Contexte de la détentionM. [Z] [MT] a été mis en examen et placé en détention provisoire le 11 février 2022. Une demande de mise en liberté a été rejetée par le juge des libertés et de la détention le 31 janvier 2024. Appel de la décisionLe 2 février 2024, M. [MT] a interjeté appel de cette décision, demandant une comparution personnelle. La déclaration d’appel a été reçue et transcrite au greffe de la chambre de l’instruction le 21 février 2024. Demande de mise en liberté d’officeUne demande de mise en liberté d’office a été formée le 26 février 2024. Intervention de la Cour de cassationLe 11 juin 2024, la Cour de cassation a censuré un premier arrêt de la chambre de l’instruction, soulignant la nécessité de vérifier les conditions de transmission de la déclaration d’appel de M. [MT]. Critique du moyenLe moyen critique l’arrêt pour avoir écarté le dépassement du délai de statuer sur l’appel et pour avoir refusé la mise en liberté d’office, arguant que la chambre n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations. Réponse de la CourLa Cour rappelle que toute personne détenue a le droit d’introduire un recours pour faire statuer sur la légalité de sa détention. Les délais de traitement des appels sont précisés par le code de procédure pénale. Retard dans la transmission de l’appelLa chambre de l’instruction a noté que le retard dans la transmission de la déclaration d’appel était dû à des fautes d’un agent pénitentiaire, ce qui a suspendu le cours normal du service public de la justice. Concert frauduleuxLes juges ont considéré que les fautes de l’agent pénitentiaire et des éléments d’un article de presse indiquant une collusion constituaient des indices d’un concert frauduleux en faveur de M. [MT]. Circonstances imprévisiblesLe délai d’acheminement postal a été jugé comme une circonstance imprévisible, empêchant le jugement de l’appel dans le délai prescrit. Conclusion de la chambre de l’instructionLa chambre a décidé de repousser le point de départ du délai au jour de la transcription de la demande de mise en liberté, soit le 21 février 2024. Erreurs de la chambre de l’instructionLa Cour a estimé que l’abstention de transmission rapide par l’agent pénitentiaire ne constituait pas une circonstance extérieure au service de la justice, et qu’un article de presse ne suffisait pas à établir un concert frauduleux. Conséquences de la cassationM. [MT] doit être remis en liberté, sauf s’il est détenu pour une autre cause. Toutefois, un contrôle judiciaire peut être imposé en raison des éléments d’information pertinents dans le dossier. Mesures de contrôle judiciaireDes mesures de contrôle judiciaire sont jugées indispensables pour prévenir des pressions sur les témoins, éviter une concertation frauduleuse, garantir la présence de M. [MT] à la justice, et prévenir le renouvellement des infractions. Obligations imposéesM. [MT] sera soumis à des obligations spécifiques pour assurer les objectifs de contrôle judiciaire, et le magistrat chargé de l’information est compétent pour appliquer les articles du code de procédure pénale. Diligences du parquet généralLe parquet général de la Cour procédera aux diligences nécessaires conformément aux dispositions du code de procédure pénale. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour de cassation
Pourvoi n°
24-84.629
N° 01418
ODVS
22 OCTOBRE 2024
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 OCTOBRE 2024
M. [Z] [MT] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Cayenne, en date du 17 juillet 2024, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 11 juin 2024, pourvoi n° 24-81.955), dans l’information suivie contre lui des chefs de complicité de meurtre, infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, en récidive, non justification de ressources et blanchiment, a rejeté sa demande de mise en liberté et confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant une précédente demande de mise en liberté.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de Mme Chaline-Bellamy, conseiller, et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l’audience publique du 22 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chaline-Bellamy, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [Z] [MT], mis en examen des chefs susmentionnés et placé en détention provisoire le 11 février 2022, a formé une demande de mise en liberté qui a été rejetée par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Cayenne le 31 janvier 2024.
3. Il a interjeté appel de cette décision, avec demande de comparution personnelle, au greffe de la maison d’arrêt de [Localité 3] où il était détenu, le 2 février 2024.
4. La déclaration d’appel a été reçue et transcrite au greffe de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Cayenne le 21 février 2024.
