] ne peut se soustraire au respect des dispositions du paragraphe 3, lesquelles lui étaient applicables en sa qualité d’agent de la RATP, peu important ses fonctions et son lieu de travail. Leur non-respect pouvait être sanctionné par l’employeur sans qu’il soit besoin de caractériser un abus de grève par désorganisation du service et sans que cette sanction ne constitue une atteinte illégale au droit de grève comme allégué.

‘ Pour contester les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre et en solliciter l’annulation, M. [O] expose ensuite « que la RATP a procédé par double sanctions puisque d’une part elle les pointent en code 785 emportant retenue de salaire, puis ensuite elle leur notifie une sanction de mise en disponibilité sans traitement. Ainsi, ils ont un retrait de salaire du fait d’une absence pour grève puis un retrait de salaire pour la mise à pied, ce dernier retrait étant plus conséquent car les primes sont également retenues ».

Cependant, il ressort des pièces versées aux débats que M. [O] opère ainsi une confusion et n’a pas, contrairement à ses dires, subi une double sanction.

En effet, dès lors que M. [O] n’avait pas respecté les dispositions prévues au paragraphe 3 de l’IG 542, il encourait une sanction disciplinaire et a, à ce titre, fait l’objet d’un jour de disponibilité d’office sans retrait avec sursis notifié par lettre du 28 novembre 2017 et d’un jour de disponibilité d’office sans traitement notifié par lettre du 23 juillet 2018.

Parallèlement, M. [O] qui s’était déclaré gréviste et en revendique la qualité, n’a pas travaillé durant les heures pendant lesquelles il était en grève.

Aux termes de l’article L.1324-11 du code des transports, « La rémunération d’un salarié participant à une grève, incluant le salaire et ses compléments directs et indirects, à l’exclusion des suppléments pour charges de famille, est réduite en fonction de la durée non travaillée en raison de la participation à cette grève. ».

Ce texte n’instaure pas une sanction mais constitue simplement une application de la règle selon laquelle le salaire est la contrepartie du travail fourni.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’en prononçant une sanction disciplinaire pour chacun des non-respects par M. [O] des dispositions de l’IG 542 qui lui étaient applicables, et en procédant à une réduction de sa rémunération correspondant aux durées pendant lesquelles il avait fait grève et n’avait donc pas fourni de travail, la RATP n’a pas prononcé de double sanction, peu important le code utilisé.

‘ Pour contester les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre et en solliciter l’annulation, M. [O] explique aussi que « Même à retenir que l’IG 542 s’applique, il doit être constaté que les agents sont fondés à se prévaloir d’un usage qui n’a pas été valablement dénoncé de telle sorte que les sanctions prononcées ne sont pas régulières ». Il soutient « qu’il existait un usage au sein de l’atelier de [Localité 4] permettant aux agents de se mettre en grève pendant le service », que cet usage durait « depuis plusieurs décennies pour certains agents » et que « C’est seulement courant 2016, en répression des mouvements de contestation des lois dite El Khomri, que la RATP a imaginé de se référer à cette IG 542 qui n’avait jamais reçu la moindre application dans le département MRF ».

La RATP conteste l’existence d’un tel usage.

Il est de jurisprudence constante que c’est à celui qui se prévaut d’un usage d’en apporter la preuve. L’existence d’un usage est subordonnée à la réunion des critères de constance, de généralité et de fixité.

En l’espèce, l’appelant communique l’attestation de M. [D], retraité, qui écrit « qu’avant 2016 la direction ne nous a jamais sanctionné pour avoir participé à un mouvement social couvert par un préavis et ne nous obligeait pas à nous inscrire dès la prise de service ». En l’absence de précisions suffisantes, cette attestation de quelques lignes ne permet pas à la cour de déterminer l’ancienneté avant 2016 de cette prétendue pratique de l’employeur.

M. [O] produit les attestations de quelques autres salariés dont seules certaines font état de l’absence de sanction après avoir rejoint un mouvement de grève en cours de service. Le petit nombre de ces attestations, au regard du nombre important de salariés travaillant à l’atelier RER de [Localité 4], ne permet pas de démontrer un usage répondant au critère de généralité. Ces mêmes attestations ne font état que d’une pratique ayant existé à partir de 2010 pour l’une des attestations et à partir de 2011 pour les autres, ce qui ne suffit pas à démontrer un usage répondant aux critères de constance, de généralité et de fixité, et ce d’autant qu’est versée aux débats une lettre de rappel à l’ordre adressée à M. [D] par la RATP le 20 décembre 2010 dont il ressort que celle-ci n’avait pas renoncé à faire respecter par ses agents la règle selon laquelle ceux-ci ne devaient rejoindre un mouvement de grève qu’au début de la prise de service.

L’existence d’un usage n’étant par conséquent pas établie, le moyen invoqué par M. [O] relativement à son absence de dénonciation est inopérant.

‘ Pour contester les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre et en solliciter l’annulation, M. [O] soutient également que la RATP a « exercé son pouvoir de sanction de façon discriminée selon les agents sans justifier de ces traitements différenciés ». Il ajoute que les agents qui n’ont pas été sanctionnés « ne sont pas syndiqués à la CGT ou titulaires de mandats syndicaux ou électifs ».