5. Par ailleurs, une demande de mise en liberté d’office a été formée le 26 février 2024.
6. Par arrêt du 11 juin 2024, la Cour de cassation a censuré un premier arrêt
de la chambre de l’instruction en relevant notamment qu’après avoir constaté, à juste titre, l’existence d’indices d’un concert frauduleux impliquant un agent de l’administration pénitentiaire, il lui appartenait de procéder à des vérifications sur les conditions de la transmission de la déclaration d’appel de M. [MT], dont elle constatait la nécessité, ainsi que l’y autorise l’article 194 du code de procédure pénale.
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a écarté le dépassement du délai pour statuer sur l’appel d’une décision de rejet de mise en liberté et dit n’y avoir lieu à mise en liberté d’office. Il fait grief à la chambre de l’instruction de n’avoir pas tiré les conséquences légales de ses constatations et d’avoir statué par des motifs insuffisants pour retenir le caractère volontaire des fautes commises par l’agent pénitentiaire ainsi que l’existence d’un concert frauduleux entre ce dernier et la personne mise en examen du seul fait que ces fautes lui profitent et qu’un article de presse mentionne la mise en examen récente d’un agent pénitentiaire de la maison d’arrêt de [Localité 3], et ce en violation des articles 194, 199, 502, 503, 803-7 et D. 45-26 du code de procédure pénale, ainsi que de l’article 5, § 4, de la Convention européenne des droits de l’homme.
Vu les articles 5, § 4, de la Convention européenne des droits de l’homme, 503, D. 45-26, 194, alinéa 4, et 199 du code de procédure pénale :
8. Selon le premier de ces textes, toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
9. Il résulte des deux textes suivants que lorsque l’appelant est détenu, l’appel peut être fait au moyen d’une déclaration auprès du chef de l’établissement pénitentiaire et que ce document est transmis le jour même ou le premier jour ouvrable suivant par ce dernier au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée.
10. Selon les deux derniers, en matière de détention provisoire, la chambre de l’instruction doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les dix jours de l’appel lorsqu’il s’agit d’une ordonnance de placement en détention et dans les quinze jours dans les autres cas, augmentés de cinq jours en cas de comparution personnelle, faute de quoi la personne concernée est mise d’office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées ou si des circonstances imprévisibles et insurmontables mettent obstacle au jugement de l’affaire dans le délai prescrit.
11. La Cour de cassation juge qu’en cas de circonstances imprévisibles, insurmontables et extérieures au service de la justice (Crim., 18 janvier 2011, pourvoi n° 10-87.525, Bull. crim. 2011, n° 7) ou en cas de concert frauduleux impliquant un agent du service de la justice au bénéfice de la personne détenue (Crim., 13 janvier 2015, pourvoi n° 14-87.146, Bull. crim. 2015, n° 16 ; Crim., 13 avril 2021, pourvoi n° 21-80.872), le délai ne commence à courir qu’à compter de la transcription de la déclaration d’appel sur le registre prévu par l’article 502 du code de procédure pénale.
12. Pour écarter le moyen pris du dépassement du délai de vingt jours applicable à l’examen de l’appel de la demande de mise en liberté, l’arrêt attaqué expose que la chambre de l’instruction considère ne pas avoir besoin de procéder à de nouvelles investigations, dès lors qu’elle dispose des premiers courriels du greffe du tribunal judiciaire indiquant qu’aucune transmission de la déclaration d’appel n’a été faite par la voie électronique, qu’elle se trouve tributaire des demandes formées par le parquet général auprès des parquets et parquets généraux territorialement compétents et tenue, dans l’intérêt notamment du détenu, de statuer sans multiplier des décisions avant dire droit relatives à des investigations.
13. Les juges rappellent que le retard dans la transmission de la déclaration d’appel ne s’explique que par les agissements d’un agent pénitentiaire de la maison d’arrêt de [Localité 3] qui, dans un dossier de nature criminelle aux lourds enjeux pénaux suivi à [Localité 2], n’a pas transmis la déclaration d’appel par la voie électronique, a envoyé cette déclaration par courrier Ecopli, trois jours après la formalisation de l’appel, suivant un bordereau ne comportant ni le cachet ni la signature de l’établissement pénitentiaire certifiant que la transmission à l’autorité compétente a bien eu lieu.