L’article L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, dispose que:

« Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français. »

En application de l’article L. 1134-1 du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l’espèce, M. [O] présente les faits suivants:

– « préalablement à la sanction de 2018, certains agents ont été convoqués pour savoir s’ils maintenaient leur grève. Les agents qui se sont maintenus en grève ont été sanctionnés alors que tous les agents ayant les mêmes pointages que l’appelant avaient commis ce que la RATP considère comme une faute »: ce fait n’est pas établi par les pièces versées aux débats;

– « alors que plusieurs dizaines d’agents se sont rendus aux assemblées générales ayant donné lieu aux sanctions contestées, seul un petit nombre a été sanctionné »: ce fait est établi;

– de 2016 à 2018, « au sein du département MRF, seuls des agents de l’atelier de [Localité 4] ont été sanctionnés. Ainsi, les agents de l’atelier de [Localité 5] ont continué à appliquer l’usage et se déclaraient en grève en cours de service sans difficulté. Ce n’est qu’à compter de 2019 que la RATP a infligé, seulement à certains, des sanctions »: ces faits ne sont pas établis par les pièces versées aux débats et notamment pas par la pièce n°19 produite par l’appelant qui ne suffit pas pour établir qu’avant 2019 les agents de l’atelier de [Localité 5] n’étaient pas sanctionnés quand ils rejoignaient un mouvement de grève après le début de leur prise de service;

– « l’application de sanctions au gré du bon vouloir de la direction caractérise également la discrimination: si la direction soutient un mouvement de grève, elle ne sanctionne pas les grévistes voire encourage le non-respect d’une disposition qu’elle invoque en revanche pour justifier de sanctions quand elle n’estime pas devoir soutenir un mouvement social »: ces faits ne sont pas établis par les pièces communiquées et notamment pas par le courrier syndical du 3 octobre 2019 reprochant à la direction, sans l’établir, que suite « à la journée de grève et de mobilisation du 13 septembre 2019 sur la réforme des retraites », certains « agents se sont vu offrir par la direction la demi-journée voire la journée », étant ajouté que ce tract concerne l’automne 2019 alors que la dernière sanction dont il est demandé l’annulation en raison d’une discrimination est antérieure de plus d’un an au tract;

– « d’autres agents ayant eu des pratiques identiques aux siennes n’ont pas été sanctionnés » ou l’ont été seulement plusieurs mois ou années plus tard: ces faits sont établis.

Pris dans leur ensemble, les éléments qui viennent d’être retenus comme établis laissent supposer l’existence d’une discrimination syndicale. Il incombe donc à la RATP de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

S’agissant du petit nombre d’agents sanctionnés, il ressort des éléments produits aux débats que si de nombreux agents se sont rendus aux assemblées générales, tous ne s’étaient pas mis en grève, comme l’a fait l’appelant, seulement après le début de leur prise de service. Or, en application de l’IG542, ce n’est pas le fait d’assister à une assemblée générale ou de se mettre en grève qui est passible de sanction disciplinaire mais seulement le fait de rejoindre un mouvement de grève postérieurement au début de sa prise de service, de sorte que les agents qui avaient assisté aux assemblées générales dans le cadre du mouvement de grève qu’ils avaient rejoint au début de leur prise de service n’avaient pas à être sanctionnés.

S’agissant des autres agents ayant eu une pratique identique à l’appelant et qui n’ont pas été sanctionnés, il ressort des éléments versés aux débats que la RATP procédait à une réponse graduée face au non-respect par un agent des dispositions de l’IG 542. Ainsi, l’agent était d’abord invité à respecter ces dispositions par un rappel à l’ordre avant qu’en cas de réitération une sanction disciplinaire ne soit envisagée. Cette réponse graduée perdurait ensuite dans le cadre disciplinaire puisqu’un avertissement était prononcé avant que ne soit envisagée, en cas de répétition du non-respect de l’IG 542, une sanction d’une journée de mise en disponibilité d’office elle-même d’abord avec sursis avant d’être prononcée sans traitement. Il en résulte que pour un même non-respect du paragraphe 3 de l’IG 542, la réponse apportée par la RATP était différenciée selon les antécédents de l’agent quant à ce non-respect.

Compte tenu de tout ce qui précède, la RATP prouve que ses décisions à l’égard de M. [O] étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. L’existence d’une discrimination n’est donc pas établie.

‘ Pour contester les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre et en solliciter l’annulation, M. [O] soutient enfin que ces sanctions sont disproportionnées.

Toutefois, l’invocation de « l’absence d’un quelconque effet sur l’organisation du service » et du « souci des agents d’assurer leur service minimum » est inopérante dès lors que l’appelant n’a pas démontré qu’il était autorisé à se dispenser du respect des dispositions du paragraphe 3 de l’IG 542 qui s’imposait à l’ensemble des agents de la RATP et dont il n’est pas contesté qu’il ne les a pas respectées. L’existence d’une « pratique constante de la RATP antérieurement aux sanctions », répondant aux caractères d’un usage, et « l’instrumentalisation de l’IG 542 par la RATP » n’ont pas été non plus établies.

Enfin, dès lors que face à ses manquements successifs M. [O] a bénéficié d’une réponse progressive de la part de son employeur et d’une gradation dans les sanctions disciplinaires qui ne l’a pourtant pas dissuadé de persister dans le non-respect des dispositions du paragraphe 3 de l’IG 542, aucune disproportion n’est caractérisée dans les sanctions dont il demande l’annulation.

‘ Par conséquent, en considération de l’ensemble des moyens invoqués par l’appelant au soutien de sa demande d’annulation des sanctions disciplinaires, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a débouté M. [O] de sa demande d’annulation de celles-ci, de sa demande de suppression de son dossier de tout document les concernant ainsi que de ses demandes de rappel de salaire et de dommages-intérêts pour préjudice moral.

Sur les autres demandes

M. [O] succombant, il est condamné aux dépens de la procédure d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile,

Il paraît équitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles pour la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en toutes ses dispositions déférées à la cour d’appel.

Y ajoutant,

Laisse à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles et les déboute de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [O] aux dépens de la procédure d’appel.

La Greffière Le Président


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x