14. Ils considèrent en conséquence que ce cumul de fautes conduit à les qualifier d’agissements volontaires ayant suspendu le cours normal du service public de la justice.
15. Ils retiennent que ces agissements et les renseignements issus d’un journal local faisant état de la mise en examen et de l’incarcération d’un agent pénitentiaire de cette maison d’arrêt pour collusion au sein de l’établissement et d’une instruction en cours pour déterminer l’étendue des faits et des personnels impliqués sont des éléments factuels suffisants pour caractériser l’existence d’un concert frauduleux qui ne profite qu’à M. [MT].
16. Ils ajoutent que la cour ne saurait prolonger les investigations soumises désormais à cette instruction et au secret qui s’y attache et qu’elle doit tirer les conclusions des éléments en sa possession.
17. Par ailleurs, les juges indiquent que le délai d’acheminement postal entre [Localité 3] et [Localité 2] constitue une circonstance imprévisible et insurmontable au sens du même article 194 du code de procédure pénale, faisant donc obstacle au jugement de l’appel dans le délai de vingt jours précité et que le choix délibéré du non respect des règles correspond à une faute détachable du service, destinée à favoriser M. [MT].
18. Ils en concluent qu’il y a lieu de repousser le point de départ du délai prévu par l’article 148-2 du code de procédure pénale au jour de la transcription de la demande de mise en liberté au greffe de la chambre de l’instruction, soit le 21 février 2024.
19. En se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés pour les motifs qui suivent.
20. En premier lieu, à la supposer établie, une abstention volontaire de transmission par la modalité permettant d’assurer une réception rapide par la juridiction concernée de l’acte d’appel par un agent du greffe pénitentiaire ne saurait, sauf concert frauduleux en vue de porter atteinte à la régularité de la détention, constituer une circonstance extérieure au service de la justice.
21. En second lieu, ne constitue pas un élément de nature à caractériser un tel concert frauduleux un article de journal relatant la mise en examen, pour des faits commis en faveur de détenus, d’un agent pénitentiaire de la maison d’arrêt concernée alors qu’en l’absence de toute vérification autorisée par l’article 194 du code de procédure pénale, la chambre de l’instruction ne pouvait déduire de ce seul article que l’agent pénitentiaire éventuellement mis en cause était le responsable de la transmission litigieuse de la déclaration d’appel.
22. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
21. M. [MT] doit être remis en liberté, sauf s’il est détenu pour autre cause.
22. Cependant, les dispositions de l’article 803-7, alinéa 1, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des délais prévus par ce même code, dès lors qu’elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d’information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l’un des objectifs énumérés à l’article 144 du même code.
23. En l’espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [MT] ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions qui lui sont reprochées.
24. Une mesure de contrôle judiciaire est indispensable aux fins de :
– empêcher une pression sur les témoins et parties civiles dès lors que l’intéressé conteste les faits et que leur nature, les témoignages de menaces, outre sa condamnation pour menaces contre le magistrat instructeur précédemment en charge de l’information, peuvent faire craindre des actes de violence sur les témoins et sur les parties civiles ;
– empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices, en ce que les faits sont contestés, que des menaces envers un co-mis en examen ont été relevées et que l’information démontre sa facilité à se procurer des moyens de communication clandestins et sa propension à faire preuve d’un ascendant sur des tiers ;
– garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice, en ce que les seules attaches familiales de M. [MT] en métropole n’ont pas fait obstacle à sa grande mobilité géographique ;
– prévenir le renouvellement de l’infraction, au regard, d’une part, du comportement menaçant de l’intéressé qui ressort de sa condamnation le 5 mars 2023 pour menaces envers un magistrat instructeur et de témoignages, d’autre part, des éléments de pronostic criminologique défavorables retenus dans l’expertise psychiatrique.
25. Afin d’assurer ces objectifs, M. [MT] sera astreint à se soumettre aux
obligations précisées au dispositif.
26. Le magistrat chargé de l’information est compétent pour l’application des
articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.
27. Le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l’article 138-1 du code de procédure pénale.